Higher than the sun || Pv. Jo

Ska avait longtemps marché mais n'en était pas fatiguées pour autant.
Ses promenades répétées et le début d'entrainement donné par Suète l'avait rendu plutôt endurant, et il pouvait se rendre de plus en plus loin sur l'île. Pourtant, ce n'était pas pour une petite balade de santé qu'il venait jusqu'ici. Bien que jeune, idéaliste et particulièrement insouciant, Ska n'était pas sans savoir que cet étang appartenait aux Séides... qui apparemment ne portaient pas sa propre meute dans leurs coeurs. Et même si les relations entre les deux clans étaient devenues plus cordiales quelques années avant sa naissance, les règles étaient assez claires : chacun devait rester chez soi. Même lui. Il avait beau avoir grandi chez les Séides, ceux ci devaient désormais le considérer comme un étranger. Voir même comme un ennemi. Ska fronça les sourcils à cette pensée. C'était quand même dommage de fonctionner ainsi, ces terres étaient bien sympathique, il ne comptait pas leur voler leur gibier ni rien faire d'autre qui pourrait nuire à la meute.

Lui, tout ce qu'il voulait, c'était marcher. Et plus que cela, il avait espéré croiser un visage connu en venant jusqu'ici. Que ce soit celui de Zeno, de Lisabeth ou, mieux encore, celui de Lucien. Rien que le simple fait de croiser quelqu'un dont il n'était pas spécialement proche mais susceptible de lui donner des nouvelles de sa famille -car ces loups représentaient bien sa famille, même si deux d'entre eux ne partageaient pas son sang- lui aurait fait plaisir. Mais il n'en serait rien. Il ne voyait personne à part quelques canards nageant sur l'étang. Malgré sa déception, Ska ne put se résoudre à faire demi-tour et décida d'attendre sur la berge au cas ou quelqu'un pointerait le bout de son museau. Ce n'était pas une bonne idée, il pouvait très bien tomber sur un garde pas très sympa qui lui mettrait la raclée de sa vie, mais ce n'était pas grave. Du moins pour l'instant. Il attendrait, verrait ce qu'il se passe et aviserait ensuite.

Son regard s'illumina lorsqu'il sentit une odeur flotter dans l'air. Une odeur qu'il n'aurait pas pensé trouver ici. Quoique le jour ou il avait rencontré son / sa, il ne savait toujours pas ce qu'ille était et s'en moquait totalement, propriétaire, ce/cette dernièr(e) se trouvait déjà en terres Séides. Mais trêve de réflexions. Ska était bien trop excité pour réfléchir convenablement de toutes manières. Il se releva vivement et pista le loup recherché. Jusqu'à apercevoir sa silhouette quelques mètres plus loin.

▬ JOOOOOOOOOO ♥

Et il courut droit vers le dénommé, avalant la distance qui les séparait pour finalement lui bondir dessus sans ménagement.

▬ Joooooooooo ♥ Je suis content de te voir ;v; !

Il faudra qu'il cesse de sauter sur les loup apprécier, au risque de se retrouver avec un cadavre applati entre les pattes l'un de ces quatre.

Mais pour le moment -et fort heureusement pour Jo- le jeune loup n'avait pas pris suffisamment de masse musculaire pour véritablement risquer de tuer quelqu'un en l'étouffant sous son poids. D'ailleurs, à en juger par la sensation de compression que ressentait Jo présentement, il n'était pas exclu que cela arrive un jour.

C'était en soi un jour bien ordinaire. Il marchait, comme d'habitude. Vagabondait aurait été un terme plus proche de la réalité, terme auquel Jo essayait sans succès d'ôter sa connotation péjorative afin de pouvoir le revendiquer fièrement sans que cela influe forcément de façon négative ses interlocuteurs vis-à-vis de leur première impression sur le loup blanc. De toute manière, celui-ci était déjà bien assez particulier pour qu'un loup un peu étroit d'esprit -ou limité, simplement- n'apprécie pas le personnage. Il le comprenait et l'acceptait parfaitement, même si cela ne le réjouissait pas plus que cela -il aimait partager.
Il marchait, donc, et approchait de l'étang dans lequel il prévoyait de nager, en grand amateur d'eau qu'il était, quand il avait entendu un loup adulte hurler son nom. Cette voix lui évoquait vaguement quelque chose, mais il n'arrivait pas à savoir quoi.

Il le savait maintenant : c'était la voix de Ska, dont il ne connaissait d'ailleurs toujours pas le nom, dont la voix était descendue de quelques octaves depuis leur dernière rencontre. Le petit avait bien grandi depuis ce jour; il n'était plut petit du tout. La truffe contre le tatouage ailé de son poitrail, bien plus large que dans son souvenir, Jo ne l'avait reconnu qu'au dernier moment en le voyant se jeter sur lui. Heureusement qu'il n'était pas méfiant de nature.

Jo avait réussi par un miracle incongru à se maintenir debout quelques fractions de secondes, chancelant, puis le poids du jeune adulte avait eu raison de son peu de muscles, et il était tombé sans aucune grâce. Et, comble du ridicule, il n'arrivait pas à se dégager.
Ce fut donc une phrase bien plus brève qu'à l'habitude qu'il parvint à faire passer la barrière de ses babines, la gorge compressée.

─ Tu m'étouffes...

─ Tu m'étouffes...
▬ Oh, pardon !

Ska se releva vivement pour ne pas priver son ami d'air plus longtemps.
Si il avait bien conscience de ne plus être un bébé -Le monde était devenu un peu moins grand depuis quelques mois- le jeune loup avait cependant un peu de mal à se dire qu'il était bien loin du poids plume. Dame nature l'avait doté d'une musculature impressionnante et il devait bien peser deux Jo, voir plus. Les balances n'existant pas dans le monde de Punk Wolf, il devrait se contenter d'estimations. Dont il se fichait complètement au passage. Une fois assuré que le solitaire était toujours vivant -Il n'avait pas du passer très loin de l'autre côté, le pauvre- Ska s'assit sagement pour ne pas lui faire plus de mal à force de marques d'affection.
Ce qui était particulièrement difficile puisqu'il était on ne peut plus heureux de revoir Jo.

▬ Joooo, ça fait trop trop trop trop longtemps ! Je pensais pas te voir ici, c'est une jolie surprise ! Merci le Destin o/ Tu sais quoi ? J'ai rencontré Suète ! Et t'avais raison, elle est vraiment trop forte *-*

Il hésita un instant puis fronça les sourcils.

▬ Par contre elle n'est pas très souriante e__e

Il fallait bien avouer qu'à ce niveau là, la louve rouge et lui étaient comme le jour et la nuit. Elle était droite et sérieuse tandis que lui passait son temps à rire et à flâner sur l'île. Mais qu'importe, il devait trouver le moyen d'arracher un sourire à sa nouvelle camarade. Personne n'était né pour tirer la gueule toute sa vie.

▬ Enfin bon, je l'aime bien quand même ! Pardon, je parle beaucoup comme d'habitude. Comment ça va, toi *v* ?

Ska se tut afin de laisser Jo en placer une.

Le solitaire prit le temps de remettre sa fourrure en ordre tout en écoutant son compagnon, car il savait faire deux choses en même temps. Cela lui permettait de gagner du temps et aussi de s'acheter une contenance quand il en manquait, comme à cet instant précis, peu de temps après avoir manqué de mourir étouffé. S'il devait choisir, il préférait partir de sa belle mort, la tête haute face au soleil couchant. Mais ça n'était qu'un souhait jeté en l'air.
Jo laissa Ska finir sa phrase -ou plutôt sa tirade- et répondit tranquillement. Il aimait beaucoup faire salon, et c'était encore plus agréable en compagnie d'un loup comme Ska, qui voyait le monde d'un oeil frais et positif. Une bouffée d'air pur dans un monde enfumé.

─ Cela fait tellement longtemps que j'ai l'impression que tu as mangé un ours.

Il se fit vaguement la réflexion que les parents du -plus si- petit devaient avoir une fière carrure, et sourit intérieurement à cette pensée. Il en avait vues d'autres, des belles carrures.

─ Chacun a des raisons de sourire ou non, et je soupçonne notre amie d'être passée, dans sa vie, par bon nombre d'épreuves ne tendant pas à faire s'élever l'esprit ou les commissures des lèvres.

Il restait bien entendu évasif, ne sachant que peu de choses sur Suète. La seule chose sûre qu'il savait, c'est qu'elle avait été chassée de son clan, et en avait fondé un nouveau. Tout un petit monde reposait sur ses -larges- épaules, et ça n'était pas une incitation à la légèreté. De toute manière, Jo doutât que la louve rouge fut naturellement disposée au sourire gratuit. Elle était un concentré de nervosité, d'énergie et de volonté, et aucune de ses actions -ou presque- n'était perdue. Comme si sa vie entière avait un but. Elle était une flèche filant avec précision vers une cible -mais la flèche ne connaît jamais la cible avant de s'écraser contre elle.

─ Excuse-moi mais je n'ai pas très bien suivi, qui est-elle pour toi ? Vous ne faites pas partie du même clan, cela veut-il dire que tu as pris toi aussi la belle habitude de errer à ta guise sur les terres ?

En effet, le fait que le jeune loup connaisse assez la louve rouge pour dire qu'elle n'était pas très enjouée témoignait d'une fréquentation, sinon assidue, au moins conséquente. En une heure, on ne pouvait réellement statuer sur ses choses là, dans la mesure où une humeur passagère peut assombrir le regard de l'interlocuteur.

Comment ça va, toi ?

Courte et efficace, la question n'en était pas moins bien posée, et avec un intérêt réel, en plus. Jo ne savait pas vraiment qu'y répondre : lui-même ignorait comment il se sentait. Voir Ska aussi grand lui avait en vérité donné la -stupide- impression d'être vieux. Ça n'était pas une sensation très agréable, et cela lui faisait au moins comprendre qu'il avait encore besoin de travailler sur lui-même. Aussi répondit-il comme il le faisait toujours quand il était désarçonné par une question : caché derrière un masque de gentille ironie.

─ Pour le moment, mes côtes sont un peu endolories pour tout t'avouer... mais je suis bien heureux d'avoir croisé un si fier camarade au détour de ce point d'eau, dans lequel je projetais au départ de me baigner seul.

Il aimait l'eau.

Ce n'était pas la première réflexion qu'on lui faisait sur son physique d'ours. A croire que tous les loups de l'île s'étaient concertés pour le taquiner avec ça. Ou alors, ça sautait tellement aux yeux que c'était la première chose qui venaient à l'esprit des gens lorsqu'ils le croisaient. Peu importaient, la remarque n'avait rien de méchant de toute façon. D'ailleurs, il y avait fort à parier que Ska ne s'en serait probablement même pas rendu compte si ça avait été le cas. Par ce que c'était Jo qui avait prononcé ces quelques mots et qu'il voulait une affection sans borne au loup clair.

─ Chacun a des raisons de sourire ou non, et je soupçonne notre amie d'être passée, dans sa vie, par bon nombre d'épreuves ne tendant pas à faire s'élever l'esprit ou les commissures des lèvres.

C'était une éventualité à laquelle il n'avait jamais pensé.
Il avait toujours plus ou moins vu Suète comme une louve purement méthodique, pour qui l'entrainement et la performance surpassaient les qualités relationelles. Du moins, c'était ce que laissait penser les interactions qu'il avait eu avec elle. A chaque fois, c'était comme si sa mentor attendait quelque chose de précis de sa part. Comme si tout devait être réglé comme du papier à musique. Peut-être que son existence était bien plus chaotique que ce qu'elle désirait et cela devait suffire à empêcher les sourires d'étirer le coin de ses babines. Si seulement Suète savait sourire.

─ Excuse-moi mais je n'ai pas très bien suivi, qui est-elle pour toi ? Vous ne faites pas partie du même clan, cela veut-il dire que tu as pris toi aussi la belle habitude de errer à ta guise sur les terres ?

L'un n'empêchait pas l'autre, il avait pu le voir.
Le fait d'être devenu un Brethen ne l'empêchait nullement de se balader à loisir sur les terres. Jusqu'à présent, personne ne l'avait empêcher d'aller où il le souhaitait. C'était peut-être ça, la vie d'adulte.

─ Pour le moment, mes côtes sont un peu endolories pour tout t'avouer... mais je suis bien heureux d'avoir croisé un si fier camarade au détour de ce point d'eau, dans lequel je projetais au départ de me baigner seul.

Ce qui était bien avec Jo, c'était qu'il avait toujours plein de choses à dire. Et Ska aimait aussi échanger alors, bien sûr, une rencontre avec le solitaire ne pouvait que lui faire plaisir. Tentant de se rappeler le flot d'informations qui venait de se déverser sur lui -pour le bien de ce rp, il avait bonne mémoire- il s'empressa de répondre aux précédentes interrogations de son ami.

▬ Suète est mon mentor ! J'ai rejoint son clan il n'y a pas longtemps, j'avais envie de découvrir de nouvelles choses, un autre mode de vie que celui qui a rythmé mon enfance... Et bref, ça m'a donné l'occasion de rencontrer Suète. On a un peu discuté et elle m'a gentiment proposé de devenir son apprenti et j'ai accepté. Ça m'a fait super plaisir ! Je suis chanceux, elle est vraiment quelqu'un de bien. Il marqua une courte pause. Mais si elle va pas bien, il va falloir que je trouve un moyen pour la faire sourire ! Ca doit être possible, c'est pas un robot non plus. Il faut juste que je trouve une idée. Je pense pas qu'elle aime les fleurs... et les câlins non plus. Bon sang, je sais pas. Tu connais ses goûts toi ? Qu'est ce qui pourrait lui faire plaisir D: ?

Tout en s'interrogeant, il plongea l'une de ses pattes dans l'eau et frissonna à ce contact glacé. Il y avait eu beau avoir un léger redoux, la température restait trop basse pour faire trempette tranquillement. A moins bien sûr de vouloir attraper la crève. Mais même avec sa santé de fer, Ska ne se sentait pas prêt à tenter le diable. Sauf que cette petite baignade semblait tenir à cœur à Jo et qu'il n'avait pas envie de décevoir son camarade.
Surmontant sa réticence, il entra dans l'eau et marcha jusqu'à ce qu'elle lui arrive aux épaules.

▬ Alors, tu viens ? Tu voulais te baigner, non ?

Froiiiiiid.

Jo suivit son compagnon retrouvé dans l'eau. Elle était froide, délicieusement froide, d'une température qui éveillait les sens et chatouillait chaque centimètre carré de sa peau. Jo aimait les sensations physiques intenses, celles qui font que l'on se sent vivant, et c'était précisément pour ça qu'il avait eu la folle envie de prendre un bain alors que la température n'était pas encore tout à fait clémente. C'était mieux que ces dernières années -froid, neige, bise- mais ça n'était tout de même toujours pas une température qui donne envie de se refroidir en allant dans l'eau.

Jo nagea un peu pour rejoindre Ska, et ne lui répondit qu'à ce moment-là, une fois qu'il se fût habitué à l'eau. Après tout, ils n'étaient pas pressés. Enfin, peut-être que Ska l'était, mais il n'en savait rien. De toute manière, si tel était le cas, le loup blanc saurait le lui signifier pour prendre congé de lui poliment et retourner aux obligations qui accompagnaient la vie de clan. Il n'était d'ailleurs pas surpris que Ska ait décidé de changer d'horizon. Il lui avait toujours paru un individu curieux, et, finalement, Jo était plutôt satisfait pour lui; en effet, depuis qu'il avait eu l'occasion d'en apprendre plus sur ce clan, Jo préférait les Brethens aux Séides.

─ C'est très noble de sa part... je ne doute pas que tu deviennes un bon guerrier sous ses instructions.

Jo n'avait pas beaucoup d'affection pour les compétences guerrières, mais il comprenait que cela soit intéressant dans le cadre d'un clan. Quant à lui, il n'arrivait pas à comprendre que l'on puisse s'entraîner à la violence. Il ne voyait pas vraiment plus loin que le bout de son nez de ce côté-ci, n'envisageant pas que la paix ne pouvait être éternelle, et que, tôt ou tard, il faudrait bien des loups aptes et formés pour défendre ceux qui ne peuvent le faire eux-mêmes.

La longue énumération d'idées de Ska pour apporter du soleil dans la vie de son prochain avait fait sourire Jo. Il ne l'avait pas oublié, aussi repartit-il sur ce thème.

─ La meilleure façon dont tu puisses faire sourire quelqu'un, qui que ce soit, c'est encore de rester toi-même : ta bonne humeur est contagieuse, et c'est un plaisir de la partager. Et ça n'est pas parce que ton interlocuteur ne manifeste pas sa joie qu'il ne la ressent pas, même de façon infime... Ca a de quoi te changer une journée.

Un rayon de soleil derrière un troupeau de nuages gris reste un rayon de soleil. Toujours aussi chaud et lumineux, et peut-être même plus appréciable.

Tentant de contrôler ses frissons, Ska attendit patiemment que Jo le rejoigne.
C'était comme si le loup clair ne souffrait pas du froid, pourtant bien perceptible, contre sa peau. Et lui, à coté, serrait les crocs le plus fort possible pour ne pas les claquer. Cette petite baignade ferait un bon entrainement contre l'hiver, Suète serait peut-être contente. Enfin, si ce genre de trucs avait une intérêt quelconque pour devenir un guerrier.

─ C'est très noble de sa part... je ne doute pas que tu deviennes un bon guerrier sous ses instructions.

Lui, par contre, en était moins convaincu.
Il n'y avait pas à dire, l'enseignement de Suète était assez exigeant pour permettre à n'importe quel individu motivé de devenir un combattant redoutable. Sauf que plus le temps passait et plus Ska se sentait à des années lumières de ce que sa mentor semblait attendre de lui. Si il admirait la force, il n'avait jamais eu pour ambition personnelle de la faire sienne. Mais d'un autre coté, il était profondément reconnaissant à Suète de lui porter de l'intérêt, à lui, l'orphelin, le loup à peine sorti de l'enfance qui arrivait comme un cheveu sur la soupe au cours d'un hiver particulièrement rude. D'autres l'auraient renvoyé, il n'était pas utile de toutes manières. Mais Suète l'épaulait depuis ce jour où ils s'étaient croisés à la passe ventue, et grâce à son enseignement, il espérait pouvoir surmonter ses problèmes mentaux.
Le reste passait bien après.

─ La meilleure façon dont tu puisses faire sourire quelqu'un, qui que ce soit, c'est encore de rester toi-même : ta bonne humeur est contagieuse, et c'est un plaisir de la partager. Et ça n'est pas parce que ton interlocuteur ne manifeste pas sa joie qu'il ne la ressent pas, même de façon infime... Ca a de quoi te changer une journée.

Ska sourit. Il avait beau penser les choses différemment pour le cas de Suète, les paroles de Jo ne manquèrent pas de le toucher.

▬ Merci Jo, je suis content si je peux au moins apporter ça aux gens que je croise.

Il hésita un instant avant de poursuivre.

▬ Quand j'étais petit, je me suis aperçu que j'avais un problème là dedans. -il montra sa tête- En fait, je suis tout à fait incapable de gérer mes émotions. Si je vis quelque chose, c'est intensément et... c'est pas toujours bien. Par ce que quand je suis triste, c'est toujours très violent et j'aime pas ça du tout. Alors quand ça va pas, quand je sens que je vais couler, je pense très très fort à quelque chose ou à quelqu'un que j'aime bien. A Lucien, à Lisabeth. A toi aussi puisque je t'aime beaucoup. Et en général, ça va mieux. Je dis pas ça pour raconter ma vie mais par ce que je pense que, quand tout va mal, on peut toujours se raccrocher à quelque chose. Je suis sûr que même le plus triste des loups a vécu quelque chose de beau qui puisse le faire sourire. Une belle balade, une jolie fleur ou même un simple bonjour lancé par un inconnu. La vie est belle pour peu qu'on sache l'apprécier.

Sa vision du monde très optimiste comparée à la réalité, et il en avait bien conscience. Mais à quoi bon s'attarder sur ce qui n'allait pas tout en sachant que cela rendait malheureux ? Ska n'avait jamais compris cet état d'esprit.

▬ Je ne pense pas que Suète me considère comme son ami, c'est peut-être pour cela qu'elle ne sourit jamais. Peut-être que je l'ennuie. Dans ce cas, Jo, c'est à toi de lui faire oublier les nuages gris en illuminant sa journée. Et peut-être qu'elle en fera de même pour la tienne, qui sait ?

Jo sourit tristement. Il comprenait ce que voulait dire Ska, et, même s'il n'avait jamais été confronté à ce problème, cela ne l'étonnait pas venant d'un loup aussi entier, aussi pur, dans un sens, que Ska. Jo lui était dans cet aspect de sa personnalité totalement opposé. Froid, calme, presque apathique, il se laissait rarement toucher par quoi que ce soit. Et quand c'était le cas, il était assez maître de lui-même pour ne pas le montrer. Insondable, le solitaire avait quelques amis, des personnes qu'il avait croisées plusieurs fois et à qui il avait aimé parlé. Mais aucun d'eux ne le connaissait, comme une entité sans âme ni personnalité qui se promènerait sur les terres, s’adaptant à chacun, mais réagissant presque toujours de manière inattendue. Il avait appris depuis longtemps à fermer son cœur; pas en entier, mais au moins la couche la plus profonde. Il était capable d'affection, mais pas d'amour. Il pouvait trouver intéressant ou attendrissant une situation ou un discours, mais seulement avec un froid recul. Mais cette fois, c'était différent. Le fait que cet être, si différent de lui, autant physiquement que psychologiquement, sans tâche, exempt de tous les sévices que lui portait sur le dos, se confie à lui sans détour alors qu'il ne l'avait rencontré qu'à deux reprises le touchait. Vraiment, au premier degré, et pas en intellectualisant la chose. Il ressentait vraiment quelque chose, sans passer par sa tête, et ça, c'était assez rare pour le mentionner. Face à Ska, Jo eût honte de lui-même. Et ça n'était pas une mince affaire. Il ne savait pas, pour une fois, quoi répondre.

Il laissa planer un long silence. L'eau était toujours aussi froide, mais son corps engourdi n'y prêtait plus attention. Quand Jo reprit la parole, ce fut d'une voix atone, le regard fixé sur le mouvement calme de l'eau, sur les rides et cercles que diffusaient ses mouvements sur la surface lisse de l'étang.

─ Je ne pense pas avoir jamais pu toucher personne. Je m'efforce de ne pas importuner les gens et de rendre leur journée meilleure si je le peux, mais seulement parce que je trouve cela honorable. Peut-être que je le fais pour moi, pour pouvoir conserver le plus haut grade dans mon estime, je n'en sais rien. Enfin si, je le sais, et ça n'est pas une connaissance plaisante. Quant à Suète, je pense qu'elle te considère comme bien plus que son ami, comme un fils, peut-être, celui qu'elle n'a jamais eu et qu'elle n'aura jamais. Sinon, pourquoi t'aurait-elle pris son son aile ? Elle a besoin de loups bons comme toi, pas pour en faire des machines de guerre, mais pour construire l'avenir. Sans faux-semblants.

Il regarda un instant le ciel bleu, pur, à l'image de l'esprit de Ska.

─ Je pense que tu as de la chance de tout ressentir avec autant d'intensité. C'est ce qui s'appelle vivre... La plupart des loups, moi compris, n'en sont plus capables, embourbés comme ils le sont dans leurs vices... Ils ne voient plus les choses, ou alors seulement par utilitarisme. Sourire en repensant à quelque chose de beau, finalement, c'est un peu gagner.

Ska écouta attentivement les paroles de Jo.
Elles étaient, une fois de plus, pleines de sagesse. C'était une chose que Ska appréciait chez le loup gris, il avait un regard sur le monde qui échappait à la plupart des mortels. Lui compris. Là où Jo semblaient porter un avis sur chaque chose qu'il vivait et chaque sentiment ressenti, lui vivait sa propre vie sans même y penser. Il ne parvenait tout simplement pas à s'accrocher aux raisons de ce pourquoi. Peut-être que ce n'était pas plus mal. C'était la diversité des gens qui l'habitaient qui rendaient le monde si intéressant, et ça n'aurait pas été drôle de rencontrer deux Jo.

▬ Peut-être que tu le fais pour toi, oui. Par ce que ça doit te mettre du baume au coeur de rendre quelqu'un heureux. Peut-être aussi, plus simplement, par ce que tu apprécies avoir une conversation toute simple avec un inconnu croisé il y a cinq minutes. Dans tous les cas, à partir du moment ou tu tires satisfaction d'avoir embelli la journée de quelqu'un... c'est que tu n'es pas égoïste. Enfin, c'est comme ça que je vois les choses, je suis peut-être un peu naïf. Mais ça me plait bien.

Ska sourit à son camarade.

▬ Je pense qu'on agit tous un peu pour soi. Moi aussi d'ailleurs. Mais tant que chacun y trouve son compte et se sent bien, il n'y a pas de mal, non ? Si on pense ainsi, si j'aime faire sourire les gens, c'est par ce que ça me rend heureux. Donc, d'une certaine façon, j'essaye de me rendre heureux moi même en tentant d'offrir ça aux autres ?

Il n'en savait trop rien, tout était si naturel chez lui. C'était bien la première fois qu'il se posait de telles questions et ce n'était pas désagréable. Il était décidément très reconnaissant envers Jo pour lui avoir permis de remettre en question son propre tempérament... qui semblait pourtant plaire au solitaire.

Jo évoluait dans l'eau en petits cercles concentriques d'abord, puis en allées en venues. Le mouvement n'était pas nécessaire, mais lui permettait d'assimiler plus facilement ce que disait Ska tout en y réfléchissant. Il était un miroir de sa propre activité cérébrale, dans un sens. Et puis, soyons honnête, cela lui permettait aussi de chasser le réflexe corporel naturel -frisson- qui traversait son corps à intervalles réguliers dans l'eau fraîche. Tandis qu'il arrivait à un endroit, tout près de Ska -à sa droite- où il pouvait toucher une roche massive, mais rendue invisible sous la surface du lac, du bout de sa patte droite, il sentit sous ses coussinets gauches un frôlement quelque peu désagréable. Il dressa les oreilles, qui étaient tournées vers Ska et qui oscillaient selon les émotions que sa réponse créait chez lui. Il avait bien entendu et assimilé ce que lui avait dit le jeune, mais pour l'heure, il se trouvait juste sous lui quelque chose d'autre, de plus matériel, mais de salvateur également : la perspective alléchante d'un repas substantiel. Car sous lui se trouvait un gros poisson. Il n'avait aucune idée de la façon dont il pouvait s'y prendre pour l’attraper. Son cerveau fonctionnait vite, et il décida de plonger. Il fit un signe de tête vers Ska, montrant la surface du menton : je reviens vite. Le poisson n'était plus sous sa patte, et végétait tranquillement à côté du rocher, était probablement trop enfoncé dans le lac pour avoir déjà été pêché par un loup ; il n'avait donc aucune idée du danger, qu'il n'imaginait même pas. Jo n'était pas un très bon chasseur, et l'eau était aussi trouble que la vertu des anciens souverains pontifes Borgia -pourquoi pas, hm? j'avais envie-, mais il pensait tout de même avoir ses chances. De fines bulles d'eau s'échappaient de sa truffe, plus froide qu'un glaçon dans l'eau hostile. Jo n'hésita pas longtemps, et se propulsa par une impulsion des pattes arrières, et mordit. Il s'apprêtait à rencontrer le vide -l'eau tout du moins-, mais ses crocs se refermèrent, non seulement sur quelques centilitres d'eau vaseuse mêlée de sédiments plus ou moins nets -comme quoi, un étang, même nacré, ça reste crade- mais aussi sur une fine armure d'écailles qui, une fois transpercée, laissait l'accès à une chair tendre et fumée.

Le solitaire revient à la surface aussi vite qu'il put, aussi surpris de cet exploit improbable qu'il l'aurait été d'une pluie de météorites sur la terre. Le poisson, qui n'était en fait pas si gros que l'avait estimé Jo, se débattait dans sa gueule, puis, à une pression un peu plus prononcée des crocs du loup, s'immobilisa, flasque.
Jo montra la rive d'un coup de tête à Ska, ne pouvant parler pour le moment -ce qui était un répit bien agréable pour son interlocuteur sans doute. Une fois sur la berge, Jo recracha son butin.

─ Si tu veux bien me faire l'honneur de partager ce maigre repas.. ça n'est pas grand chose, mais l'occasion était trop belle pour la laisser filer. Peut-être que c'est ça aussi, la vie, saisir des occasions. Et pour en revenir à ce que tu disais tout à l'heure avant que je ne t'interrompes grossièrement, ce dont je m'excuse, je ne sais que penser de cette façon de fonctionner. Pour moi, le vrai amour, l'amour sublime, est l'amour désintéressé, celui qui agit dans l'ombre pour le bien de l'autre, qu'il soit ami, amant ou parent, mais qui n'obtient jamais d'avantage à favoriser autrui. Ou bien la satisfaction d'avoir rendu quelqu'un que l'on aime heureux est-elle assez forte pour motiver l'action, et donc lui enlever son désintéressement ? Penses-tu qu'un tel amour existe, ou préfères tu tout de suite prendre une bouchée de cette truite ?

Philosophie et poisson ne font sans doute pas bon ménage, mais Jo tentait de les coordonner tant bien que mal tandis qu'il se demandait comment il allait s'y prendre pour partager cette bestiole.

Il ne comprit pas le sens du signe de tête de son ami avant que celui ci ne se décide à plonger la tête, et le reste du corps par la même occasion, s'improvisant manchot le temps d'une pêche. Lorsque Jo refit surface quelques secondes plus tard, sa proie dans la gueule, le visage de Ska se fendit d'un large sourire.

▬ Jolie prise !

Lui l'aurait probablement laissé filée, totalement absorbé par leur conversation. Sa condition de loup de clan lui permettait de manger, presque, à sa faim de la sorte ou l'on ne le voyait chasser que lorsqu'il commençait à puiser méchamment sur ses réserves et que son estomac jugeait bon de lui faire part de son mécontentement. Visiblement, Jo avait un sens de la survie bien plus développé que le sien. Ce qui était plutôt rassurant pour lui, vu sa condition de solitaire et donc, le fait qu'il ne puisse compter que sur lui même pour se nourrir. D’où, peut-être, cette silhouette maigrichonne qu'était celle de son ami.

▬ Mange le en entier, je pense que tu en as plus besoin que moi. Ne prend pas cela comme un affront mais comme la décision d'un loup qui a décidé d'être raisonnable et qui ne ressent pas le besoin de s'alimenter dans l'immédiat.

Laissant Jo manger, il se remémora les mots du solitaire et y réfléchit durant quelques secondes avant de répondre à la question posée.

▬ Je suis persuadé que cet amour là existe. Quand j'étais petit, j'ai rencontré un loup, à l'éclat saule. Il prétendait être mon oncle. A la suite de cette révélation il semblait tellement... anéanti, rongé par les remords et la souffrance sous le poids d'un lourd secret. Pourtant, même si son chagrin était palpable, il a refusé, malgré toute ma colère et mon chagrin, de s'étendre sur le sujet. Par ce qu'il voulait à tout prix protéger mes parents. Je pense que ce comportement, c'est une manifestation d'un amour pur et d'un désintérêt total. Ce loup, pourtant foncièrement bon, a préféré renoncer à ses propres valeurs et continuer à assumer le mensonge plutôt que de trahir ses proches. C'est bizarre dit comme ça et j'ai beau lui en avoir beaucoup voulu pour avoir été aussi lâche, alors qu'après réflexion, il était loin de l'être, mais... j'ai trouvé ça très beau.

Son éternel sourire s'effaça, et son regard fut soudain chargé de tristesse.

▬ Il y a quelques jours, ce loup est mort pour protéger ses enfants.

Ska cilla.
La nouvelle l'avait surprise. Jamais il n'avait pu envisager que ce loup souriant, un peu maladroit et sympathique puisse mourir de cette façon. A croire que, là-haut, les Dieux avaient décidé de mettre ses bons sentiments à l'épreuve pour voir si il choisirait sa propre vie ou celle de ses rejetons. Le jeune Brethen secoua doucement la tête. Il n'en savait rien et c'était peut-être aussi bien comme ça.

▬ Je pense que cet amour là est le plus pur qui puisse exister et tellement peu de loups en sont dotés. Là, je parle d'un être qui a sacrifié un peu de lui même pour préserver son prochain. De son temps pour veiller sur mon frère et moi-même, de son honneur pour protéger deux coupables et... de sa propre vie pour ses enfants. Et quand je vois ça, je ne peux pas m'empêcher de me sentir complètement égoïste par ce que, moi, je ne me sens pas assez attaché envers qui que ce soit pour lui offrir ma vie de cette façon. Tout ça pour dire que, peu importe la raison pour laquelle on cherche le bonheur des gens... eux ne sont pas censé la connaitre. Et ça fait toujours plaisir, je trouve, de trouver quelqu'un qui cherche à vous aider sans rien chercher d'autre que la satisfaction personnelle d'avoir rendu la vie de quelqu'un plus agréable, juste l'espace d'un instant... Non, même pas forcément agréable d'ailleurs. Le fait de donner un peu de son temps et de son attention à une autre personne et d'en tirer un sentiment positif, ça, c'est un amour pur. De mon point de vue en tout cas. Après, dépendamment du lien que nous avons avec la personne, nous pouvons adopter des comportements et avoir des désirs différents, d'après ce que j'ai pu voir.

Jo accepta avec plaisir la proposition de Ska. Il savait qu'il avait raison, et le solitaire n'était pas partisan de la politesse absurde : toute sa raison et son corps lui criaient de manger, aussi le fit-il sans scrupule, reconnaissant tout de même à sa juste valeur le cadeau que lui faisait là son ami. Après tout, il aurait tout aussi bien pu manger, la chair du poisson était délicieuse. Il s'agissait là, sinon d'un acte d'amour vrai, au moins du témoignage d'une personnalité désintéressée, peut-être même plus que ne l'estimait Ska. Après tout, chacun avait tendance à se juger autre qu'il n'était vraiment. Était-il le loup qu'il voyait de l'intérieur, ce qu'il pensait être, ou le loup de la vie, de l'extérieur, celui que percevaient les autres, ses actions plutôt que ses pensées et ses paroles ?

Il écouta attentivement l'histoire de ce loup, s'assombrissant imperceptiblement en entendant la nouvelle de sa mort, même s'il ne le connaissait pas. Il se fit également la remarque que cet inconnu avait été plus loyal envers deux parents fautifs -il n'y avait, malgré les apparences, pas de jugement de valeur là dedans, Jo pensait connaître la mère de Ska, et lui accordait un grand respect, chose que peinaient à gagner ses rencontres- et adultes, qu'envers un louveteau perdu, simple et pur, qui souffrait d'une solution qu'il ne comprenait pas. Etant donné que le petit était Séide, et que sa mère non -du moins s'il avait bien deviné- il pensait comprendre les raisons de ce silence qui serait, comme il l'avait dit il y a quelques années au petit, un acte de protection. Protéger le gamin d'une situation dont elle-même ne pouvait s'extraire. Toujours est-il que la question se posait ici : quel choix était le plus légitime ? Il ne le savait pas, car il n'avait jamais été un parent, et ne le serait sans doute jamais. Et dans un sens, tant mieux, car il ferait un très mauvais parent.

─ Tu en seras peut-être capable le jour où tu aimeras. Ce jour n'arrivera peut-être jamais, mais selon un schéma traditionnel, cela arrive le jour où naîtront tes louveteaux, si tu en as un jour. Ou le jour où tu trouveras un être avec qui partager ta vie. Si tu le désires.

Après tout, rien de tout cela n'était obligatoire, ni même attirant pour tout le monde. Il en était l'exemple même. Il pensait aussi que les conventions sociales avaient quelque chose à voir avec les liens familiaux, mais s'abstint. Après tout, le moment n'était pas venu d'être cynique, et il ne savait rien de ce loup. Le fait qu'il ait sacrifié sa vie là où certains auraient reculé montrait un engagement un peu plus poussé, si l'on peut dire.
Il recommença à manger, et, quand il eut fini, il se lécha les babines.

─ Tu es encore jeune, et la vie te réserve plein de nouvelles expériences, si ce n'est pas toi qui réserves ces expériences à la vie. Après tout, peut-être que nous déclenchons ce qui nous arrive, je n'ai jamais pu avoir de certitudes là-dessus.

Une pensée lui traversa l'esprit, furtive. Il la saisit avant qu'elle ne s'en aille.

─ Au fait, je ne connais même pas ton vrai nom.

Il darda ses yeux bleus, presque translucides, sur ce jeune loup qu'il appréciait sans vraiment le connaître. Ils se ressemblaient un peu, au niveau de leur physique -blonds, fourrure blanche, yeux bleus, et mêmes quelques traits de leur visage; de leur histoire -tous deux abandonnés par des parents ne souhaitant pas s'occuper d'eux; et de certains de leurs intérêts et idéaux, mais ils restaient deux inconnus, et Jo se jugeait bien plus méprisable que son interlocuteur, qu'il voyait comme digne d'accomplir de grandes choses. Pas forcément grandes sur le plan événementiel, mais au moins des choses qui auraient du sens, et qui en apporteraient aux autres.

[C'est un peu HS mais je viens d'y penser, comment ça se fait que Ska n'ait pas capté qui était son père puisqu'il savait que Eandir était son oncle, et que celui-ci est le jumeau quasi parfaitement semblable de Aendil..? xD]

Ska n'avait encore jamais pensé à fonder une famille.
Il était d'ailleurs encore un peu jeune pour cela et n'avait pas rencontré la louve qui aurait réussi à faire battre son cœur un peu plus fort qu'à l'accoutumée. Aussi, il craignait, faute d'avoir eu un modèle paternel puisque seule Lisabeth l'avait élevé, de se trouver totalement démuni face à sa descendance. Pourtant, à l'opposée, il ne tirait pas une croix sur cette éventualité. La famille avait toujours été quelque chose auquel il avait aspiré et, faute d'en avoir eu une gamin, rien ne l'empêchait de se créer la sienne.
Mais pas maintenant.

Pour la suite, il ressentait un léger désaccord avec ce qu'avançait Jo. Oui, bien sûr qu'il avait encore tout à découvrir mais, pour le reste, il ne pensait vraiment pas être l'acteur de tout ce qui lui arrivait. Et pour preuve, on l'avait abandonné dès la naissance sans qu'il n'ai rien fait pour mériter ce sort. Enfin, cette expérience mise à part, son camarade devait probablement avoir raison pour certains cas. Il ne savait pas. Jo devait mieux s'y connaitre; au vu des années de vie qu'il traînait derrière lui.

─ Au fait, je ne connais même pas ton vrai nom.

Ska hésita un instant.

▬ En fait, je n'ai pas de "vrai" nom. On m'appelle Ska, mais je sais pas d'ou ça vient et je ne m'y identifie pas...

Peut-être que cela changerait lorsqu'il le saurait. Si tel était le cas un jour. C'était assez peu probable puisqu'il fuyait ses origines.

▬ C'est pour ça que je préfère laisser les gens choisir comment ils veulent me nommer. C'est bizarre mais au moins ça me permet de voir comment ils me perçoivent... ou alors l'étendue de leur imagination.

Sourire.

▬ Enfin, appelle moi comme tu veux. Ça n'a pas d'importance. Je n'ai pas besoin d'un prénom pour savoir qui je suis.

[no problem t'inquiète! Par contre je te propose de clore ce sujet d'ici deux ou trois réponses, vu qu'il n'est plus vraiment d'actualité compte tenu du contexte général de nos deux personnages & de la vie PWienne en général ]

Jo vit que Ska semblait émettre quelques réserves sur ce qu'il disait, mais ne s'en formalisa pas. Après tout, il n'était pas du genre à se vexer simplement parce que quelqu'un ne partageait pas ses croyances -croyances par ailleurs trop nombreuses et confuses pour être toutes pertinentes.
Leur sujet de conversation changea donc, et Jo fut satisfait de voir que Ska -puisque c'était son nom, comme il le savait à présent- partageait un peu, sans même le savoir, sa vision des choses concernant le rapport épineux entre identité de patronyme.

▬ Enfin, appelle moi comme tu veux. Ça n'a pas d'importance. Je n'ai pas besoin d'un prénom pour savoir qui je suis.

Jo s'agita légèrement. Cette affirmation titillait sa curiosité. Elle était assez présomptueuse, et il fut bien conscient que lui-même aurait pu l'asséner aussi fermement quelques années plus tôt. Il n'en était plus si sûr, et pensait avoir gagné en sagesse, alors même qu'il était juste plus renfermé sur lui-même, plus froid, moins humain. Les passions, les valeurs, les croyances, cela n'avait plus de sens pour lui. Il se contentait de scanner le monde de son regard de glace, de tenter de le plonger au coeur des individus qu'il rencontrait, afin de les cerner d'avantage. Il se nourrissait de la personnalité et de l'essence des autres -du moins, ce qu'il croyait être leur essence- pour ne pas avoir à se plonger en lui-même. Le plongeon aurait été trop effrayant : plonger vers les abysses l'était toujours. Peut-être n'aurait-il même jamais revu la surface. Il aurait coulé, et se serait noyé. Fin de l'histoire.

Jo plongea donc, encore une fois. Il plongea ses yeux de glace dans ceux, identiques, de Ska, et son coeur de marbre dans celui, chaud, chaleureux, vivant, du jeune loup.

─ Et qui es-tu, Ska ?