Humilité | Yurai [Glow]

[Enfin un peu d'évolution dans la vie plate et sans intérêt de Sh'Eym, ce p'tit couillu ose enfin passer dans le coin ! N'importe qui peut s'incruster dans le sujet, par curiosité ou autre ^-^]

Sh'Eym avait pris sa décision. Cette fois, il irait.

Cette fois, il aurait les couilles de se rendre jusqu'à la fontaine, et de déclarer sa flamme à la louve violette qui y siégeait. Il aurait le courage d'aller se délivrer de ses démons en comptant fleurette à une déesse. Il allait enfin aller au bout de ce projet qu'il murissait depuis maintenant des années, et qui avait failli être avorté de la façon la plus violente qui soit, par un évènement qu'il n'aurait jamais pensé pouvoir arriver. La disparition d'une déesse. De sa déesse. De la personne - mais peut-on vraiment parler de personne - qu'il estimait le plus au monde, devant n'importe quel être vivant. Ou mort. Cet être, cette chose, cette entité dont les valeurs lui correspondent tellement qu'il en devenait malade de timidité.

Plusieurs années à faire son trou dans la forêt pluviale, vivre, boire, manger et chasser en ces lieux hostiles qu'il pouvait maintenant appeler "maison", à quelques kilomètres ou parfois quelques centaines de mètre seulement de l'antre de la divinité violette.

Yurai.

Symbole de sagesse et de la tempérance. Depuis des années, Sh'Eym passait son temps à observer les gens pour essayer de les comprendre. A observer de la nature pour essayer de s'y reconnaître. A observer le monde pour essayer d'y trouver sa place, et chaque jours un peu plus il se rendait compte que ce monde avait été façonné en même temps que lui et l'acceptait dans un élan infini, mais aussi qu'il n'y avait qu'une tolérance de la part de ce dernier, et qu'il était hors de question de s'imaginer autre chose que de faire partie d'un cycle infini de débuts et de fins. Il avait espéré, durant toutes ses années, se départir de ce qui le faisait s'emporter dans la colère, quelle qu'elle soit. Il avait essayé, durant toutes ces années, de développer une sensibilité à l'égard de ses pairs qui serait telle qu'il pourrait réussir à les comprendre tous, et surtout à tous les aider. Car il n'y avait rien, au final, qui lui plaisait plus que d'aider ses prochains - tant qu'il n'avait pas à sacrifier de sa personne... Et encore. Mais si c'était temps et attention, il en avait à revendre.

Il sautilla par dessus un de ces nombreux ruisseaux qui se formaient constamment dans la forêt pour évacuer le trop plein d'eau qui tombait constamment du ciel en ces lieux. Pourquoi avait-il choisi cet endroit, à l'origine ? Il avait de plus en plus de mal à faire le tri dans ses pensées, mais il était sûr que c'était l'ambiance qui se dégageait de cette forêt, la tristesse calme et apaisante qui semblait exsuder de chaque tronc. C'était un lieu dans lequel il se reconnaissait parfaitement bien, et il pouvait passer des heures à observer la pluie tomber sur les feuilles, et à emplir ses poumons de cet air frais et chargé des odeurs de la terre humide accompagnée par celle parfois même entêtante des fleurs vivaces qui poussaient dans le coin. En quelques bonds, il se trouva devant les centaines de cascades qui s'écoulaient en continu dans une sorte de lac - on ne pouvait décemment pas parler d'étang avec ces mètres cube de liquide et la profondeur que ça semblait avoir - et pataugea sur quelques pas pour rejoindre l'autre berge.

Des centaines d'alcôves existaient autour et derrière ces cascades, il le savait. Il en avait déjà visité des dizaines sans jamais voir de choses particulièrement intéressantes, mais chacune avait sa particularité ou sa valeur - qu'il s'agisse de champignons fluorescents ou de pierres précieuses. Il adorait aller de pièce en pièce, crapahutant dans les pierres et usant de son agilité naturelle pour se remettre d'aplomb. Mais il y avait une des cavernes qui resplendissait plus que les autres, qui l'attirait particulièrement par rapport à tout autre... Il s'agissait, bien entendu, de la tanière de Yurai (si l'on pouvait parler ainsi). La louve se trouvait dans une alcôve plus spacieuse et mieux aménagée que les autres, haute de plafond, pouvant accueillir plusieurs loups à la fois. Le fond se perdait dans les ombres. Mais ce qui trônait au milieu de la grotte était sans pareille : une louve à l'allure princière, très simple mais cependant magnifique, resplendissante de beauté dans ses traits d'albâtres semblables à nulle autre.

Comme on pouvait s'y attendre de la part d'un dieu, son physique était aussi parfait, aux yeux de Sh'Eym, que son mental. Il ne l'avait vu de ses yeux qu'une fois, affaiblie, atterrée, revenant d'entre les morts, mais elle avait été à ses yeux, n'en déplaise à la déesse rose, mille fois plus admirable et rayonnante que Moiro sensée incarner l'idéal féminin. Il ne s'agissait pas là d'un désir sexuel non, mais d'une véritable admiration de la part du loup gris strié de vert. Il avait un respect immense pour la déesse pourpre.

Et il se trouvait maintenant en son temple. Les pattes vides. Et le regard tourné vers la statue magnifique. Il ne savait pas quoi dire. Alors qu'il se trouvait en cet endroit précis, où il s'était retrouvé des centaines, des milliers de fois pour s'abriter de la pluie, il ne savait pas quoi dire. Il s'assit. Il n'avait jamais convoqué de dieux. Il n'avait jamais vraiment su quoi faire. Il avait toujours espéré que, lorsque viendrait pour lui le jour d'être prêt, il saurait quoi faire. Après avoir attendu en vain ce jour pendant des années, il avait enfin décidé de se prendre en main.

La science infuse, ça n'existe pas.

"Bonjour, déesse... Nous ne nous sommes jamais vus - ou presque - et je sais que vous importe peu ma présence mais je souhaite..."

Petite pause, petite hésitation. Pouvait-il prétendre à l'humilité alors qu'il avait la prétention de vouloir rejoindre ses rangs ?

"Je souhaiterais faire partie de vos fidèles, et le montrer, ma Dame. Je crois même n'avoir jamais eu de voeux de plus cher."

Il ne savait comment le formuler. Alors qu'il avait imaginé cet instant des milliers, des millions de fois, il était plein de déconvenue, perdu, grattant le sol rocailleux d'une patte, louveteau perdu dans sa propre maison.

Et si... Et si elle n'apparaissait même pas ? Et si elle refusait même de lui apparaître ? Et si elle le rejetait violemment ? Et si... Elle n'était pas à la hauteur de ses espérances, si elle ne correspondait pas à l'idée qu'il se faisait finalement d'elle depuis des années, si elle n'était pas... Ce qu'elle semblait être ?

Il se posait ces questions extrêmement tard, alors que jamais elles ne lui étaient venues à l'esprit auparavant. Jamais il n'avait douté de cette déesse qu'il appréciait tant : après tout il avait basé sur son image cet idéal qu'il ne pourrait jamais atteindre, ce but pour lui qui définissait sa vie entière. Mais il ne l'avait vu qu'une fois, de loin, et ne l'avait que vaguement entendue avant de s'enfuir, avec le sentiment profond de ne pas être à sa place au milieu de tout ces loups de clans avec leurs glowsticks pendant à leur cou - ou ailleurs. Il s'était senti déplacé ; lui qui avait maladroitement essayé d'aider cette déesse qu'il vénérait dans l'ombre, lui qui n'avait jamais vécu avec personne depuis de nombreuses années.

Lui qui depuis son plus jeune âge s'affairait à calmer son corps et son esprit, et qui aujourd'hui se trouvait à l'instant qu'il estimait le plus important de toute sa misérable existence.

Et là, devant tout le stress que cela impliquait, il était démuni, lui qui depuis des mois et des années n'avait pas rencontré de situations similaires, et en était venu à oublier la signification même du stress.


Il attendit, anxieux.


Mais aussi, au plus profond de lui, empli de cet espoir et de cette extase qu'il refoulait depuis si longtemps.

En jeune chieur de son état, Ieno surveillait les fontaines.
Il venait enfin d'atteindre sa première année et ne se sentait plus pisser. C'en était fini de la silhouette pataude de louveteaux : il était enfin devenu un mâle, un vrai, avec une musculature bien dessinée bien qu'elle ne soit pas des plus impressionnantes. Un mâle près à tout pour servir son clan et se faire bien voir de ses supérieurs hiérarchiques. Sa première mission, auto-attribuée puisque le reste du monde avait l'air de s'en foutre, consistait donc à rôder près des fontaines et chasser ces saloperies de Solitaires qui pensaient pouvoir bénéficier des même droits qu'eux en se la coulant douce. Mais plus que ça, la simple pensée de leur pourrir un peu la vie le mettait d'excellente humeur : Il détestait ces parasites.
Un petit sourire étendit les coins de ses babines lorsqu'il aperçut la silhouette grise et verte de l'un d'entre eux et il se glissa discrètement derrière un rocher afin de l'épier. Sa bonne humeur fut brutalement remplacée par un fort sentiment d'indignation lorsque l'étranger s'exprima. Visiblement, il n'était pas le seul à penser ça : Marcus venait de débouler.

« Tu veux rejoindre ses fidèles, hein... Et quel fidèle t'as été, hein ? Qu'est-ce que t'as bien pu faire de plus qu'un loup de Clan pour prétendre à un glowstick de Yurai ? »

Ca c'était bien vrai ! Même si Ieno non plus n'avait rien fait pour ramener la déesse pour la simple et bonne raison, qu'à ce moment là, on ne parlait même pas encore de lui... ou il n'était encore qu'un chiard rampant qui ne pensait à rien d'autre qu'à manger et dormir.
Le jeune Séide quitta sa cachette et se planta aux côtés de son camarade et ses prunelles étranges croisèrent celles de l'inconnu, défiantes.

▬ Dégage, cloporte. Fallait faire partie d'un clan si tu voulais un glowstick. Crois pas qu'on te laissera ce privilège alors que tu passes ta vie à glander.

Il y avait bien assez des Brethens qui profitaient de leurs fontaines. Mais pour ces derniers, ils ne pouvaient rien faire puisque Raw avait signé un accord avec l'un de leurs chefs. Il devait donc ravaler sa haine à leur sujet et se contenter de faire chier ces saloperies de Solitaires.

Ca ne faisait même pas quelques minutes qu'il était là, et déjà tout ne se passait pas du tout comme il l'avait prévu. Attiré par le son de sa voix, un loup noir et vert, que l'odeur identifiait tout de suite indéniablement comme un Séide, venait de l'interpeler. Dans ses yeux résidait le mépris, un mépris sombre, crassieux. Et tout ce mépris était dirigé directement vers lui, Sh'Eym, le solitaire sans histoire - paraissait-il - qui était venu avec l'ultime front de vouloir quémander un glowstick à une déesse pour pouvoir enfin - enfin ! - bénéficier de ces pouvoir qui sont et ont toujours été, dans les moeurs propriété indéniable de ces clans qui les jalousaient précieusement.

Le loup bicolore commença à l'agresser verbalement, remettant en cause son implication lors de la disparition de la déesse - disparition qui l'avait tant impacté malgré le fait qu'il ne faisait pas partie ni d'un clan ni de ses fidèles. Qu'avait-il fait de plus qu'un loup d'un clan ? Parce qu'un solitaire devait forcément prouver sa valeur, son implication, plus encore que n'importe quel trou du cul venu d'un clan, plus que n'importe quel louveteau pourri gâté venu de ces environnements coccon, lui solitaire valait bien moins qu'un de ces petits loups n'ayant jamais réellement vécu dans la nature sans être entouré de ses parents, sa meute. Sa vie. Lui n'était qu'une raclure de solitaire qui ne souhaitait que prétendre à un pouvoir.

Il ne comprenait pas comment les dieux pouvaient continuer à donner, sans fin, des glowsticks à des loups qui ne les respectaient pas, et qui ne respectaient même pas leur décision d'attribuer des glowsticks à qui ils le souhaitaient. Des loups sectaires, enfermés dans leurs normes et leurs habitudes. Sh'Eym était attristé. Il ne comprenait pas. Pourquoi ces loups voulaient tant "protéger" les fontaines ? Avaient-ils peur de se retrouver devant une armée de loups solitaire attaquant leur meute ? Ou la création d'une nouvelle meute revendiquant les fontaines ? Etait-ce donc la cupidité qui les faisait avancer ? Il en doutait. Il les soupçonnait plus d'être enfermé dans des habitudes.

Alors qu'il s'apprêtait à répondre, un jeune loup se jeta à son tour dans l'antre. Brun et gris, très jeune et bien portant, à l'allure aristocrate, il cracha littéralement sur Sh'Eym en lui reprochant son statut de solitaire et son inaction au quotidien. Evidemment. Lui-même servait un dessein plus grand, le dessein d'une meute. Il s'en sortait grandi. De faire partie d'un ensemble. Sh'Eym avait choisi de ne pas faire partie d'un clan, ne s'y intégrant pas - n'ayant tout simplement pas eu la chance d'y naître et jamais l'envie de les rejoindre - et sa mission de tous les jours consistait tout simplement à survivre, et essayer d'aider toutes les personnes qu'il croisait. Car c'était en effet à ça qu'il occupait son temps libre.

Lorsque le premier loup était arrivé, Sh'Eym avec plaqué ses oreilles sur son crâne et légèrement baissé la tête. Devant l'attitude conquérante et agressive de ses deux compagnons, Sh'Eym recula de deux pas vers la fontaine de la déesse, implorant de ce fait indirectement sa protection, la seule en laquelle il avait jamais cru. Il se redressa ensuite fièrement pour se tenir devant les deux loups, le regard à la fois doux et déterminé. Il ne souhaitait pas se battre - il n'était pas fait pour se battre. Il n'avait jamais été fait pour se battre. Mais son domaine de prédilection, c'était les mots, et c'était tout ce qu'il avait à sa disposition pour défendre sa cause. Il espérait que le point de vue qu'il apporterait à ces loups suffirait à les convaincre, à leur faire comprendre ce qui faisait chavirer son coeur, et comment il envisageait la vie et les fontaines.

"Loups... "

Loups. Il n'avait pas de noms à mettre sur leurs visages, ils n'était que pour lui des loups qui venaient l'agresser et remettre en cause son mode de vie. Ce à quoi il croyait.

"Loups, je ne pense pas que là était votre intention, mais en m'empêchant d'accéder à cette fontaine et d'adresser ma requête à la déesse Yurai, vous déclarez d'une certaine façon pouvoir décider à sa place ce qui est juste. Mieux qu'elle. Je pense que c'est un affront, de la part de n'importe qui, de dire pouvoir décider à la place d'un dieu ce qui est le mieux pour eux."

Voilà pour la première chose qu'il souhaitait leur dire, ce qui le gênait le plus. Ces mots allaient peut être les gêner, et peut être même les mettre en colère, mais peut être aussi allaient-ils leur être bénéfiques, peut être allaient-ils y réfléchir.

"Si ma présence importune la déesse Yurai, je pense qu'elle saura très bien me le signaler en n'apparaissent pas, je n'ai jamais entendu parler d'un loup qui ait volé un glowstick, volé un pouvoir et ce sans l'accord du dieu correspondant. Les fontaines appartiennent-elles plus aux clans qu'aux dieux... A plus forte raison quand elles ne sont pas même sur leur territoire ? Les glowsticks seraient donc, sans raison, privilège d'un clan ? Un loup ne pourrait pas à la fois être solitaire et répondre à des valeurs ?"

Il fit une pause de quelques secondes, pour leur laisser apprécier ses paroles. Avant de reprendre avec toujours la même fois, très calme et douce mais aussi très ferme. Ils pouvaient le frapper, le mordre, le griffer, l'empêcher d'avoir un glowstick et même le tuer, mais ils ne pourraient pas l'obliger à renier ce en quoi il croyait.

"Je suis venu ici pour demander à la déesse Yurai de faire partie de ses suivants. Cette déesse véhicule des valeurs de sagesse et de justice qui me sont très chers. J'essaye de les respecter et de vivre par eux depuis mon plus jeune âge, et elle a toujours été un modèle pour moi. Je n'ai jamais levé la patte sur mon prochain, et j'ai toujours essayé, lorsque j'ai croisé des loups, quels que soient leurs horizons, de les aider.

Avoir un glowstick ne me fera pas changer mes habitudes, ou alors les renforcera. Que je sois ou non suivant de Yurai ne me fera pas renier ce en quoi je crois. Mais après tant d'années à murir ma décision, tant d'années à observer sans jamais agir en ce sens, j'ai décidé d'essayer. Il s'agit aussi d'une façon pour moi de voir si mes actions sont justes, si je dois changer ma façon d'agir.

Peu m'importe d'avoir un pouvoir. Je ne viens pas ici demander un pouvoir. Si en avoir un peut m'aider dans ma tâche - ce en quoi je crois les pouvoirs être justes - je ne cracherai pas dessus. Mais je n'en demande pas. Et je pense que n'importe quel loup de clan quémandant un glowstick avec pour seul but d'avoir un pouvoir le fait par convoitise et non par conviction et n'est pas plus méritant qu'un solitaire pour prétendre à cette faveur.

Ca fait des années que je vis dans cette forêt, à proximité de la fontaine de la déesse Yurai. Lorsqu'elle a été brisé, j'ai essayé d'aider comme j'ai pu - et j'aurais donné ma vie pour qu'elle revienne. Je suis allée à d'autres fontaines, j'ai tenté d'aider. Je ne pense pas cependant que mon aide eut été la bienvenue. Mais j'aurais tout fait pour elle. Et j'estime qu'elle seule a le droit d'apprécier la force de mon engagement et de ma volonté à son égard."

Sh'Eym s'arrêta quelques secondes encore. Il avait l'habitude de beaucoup parler, lorsqu'il croisait des loups. Son assurance s'était fortement consolidée depuis l'arrivée de ces deux individus. Ils l'attaquaient sur un terrain sur lequel il réfléchissait depuis des années, et sur lesquels il était sûr de lui. Il s'assit sur le sol froid, juste devant la fontaine resplendissante de la déesse, et attendit. S'ils le chassaient, il ne pourrait rien faire ; il n'avait pas l'intention de se battre contre deux loups en pleine forme qui souhaitaient lui interdire l'accès à la fontaine. Peut être reviendrait-il plus tard, s'il en avait la possibilité... Ou alors il continuerait à vivre sa vie en servant la déesse comme il le pourrait, comme il l'avait toujours fait. Comme il le ferait toujours, glowstick ou pas de glowstick.

Comme il l'entendait.