Assez [Pv.Antarès, Anthem & Mido]

Après le grand chambardement qui avait eu lieu sur le continent, les batailles de morsures, griffures, arrachage de pelage et de peau à qui mieux mieux, les Precursors leur avait enfin laissé l'illusion d'une trêve. Certes, si l'on exceptait le fait qu'un temple divin avait été détruit, ils semblaient avoir disparus. Et Anthem n'avait pas dans l'âme cet héroïsme grandiose qui en pousserait certainement d'autres à aller errer dans la Mine, touts crocs dehors, avec dans le coeur une envie noble de vengeance - si tant était que la vengeance puisse être noble, mais on s'éloignait un petit peu trop vers une sorte de dissertation philosophique.

Malgré toute cette pagaille, les lupins avaient gardé un semblant d'organisation et s'étaient séparés en petites patrouilles chargées d'aller... demander des réponses aux dieux. Bien qu'Anthem aie foi en Mido et en les divinités, il lui semblait légèrement naïf d'espérer si facilement une réponse. Après tout, de son expérience du moins, les dieux n'avaient jamais été que des identités floues et jamais matérialisées. Il lui était arrivé déjà de venir prier. D'adresser quelques mots aux dieux. Mais lorsqu'il contemplait le fil qu'avait eu son existence, il se demandait s'ils l'avaient un jour écouté. Peut-être lui en voulaient-il d'être parti, d'avoir quitté leurs terres en gardant le pouvoir qu'ils lui avaient offert. Il ne savait même pas quel glowstick avait eu Romance. Cette réalité le frappa soudainement. Il ne l'avait jamais vu utiliser un pouvoir, ni n'avait noté sur son pelage la moindre lueur colorée, autre que celles qu'elle portait d'ordinaire, naturellement.
Enfin... Pour ce qu'il savait de sa vie. Cela faisait des semaines qu'il ne lui avait pas adressé la parole. Des lunes, sans aucune doute. Il la croisait rarement - et sans doute absolument volontairement - mais n'était que silence et ombre observatrice pour elle. Et au fond, il était persuadé de ne rien vouloir être de plus.

Il avait suivi de loin les deux autres, affecté de dernière minute à leur patrouille dans un ordre lancé un peu à la volée au dessus des têtes lupines qui attendaient. Elan étonnement patriote que celui de se proposer pour Anthem. Au delà du fait qu'il allait devoir être socialement correct durant un long moment, accompagnant le Bêta et l'un des enfants de l'alpha Raw. Allant d'une allure silencieuse, il se coula jusqu'aux marais et s'enfonça dans les terres de Mido. Des souvenirs lui revenaient des moments où il était venu ici. Un en particulier, le plus ancien. Qui le fit revenir sur ce qu'il avait pensé un peu plus tôt. Un souvenir qui ne lui était pas revenu depuis belle lurette, il fallait l'avouer. Celui de la toute première fois où il était venu cavaler dans les marais. Lorsqu'il avait reçu son glowstick.

Peu à peu, il s'approcha de l'endroit où se dressait la fontaine du dieu émeraude. La piste des deux autres se fit plus marquée, et bientôt leurs deux silhouettes se dessinèrent. Ils s'asseyaient devant la fontaine, et leurs questions à la divinité parvinrent aux oreilles de l'anthracite. Celui-ci s'avança sans un mot - ils avaient dû le sentir arriver et ne manqueraient pas de le montrer, que ce soit d'un mouvement d'oreille ou d'une plus franche salutation. La seconde option n'était pas son style.
Il s'arrêta à leur niveau et les salua d'un bref signe de tête. Apparemment, nous sommes coéquipiers. Puis il vrilla ses prunelles vairons vers la statue du dieu qui se dressait devant eux, froid et silencieux. Imposant.
Il n'ajouta pas de question. Après tout, les deux autres avaient résumé ce pour quoi ils étaient présents, et les propres questions et doutes qu'il gardait au fond de lui et qu'il aurait été adapté de manifester, il ne tenait pas du tout à les lâcher devant d'autres loups. Il inclina de nouveau la tête devant le dieu, en signe de déférence.

A son oreilles, son glowstick sembla scintiller un peu plus fort.

Mido n'apparut pas. Après quelques instants de silence, durant lesquelles l'air sembla devenir plus lourd, plus électrique, faisant se dresser le pelage sur l'échine de l'anthracite, la voix du divin résonna dans le temple et sous son crâne. Tout sembla vibrer autour d'eux, alors que l'écho des paroles du dieu allait en milliers de ricochets sur les murs et les colonnes.

Son entrée en la matière fut moins que subtile, et il sembla à l'anthracite qu'il ne cherchait même pas à cacher le reproche qu'il leur adressait. Reproche par lequel il sentit tout particulièrement visé et qui le fit soudain se sentir presque... mal. C'était étrange, inattendu, étonnant. Lui que rien n'ébranlait, qui avait travaillé toute son existence à mettre derrière une coque de glace épaisse tout ce qui pouvait relever du sentiment, se sentait soudain blessé par ce reproche. Les loups ne croyaient plus. Car le message semblait bien être celui-ci. Ils avaient perdu la foi en ce que pouvaient leur apporter les dieux. Ils avaient oublié que ceux-ci n'étaient pas que de simples distributeurs de pouvoirs et de lueurs colorées. Ils avaient oublié leurs dieux.

Et les dieux leur en voulaient, de tout évidence - ou au moins n'étaient pas du tout satisfait par leur attitude. Cela ne choqua pas Anthem lorsque Mido qualifia de "but louable" les intentions des Precursors. Il comprenait. Naturellement, les moyens dont ils usaient faisaient se hérisser les pelages et il y avait certainement des manières plus... diplomatiques de convaincre les lupins de revenir à ce que leurs ancêtres étaient. Mais dans le fond, si l'on balayait cela, eux avaient gardé des dieux l'image que les dieux voulaient que l'on aie d'eux. L'image que les loups, leurs enfants et leur création, ne devaient pas cesser d'avoir.

Le conseil qu'il leur donna était de réfléchir au pourquoi du comment, en somme. D'utiliser cette qualité pour laquelle on les avait choisis, pour laquelle ils se trouvaient ici désormais, afin de comprendre. Ironie du sort, décidément, Anthem se sentit une fois de plus alourdi par ce reproche. Ils n'avaient pas assez réfléchi, ils n'avaient pas compris leurs ennemis. Quelques résolutions naquirent dans l'esprit du mâle, attelées à une bonne dose de détermination. Il sentit sa volonté s'affermir et son regard se durcit. Il y avait toutefois des discordances dans l'histoire. Mido leur reprochait de n'avoir pas su découvrir par eux-même la vérité à propos du passé. Mais qu'est-ce que cela signifiait donc ? Les dieux étaient-ils de mèche avec Cronos, ayant décidé de lancer les loups sur un gigantesque échiquier avec comme pion bonus l'histoire de leurs ancêtres ? La décision de Cronos avait été de refonder le monde sur des bases nouvelles et d'oublier tout ce qui avait précédé. Pourquoi dans ce cas laisser la possibilité de redécouvrir ? Cela n'avait aucun sens.

Les paroles de Caïn résonnèrent étrangement dans son esprit, qui triait en générait les idées, hypothèses théories à grande vitesse. Il prit alors conscience de quelque-chose. Une impression que donnait Mido - peut-être était-ce involontaire - et qui s'afficha clairement à son esprit. Les dieux semblaient regretter les anciens. Le dieu vert en tout cas. Ses paroles louaient les principes des Precursors et leur reprochaient de ne plus en avoir. Une sorte de variante dramatique du C'était mieux avant. Mais si le monde était si pieu et si satisfaisant avant, pourquoi Cronos avait-il décidé de le détruire... peut-être même sans l'accord des Sept. Un frisson parcourut l'échine d'Anthem. Il savait l'omniscience des dieux et n'ignorait pas que s'il le désirait, le Raptor pouvait suivre le fil de ses pensées aussi facilement que s'il les avait dictées à voix haute. En revanche, ce n'était pas le cas de ses camarades.

Une nouvelle pensée lui vint. Peut-être qu'au fond, Cronos n'était pas tout à fait responsable de cette trouvaille étrange à la bibliothèque. Peut-être était un vestige que les autres dieux avaient laissé là, à son insu, seule trace de ce monde qui leur avait été si cher. C'était une idée loufoque, mais qui ne lui semblait pas si illogique. Il pouvait, bien-sûr, cheminer dans la mauvaise direction mais... Mais ce n'était pas impossible.

"Est-ce Cronos le responsable de cette... trace de l'ancien monde restée en le nouveau ?" Fini-il par demander, faisant en une phrase le bilan de ses réflexions nombreuses.

Il releva les yeux vers la statue du dieu.

Un frisson parcourut le pelage d'Anthem, alors que la froideur soudaine qui avait envahi l'atmosphère se dissipait et que la tension retombait. Le silence qui suivit indiqua que le dieu était bel et bien parti. Il avait fini son devoir d'incarnation face aux mortels - peut-être était-il parti rejoindre ses frères et soeurs sur le panthéon pour discuter de la manière de faire revenir Yurai. C'était ce que semblait le plus évidemment suggérer le fait de "les aider". Pourtant, sa seconde suggestion était des plus intéressantes. Résoudre l'Enigme.

Ces mots sonnèrent aux oreilles de l'anthracite comme une sorte d'espoir de rédemption. Il avait sentit son échine ployer peu à peu sous le poids des reproches qu'avaient faites le dieu lors de sa manifestation. Et cette proposition semblait être une perche, une tentative de repêcher ces pitoyables disciples qu'ils avaient été. Ou du moins dans son cas à lui. Le regard vairon encore accroché à la statue du dieu, il entendit un cliquetis de griffes lui indiquant que ses compagnons se mouvaient. Il tourna la tête vers eux. Le moment de la séparation était venu, après cette brève expédition commune. Anthem acquiesça d'un signe de tête,sans bouger pour autant, faisant signifier qu'il désirait demeurer seul ici encore quelques instants. Il ne manqua pas le regard légèrement persistant que Caïn porta sur lui, comme s'il avait quelque-chose derrière la tête. Mais cela fut si bref qu'il n'était certain de rien. Quelques instants plus tard, la silhouette du gris avait disparu dans les méandres du Delta. Puis Anthem se retrouva seul.

Il se redressa en silence et vint s'asseoir juste devant la statue. Lorsqu'il baissa la tête, son museau effleura la pierre froide, qui semblait sans cesse auréoler une lueur émeraude. Il expira lentement, comme pour vider à la fois son corps et son esprit des milliers de pensées qui y tourbillonnaient sans cesse, s'imbriquant et se tordant entre elles pour former la plus compliquée des trames. Cela ne le dérangeait plus, au fond. Il avait porté une vie durant ces étranges rouages, qui s'étaient complexifiés lentement, un tout petit peu plus que chez ses semblables. Où étaient les sentiments là-dedans ? Dans quelle partie du mécanisme s'étaient-ils glissés, cachés ? Il ne se rappelait plus comment les trouver. Il avait cessé de s'attacher, à force de se l'empêcher. Et il ignorait comment faire pour que cela refasse surface. Son museau se crispa.
Il ne ressentait plus que de la peine, ce serrement dans ses entrailles, lorsqu'il se rappelait le visage d'Etheria. Il savait pourtant qu'il y avait eu autre chose. Quelque-chose de plus doux, de plus brûlant, qui avait disparu sous une carapace lisse et glacée. Il savait qu'il avait eu, durant quelques infimes périodes de sa vie, pour sa fille un regard dans lequel se trouvait encore un peu de chaleur. Pour d'autres loups aussi. Pour sa famille. Pour des amis ou des connaissances de passage.

Qu'était-il devenu ? A trop renier toutes ces choses infimes qui créent les liens, il avait fini par simplement cesser d'en créer. l'image du jeune loup qu'il avait rencontré au Canyon, ou de Plume Blanche, qu'il avait ramenée au camp après leur bien étrange rencontre, vinrent effleurer ses pensées. Il se concentra sur la louve. Bien que son comportement ait été des plus étranges, il devait avouer que cela avait renversé toutes les tendances et... il s'était questionné. Il s'était questionné à propos des choses que l'on devait ressentir envers les autres à partir de cette aube suivant la pleine lune. Ses paupières se serrèrent un peu plus. Avec l'agitation actuelle, il y avait bien peu de chances qu'ils se revoient véritablement. Les instants qu'ils avaient partagés étaient pourtant des plus particuliers. Tout ceci parce qu'il était parti chercher sa fille... Elle qui revenait sans cesse à son esprit. Elle envers qui, il le reconnaissait, il n'avait pas été exemplaire. A moitié, sans doute. Elle ne semblait pas s'en être si mal sortie après tout.

Faîtes que je puisse lui montrer que je l'aime, je vous en prie.

Ce fut son unique prière. Aucun mot de s'échappa de ses babines, il se contenta de projeter cette pensée avec l'illusion que le dieu l'entendrait peut-être. Il déverrouilla un instant les cadenas de son esprit, et laissa quelque-chose s'en échapper. Une sorte de sentiment peut-être. Il ne sut pas exactement.

La magie sembla se rompre dès qu'il rouvrit les yeux, alors que sur ses rétines s'imprimait de nouveau l'image de la réalité. Il se releva, jeta un dernier regard à la statue du dieu. Son esprit était étrangement apaisé, et s'il ne sourit pas, son regard renvoya quelque-chose comme de la gratitude vers la figure immobile de Mido. Puis il fit volte-face et remonta vers le Delta. Il aperçut du coin de l'oeil la silhouette de Caïn, mais ne fit rien pour aller à sa rencontre. Ils auraient l'intention de se revoir bien assez tôt, et il avait le sentiment que la solitude et le silence faisaient partie des quelques points communs qui pouvaient éventuellement rassembler les deux mâles. Il prit donc la direction du temple de Yurai, furtive silhouette au milieu des marais.