Désolation floral {Morokei}

Elle ne savait pas trop pourquoi elle avait choisi ce lieu là précisément. L'endroit avait totalement perdu son charme d'antan, noyé sous la végétation bruissante et chuintante qui envahissait peu à peu tout le territoire. Elle connaissait les risques d'infection en se rendant ici - ou du moins ceux qu'on avait supposés être vrais, puisque les Savants étaient encore un peu trop flou sur le pourquoi du comment de cette jungle infernale qui recouvrait leur terres. Mais d'un autre côté, cela faisait des jours qu'elle travaillait dur aux côtés de son mentor Aristote et celui-ci lui avait donné une journée de pause, qu'elle comptait bien mettre à profit pour aller étudier un peu le phénomène sur le terrain. Cela crevait les yeux que, derrière ses airs enjoués et de maître sérieux, le grand loup blanc était rongé par l'inquiétude. Elle savait que sa demi-soeur Romance, compagne de l'Archiviste, était souffrante. Peut-être pourrait-elle l'aide dans ses recherches. Et puis cela lui permettrait une petite introspection aussi, car elle avait supposé que personne ne prendrait le risque d'aller rôder dans les abords du Nasrin avec la menace qui planait au dessus de leurs museaux. Elle se sentait... étrange depuis quelques temps. Depuis qu'elle avait reçu son glowstick, en vérité. Son pouvoir ne semblait pas s'être réellement manifesté encore, et pourtant... Dès que la lueur violacée s'était attachée à elle, elle avait eu justement l'impression qu'autre chose venait s'agripper à ses pensées. D'autres pensées dont elle ignorait l'origine et ne comprenait pas toujours le sens. Est-ce que cela avait un rapport avec... son âge ? Non, non, elle avait eu ses premières chaleurs sans qu'aucune chose de la sorte ne vienne ne manifester à elle, elle avait donc rayé le passage de l'adolescence des possibilités.

Elle s'étonnait elle-même parfois à songeant à des choses dont elle ignorait complètement l'existence quelques secondes auparavant, en murmurant des mots qu'elle n'avait pas commandés ou en ayant de troublantes sensations de déjà-vu. Allait-elle devenir comme sa mère Plume Blanche ? Elle n'était pas sans savoir qu'une entité maligne habitait l'esprit de sa mère, et était précisément la raison pour laquelle la caramel s'isolait toutes les nuits de pleine lune. Elle avait peur que quelque-chose comme cela ne finisse par lui arriver, bien qu'elle le cachât relativement bien. Personne ne lui avait encore posé de question sur son pouvoir, évitant ainsi une gênante situation de silence. Une odeur familière la tira de ses pensées, et elle se fit la réflexion qu'elle fera mieux de réellement chercher à étudier les plantes plutôt que de déambuler plongée dans ses songes, augmentant considérablement le risque de se faire attraper une patte par inattention. Elle secoua la tête. La politesse élémentaire lui indiquait toutefois d'aller saluer tout d'abord sa congénères qui se trouvait là, et qui semblait encore plus perde dans de profondes réflexions qu'elle ne l'était elle-même.

C'était Adèle, la soeur de l'Alpha Leemoncello, mais sortant celle qui s'était occupée d'elle et Améthyste lors de leur enfance. Et tout particulièrement lors de ces nuits où ils ne comprenaient pas encore pourquoi la chaleur douce de maman devait s'en aller, même s'ils étaient tristes, même s'ils avaient peur. Anthem s'ne allait généralement aussi, et il ne restait plus que la louve noire pour leur apporter du réconfort dans le coeur glacé de la nuit. Morokei se souvenait de ces jours où elle avait passé de longues heures dans le noir, ses grands yeux clairs ouverts dans la pénombre, écoutant le murmure doux de la voix de la Maternelle. Un sourire alluma son visage et elle se dirigea vers Adèle. Voyant que celle-ci ne semblait pas s'apercevoir de son approche et ne voulant pas la surprendre outre mesure - ce n'aurait pas été très prudent vu la méfiance actuelle de toute le monde - elle lança :

"Bonjour Adèle."

En posant son regard clair sur la louve sombre.

[C'est parfait ne t'en fais pas =3]

La Maternelle vint la saluer avec chaleur, et Morokei eut un instant l'impression de redevenir une toute petite louve, qui trouvait en ce sourire comme une seconde présence maternelle. Leur enfance n'avait pas toujours été facile, notamment à cause de la malédiction de Plume Blanche, qui faisait d'elle un danger pour tout le monde et en particulier pour ses petits lors des nuits de pleine lune. Dès leur prime jeunesse, puisqu'il leur était impossible si jeune de se passer d'une mère, Adèle avait veillé sur eux lors de ces périodes difficiles. Comment comprendre, lorsque l'on est si jeune, que sa Maman est devenue dangereuse, comme une sorte de monstre capable de les tuer avec sang froid sans même les reconnaître ? La Maternelle, ainsi qu'Anthem bien-sûr, les avait grandement aidés à passer cette phase ardue de compréhension. Et puis elle était devenue leur gardienne attitrée lorsque les parents allaient vaquer aux tâches que leur confiaient la meute. L'un dans l'autre, elle avait réellement pour la jeune louve joué le rôle d'une seconde mère.

Le coeur de la jeune louve se gonfla de gratitude lorsqu'Adèle remarqua son glowstick nouvellement acquis et elle eut envie de lui bondir au cou pour la remercier. Une lueur alluma son regard, témoignage plus timide de cette vague de chaleur qui la submergeait. La jeune louve remua les oreilles et détourna le regard dans une mimique presque gênée, avant de relever les yeux vers son ancienne nourrice.

"Merci beaucoup. Il est tout récent." Répondit-elle avec un sourire presque ému.

Elle leva la patte à ses paroles, elle-même n'étant pas encore habituée à voir cette lumière à son bracelet. Elle reposa la patte à terre avec un petit rire nerveux, puis répondit à la première question de la louve sombre :

"Oh, ça peut aller." Dit-elle avec sincérité."Et toi ? Ce n'est pas le lieu le plus adapté pour une promenade de santé en ce moment."

En effet, avec les plantes qui bruissaient et grognaient non loin, il n'y avait pas grand chose de rassurant dans l'atmosphère du Nasrin ces temps-ci.

Morokei eut un léger hochement de tête lorsqu'Adèle fit un bien véridique bilan de ce qui leur tombait sur le museau. Il devenait de plus en plus risqué de s'aventurer au-dehors, et les Savants conseillaient désormais de se promener si possible avec des tissus recouvrant les pattes et le museau lorsque l'on décidait d'aller faire une promenade dans les endroits que la jungle avait envahis. Il était quasiment exclu également de chasser les proies qui y vivaient car la plupart d'entre elles semblaient également être touchées par le mal d'Everbloom, perdant leur pelage et une mousse perlant à la commissure de leurs babines. Les repas se faisaient plus rares et plus rationnés, et chacun sentait que l'on entrait dans une période très sombre de leur histoire. Morokei était encore jeune et n'avait pas connu de tel évènement encore, aussi n'avait-elle pas dans le regard cette inquiétude plus profonde des loups âgés qui avaient déjà connu la guerre et la famine. Elle était persuadée que cela ne durerait pas, qu'ils trouveraient une solution très vite et qu'ils éradiqueraient sans mal - ou presque - cette jungle démoniaque. Naïve jeunesse.

"Méfie-toi tout de même." Lança-t-elle doucement. "Les plantes sont de plus en plus grandes et de plus en plus rapides à ce que l'on dit. Si ça continue, on ne pourra bientôt même plus sortir du camp."

Ce qu'elle souhaitait le moins du monde - ou alors elle irait s'enfermer dans la Bibliothèque pour continuer son travail, puisqu'Everbloom n'avait pas atteint l'Île Fantôme encore. Elle espérait que cela continuerait ainsi, car si la jungle les privait en plus de leur source de savoir la plus précieuse, elle ne donnait pas cher de leur peau.

Elle eut un petit rire, avec une pointe de gêne, lorsqu'Adèle lui demanda si elle avait...un rendez-vous.

"Oh non, non, loin de là !" Répondit-elle tout de go, sans savoir si elle aurait apprécié ou non que ce soit effectivement la cause de sa venue - au moins, cela aurait été positif ceci dit. Mais non non, cette pensée, sans qu'elle ne sache pourquoi, la faisait comme rougir intérieurement. "En vérité...j'espérais y croiser quelqu'un."

Une ombre passa dans son regard à cette pensée, mais au même instant elle se rendit compte de l’ambiguïté de sa phrase au regard de la question que lui avait posée Adèle et se hâta d'ajouter :

"Une amie d'enfance, Skrunkie. Elle a disparu depuis quelques temps et... je m'inquiète. J'espère qu'elle n'a pas... Enfin, qu'il ne lui est rien arrivé."

Elle avait rencontré Skrunkie très jeune et elles étaient rapidement devenues très proches - elle en avait d'ailleurs certainement déjà parlé à l Maternelle, maintenant qu'elle se faisait la réflexion. Mais soudain, la louve crème avait disparu du jour au lendemain, sans laisser de traces ni donner de nouvelles. Et son absence, elle devait l'avouer, pesait sur le coer de Morokei.