Bohemian Rhapsody ─Sigrid

Les pierres et leur poussière s'alignaient sagement, les unes sur les autres, formant un pan de mur, un tas de ruines, image de la déchéance d'un peuple.
-lequel ?-

Jo était arrivé ici par hasard, découvrant avec satisfaction un lieu inconnu, après tant d'années à avoir sillonné les terres. Le désert ne l'avait jamais vraiment attiré, après s'y être perdu une fois. L'immensité d'ocre le touchait moins que la glace de la grève. La chaleur sèche était moins puissante que le froid qui vont pénètre jusqu'à la moelle. Comme il l'avait dit à Haku, s'il avait dû être une saison, ç'aurait été l'hiver.

Mais ce lieu était différent. C'était un lieu de mémoire -oubliée depuis longtemps. Le passé habitait entre ses murs. Il pouvait s'échapper par les brèches creusées par le temps, le vent et les pluies, mais jamais il ne pourrait défaire ses pierres de l'impression profonde qu'il leur avait imprimé.
Pour lui, loup qui ne s'intéressait pas au passé, faute d'en avoir un lui-même, ce spectacle était particulièrement impressionnant.

Jo l'avait repérée depuis qu'elle s'était approchée de la fontaine, qu'il n'avait même pas vue, trop absorbé par le reste du monument. Il fallait bien dire que les dieux n'étaient pas sa préoccupation première, dans la mesure où il ne faisait partie d'aucun clan et ne croyait pas leur appartenir à eux, qui entendaient se faire vénérer sans autre raison valable que leur supériorité factuelle. Ce qui n'était pas assez aux yeux de Jo, bien sûr.
C'est avec curiosité que le solitaire suivit le petit manège de la vieille louve. Comme lui, elle ne portait pas de glowstick -d'autant qu'il pusse voir en tout cas, ce qui pouvait éventuellement expliquer cette irrévérence. Mais tout de même, c'était intriguant.

Elle continua son chemin, et il la vit placidement arriver jusqu'à lui. Elle le jaugea un instant, puis, comme déçue de ce qu'elle voyait, et surtout déçue de devoir enterrer un vieux rêve de tranquillité, elle se détourna, dégoûtée.
Jo ne cilla pas. Il était rare de trouver des loups si peu attachés aux conventions sociales, et cela la rendait d'autant plus intéressante -il va sans dire qu'il ignorait tout des Precursor pour le moment.

─ Pourquoi ?

Sa question n'était peut-être pas très claire, mais il espéra qu'elle saurait de quoi il parlait.

Pour le coup, elle avait touché un point sensible. Peu de gens savaient que Jo n'avait, à proprement parler, pas eu d'enfance. Cette vieille louve ne le savait probablement pas elle non plus, mais qu'importe. Jo ne s'attendait pas à cette question. Il ne réagit pas mal. À vrai dire, il ne réagit pas du tout. S'il y avait bien une chose qu'on ne pouvait pas lui retirer, c'est qu'il était d'un sang froid à toute épreuve. Un peu trop, d'ailleurs. D'où le fait qu'il était possible de lui retirer tout le reste, misérable être qu'il était.
D'un ton placide, il répondit. Sa voix était calme, posée, pas une note au dessus de l'autre. Ce pouvait être assez agaçant, mais un auditeur attentif pouvait y entendre une voix blanche, la voix de celui qui n'a vraiment pas envie de parler de cela. Pas si ça ne vient pas de son plein gré en tout cas. Il lui semblait que la seule personne devant qui il avait évoqué des bribes de son enfance était Kat. Et il était très proche d'elle -aussi proche qu'il pouvait l'être de quelqu'un en tout cas, façon de dire que c'était avec elle qu'il avait parlé le plus souvent, la discussion raisonnée était la seule forme d'intimité et de sentiment qu'il connaisse.

─ Ni l'un ni l'autre non. À vrai dire, je ne sais même pas qui ils sont.

Quant à son père, il n'était même pas sûr qu'il existe. De sa mère, il ne se souvenait que de l'indifférence, de la fourrure blanche, des cheveux de platine et des yeux bleus -et pour cause, il était son portrait craché... la féminité en moins, à sa grande joie.