Check up | Carmen

Le soir tombait doucement sur la Jeune Cordillère, de plus en plus vite au fil des jours qui passaient. Même si Everbloom parvenait à faire barrière au froid climat caractéristique de la mauvaise saison, le ciel y était totalement indifférent et les jours raccourcissaient sans avoir cure de ce qui se passait sur la terre. Le Savant avait l'impression d'être détaché de la réalité, qu'une sorte de vide occupait une grande partie de ses pensées. Il avait quitté ce jour-là les Mines après avoir aidé à déplacer les malades. Puisqu'on n'avait plus besoin des Savants là-bas, ils avaient été remplacés par des gardes. Les malades n'étaient plus des patients, mais des mutants. On n'avait plus pitié d'eux, on en avait peur. Et dans tout cela, les braves guérisseurs n'avaient pas servi à grand chose. Le petit succès dont ils pouvaient se prévaloir, c'était qu'ils avaient réussi à protéger tous les autres loups de la contamination, malgré les expéditions et promenades menées à travers les lieux contaminés. Ils avaient eu une frayeur lorsque l'un des loups, Deidara, était revenu avec une oreille arrachée par une plante, mais il avait été épargné et son oreille guérie. Un tout petit soulagement au milieu du désespoir latent qui s'allumait peu à peu dans les yeux de tous les Savants. Ils étaient tous exténués par les jours de travail dans la mine, par toutes ces tentatives pour guérir leurs confrères et qui avaient lamentablement échoué. La vision de sa mère, gémissant des choses incompréhensibles sur sa couche et terrassée par la fièvre, hantait les pensées du loup blanc.

Il secoua la tête, comme pour tenter d'en chasser cette vision, et acheva de ranger ses affaires. Il avait élu temporairement domicile dans la tanière qui avait été celle de Romance. Des petits replis dans les murs de pierre permettaient de ranger les remède,s et la pièce principale était assez vaste pour que l'on puisse y accueillir des patients. C'était ici qu'il faisait les consultations, pour vérifier que les Séides qui revenaient d'expédition ou avaient aidé à la Mine ne montraient aucun symptômes. D'ailleurs ce soir-là, il avait donné rendez-vous à la louve Carmen à la fin du jour pour cette vérification, ce qui lui permettrait également de vérifier son état général. Malgré Everbloom, les loups ne devaient pas oublier que la mauvaise saison approchait, avec son lot de maladies redoutables. Le fait que leurs stocks aient été considérablement épuisés par leur lutte contre les plantes était inquiétant, aussi redoublait-il de prudence. Enfin, il avait entendu dire que la femelle avait recueilli un très jeune petit. Si elle présentait le moindre signe de maladie et qu'elle la lui transmettait, ils n'auraient sans doute pas de quoi sauver e louveteau. Ce qui rajouterait aux terribles choses qui leur tombaient sur le coin du museau depuis un bon moment maintenant.

Ayant achevé son rangement, alla rincer ses pattes à la petite source qui coulait au fond de la grotte, et arrangea ses cheveux, qui lui tombaient devant les yeux. Puis il revint à la pièce principale de la tanière.

Carmen se présenta quasiment au même instant à l'entrée de sa tanière, et le blanc se peignit une expression un peu moins préoccupée pour l'accueillir.

"Non, cela m'a permis de mettre un peu d'ordre ici." Répondit-il après l'avoir saluée avec politesse.

D'un geste, il l'invita à venir vers le centre de la petite grotte, où la lumière était la plus douce et permettait d'ausculter sans trop s'abîmer les yeux. Naturellement, le mieux aurait été de le faire en extérieur mais aucun Savant ne le faisait, dans une sorte de respect de ce qui pouvait être arrivés aux loups. Il est vrai que leurs congénères avaient parfois autant tendance à venir les voir pour des blessures ou des maladies du corps que pour celles du coeur ou de l'esprit. Il avait vu nombre de loups défiler dans sa tanière pour lui demander si tel symptôme était inquiétant, quelles précautions il fallait prendre pour pouvoir sortir, et moult autres interrogations ou préoccupations de ce genre. Cela l'avait surpris, mais c'était majoritairement son rang que les lupins venaient consulter plus que le loup en lui-même. Il était Savant parmi les Savants, et savait donc prodiguer quelques conseils et panser les plaies.

"Peux-tu t'asseoir ici, si tu veux bien." Lui indiqua-t-il en désignant du museau l'espace dégagé et situé sous un rayon de lumière.

Il l'observa rapidement, constatant avec étonnement que si beaucoup de loups voyaient leurs forces décroître et devaient aller jusqu'à leurs extrêmes limites en ces temps difficile,s ce n'était visiblement pas le cas de Carmen. La louve avait le pelage brillant et paraissait même un peu plus en chair que les dernières fois où il l'avait vue - ce qui, en soit, n'était pas très difficile car elle avait longtemps été caractérisée par une maigreur effrayante.

D'un geste habile qui trahissait l'habitude, il resserra la lourde tresse qui maintenant ses cheveux hors de devant son museau et leva le regard vers la louve.

"Comment te sens-tu ? Pas de fièvre, de douleurs ou de trouble de la vue ? Pas de toux non plus ?" Demanda-t-il en s'asseyant devant elle.

Il commençait naturellement par vérifier si elle n'avait pas une chance de porter le germe d'Everbloom elle aussi - même si désormais, les risques étaient bien amoindris, elle en serait tout de même quitte pour une petite interrogation en règle.

Le blanc ponctua sa remarque d'un hochement de tête. Généralement, les loups avaient si peur de contracter la terrible maladie d'Everbloom qu'ils devenaient assez paranoïaques pour le moindre petit symptôme. Il était donc assez enclin à croire la louve sur parole lorsqu'elle lui disait qu'elle n'avait rien de tel - de toute façon les loups avaient très vite pris conscience qu'avec la vitesse avec laquelle progressait le mal, ne pas le signaler était plus ou moins synonyme de signer son arrêt de mort. Il ne tiqua pas sur sa remarque quant à sa sortie du camp. Il était vrai que les risques de contagion étaient tout de même fort diminués si elle n'avait pas été en contact avec les plantes, ou très peu, mais ils ignoraient encore si la maladie était contagieuse. Ils prenaient mille précautions lorsqu'ils s'occupaient des malades et avaient pour obligation de surveiller leur propre état s'ils avaient été en contact avec eux. Pour le moment, tous baignaient dans une grande incertitude, un flou médical bien artistique et qui mettait à l'épreuve leurs capacités. Roy ne perdait pas espoir. Ils finiraient sans doute par trouver un remède et guérir ceux qui souffraient. En attendant, les journées de travail étaient longues et pour le moment ponctuées d'échecs.

Il l'observa rapidement, mais ne détecta à première vue aucune zone où son pelage serait tombé - un autre des symptômes. Puis il releva les yeux pour attraper de nouveau son regard lorsqu'elle évoqua le louveteau qu'elle avait ramené. Effectivement, l'histoire avait fait le tour du camp, tant la probabilité qu'un petit abandonné ne parvienne à survivre dans un milieu si hostile était faible. Le petit était une sorte de miraculé - et aussi une petite touche de positivité et d'espoir qui n'était pas plus mal durant cette sombre période. Cependant, il ne fallait pas oublier que tout miracle qu'il était, il demeurait un être encore plus fragile que tous les autres loups déjà exposés au germe.

"Tu m'as l'air en bonne santé en effet." Répondit-il d'un air plutôt bienveillant, et il recula d'un demi-pas, à peine un mouvement en arrière mais qui laissait de nouveau à Carmen sa sphère personnelle. ll avait senti la légère tension qu'il avait créé en s'approchant d'elle pour l'ausculter et, même si ce moment avait été nécessaire, il était inutile de le prolonger outre mesure.
"Cela fait plaisir de te voir ainsi." Ajouta-t-il en s'asseyant de nouveau devant elle. "Comment se porte ton petit protégé ?"

Au fond, la question rassemblait exactement la même teneur que celles qu'il lui avait posées quelques instants auparavant : donnait-il le moindre signe d'infection ?