Broken arrows || Pv. Raw

Aendil se revoyait ici, des années plus tôt.
Il était si jeune, à l'époque, et doté de cette arrogance propre à ceux qui ne croyaient pas à l'échec. Tout avait été si limpide et parfaitement orchestré : Ils se lèveraient, Eandir, Suète et lui, face à ceux qu'ils considéraient alors comme des tyrans, prononceraient des mots pour inciter leurs frères à la révolte et tourneraient définitivement le dos à cette meute qu'ils ne pouvaient plus voir en peinture. Maintenant qu'il était un peu plus vieux, il ne savait plus vraiment quoi penser de tout cela. Et si, cette rébellion, n'avait été qu'un moyen de se prouver qu'il était capable de grandes choses, du haut de ses quelques années de vie ? Et si tout cela n'avait servi qu'à se mettre en avant, à créer avec ses propres pattes ce que les Séides n'auraient jamais pu lui offrir ?

Non.

Non. Malgré toutes ses erreurs et malgré son putain d'ego, il avait aimé les Brethens dès lorsque les premiers loups avaient rejoint leur trio. Il avait aimé les guider, prendre soin de tous ces frère, de cette famille désormais bien loin. Et maintenant qu'il était vieux et que sa santé déclinait un peu, il se sentait fier de s'être soulevé et battu pour ses idéaux. Des idéaux qu'il avait toujours au fond. Par ce qu'on avait eu beau l'accuser de tous les maux, voir en lui le dernier des connards, il osait encore penser posséder des valeurs et un cœur, aussi. D'ailleurs, cette famille lui manquait et, nombreuses avaient été les fois ou il avait eu envie de quitter les terres libres pour retourner chez les Brethens. Mais, au dessus de cela, il craignait le regard de ses congénères, il craignait d'être repoussé, encore, tout en sachant qu'il ne le supporterait pas.

D'ailleurs, sa vie avait pris un tournant positif, ces derniers temps.
Après des années passées à la chercher, il avait retrouvé sa fille. Sa pauvre gamine qu'il avait délaissé car trop occupé à courir après le vent. Maintenant, il le regrettait : Ca n'en valait pas la peine et, en en voulant toujours plus, il avait manqué de perdre l'une des deux louves qui tenaient réellement à lui... et avait perdu la seconde après l'avoir bien fait souffrir. Pour cela, il continuait de s'en vouloir et espérait, de tout cœur, qu'elle ne finisse pas seule, qu'elle retrouve quelqu'un de bien mieux que lui et qu'elle refasse sa vie avec. Qu'elle reprenne leur fille avec elle, aussi, pour que celle ci ne se retrouve pas abandonnée lorsqu'il serait parti.
Et seuls les Dieux savaient à quel point il était proche, le jour du départ.

Cela faisait un moment qu'il se sentait faiblir. Depuis qu'il s'était sorti de la forte fièvre qu'avait entraîné la récupération de son œil gauche. Petit à petit, les forces le quittaient. Ca avait commencé par des petites maladies de rien du tout plus fréquentes et puis... Et puis, maintenant, il peinait à respirer. Chacun de ses gestes devenait fatiguant et lui coupait le souffle. Il ne voulait pas mourir, pourtant. Pas comme ça, en tout cas. Il s'était vu mille fois rendre son dernier souffle lors d'un combat épique contre un adversaire ou après que Suète lui aurait porté un coup de fatal après une nouvelle bourde. Mais jamais, au grand jamais, il n'avait pensé être terrassé par un mal invisible qui l’emmènerait au tapis sans qu'il ne puisse lutter contre lui. Ce qui l'effrayait le plus dans tout ça, ce n'était pas le fait de fermer les yeux et d'être enterré. Non, ça, il savait que c'était inévitable, qu'ils y passeraient tous, jeunes comme vieux. Le pire, c'était de s'imaginer immobile, trop fatigué pour se relever, aux pattes de sa fille qui devraient s'occuper de lui puisqu'il serait incapable de le faire lui même. Il ne voulait pas devenir un poids pour elle, ni la voir pleurer alors qu'il s'éteindrait lentement, lorsque ses pauvres poumons ne lui permettraient même plus d'absorber la moindre goulée d'oxygène.
Il ne mourrait pas comme ça. Il ne la décevrait pas en la quittant comme ça. Il ne laisserait pas cette épée de Damoclès peser sur d'autres épaules que les siennes.

Quitte à mourir, il voulait que cela se sache, qu'on en parle sur chaque terre de l'île. Qu'on parle de lui, que ce soit en bien ou en mal, qu'on ne l'oublie pas. Lui, l'ancien héros, était donc venu chez les Séides, faisant fi des gardes qui faisaient leurs rondes ça et là. Bien que son siffle soit rendu court à cause de la maladie qui le rongeait, il avait marché jusqu'à l'étang nacré dans l'espoir de trouver Raw. Car c'était pour lui qu'il avait traîné son corps agonisant sur des kilomètres et espérait de tout cœur que le mâle bordeaux lui accorderait l'objectif de sa venue.

Une ultime bataille entre rois déchus.

Sans un bruit, il bondit sur l'ancien alpha Séide, prêt à en découdre.

Les rapports qu'avait eu Aendil avait Raw avaient toujours été un peu étranges.
Ils ne s'étaient jamais battus, physiquement, préférant à tout cela une joute verbale. Oh, bien sûr, plus jeune, l'ancien Brethen avait maintes fois voulu voler dans les plumes de l'Alpha Séide. Alpha qui l'avait provoqué, lui, loup au sang chaud. Mais le temps était passé et, petit à petit, il avait su réprimer ces envies de violence pour se faire bon diplomate. Jusqu'à aujourd'hui. Et c'était peut-être pour ça, qu'ils parvenaient à se battre sans ciller. Par ce qu'ils n'avaient, ni l'un ni l'autre, aucune meute à représenter, plus de clan à porter sur leurs épaules fatiguées.
Par ce qu'ils n'avaient plus rien à perdre, à part leur vie.

Vie qui leur serait, de toutes manières, retirée dans quelques mois, dans quelques années tout au plus. Lui, mourrait d'une maladie à la con et son rival se verrait emporté par le poids des années. Ce n'était que raccourcir l'échéance, éviter de finir faible et inutile sur un lit de mousse, immobiles, et monopoliser l'attention des loups qui restaient à leurs côtés. La seule interrogation qui demeurait, pour Aendil, c'était de savoir ce que les Séides feraient de son corps lorsqu'ils le retrouveraient. Raw aurait probablement le droit à un enterrement digne de ce nom avec, pour spectateurs, une meute qui verserait bien des larmes pour la perte de leur ancien Alpha. Et lui ? Il était solitaire et n'avait plus personne, à part sa fille et son frère. De ce fait, on le laisserait certainement pourrir ou se faire dévorer par les vautours. Ça, ça ne lui plaisait pas vraiment, par contre. Lui aussi, aurait voulu une sépulture digne de ce nom. Pas forcément être pleuré, juste reposer en paix.

Enfin, il lui restait encore un moment avant de tomber et peut-être même que Raw le ferait avant lui. Ce qu'il n'espérait pas non plus, n'ayant pas envie de se traîner, blessé et essouflé, à travers les terres de Punk Wolf pour s'achever. Ou demander à quelqu'un de le faire. Hélas, la seule personne susceptible de lui ôter la vie de façon propre et rapide ne daignait même plus lui adresser la parole, et ce n'était pas comme si il souhaitait en faire de même. Dommage, sinon, ça aurait été vers elle qu'il se serait tourné.
Heureusement, son ami Raw était toujours là, prêt à exécuter sa petite requête.

Raw qui chuta lorsqu'il lui tomba dessus.
Aendil le laissa se relever, tranquillement. Le but n'était pas de l'abattre froidement mais bel et bien qu'ils s’entre-tuent, qu'ils tirent leur révérence ensemble. Un petit sourire vint étirer les coins de ses babines lorsque l'autre loup se remit sur ses quatre pattes, la même expression sur le visage. Aussi macabre soit cette danse, tous les deux en tiraient un certain plaisir. Cela faisait tellement longtemps qu'ils se retenaient, qu'ils se cherchaient mutuellement sans oser se sauter au cou. Et maintenant qu'ils étaient vieux et que personne n'était plus là pour leur tirer les oreilles en leur rappelant la relation cordiale qu'ils se devaient d'entretenir, ils s'amusaient, follement. C'était une bien belle façon de quitter ce monde, tiens. Des années durant, Aendil avait parcouru les terres de Punk Wolf en quête de cette sensation, juste pour sentir l'adrénaline courir dans ses veines. Et maintenant qu'il était malade, condamné et à l'article de la mort, il la retrouvait enfin.

L'ancien alpha bondit dans sa direction et Aendil glapit lorsque ses crocs se refermèrent sur son encolore. Même condamné et résigné face à son destin, il n'était pas masochiste pour autant et se serait bien passé de cette douleur... pourtant indispensable. Il s'y était attendu, en initiant ce combat.
Le sang blanc perla aux lèvres de la plaie pour s'écouler en fines gouttelettes nacrées sur l'herbe verte mais Aendil ne s'attarda pas à le contempler. On interrompait pas une si belle dance pour un peu d'hémoglobine.
Babines retroussées, il bondit sur son adversaire en visant sa gorge.