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La passe ventue, quel bel endroit ! Dangereux, pour Sh'Eym. Légèrement, en tout cas, du fait qu'il s'agisse de terres Brethen. Mais il souhaitait tout de même s'y rendre car le lieu lui semblait intéressant. Il avait en effet entendu parler d'un sanctuaire habillement dissimulé qui permettrait de voir son passé ou des histoires d'ancêtres inscrites. Il n'avait nulle envie de voir son passé, mais celui d'autrui, qu'il pourrait à loisir changer en histoire, l'intéressait grandement. Et puis, le phénomène en lui-même, pour ce qu'il était, valait le déplacement. Tout du moins l'avait-il décidé. Il s'était donc mis en quête de cet endroit qui lui semblait être un des meilleurs sur terre pour tout conteur un peu décidé. Mais les quelques parooles qu'il avait récolté rendient la quête difficile : il savait juste que, à flanc de la passe ventue un passage souterrain bien caché permettait d'y accéder. Nice. Belles indications hein !

Et, surtout il était sur des terres où on pouvait potentiellement l'attaquer. L'attitude jusque là pacifique des Brethen l'avait encouragé à prendre ces risques qu'il jugeait minime. Au pire, si la personne était mal lunée, il pourrait essayer de s'enfuir, il était plutôt rapide. Et il avait l'habitude de faire avec la nature et savait exploiter chaque interstice se plaçant à sa portée. Sa taille modérée et son agilité en faisait une proie difficile à attraper. Le jeune loup était en outre un expert dans l'art de la survie et de la fuite en avant.Eh oui, il faut bien survivre dans ce monde dangereux.

Il huma l'air autour de lui, levant haut le museau, fermant à demi les yeux pur mieux s'imprégner des effluves qui l'entouraient. Il faisait chaud, mais très sec, et c'était donc supportable... Et même agréable, avec ce douxvent qui glissait sur les pierres et ébouriffait son poil. Le loup gris se mit alors à avancer, en quête de cet endroit perdu qu'on lui avait conté. Les yeux rivés sur la paroi opposée, il commença à longer celle de son côté de la rivière, examinant le moindre choc dans la pierre ocre.

Ses pattes n'effleuraient plus la terre comme avant. Ses yeux étaient fatigués par le soleil, ses paupières lourdes. Son museau était sec et douloureux. Sh'Eym inspira une grande goulée d'air chaud et s'arrêta quelques secondes pour boire de longues gorgées d'eau pure. Le courant était fort, les rochers nombreux. La traversée ne devait pas être facile, même pour un loup averti.

C'est alors qu'il la vit. L'entrée. Faille dans la paroi, écorchure dans la pierre, elle laissait dévoiler une fine lame d'ombre qui promettait mille merveilles. De l'autre côté de la rivière. Et il était déjà fatigué de ses recherches, qu'il entreprenait depuis maintenant de longues heures. Mais peu importe ! Il avait envie de voir cette fameuse grotte. Sh'Eym fit claquer sa lanque et se ramassa sur lui-même, avisant une roche affleurant à mi-parcours. S'il se ratait, il risquait d'avoir un peu mal la truffe, vu la puissance du courant. Il inspira, ferma les yeux quelques secondes. Attendit... Un, deux, trois battements de coeur.

Ouvrit les yeux.

Bondit.

Ses pattes se réceptionnèrent habilement sur la pierre, il manqua glisser mais assura son équilibre en se penchant violemment sur la droit, donna une seconde pulsion et se rattrapa de l'autre côté de la rivière. Chose accomplie. Un sourire léger étira ses babines. Il s'engouffra d'un seul mouvement dans l'interstice, et disparut aux yeux de toutes personnes extrieures.

A l'intérieur, il se sentait déjà plus en sécurité. A l'abri des regards, et des regards indiscrets. Il faisait très sombre, et il n'y voyait presque rien... Des langues de lumière, feu follets verts pomme de la même couleur que ses yeux et son pelage, se mirent à luire doucement et à tournoyer autour de lui. D'où venaient-ils, il ne le savait, toujours était-il que lorsque la pénombre était particulièrement forte ces feu follets apparaissaient. Il laissa quelques secondes passer, pendant lesquelles il se perdit dans la contemplation de ses compagnons sans âmes...

Un autre loup observait ces petits êtres -lucioles..?- tapi dans l'ombre de la grotte. Enfin, ombre était un peu léger. Il avait plutôt l'impression d'être dans les entrailles de la montagne elle-même, organisme quiet s'il en est, qui lui offrait sa fraîcheur quand le monde "réel" -ce sanctuaire ressemblait beaucoup trop à un monde parallèle- offrait une météo plutôt hostile.

À dire vrai, Jo n'était pas arrivé là par hasard. Il y était déjà venu, avec Haze, et avait été séduit par ce lieu. Il y était revenu souvent depuis, contemplant le lac. Ce jour-ci, on n'y voyait goutte, mais parfois, la lumière s'aventurait jusqu'à l'eau, et se reflétait contre les parois calcaires de l'endroit. Un vrai bonheur. Mais pour l'heure, les seuls reflets sur l'eau étaient ceux de la lueur verte que distillaient les petites billes de lumière qui bourdonnaient autour d'eux dans le noir, semblables à de petits esprits de la forêt. Le monde était plein de choses aussi belles qu'incongrues, cela n'aurait finalement pas tant étonné Jo.

Avec le loup sombre entra un rayon de lumière, timide, mais néanmoins salutaire : elle permettait de discerner quelques ombres et lumières, et ainsi de révéler Jo, qui n'avait pas très envie de sortir du silence comme un monstre sort de dessous le lit d'un enfant un peu trop craintif. Le peu de lumière, associé à la vision lupine, permettait de faire ressortir sa fourrure claire. L'arbre qu'il avait sur l'épaule se fondait avec l'obscurité, donnant presque l'impression que le loup prenait racine dans le sol froid de la grotte, se fondant avec la montagne, passant d'animal à minéral sans même s'en rendre compte. Fort heureusement, ça n'était pas le cas. Jo aurait sans doute eu du mal avec le caractère contemplatif de la pierre, quand bien même il était sensible aux détails du réel.

Il se leva doucement, et fit un signe de tête au nouveau venu. Il se tenait à une distance raisonnable, assez près pour être vu, mais pas assez pour avoir l'air trop envahissant. Après tout, il ne connaissait pas ce loup.

─ De la compagnie insoupçonnée... Salut à toi l'ami.