Menthol | Cyana

La matinée avait été plus fraîche que les précédentes sur le continent. Le long été qui avait fait la joie de bien des loups n'ayant vécu que le Grande Hiver semblait doucement toucher à sa fin, laissant l'air aride et le soleil tapant pour les premières brises de l'automne. Il leur restait quelques lunes encore avant que la saison des feuilles mortes ne vienne réellement colorer les arbres et faire se flétrir les plantes, mais l'on en sentait l'approche avec une sorte de certitude sereine. Bine entendu, les loups n'y pensaient pas tous. Très peu même étaient ceux qui laissaient une petite place dans leurs pensées à ce changement de saison, puisque des évènements bien plus préoccupants secouaient actuellement les terres de toutes les meutes. La propagation d'une étrange variété de mousse et de végétation rongeait lentement les territoires, sans que les loups ne sachent trop quoi faire pour y remédier. Leurs alphas avaient appelé au volontariat pour aller faire offrande aux dieux et leur demander un éclaircissement. Il hésitait encore à se porter volontaire pour se rendre auprès du Raptor. Il n'y était pas retourné depuis sa récente remise de glowstick et ne savait trop ce qu'il pourrait y dire.

C'était en méditant sur ces pensées qu'il s'était mis en route le matin même. Il avait cheminé doucement jusqu'à la mer pour se rendre à l'Île Fantôme. Ce n'était pas exactement le lieu le plus accueillant de Punk Wolf, mais cette île avait la propriété originale d'être piquetée de solide plants de menthe, et les stocks commençaient à baisser dangereusement au cap. Il savait qu'avec la venue prochaine de la mauvaise saison, ils devaient se tenir prêts et surtout commencer déjà à faire leurs réserves. Aussi s'était-il lancé dans une expédition solitaire et à objectif mentholé. Il s'arrêta lorsqu'il parvint sur les côtes. Une légère brume flottait déjà dans l'air et transformait l'île en une masse sombre qui se dressait par delà le brouillard. La froideur de l'eau le saisit lorsqu'il y mit la première patte. Après une brève hésitation, il plongea plus franchement dans une gerbe d'onde glacée et se mit à nager avec vigueur pour atteindre la rive opposée. Ses pattes musclées fendaient les courants, le portant sans peine au-delà de leur emprise.

Finalement, il se hissa sur le sable avec un ébrouement léger. Son pelage de neige, trempé, paraissait grisâtre. Il parcourut rapidement les alentours du regard. Il n'était pas très compliqué pour lui de trouver ce qu'il cherchait ici. Sa sensibilité à tout ce qu'il y avait de vivant dans ses alentours proches couplée à la rareté de plantes vraiment vivaces sur cette île faisait qu'il avait d'excellentes intuitions concernant les emplacements des pieds de menthes. Il s'engagea sur l'île dans un silence calme, à peine rompu par le murmure léger de ses pattes sur la terre sombre. Il ne mit pas très longtemps avant de tomber sur la première touffe de plantes intéressantes. Son odeur entêtante contrastait avec la grisaille de tous les sens qui régnait sur l'île - peu de couleurs, peu de sons, peu d'odeurs -, tout comme sa couleur verte marquée par la saison avancée.

Mais alors qu'il s'approchait, son instinct lui souffla qu'autre chose se trouvait dans les parages. Et quelque-chose de bien plus vivant qu'une plante. Il redressa la tête et sonda les profondeurs du brouillard de ses yeux clairs.

Son instinct ne l'avait pas trompé, il n'était effectivement plus seul. Une silhouette à la combinaison colorée originale de crème et vert s'approchait d'un pas prudent, le regard posé sur lui. Il redressa la tête à son approche. C'était une louve, son allure et le parfum doucereux qui l'accompagnait ne laissaient pas grand doute sur la question. Il nota que ses yeux étaient eux aussi d'une teinte particulière, l'un rouge et l'autre azur. Elle n'avait pas le pelage trempé comme lui - même si sa petite trotte à travers l'île commençait lentement à le sécher - et il se demanda si elle vivait dans les environs. Parmi les effluves qu'elle transportait se trouvait celle de la meute Séides, pourtant il ne lui semblait pas l'avoir récemment croisée au camp. Il redressa les oreilles vers elle lorsqu'elle le salua et répondit d'un poli signe de la tête.

"Bonjour." Lança-t-il à son tour de sa voix plus grave.

Alors que la femelle s'approchait, il eut l'impression qu'elle était bien plus grande que lui. Impression qu'il lia rapidement aux cheveux dressés sur la tête qu'elle portait, bine différents des lourdes mèches attachées à la va vite sur le côté du cou du blanc. Il se demandait parfois comment sa mère faisait pour supporter les siens sans cesse détachés - il ne l'avait vue qu'une seule fois les rassembler sur sa nuque pour travailler. Lui avait l'impression, s'il les laissait libres, qu'ils s'arrangeait toujours pour traîner devant ses yeux, gêner ses griffes ou venir perturber son délicat travail de Savant. Il avait donc développé une dextérité étonnante pour se les tresser. Capacité qui en soi n'avait rien de très impressionnant mais qui s'avérait fort utile dans la vie quotidienne. Il n'avait pas la taille pour lui, alors autant avoir l'allure. Même s'il s'étai peu à peu fait à l'idée que jamais il ne serait l'un de ces grands loups dont la présence même impose le respect de part leur taille impressionnante, il lui arrivait encore parfois de les envier. Il s'était entraîné dur et, à simplement le voir, on croyait d'avantage qu'il s'agissait d'un guerrier ou d'un chasseur, car sa silhouette était toute en muscles noueux. Il avait combattu sa petite taille par une force qu'il n'avait plus à envier aux grands loups.

"Je suis Roy." Finit-il par ajouter. "Et toi ? Je ne crois pas t'avoir déjà vu chez les Séides, mais tu en portes l'odeur."

Son ton était plutôt sympathique même s'il fallait bien plus que quelques minutes de connaissances pour pouvoir lui arracher un véritable sourire. L'autre n'avait as l'air très en confiance, aussi ne fit-il aucun mouvement pour s'approcher d'elle. Il se contenta de poser sur elle son regard clair, et d'attendre sa réponse.

Un éclat de surprise passa dans les yeux de Roy lorsque la nouvelle venue - Cyana donc, c'était un nom qui sonnait joliment - vint s'asseoir devant lui comme pour... se confesser. La tête basse et le regard fuyant, elle lâcha soudain cette révélation qui semblait lui coûter, avec une spontanéité face à laquelle il ne sut absolument pas comment réagir. Etait-ce pour cela qu'il ne l'avait pas du tout croisé récemment bien qu'il soi resté la majorité de son temps au Creux aux Loups ? Se sentait-elle si honteuse qu'elle n'osait plus revenir auprès des siens ? Il posa le regard sur la louve crème, qui semblait presque sur le point de fondre en larmes. Cela faisait peut-être des jours qu'elle était isolée et tomber sur l'un de ses congénères l'avait sans doute libérée de ce poids. Du moins, c'est ce qu'il supposa, car sa confidence l'avait largement surpris. Pour lui, ce n'était pas une honte. Il n'était pas sans savoir que sa propre mère, Romance, n'avait eu son glowstick que très tard, juste avant que Maisie et lui ne viennent au monde. Elle lui avait appris qu'il y avait un temps pour tout et que les choses, même si elles se faisaient attendre, finissaient toujours par arriver si elles le devaient.

Le blanc redressa les oreilles, cherchant de son regard clair celui de Cyana, et répondit doucement :

"Il n'y a pas de honte, tu sais."

Echouer était à la base de tout l'apprentissage de l'existence, que ce soit échouer dans son premier pas, à sa première chasse ou à sa première épreuve de glowstick. Aucun des loups présents n'avait eu un parcours sans anicroche, mais chacun avait avancé bon an mal an avec - ou sans - ce que le destin lui accordait. Il ne s'approcha pas plus d'elle, ne voulant pas l'effrayer. Elle semblait complètement désespérée, ce qui le rendait légèrement désemparé, et bien qu'ils ne se connaissent ni d'Eve ni d'Adam, il lui venait une envie de lui venir en aide. Un instinct qui l'avait poussé dans la voie des guérisseurs sans doute, et qui le rendait un peu moins froid que ses yeux clairs et son allure sérieuse.

"Qui es-tu ?" Murmura-t-il sans la lâcher du regard.

Mais sa question avait une bien autre résonance. Elle voulait qu'on l'aime pour ce qu'elle était, tout au fond d'elle.
Qui est la louve au fond de ton coeur ?