I dreamed a dream | Aurélion

Il était tard, très tard. Elle s'était efforcée à rester éveillée aussi longtemps que possible, alors que la neige tombait doucement au-dehors et que les étoiles montaient dans le ciel. Peu de temps après la tombée de la nuit, les flocons s'étaient arrêtés et le ciel s'était dégagé, laissant apparaître un large croissant de lune. Il jetait une lumière froide, blanche et argentée, sur tout ce qu'il touchait. Morokei avait contemplé sans mot dire, depuis la tanière où elle se trouvait, sa lumière croître doucement à mesure que l'astre lunaire s'élevait sur la voûte céleste. Elle avait entendu les respirations de son frère ete de sa soeur devenir régulières alors qu'ils tombaient petit à petit dans un sommeil profond. Celui d'Aora, qui s'était couchée contre elle, était agité. Quoi de plus compréhensible après tout ce qu'elle avait vu et vécu en si peu de temps. Elle et Améthyste étaient tout ce qu'il restait de leur famille. Le sort avait brutalement fait d'eux des orphelins, en leur arrachant tout d'abord leur père aux crocs des loups mutants, puis leur mère emmenée par les eaux. Morokei portait avec elle un chagrin immense. Elle avait versé peu de larmes, mais pourtant elle sentait la peine poindre, serrer sa gorge et entâcher ses pensées. Elle aurait aimer se donner le rôle d'une grande soeur responsable, mais elle était obligée de rester confinée dans son statut de victime d'Everbloom. Elle savait qu'elle avait été gravement blessée lors de la bataille, Améthyste le lui avait dit.

Désormais, les pattes recouvertes de bandages et les plaies encore à peine cicatrisées sur son flanc et son épaule, fourmillait en elle une envie de retourner respirer l'air du dehors, sentir le vent sur son pelage et l'herbe sous ses griffes. Et puis la Lune l'avait convaincue de le faire ce soir-là. Elle se souvenait bien de cette étrange nuit, placée elle aussi sous le signe de l'astre nocturne. Elle ne se souvenait plus se tout n'avait été qu'un rêve, ou si cela s'était véritablement déroulé. Tant de choses s'étaient passées depuis. Elle éprouvait une envie de revoir l'être de lumière qui lui avait parlé ce jour-là. Même s'il n'existait pas, elle éprouvait à l'égard de cette illusion une fascination bien étrange.
Alors ce soir-là, elle décida d'enfreindre la règle.

Après avoir vérifié que les bandages autour de ses pattes étaient bien serrés, elle s'était coulée en dehors du Creux aux Loups et avait marché en silence, suivant la lumière de la Lune. Et ses pattes blessées avaient cheminé jusqu'à la Mer. L'eau roulai paisiblement, loin des terres, dans une marée étrangement basse. La lumière de la Lune lui ôtait toutes ses couleurs, ne laissant qu'un savant mélange de gris et de blanc. Iln'avat pas neigé ici, et la proximité de l'océan avait rendu le climat plus clément.
Morokei s'assit sur la grève et inspira profondément l'air salé.
Dieu qu'il était bon de sortir de nouveau.

Il était un rêve…

Le ciel était couvert de sa couverture de jais. Et, pourtant, il était incroyablement clair. Quelques étoiles pointaient leur nez, scintillant comme des paillettes sur un tableau gris. Tout était d’un halo lumineux autour du loup clair. La lune trônait comme une reine dans ce ciel éclairé par ses soins, pleine, ronde, et semblait comme observer notre Brethen. La tête enfouie sur ses pattes, son corps plaqué contre le sable frais, ses yeux mauves étaient levés vers la divine Lune. Presque une année s’était écoulée entre maintenant et sa dernière et unique transformation. Il profitait simplement, en cette douce soirée – ou plutôt nuitée – des réconfortants rayons de lune qui trônaient sur toute la crique. Ses yeux étaient fixés, et ne détourna le regard que lorsque quelque chose attira son attention.

Ce n’était pas un son. Mais plutôt une présence.
Il releva la tête et se détourna. Au loin, il aperçut une silhouette étrangement familière. Un pelage brun, de longs cheveux blancs tourbillonnant au vent.

Il connaissait cette silhouette.
Intrigué, et surtout, n’arrivant pas à mettre la patte sur ce qui excitait son esprit tout à coup, il se leva, tentant de mieux voir le loup qui était assis là-bas. Puis le vent lui fit parvenir une douce odeur… Familière, encore une fois. C’était une femelle.

Mince…

Discrètement, le loup descendit de son trône, pour s’avancer derrière elle, à quelques dizaines de mètres, avant de s’assoir à son tour, l’observant sans un bruit.

Il ne comprenait pas vraiment sa propre attitude, ni même cette curiosité intenable.
Morokei.

Alors que ses yeux suivaient le roulis des vagues sur le sable, l'écume qui venait poindre aux enroulements paresseux de l'onde, Morokei se perdit doucement dans ses pensées. Elle oublia l'allure misérable qu'elle devait avoir, avec son pelage un peu hirsute, ses cheveux en bataille, ses blessures et ses pattes bandées. Seule l'odeur salée des embruns, le vent qui caressait son pelage et le bruit des remous berçaient son esprit. Sa dernière venue ici s'était faite en de tragiques circonstances. La mer lui avait amené le corps de Plume Blanche alors qu'elle même revenait du sanglant combat mené contre le coeur d'Everbloom. Elle avait l'impression de faire la paix avec cette terre, de laisser s'échapper tous les malheurs pour pouvoir alléger son coeur meurtri. Par instant, dans les vagues, elle avait l'impression d'entendre des échos de voix. La douce voix de sa mère. Le timbre plus distant de son père. Et les rires enfantins d'Aora lorsqu'elle n'était qu'un louveteau. Tant d'échos d'un temps qui ne reviendrait plus et qui avait été si brutalement balayé.

Une larme discrète coula le long de sa joue pour aller s'écraser sur le sable. Elle ferma les yeux et inspira profondément, comme pour purifier tout son corps par l'air frais de la nuit. Lorsqu'elle ouvrit de nouveau les yeux, un étrange pressentiment la saisit. Elle avait constaté lors de ses précédentes chaleurs qu'une sorte de sixième sens, d'intuition, peu importe comment on pouvait l'appeler, était exacerbée chez elle durant ces moments-là. Un bien étrange phénomène, mais elle n'avait eu ni l'occasion ni le courage d'oser demander à d'autres louves si c'était en cas chez elles aussi. Peut-être en discuterait-elle un jour avec Aora, mais elle était encore bien jeune pour être préoccupée par cela. Elle tourna légèrement la têt vers la droite et, après un instant, constata d'une série d'empreintes légères étaient imprimées sur le sable le long de la rive, près des terres. Et elles venaient dans sa direction.

Sans un mot, la louve caramel se redressa et pivota doucement sur elle-même, pas après pas, suivant de son regard azuré les foulées invisibles qui avaient été parcourues et menaient un peu plus haut sur la berge, derrière elle.
Alors elle le vit.
Son coeur maqua un battement, alors qu'elle s'immobilisait, le regard accroché à la silhouette claire qui se trouvait assise à quelque distance. Le grand loup au pelage gris semblait la regarder. Et il n'y avait aucun doute possible. C'était bien lui. Il lui paraissait si incroyable qu'il resurgisse ainsi dans son existence. Cela faisait si longtemps après tout. Cela semblait si impossible. Et pourtant, et il était bien là, devant elle, auréolée d'un halo argenté. Un sourire se dessina sur le museau de Morokei, un sourire presque désolé, tant elle l'était de se présenter à lui dans une si pitoyable apparence. Elle pointa les oreilles vers lui, puis finit par s'avancer dans sa direction. Malgré ses blessures et les bandages épais qui recouvraient ses pattes, elle ne boitait pas - c'était au moins ça. Elle s'immobilisa à quelques pas de lui, sans oser approcher d'avantage.
Puis finit par murmurer :

"Ainsi, tu es bien réel."

Car maintenant qu'elle se trouvait près de lui et que e froid ne masquait pas toutes les odeurs, elle pouvait sentir son parfum, auquel se mêlait l'odeur des Brethens. Mais cela n'avait aucune importance à l'heure actuelle. Elle ne ressentait plus que la joie qui gonflait son coeur à l'idée qu'il ne soit plus seulement un songe d'une nuit de pleine lune.

Lorsqu’elle se tourna, le prince fut comme frappé par la bise marine d’une violence mentale assez étrange. Il se souvenait maintenant parfaitement de cette douce louve dont il ignorait toujours le prénom. Bien qu’il eut une étrange sensation quelques minutes plus tôt, soufflée par cette même voix féminine qui venait l’agacer de temps à autre. Pourquoi Aurélion restait-il figé sur place, lorsque la louve Séide s’approcha à pas mesurés de lui, où chaque pas lui montrant davantage l’état de la douce reine des glaces. Elle semblait si fatiguée, meurtrie. Son sourire l’était d’ailleurs tout autant, traduisant toutes les blessures qui s’apparentaient sur elle. Un sourire désolé, laissant presque à notre mâle une sensation de ne pas être à sa place. Bien sûr, il eut des échos de la bataille contre Everbloom, mais il n’avait tout simplement été au bon endroit au bon moment. À chaque nouvelle menace, notre loup était complètement ailleurs. Ce soir, en voyant la jolie femelle en cet état, il s’en voulut de ne pas avoir pu faire apparition. Il eu un faible sourire, pour l’accueillir un temps soit peu. Elle était à une distance très respectueuse, si bien qu’il faillit ne pas entendre son murmure.

« Ainsi, tu es bien réel. »

Réel, il l’était. C’était plutôt leur moment partagé sous la lune qui semblait ne pas l’avoir été. Si bien que, il avait presque oublié cette fameuse nuit où il s’était transformé en forme dragonique, si je puis dire, et qu’il l’avait ramenée sur ses terres, en lieux sûrs, à vol d’ailes. Il la regardait, regardait ses bandages, son pelage ébouriffé, ses mèches blanches en bataille, et ses yeux qui semblaient à la fois pétillants et pourtant si dévastés par une certaine peine indéchiffrable.
À son tour, il murmura :

« Et vous, êtes-vous réelle ? »

C’est également à ce moment-là qu’il se rendit compte qu’il était complètement à côté. Il venait seulement de remarquer qu’elle était passée au tutoiement et que lui était encore resté sur le vouvoiement. Il ne savait pas trop, c’était un réflexe pour lui, et surtout qu’il éprouvait un étrange respect pour cette louve qui se tenait courageusement sur ses quatre pattes, droite, et qui ne boitait même pas malgré ses blessures et ses bandages. Comme par réflexe, il détourna le regard, ne savant plus trop comment se positionner. De la confusion transpirait de par tout son corps, étrange sensation qu’il n’avait encore jamais éprouvée.

« C’est impossible. Cela me rend différent. »

Évitant à tout prix de choisir entre ce fameux « tu » ou ce « vous », il tenta d’expliquer son comportement inhabituel de par la présence irréelle de cette louve qui semblait cette fois, vraiment, vraiment faire perdre les moyens de notre prince.

Ses paroles semblaient avoir plongé l'étrange individu dans une sorte de confusion. Il parla, puis détourna son regard, comme s'i n'osait pas la regarder. En d'autres circonstances, la pensée que peut-être son état rendait sa vision assez éprouvante pour ses congénères l'aurait sans doute effleurée. Mais pas ce soir-là. Malgré l'apparent malaise de son congénère aux cheveux aussi blancs que la tignasse qui coiffait sa propre silhouette, à ses yeux il demeurait auréolé de cette aura de mystère qui lui rappelait temps cette lointaine nuit. La lune le nimbait de nouveau d'un halo argenté, faisant luire les petits diamants qui semblaient incrustés à son pelage, et jetant des reflets liquides sur son pelage clair. Elle n'était pas certaine d'avoir saisi ce qu'il entendait dans ses derniers mots, mais elle n'en avait cure. S'il était bien une chose que lui avait appris sa rencontre avec cet étranger, c'est qu'il était parfois aisé de se passer de mots.

"Je crains que oui." Répondit-elle doucement à sa première interrogation.

Elle laissa au silence le soin de tiquer à la suite de ses mots. Non loin, la mer déroulait ses vagues écumeuses en un murmure presque délicat, faisant jouer les lumières des étoiles et de la lune sur sa surface irisée. La louve chocolat quitta quelques instants le loup des yeux et laissa ses prunelles s'égarer sur cette fascinante danse.

"Puis-je approcher ?" Murmura Morokei en reposant le regard sur lui.

Sa question avait quelque-chose de timide, comme si elle cherchait à être certaine qu'il se trouvait bien là. Elle pouvait sentir son parfum lui chatouiller la truffe, et il se découpait si nettement, si lumineux dans son champ de vision. Mais tout avait paru si clair aussi la dernière fois qu'elle avait peur que ce ne soit qu'une illusion. Après tout, elle était passée par de bien difficiles épreuves, tant physiques que psychologiques. Sa famille et son corps avaient été saccagés par l'année qui s'était écoulée, alors peut-être se raccrochait-elle à cette image, à ce rêve qui lui avait permis d'échapper à l'horreur quelques instants.
Il était si difficile d'y croire, par instants.