Un peu d'eau et de déprime... (Skrunkie)

"Pourquoi tu pleures ?"

Une petite voix jaillit, comme venant de nulle part. En vérité, elle venait d'une petite silhouette caramel, coiffée de longs cheveux blancs qui auréolaient un petit museau de louveteau bien trop jeune pour être de sortie tout seul. Morokei n'avait pas vraiment l'impression d'avoir fait de bêtise pourtant. Tous les loups sortaient souvent de l'endroit où on dormait, où on mangeait, où on faisait beaucoup de choses qu'elle ne comprenait pas vraiment mais pour lesquelles loups allaient dans tous les sens et discutaient beaucoup. Elle aussi avait plein de loups avec qui discuter, tous ses frères et soeurs. Et puis ses parents aussi. Elle n'avait jamais demandé si elle avait le droit de partir - mais bon, comme personne ne le faisait, elle n'avait pas osé. Jusqu'à ce jour-là, où elle avait vu le Grand Léon partir en emmenant quelques-uns de sa fratrie pour... sortir. Waow. Son petit cerveau de louvette avait vu ça comme un truc vraiment super chouette. En fait si, même en étant petit on pouvait sortir. Aller voir si tout ce qu'il y avait autour ressemblait au Creux. Apparemment pas, car les Maternelles, et même Papa et Maman racontaient souvent des histoires qui parlaient de choses qu'elle ne connaissait pas. Comme la glace, le sable, la forêt. Elle ignorait complètement ce que ça voulait dire, mais ça sonnait si joliment.

Alors elle s'était faufilée entre les autres pattes des adultes et, par une incroyable chance faisant que personne, était parvenue à sortir du Creux. Elle ne se doutait pas du tout que cela pouvait inquiéter ses parents, les Maternelle,s ou n'avait même aucune conscience de la notion de... danger. Alors elle avait traversé des terres aux herbes immenses, pour arriver près d'un endroit avec vraiment beaucoup beaucoup d'eau. Et c'est là qu'elle avait vu l'autre louve, une Grande. Elle avait un pelage couleur-comme-Tatsu, des cheveux couleur-ses-cheveux - blanc, elle avait en mémoire le mot blanc, mais n'était pas certaine - et des choses qui lui recouvraient le pelage couleur nuit-froide-qui-fait-peur. Morokei s'était avancée, discrète boule de poils dans les hautes herbe,s jusqu'à déboucher sur la berge du lac.

Et voir que des larmes coulaient sur les joues de la louve. Elle inclina la tête sur le côté et s'assit, avant de lui poser la question. C'était étrange de voir un Grand pleurer. Beaucoup des Petits le faisaient - elle aussi, quand elle avait mal, quand elle était triste par exemple - mais elle avait l'impression que les Grands ne savaient pas le faire. C'était facile pourtant. Son regard clair se posa sur la Grande, et elle lui fit un petit sourire. Elle savait que quand Maman souriait, cela lui réchauffait le coeur et elle n'avait plus envie de pleurer.
Peut-être que ça marcherait.

"Moi je t'aime bien." Répondit la petite louve en relevant la tête vers la Grande avec un sourire.

Elle se concentra de nouveau sur le chemin devant elles - les herbes étaient bien hautes pour quelqu'un de si petite taille - tout en réfléchissant à ce fameux "ami". Elle ne comprenait pas ce que ça voulait dire "se confie". mais pour le reste, elle avait saisi. En fait ça ressemblait un peu à frère ou soeur, ou du moins ça en avait l'air. Parce qu'elle aimait Nout, Améthyste, Amon et Deucalion, elle jouait avec eux, ils étaient gentils - enfin, ça dépendait des fois. Bon, ils ne l'aidaient pas beaucoup, mais elle n'était pas un bébé non plus, elle n'avait pas besoin qu'on l'aide. Cette pensée la fit sourire et elle bomba le torse, bravant les herbes hautes avec détermination. Même pas besoin d'aide pour franchir cet obstacle, la preuve ! Elle trottina en silence quelques instants, méditant sur ce que la Grande avait dit.

"Si je t'aime beaucoup, comme tu as dit, tu seras mon amie alors ?" Demanda-t-elle en relevant son bout de museau vers l'adulte.

Mais il y avait quelques inconvénient à ne pas regarder droit devant soi. Et l'un d'entre eux se matérialisa sous la forme d'un affaissement de terrain que la petite ne vit pas. L'une de ses pattes se posa dans le vide, chute, entraîna la boule de poils dans sa roulade. Morokei atterrit sur le derrière quelques pas plus loin, dans un nuage de poussière qui lui arracha un petit éternuement incontrôlé. Elle secoua la tête et se remit sur ses pattes, un peu sonnée. Quelle étrange sensation. Elle aviat l'impression que c'était le monde qui bougeait autour d'elle, un peu. De moins en moins. Ce qu'elle ne vit pas, c'étaient les deux yeux qui luisaient dans les hautes herbes juste devant elle. Ombre immobile, le regard figé sur sa petite silhouette amusée, quelque-chose que sa jeune truffe aurait été incapable d'identifier à l'odeur mais qui ne voulait certainement pas de bien se tenait en silence.
Elle secoua de nouveau la tête, pour chasser le tourni.

Morokei leva la tête en voyant la silhouette de la Grande arriver près d'elle, mais son air inquiet fit aussitôt naître la peur dans son regard d'enfant. Les Grands n'avaient pas souvent cet air-là. Elle se rappelait qu'une nuit, Maman et Papa l'avaient eu lorsque quelque-chose pas-comme-un-loup-méchant-queue-sans-poils était entré dans leur tanière et avait failli les blesser. La petite, instinctivement, suivit son regard. Alors ses prunelles tombèrent sur une grande chose qui s'avança d'un pas entre les herbes. Ses yeux s'écarquillèrent sous un mélange de surprise, de frayeur. Elle n'avait jamais vu de monstre comme celui-ci auparavant. Il était énorme, d'une couleur presque comme la nuit, un peu comme la terre sous ses pattes. Ses yeux étaient petits, noirs et luisants, et deux énormes dents sortaient de sa bouche pour se dresser autour de son museau épais. Un tremblement agita son petit corps alors qu'elle se tétanisait sous la peur, les oreilles plaquées contre le crâne et les pupilles dilatées.

La voix de la Grande lui fit reprendre conscience, et la petite dut se faire violence pour ne pas s'enfuir en courant. Et empêcher les larmes de monter à ses yeux azur. D'autant que d'autres monstres s'étaient avancés. Un autre grand, et des pus petits qui fourmillaient autour des deux immenses en un mélange de pattes et de chouinements confus. Elle tenta de se focaliser sur ce que lui avait dit la grande, son petit coeur battant la chamade sous son poitrail étroit. Elle fit un pas en arrière, tremblante comme une feuille. Puis un autre. Devant eux, les bêtes soufflaient et piétinaient, comme s'ils les jaugeaient. Qu'avaient-elles fait de mal ? Etait-ce parce qu'elle n'avait pas le droit de sortir et qu'on la punissait ? Petit à petit, elle recula de suffisamment pour que son arrière train ne rentre en contact avec la patte de la louve. Elle sursauta, mais serra les babines pour ne pas crier. Tout était si tendu.

Soudain, l'un des petits monstres - enfin petit... il faisait tout de même largement sa taille et semblait bien plus lourd - tourna les yeux vers elle. Et commença à s'approcha. La petite se terra contre la patte de la Grande, terrorisée. Et les grands monstres soufflaient devant et frappaient la terre de leurs sabots fendus.

Alors que sa peur atteignait son paroxysme, une terreur qu'elle n'avait encore jamais éprouvé durant sa courte vie, quelque-chose d'étrange se passa. Elle avait déjà assimilé les sensations de chaud et froid grâce au jour et à la nuit, et aussi car un jour elle s'était approché un peu trop d'un loup du clan à la température extrêmement élevée et avait manqué de se brûler. Elle savait donc ce que "chaud" et même "brûlant" voulait dire. Et cela lui permit de comprendre une partie de ce qui se passa en elle au moment où le petit monstre s'approchait et qu'elle sentait les muscles de la grande se tendre dans son dos. Il lui sembla que son corps devenait brûlant. De l'intérieur, quelque-chose chauffait, brûlait, comme si une flamme s'était réveillée au coeur de son ventre et se répandait dans ses pattes, dans sa tête, partout jusqu'au bout de ses oreilles. Elle se replia sur elle-même en gémissant, et sentit que la Grande l'emportait soudain.

Soulevée dans les airs, elle sentit des larmes brûlantes couler le long de ses joues alors que le mal la faisait couiner et bouger, sans que cela ne soit visible. Elle sentait la course de la Grande, ses crocs serrés autour de la peau de son cou, et le bruit des monstres. Et ce mal qui la brûlait à l'intérieur, qu'elle ne parvenait pas à comprendre. Elle n'avait jamais eu aussi mal, elle n'avait jamais eu aussi peur, elle voulait rentrer à la maison et ne plus jamais sortir. Elle ouvrit les yeux en avalant une grande bouffée d'air lorsqu'elles s'envolèrent. Son regard clair tomba sur l'eau qui défilait sous elle, reflétant la silhouette claire de son amie. Alors elle eut la certitude que les Monstres ne pourraient pas les suivre. Dans ses sanglots, elle reprit espoir et aussitôt, le feu se calma dans ses pattes, dans sa tête, dans on poitrail étroit. Elles atterrirent brusquement et Morokei roula sur le sol dans un petit nuage de poussière qui lui arracha un éternuement. Elle avait la gorge serrée. Elle avait peur que le Feu revienne. Mais il semblait parti.

Tremblante, elle se releva en titubant, reniflant, quelques larmes coulant encore sur son pelage caramel. Dès qu'elle releva les yeux vers la Grande, elle se précipita vers elle et se terra contre ses pattes, secouée par les restes d'un hoquet et envahie d'une immense gratitude et d'une immense admiration. La peur lui avait coupé la voix, mais elle trouvait que c'était trop fort quand même. Elle lui avait sauvé la vie. Et puis le Feu était parti. Elle se blottit d'avantage contre le pelage claire de la louve, le temps que ses sanglots se calment.

[Me revoici, navrée du temps de réponse, je n'avais pas internet depuis le 31 juillet ^^]

A sa grande surprise, la Grande se montra soudain très douce avec elle, un peu comme Maman le faisait. Petit à petit, au son de sa voix qui se voulait rassurante et sous son étreinte tendre, les hoquets et les tremblements de Morokei se calmèrent. Elle avait très bien entendu la question que la louve lui avait posé,e mais il lui fallut quelques temps pour retrouver l'usage de sa langue. Elle balayait les alentours de ses grands yeux bleus qui brillaient encore de larmes. Elle déglutit, passa la langue sur ses petites babines caramel, et releva finalement les yeux vers sa protectrice. Elle eut un instant d'hésitation sur l'endroit où elle habitait. Dans sa tête, ça lui paraissait évident, puisqu'elle y avait toujours vécu. Elle avait déjà entendu d'autres loups l'évoquer mais ne parvenait plus à retrouver exactement son nom. Puis elle réalisa que, sans doute, la Grande habitait au même endroit.

"Là où vivent tous les autres. Le... le Creuloup ?" Tenta-t-elle avec timidité.

Il lui semblait que ses parents avaient déjà parlé de l'endroit où ils vivaient comme ça, surtout son Papa alors qu'il cherchait sa Maman quand elle était dans une mauvaise nuit. C'est comme ça qu'il les appelait, ces moments où sa maman devenait étrange. Elle l'avait déjà vue, sans faire exprès, car elle savait que Maman ne devait pas être avec eux. Elle n'avait pas les mêmes yeux, pas la même voix. Et elle disait des choses qu'on ne comprenait pas. Les Mauvaises Nuits, disait Papa, Maman était obligée d'aller se promener un peu plus loin dans les terres, jusqu'à ce que le jour ne revienne. Elle regarda vers le ciel. La Lune - elle eut un bref éclat de fierté en constatant qu'elle se souvenait du mot - se dessinait doucement, mais elle n'était pas ronde. Ce n'était donc pas une Mauvaise Nuit.

Elles se mirent en route à travers les hautes herbes, Morokei suivant avec une attention toute particulière les pas de la Grande devant elle pour ne surtout pas la perdre. Elle avait eu sa dose d'aventure pour la journée. Alors qu'elle prenait grand soin de ne ps trébucher cette fois-ci, sa protectrice lui demanda son nom. C'est vrai qu'elles avaient discuté toutes les deux et vécues une grande aventure - quand même ! Les monstres faisaient drôlement peur - mais aucune d'entre elle ne savait qui était l'autre. Elle releva la tête vers la Grande, qui la regardait, et répondit :

"Oh, oui, pardon ! Je m'appelle Morokei ! Mon frère m'appelle Moro mais... j'aime pas trop trop." Ajouta-t-elle d'un air presque gêné. "J'ai plein de frères et une soeur, il y a Améthyste, mais tout le monde dit Amé et..."

Elle s'interrompit, consciente de partir un peu plus loin que prévu - c'est à dire lancée dans une potentielle présentation de toute sa famille, et il fallait dire que sa fratrie était plutôt conséquente.

"Et toi, tu t'appelles comment ?"

Elle avait beau creuser dans ses petits méninges, elle ne se rappelait pas avoir déjà vu cette louve et donc entendu son nom. Bine-sûr, il y avait beaucoup de loups dont elle avait entendu le nom sans savoir qui c'était. Une fois, alors que tout le monde dormait, elle avait entendu ses parents parler d'une certaine Maât. Elle avait deviné à la voix que son Papa devait bien l'aimer. Pas comme Maman, mais d'une autre manière. Elle ne savait pas trop l'expliquer, c'était plutôt un ressenti. Peut-être que Maât était une amie à lui - même si elle voyait mal son père jouer avec quelqu'un... Sa tête s'emplit de réflexions, et elle revint à la réalité juste à temps pour entendre la réponse de la Grande.

La petite louve se recroquevilla avec un petit rire lorsque la Grande la complimenta sur son prénom en ébouriffant ses mèches blanches. Son nom à elle était beau aussi. La petite se le répéta plusieurs fois afin d'être sûr de s'en rappeler - et aussi de comprendre bine comment cela se prononçait. Skrunkie. Des images de l'Eau-qui-tombre-du-ciel lui vinrent à ce nom. Des images des jours où ils restaient à l'abris jusqu'à ce qu'on leur donne le droit de sortir, et qu'alors tout le Creuloup luisait des larmes de la nature. Et le ciel gris se fendait pour laisser filtrer un rayon de lumière. Tout était si beau alors. Ce nom sonnait agréablement à ses oreilles, lui rappelant de jolies images.

"C'est beau." Murmura-t-elle doucement en relevant son petit bout de museau vers sa protectrice.

Alors qu'elle avançaient, la petite commença à reconnaître quelques repères, des choses qu'elle avait déjà vu des dizaines de fois dans ses pseudo expéditions qui l'avaient menées à peine plus loin que la sortie du camp. Mais un tel exploit, à l'époque, lui avait déjà valu une grosse inquiétude de son Papa. Elle se souvenait, c'était une Mauvaise Nuit et il l'avait réprimandée de s'être absentée alors que tout était dangereux ces nuits-là. Et surtout Maman. Et on ne savait jamais où elle était alors. Elle eut un petit frisson et se rapprocha de Skrunkie sans s'en rendre compte, marchant presque collée aux pattes de la louve. Elles firent le reste du chemin en silence, et en voyant se dessiner les contours du Creuloup, Morokei comprit que son aventure de la nuit touchait à sa fin. Elle en éprouva presque de la tristesse. Elle devinait que sa nouvelle amie, qui n'avait pas l'air de beaucoup aimer les autres loups, ne viendrait pas avec elle.

Elle hocha la tête à sa question, sûre de retrouver la tanière où dormait sûrement toute sa fratrie et ses parents. Elle fit un pas enjoué vers le camp, puis se figea et se retourna. Après une brève hésitation, elle revint et se colla contre le poitrail de Skrunkie pour la remercier une dernière fois. Puis elle releva la tête vers elle.

"Est-ce que tu reviendras ?" Demanda-t-elle avec espoir.

Mais au même instant, une voix l'appela depuis le centre du camp. Apparemment, elle était revenue juste à temps. Après un dernier regard à sa nouvelle amie, elle lui lança un sourire attristé et fila dans le noir, disparaissant vers la voix masucline qui la cherchait. Mais alors qu'elle allait se coucher sagement avec ses frères et soeurs, l'image de la Grande resta dans son esprit. Elle espérait sincèrement la revoir.
Savait-on jamais.