Errance|| Pv. Jo

Aendil s'était dit qu'une petite ballade lui changerait les idées.
Alors, dès lorsque le soleil avait commencé à baigner la plaine, il s'était levé et avait apporté sa nièce à Taormine pour qu'elle veille sur elle pendant son absence. Personne d'autre qu'eux deux n'avait droit de toucher la louvette et ils s'arrangeaient toujours pour qu'elle ne se trouve jamais en compagnie d'inconnus. Pas qu'il n'ai pas confiance en ses autres camarades. Mais puisque cette petite était tout ce qui lui restait d'Eandir, il ne devait jamais rien lui arriver. Elle devait vivre longtemps et heureuse, afin que le sacrifice de son père n'ait pas été inutile.

Malgré tous les bons sentiments qui l'animaient, il avait besoin de souffler. Les derniers jours avaient été rudes et garder un visage neutre, à défaut de réussir à leur offrir l'un de ses sourires factices, extrêmement difficile. Plus que jamais, Aendil se sentait vide et le fait même de se lever pour s'alimenter était devenu une véritable épreuve. Mais le membre du conseil ne se voyait pas végéter jusqu'à la fin de ses jours. Bien sûr, que la mort de son frère l'avait détruit. Bien sûr, qu'il ne parvenait plus à dormir la nuit. Bien sûr, aussi, qu'il s'en voulait atrocement de ne pas avoir été là pour aider son frère à défendre les gamins. Et pourtant, ses lamentations ne changeraient rien à cette tragédie. Les Dieux ne lui rendraient pas Eandir et il fallait qu'il se relève pour ceux qui restaient.
C'était certainement ce que son jumeau aurait voulu.

Perdu dans ses tristes pensées, il avait laissé ses pattes le guider comme elle le souhaitaient pour, finalement, se retrouver au beau milieu de la Grêve Gelée. Aka l'un des endroits les plus froids de cette foutue île. Aendil cilla, ne sachant trop quoi penser de sa présence ici. Il n'y avait pas grand chose à faire, à part marcher sur la glace et espérer très fort croiser quelqu'un.

Pour cette fois, Aendil n'eut pas à attendre très longtemps. En effet, là où il y a solitude et hostilité, il y a Jo. À proximité, du moins.
Comme il n'avait pas eu assez d'hiver -surtout depuis que les températures recommençaient à baisser- le solitaire s'était dit qu'une promenade sur la grève gelée avait tout d'une idée de génie. C'est ainsi qu'il s'était retrouvé à marcher dans la neige. Ses coussinets le brûlaient, et le froid mordait sa peau à travers sa fourrure trop fine pour des températures si rigoureuses.
Il aperçut au loin une silhouette blanche. Quelques lignes grises, bleues. Il s'approcha, satisfait de trouver de la compagnie. Un lieu si inhospitalier ne manquait certes pas de beauté, mais d'un peu de bruit. Le bruit d'une conversation, par exemple.
Une fois qu'il se fût approché à une distance raisonnable de l'inconnu -c'est-à-dire assez près pour pouvoir lui parler mais pas assez pour paraître hostile ou bizarre- Jo revit ses plans. Une expression de tristesse latente, refoulée mais tout de même présente, baignait les traits fatigués du loup. Il semblait porter tout le poids du monde sur les épaules... Sans l'avoir désiré. Jo ne pouvait plaindre ceux qui assument bien ce poids après l'avoir recherché, ou ceux qui le portent bien... mais ça n'était manifestement pas le cas de ce loup. Il semblait à peine plus âgé que lui -ou étaient-ce ses traits creusés...?

Compte tenu de tous ces facteurs, et des événements récents -même lui n'avait pu louper les attaques et tortures d'une bande de loups sur les loups de clan- Jo fut sobre. Une fois n'est pas coutume.

─ Bonjour...

Ça lui faisait bizarre à lui aussi. Ce n'était pas vraiment lui.

─ Bonjour...

Ce simple mot le reconnecta immédiatement à la réalité.
Eandir, du haut de son nuage, devait avoir eu pitié de lui et, pour le tirer de ses lamentations silencieuses, avait jugé bon de placer cet individu sur son chemin. Et pas l'un de ses confrères, au regard empli d'une compassion qu'il ne pouvait plus supporter. Mais là, c'était différent. Cet individu, il ne le connaissait pas. Si ce n'était son regard, d'un bleu uni clair lumineux. Un regard qu'il avait lui aussi possédé avant qu'une énorme patte le mutile. Par cette simple constatation, Aendil se dit que ce loup ne lui était peut-être pas si étranger que cela. Un bon nombre d'hypothèses s'offraient à son esprit troublé. Peut-être était il un frère -ou une sœur, dont il n'avait -encore- pas eu vent de la naissance, ou un demi- frère, ou un cousin, ou un oncle, bien qu'il lui paraisse trop jeune pour cela.

▬ Un jour, j'ai eu les mêmes yeux que toi. Bleus, lumineux, et surtout fonctionnels.

Mais ces yeux, il avait eu la consolation de les avoir transmis à l'un de ses fils et ainsi trouvé la possibilité de se souvenir de ce qu'il avait été avant tout ça, juste en le regardant. Mais c'était là tout ce qu'il partageait avec son descendant. Ils étaient différent. Différent comme il avait aussi été d'Eandir. Finalement, la personne dont il avait été la plus proche ne partageait même pas son sang. Mais il ne suffisait que d'un regard pour qu'il se comprenne, de quelques mots pour se détruite et de toutes ces choses là pour qu'il se sente lié à elle depuis des années.
Et ce loup, là, qui brisait sa solitude par un simple mot amical, il ne le connaissait pas. Il aurait pu être son portrait craché que ça n'aurait absolument rien changé.
Pourtant, il ne demandait qu'à comprendre.

▬ D'où viens tu ?

Il ne parlait évidemment pas du chemin emprunté par l'individu pour venir jusqu'à la grève.

[Sens toi honorée, ce rp est le premier auquel je réponds après m'être décidée à me remettre à répondre plus sérieusement sur PW 8) (ouais en vrai c'est juste une façon de camoufler un monstrueux retard... pardon, ne me bats pas ce soir DD:) ]

Jo s'immobilisa un instant, intrigué, et finit d'ailleurs par s'asseoir en face de l'inconnu. Il devait lui concéder au moins ceci : il avait réussi à attirer son attention, et ce n'était pas chose facile. D'autant plus que Jo ne s'améliorait pas avec les années... Il choisit soigneusement sa réponse, tout en gardant un air plutôt indifférent -parce qu'il trouvait que ça faisait mieux, plus solitaire, alors qu'en réalité, il se demandait lui aussi s'il avait un lien de parenté avec ce loup. Il aurait aimé avoir un lien de parenté avec quelqu'un, qui que ce soit. Mais actuellement, il aurait préféré se faire crucifier plutôt que de l'admettre.

─ Il t'en reste encore un... C'est un trait plutôt répandu, ce me semble; tu es la troisième personne que je croise à présenter cette caractéristique. Je m'inclus naturellement dedans. Je crois. Ascendances communes ? Quelle importance, si l'on ne peut le savoir.

Et pour cause; il n'avait aucune idée ne serait-ce que du nom de sa mère. Voilà qui était réglé. Mais à peine avait-il répondu que l'autre reprenait, lui demandant plus de précision :

─ Dans l'immédiat, de terres plus chaudes. De manière plus globale et définitive, je ne sais pas. Je n'ai pas eu le malheur de connaître vraiment ma famille...

Le tout était bien sûr dit sans animosité, d'un ton qu'il avait soigneusement poli pour le lisser, supprimer toute aspérité dans le discours.

Aendil ne réfléchit pas longtemps pour contredire le loup blanc.

▬ Pas si courant que ça. Il y a quelques années, j'ai fondé un clan avec une amie et mon jumeau. Les Brethens. Ça te dit peu-être quelque chose ? Nous ne sommes pas très nombreux mais, de tous les loups que j'ai pu y croiser, nous ne sommes que deux avec de tels yeux.

Il s'assit à son tour en face de l'inconnu. Ses explications promettaient d'être longues alors autant s'installer confortablement... Ou du moins relativement, il y avait des sols plus agréables pour son postérieur que la glace. Aendil enroula sa queue autour de ses pattes arrières pour tenter de se réchauffer. En vain.

▬ Avant j'étais Séide. Là bas non plus je n'en ai pas vu beaucoup. Voir pas du tout. Je ne me souviens plus trop.

Il haussa les épaules.

▬ Dans tous les cas, ce n'est pas vraiment important. J'ai juste été un peu surpris. Peut-être à tort, je ne sais pas. Je ne sais pas non plus si ça vaut la peine de creuser un peu. Les histoires de généalogie ont fait beaucoup de mal ces derniers temps...

Il faisait évidemment référence à l'arrivée fracassante et récente des Precursors, ces loups qui se revendiquaient comme descendants de l'ancien monde et ne souhaitaient qu'une chose : rétablir la vérité. Ça avait été le cas pour Valka aussi bien que ses méthodes à elle ne soient, heureusement, pas aussi violente. Il l'avait même aidée à se faire entendre en réunissant ses confrères lors d'une petite réunion que la louve avait organisée.
Et qui avait poussé les Precursors à s'en prendre à leur vie sous prétexte qu'ils refusaient de voir la vérité. Lui s'était toujours senti totalement indifférent face à cette histoire de passé, tout comme il se foutait totalement de ses ascendants. D'ailleurs, la louve qui comptait le plus à ses yeux ne partageait même pas son sang.
Il rebondit néanmoins sur la dernière remarque du loup blanc.

▬ Malheur ? C'est si détestable que ça une famille ?

Aendil aurait potentiellement pu comprendre cela. Sa famille à lui était bien présente, il lui restait une soeur, deux fils et une fille. Mais, étrangement, il s'en était peu à peu détaché. A l'exception des fils. Peut-être par ce qu'il n'avait pas pu s'en lasser, faute de les connaître.

Jo n'eut pas besoin de prendre le temps de réfléchir; il avait déjà fait le calcul dans un coin de sa tête.

─ Tu n'en connais que deux, et ton frère jumeau avait probablement les mêmes que toi. Trait plus répandu que tu ne le penses, donc, puisque j'ai moi-même ces yeux, ainsi qu'un jeune Séide que j'ai croisé il y a quelques années de ça. Croiser son propre regard avec les expressions d'un autre, ça ne s'oublie pas.
Et oui, je connais les Brethen. Suète -je crois que c'est ça, son nom ?- m'a invité à venir sur vos terres quand je chanterais... J'avoue que cela m’accommode, bien sûr.

Il jeta un regard en coin au vieux loup -pas bien plus vieux que lui, en fait, s'ils n'avaient pas le même âge. Mais les soucis semblaient avoir voûté ses épaules trop tôt.

─ Pas de panique, je sais à peine chasser, et quand je le fais, ce n'est pas sur vos terres.

Mieux valait prévenir que guérir, après tout, ce loup n'était peut-être pas au courant des dérogations de Suète pour les loups qu'elle appréciait. Même si, à ajouter deux et deux, les deux cocos étaient plus proches que ne l'admettait Aendil pour le moment.

─ Oui, c'est un malheur, quand ton père n'est qu'une chimère et que ta mère t'abandonne à peine sevré, en pleine nature.

Ou pire, juste après ta naissance. Il ne le dit pas, cependant. Pas la peine de tenter le diable. De un, il n'avait aucune preuve -mais il avait des certitudes- et de deux, cela ne le regardait pas. Post-scriptum, de trois : cela ne l'intéressait pas. Enfin, si, un peu. Mais à titre purement indicatif. Il n'avait aucun enjeu affectif là dedans. L'Etranger de Camus, c'était lui. Le spectateur de sa propre vie, étranger aux autres, mais aussi à lui-même. Le fantôme.

─ Mais c'est peut-être un service à rendre à un fils ou à une fille. Pour moi, en tout cas. Pas d'attaches, pas de peine...

Surtout lorsque l'on refusait, comme Jo, de reconnaître la peine causée par la solitude prolongée. Par le manque d'affection, par le gel qui dévorait son cœur à petit feu -glacé.

Aendil secoua la tête.

▬ Non, mon frère avait des yeux bicolores. Ça lui venait de notre mère à ce qu'il parait. Sur les quatre gamins qu'ils ont eu, je suis le seul à avoir hérité des yeux de mon père. Suète est effectivement l'amie en question.

Son expression se fit plus sceptique et il détailla l'autre loup du regard. Non pas qu'il doute que Suète lui ai bel et bien donné l'autorisation de traîner sur leurs terres -il s'en fichait- mais la raison pour laquelle elle s'était montrée si sympathique avec un solitaire.

▬ Tu t'entends si bien que ça avec Suète ?

Il n'avait aucun droit de regard sur les activités de son amie. En tant qu'adulte -plus âgée que lui qui plus était- elle pouvait faire et fréquenter ce qu' - qui elle voulait. Cependant, il devait bien avouer ressentir une petite pointe de jalousie à l'idée que la rouge puisse lui préférer la compagnie d'un -ou d'une, il l'aurait préféré- autre.
Quand bien même c'était ridicule. Il ne pouvait pas reprocher sa conduite à Suète alors que lui même dormait à côté d'une autre. Et d'ailleurs, leur relation étant purement amicale, il ne devrait pas grincer des dents pour si peu. Du moins, c'était ce dont il tentait de se persuader.

▬ Excuse moi, c'était stupide comme question. Si elle te laisse te promener sur nos terres, c'est qu'elle t'apprécie.

Il reprit de sa contenance et écouta attentivement ce que Jo avait à lui dire. Son échine fut parcourue d'un frisson. Ce loup clair avait le don pour enfoncer le couteau dans la plaie et le remuer doucement. C'était comme si il était capable de voir tous ses vices, toutes ses erreurs. Nerveux, il chercha un éventuel glowstick caché par le solitaire et ne fut que moyennement rassuré en ne voyant rien.
La façon qu'avait cet individu de le regarder était profondément dérangeante.

▬ C'est très pessimiste comme discours...

Lui non plus n'avait pas de souvenirs de ses parents, les connaissances qu'il avaient d'eux lui venant de Taormine qui, elle, avait eu la chance de pouvoir grandir à leurs côtés. Il leur était cependant reconnaissant de lui avoir donné un frère avec qui grandir. Un allié.
Qu'il avait fini par perdre mais qui avait eu le mérite de le faire sourire plus d'une fois.

▬ Et si je peux me le permettre, malheureusement, tu ne peux pas juger quelque chose que tu n'as pas connu... Peut-être que tu aurais apprécié d'avoir une famille, si tu avais eu cette opportunité ? Je ne pense pas que tes parents t'aient rendu service en t'abandonnant... N'importe quel gamin a besoin de repères. Ton histoire est très triste.

La réaction d'Aendil intéressa Jo. Il se garda bien, cependant, d'en laisser paraître quoi que ce soit. De un, c'était malpoli, et de deux, cela se serait révélé gênant pour les deux partis. Il se contenta donc de répondre sobrement à la question, même après que le loup l'eut retirée.

─ Nous avons eu deux discussions intéressantes. À plusieurs années d'écart, mais tout de même. J'imagine qu'elle m'apprécie pour me laisser vagabonder sur vos terres... Ou alors, elle a juste très bien su me cerner, et sait que je serais bien incapable de causer du tort à qui que ce soit.

Ce qui était très faux, bien sûr, même si le solitaire n'en avait pas conscience lui-même : il était tout à fait à même de mettre à sac le camp des Brethen. Incapable de tuer des louveteaux et de violer de jeunes louves, certes, mais il pouvait déjà faire assez de dégâts comme cela si l'envie lui prenait. Fort heureusement, s'il y avait un principe que Jo respectait, c'était la non-violence. Mais Jo le découvrirait plus tard avec la naissance de ses filles, il pouvait nuire. Beaucoup, même.

D'ailleurs, en parlant de filles... -je considère que le rp se passe quelques mois avant la naissance de Hilde et Weerow.

─ Pourtant, c'est le lot de beaucoup. Le loup dont je te parlais, qui a ces yeux bleus que je juge si banaux, mais que tu tiens pour si spécifique, a été abandonné aussi, avec son frère. Je ne peux juger sans trop les connaître, mais il me semble qu'ils ne se portent pas plus mal. Bien sûr, il y a toujours le regret de ne pas avoir eu l'occasion de connaître ses géniteurs. C'est normal, chez un enfant.

Jo hésita un moment, et se lança.

─ Il me semble que j'aurais l'occasion d'expérimenter tout ce concept de famille sous peu, de toute manière.

Quelque chose remua au fin fond de ses entrailles. Une chose contrariée.