Sorbet (Lexia)

Le pleur est une réponse émotionnelle.
Le plus souvent, avant d’être un simple réflexe ou un moyen de lubrifier la cornée. Soit. Il a beau être perçu par certains comme une spécificité féminine et enfantine, ça reste un acte touchant et louable pour ses soit-disants vertus de baume miracle anti-douleur. Yep. Qu’on s’accorde à dire que tous pleurent, même les couillus et les connards qui pensent le contraire. Les pleurs sont souvent inévitables, difficiles à réprimer lorsque les états d’âme les plus triturant vous assaillent, entre autre la joie, la douleur, le chagrin, la colère, la peur et toute la clique qui s’en suit. Il y a de ces moments où on ne peut que s’abandonner à cette manifestation émotionnelle excessive et laisser les glandes lacrymales faire leur job. Ca n’est d’ailleurs jamais très sexy: reniflements, des mouvements saccadés et des tremblements non contrôlés qui te font passer pour la dernière des mauviettes, ou l’worst du worst quand tu te mets à baver lorsque tu ne peux pas te contenter de serrer les chicots jusqu’à en avoir des maux de tête ou de procéder de la manière la plus humaine et humble qui soit à l’instar de Bill Clinton - heh. Quoiqu’il en soit, ce matin-là figurait normalement parmi ces moments-là.

Pourquoi ?

Il avait eu une enfance heureuse, si l’on omet le fait qu’il ait été abandonné par sa daronne biologique, et avait bien grandit. Robuste et pas complètement dépourvu d’entrées ni d’esprit, il n’était franchement pas à plaindre pour un solitaire. sérieusement, ce n’est pas comme s’il était atteint d’une malformation ou une trouble psychologique grave et qui l’handicapait dans sa vie quotidienne. Il n’était pas non plus forcément dégeulasse pour la rétine - malgré sa barbe mal taillée et ses tifs en bataille, ses coussinets écorchés et le pelage qui pègue à cause de l’humidité. Ce n’était pas non plus un crève-la-faim et encore moins un dangereux hors-la-loi auquel les poulets collaient aux bask’. Il n’était rien de tout ça. Pourtant il aurait eu toutes ses raisons pour pleurer à chaudes larmes.
A mon humble avis, que vous soyez mal barré ou tout à fait à votre aise, que la vie vous sourit de toutes ses dents ou moins, face à un monstre marin, au fond, votre situation, ce n’est plus vraiment un problème primordial.
Et le monstre gargantuesque à la silhouette rappelant vaguement celle d’un morse qui se tenait à seulement quelques mètres de lui ne se posait pas plus de question, en fait il se contentait de l’observer avec d’autant plus de stupéfaction, mâchant avec lenteur le dernier morceau de bidoche qui était resté désagréablement coincé entre deux crocs bien aiguisés. Est-ce qu’il est en train de mangé un ours polaire holy sh- ? Hmf. Whatev'.
Mais pour tout vous dire, Rorschach ne pleura même pas à ce moment-là.
En fait, il semblait avoir encore la tête dans le cul, tiré de son sommeil de si bon matin par l’horrible envie pressante de se vider la vessie. Il ne se souvenait même plus vraiment comment il avait fini par se laisser tenté par la Grève gelée, sûrement s’était-il dit que faire les quatre cent pas l’aiderait à se dégourdir un peu, maintenant qu’il s’était relevé sur ses bécanes. Manque de bol, il a fallu qu’il soit le premier clampin à faire la chaleureuse rencontre d’un gros bestiau sorti récemment du congélo, avec qui désormais ils se regardaient dans le blanc des yeux un court laps de temps, avant que ça parte sérieusement en waï. Toutefois, ne se laissant aucunement abattre, c’était plein de sagesse qu’il lança entre deux bâillements une réponse des plus émotionnelles qui soit:

« Mh. »