Vert Yafalouz | Remise de Glowstick - Fini

Il était temps, enfin, cela faisait un an que Kameo avait vu le jour pour la première fois. Le froid de l’hiver sans fin semblait bien loin d’eux. Et même si les precursors menaient la vie dure à son clan, la jeune louve s’en fichait. Aujourd’hui était son jour, la journée qui déterminerait tout.

Ce matin là, elle tournait en rond devant l’entrée du squat, réfléchissant aux moindres détails de son épreuve, triturant au maximum ses méninges le temps que ses parents daignent sortir leur museau de l’ombre. Sa silhouette avait considérablement changé, désormais fine et élancée, la demoiselle, dont les cheveux explosait à l’extérieur de son bandana, faisait désormais adulte. Plus les semaines passaient, et plus son corps muait, bientôt presque aussi grande que son père. Et bientôt, elle volerait de ses propres ailes.

Toute son excitation débordait de ses muscles frémissant, la louve blanchâtre avait distancé sa mère depuis belle lurette et avançait d’un pas décidé vers son épreuve. Au bord de l’implosion, elle n’avait pas réussi à avaler ne serait-ce qu’un morceau de viande. Bien vite l’autel du dieu Kiro se dessinait entre les grandes racines. La jeune folle s’avança et se plaça bien sagement devant la fontaine jaune, enfin sagement était un bien grand mot, tout son corps trahissait ses sentiments mêlés de joie et d’excitation. Sa mère vint se placer un peu plus en retrait et observa d’un œil affectueux la scène, tout en priant que sa fille ne se mange pas les murs. Tout avait commencé ici pour Kameo, de sa conception à sa consécration, Hlynn espérait silencieusement cela.

Ses parents patientaient derrière elle. Kameo s’assura tout de même, avec une once d’inquiétude, que son père soit bien installé. Il n’y voyait plus mais sa simple présence la rassurait énormément, au même titre que la présence de sa mère. Seulement le bruit de la roche vibrante devant elle coupa toutes ses inquiétudes et bientôt elle ne songea même plus à tout ce qu’il se passait autour. Ses yeux se dirigèrent vers le dieu incarné dans la statue craquelée par le temps. Kiro semblait si grand et si puissant même dans cette forme alternative. La jeune louve blanchâtre retint son souffle, cependant son corps ne cessait de trahir son excitation. La mission était simple, très simple même et quelque part, Kam’ la trouvait désuète. Mais pour une fois elle écouta bien sagement la divinité qu’elle comptait servir. Un fois que la voix mystique se tut, la brethen fixa la statue vivante et lui adressa un grand sourire. Prouvant à la fois sa détermination mais aussi l’acceptation du défi et pour ajouter d’avantage de désinvolture, elle lança :

« Les pattes dans le museau !! »

Sans attendre de réponse de qui que ce soit, Kameo s’avança, tête haute et la queue bien relevée comme un étendard.

Elle commença malgré tout à apprécier la montée et chercha du regard le fameux nid. Manifestement ce dernier se situait trop haut pour que la louvarde ne puisse l’apercevoir de sa position. Un haussement d’épaule suffit à montrer sa nonchalance, qu’importe qu’il soit visible ou non, le seul but était de rapporter un œuf en un seul morceau.

Le corps fin s’élança sans tarder sur les racines noueuses puis un bond plus loin, ce fut les premières branches. Visiblement, la montée promettait d’être longue et pour une fois Kam’ réfléchissait à toutes les possibilités. Il ne fallait pas qu’elle se vautre bêtement, ce n’était pas le moment, rien que pour qu’elle puisse montrer à sa famille qu’elle en avait les capacités, qu’elle pouvait clairement être une adulte à part entière.

La première couronne du saule fut une partie de rigolade. Les branches massives jonchaient le chemin tracé mentalement par la femelle. Les unes après les autres, chacune disparaissait sous ses pattes avec pour seule preuve de présence, l’écorce qui écorchait à moitié ses coussinets. Le sourire toujours bien visible sur ses babines, Kameo quittait le champ de vision de sa mère, de l’autre côté du tronc. Puis quelques secondes plus tard, on la retrouvait bataillant de plus en plus avec les mouvements des bras de l’arbre majestueux. Bien sûr, le facteur vent était passé bien au dessus de sa pensée pourtant, la jeune louve n’en démordait pas. Ajoutons à cela la raréfaction des appuis et la maigreur croissante de ces derniers, la demoiselle commençait sérieusement à en baver.

Son agilité se perdait à mesure de l’avancé mais pour la première fois, l’amas de branches et de divers éléments se mit à apparaître. Essoufflée, Kam’ s’arrêta quelques instants pour observer la chose. Ce n’était qu’une bribe de la chose, une infime apparition à travers le feuillage. Elle marmonna pour elle-même :

« Ils auraient du le foutre plus haut ces abrutis ! »

Les rares moments d’ironie pure arrivait souvent à des moments impromptus. Cependant ce n’était qu’un challenge de plus se disait-elle et dans un rire poussif, la silhouette gracile continua sa montée. Le reste de l’ascension se fit dans la douleur et le manque d’équilibre. Une corde raide constante qui remuait à rythme régulier. Sous son poids, quelques brindilles avaient cédées, rien de bien grave même si la sonorité faisait flipper. Puis de temps à autres, un rapide coup d’œil dans le vide. L’aventurière de l’impossible ne ployait pas devant cela, ce n’était qu’une broutille et puis la passe ventue était bien plus dangereuse après tout.

La plus haute branche se tint là, portant une famille d’oiseau. Le bois était d’une telle finesse, comment pouvait-il soutenir un nid ? Qu’importe, Kameo avança, le ventre collé sur la peau de l’arbre tout en s’aidant de ses griffes pour avancer gentiment. Une de ses pattes avant glissa, manquant de la faire chuter vers sa mort. L’adrénaline ne faisait que grimper dans ses veines l’empêchant de faire demi-tour mais ces images manquèrent de faire s’arrêter le cœur d’Hlynn qui plus bas observait avec attention la scène. Le genre de chose qu’elle omettait de raconter à son compagnon assis à ses côtés pour ne pas l’inquiéter.

Les œufs finirent par se montrer, de taille moyenne, jamais Kameo n’aurait pu les ramener intact en bas du moins pas en les portant normalement dans la gueule. Face à l’impossibilité, elle se trouva coincé, loin de la terre ferme et le vent remettait le couvert. La réflexion fut bien courte quand elle se décida à décrocher son bandeau qui retenait la crinière en pétard sur sa tête. Celui-ci glissa sur ses yeux puis d’un coup habile de la mâchoire, elle le rattrapa pour le déposer dans le lit de ces bébés prêt à naître. Ne pouvant utiliser ses membres, la louve tendit le cou pour faire rouler le précieux petit tas de viande en devenir. Au bout de trois essais, il fut placé convenablement sur le tissu puis il décolla du mélange de branchage et de bouse. Seulement reculer était tout aussi impossible que de se mouvoir normalement. La brune roula des yeux face à tous ces imprévus. Comme si cela ne suffisait pas, il fallait redescendre de façon aléatoire.

Dans un sursaut d’audace, Kam’ se laissa glisser de son perchoir accroché encore par ses antérieurs. La tension que son poids entraînait devint assez vite insupportable et la base de la branche trop loin pour s’y accrocher. Face à l’urgence, la louve jeta un coup d’œil rapide sous ses pattes pour apprécier la chute. Puis elle lâcha la pression dans ses articulations pour se laisser tomber. Cela ne dura qu’une fraction de seconde et elle s’agrippa fortuitement à une branche. Du moins, ses côtes percutèrent le bois mais rien de cassé ni pour elle ni pour l’œuf. Pour un peu, elle aurait soupiré de soulagement mais sa gueule étant prise, il n’y avait pas de chance que ça se passe. La suite se passa en toute tranquillité, même si le choc restait douloureux. La descente restait simple et manifestement, son protégé n’avait rien enfin elle espérait.

Le sol se rapprochait, enfin. Et, quelques bonds plus tard, Kameo rejoignit la divinité. Elle déposa sa proie à terre puis retira les pans qui le cachaient. Découvrant par la même occasion que la coquille était en un seul morceau. Puis dardant un regard fier vers Kiro, s’empressa de lancer :

« Alors ? »

La fatigue de l’escalade se faisait sentir et ses pattes tremblantes cachaient sa peur d’avoir loupé quelque chose. La future éclaireuse n’osait regarder sa famille et préféra fixer toute son attention sur son inspecteur des travaux finis.

La joie s’inscrivît sur la face blanchâtre, elle avait réussi et maintenant, la demoiselle pourrait parader. Restait encore à savoir quel était le pouvoir qu’on lui avait confié. L’impatience de l’essayer était grande mais une fois le dieu cristallisé dans la roche, elle ne pensa qu’à retourner voir ses parents. Trottant fièrement vers les deux loups encore meurtris par le combat, Kameo lança vivement :

« Je l’ai eu ! Nah ! Et maintenant je pourrais aller patrouiller avec toi maman, hein ? »

Hlynn acquiesça, presque la larme à l’œil quand sans réellement s’y attendre, elle sentit la pression de la tête de sa grande fille sur le poitrail. La demoiselle resta quelques secondes, savourant l’étreinte affectueuse puis se détacha des poils bleutés pour rejoindre le corps plus massif de son père. Ce bref moment de tendresse restait assez rare vu la pile d’énergie qu’ils avaient créée et donc les deux éclaireurs devaient apprécier, enfin Kam’ le pensait. Les bonnes choses ont malheureusement une fin, la brethen s’écarta et dit avec toute la vivacité qui la caractérisait :

« Bon maintenant on peut rentrer ! »

Un large sourire joyeux étira la face et ses yeux se plissèrent. Pour un peu, on aurait pu apercevoir une larme perler le long de sa joue. Aendil ne le verrait pas mais Hlynn admira la scène un peu hébétée.