Aro - Nout - Faisons connaissance

La Soldate Séide était assise bien droite, a contempler en silence une pierre tombale. On remarquait quelques traces de jeunes mousses fraîchement enlevées, et un bouquet de fleurs coupés du jour ornant son pied. Nout ne cillait pas, fixant son regard aux iris d'or sur les lettres gravant le nom de son frère. En ces temps obscurs, on n'avait pas beaucoup de temps pour le chagrin. Par ailleurs, la femelle hybride n'était pas du genre à se laisser abattre de douleur non plus. Alors, plutôt que de souffrir continuellement, Nout avait décidé d'organiser son temps un peu mieux et d'aménager des heures de prières où elle venait se recueillir et se remémorer les bons moments passés avec Deucalion. C'était ainsi beaucoup plus facile d'apaiser sa peine et de faire son deuil en respectant le défunt. La louve à l'épaisse tignasse immaculée s'imaginait que son frère préférait avoir un temps rien qu'à lui plutot que Nout pense tout le temps à lui en même temps que milles autres choses. Et puis surtout, la femelle n'aimait pas être maussade ou triste. Donc comme ça, elle pouvait être heureuse quand même, sans l'oublier. Lentement, un petit sourire étira les babines de la Séide. Un éclat de tendresse qu'elle réservait à feu Deucalion, et à lui seul. Il lui manquait, énormément. Venir ici c'était comme le retrouvé l'espace d'une heure ou deux. Elle l'entendait presque lui répondre. Dans un soupir, et transie de froid, elle finit par se relever et s'ébroua vigoureusement. Il était temps d'y aller, retourner vers les vivants, assurer sa fonction, être utile, et se réchauffer aussi, un peu !

Les pattes engourdies, la louve-crocodile fit quelques pas en titubant, histoire de réveiller un peu ses muscles froids. Une voix résonna alors dans la brume. Nout sursauta. Ses prunelles fouillèrent la brouillard opaque pour y deceler un loup mais elle ne vit rien, ni personne. Un corbeau piaillait aussi, non loin. Nout n'aimait pas ces bestiaux : noirs, criards, de mauvaise augure. Fronçant les sourcils, elle prit le parti d'avancer prudemment vers la sortie du cimetière. Elle chercha à déceler une odeur lupine parmi celle de l'humus et de l'humidité mais sa truffe semblait déclarer grève. Dans un nouveau soupir, elle haussa les épaules et s'éloigna de la dernière demeure des morts en s'enfonçant dans la forêt. Cette île était glauque. Nout n'aimait pas trop ça. Pourquoi les cimetières n'étaient jamais dans des endroits chauds et ensoleillés comme les Criques ? Ce serait tellement plus agréables pour les vivants ! Et même pour les morts, la femelle en était persuadée ! A mesure qu'elle avançait vers la mer, elle entendait les croassements plus forts. La confrontation avec ces désagréables volatiles seraient donc inévitable. C'est avec surprise qu'elle tomba truffe à truffe avec un autre loup ! Voilà donc celui qui parlait un peu plus tôt, enfin, probablement. Nout se morigéna intérieurement, quel soldat faisait-elle à se laisser distraire ainsi et ne pas remarquer la présence d'un congénère ? Sur ce coup là, elle avait été mauvaise ! Mais bon, plutôt que de montrer son désapointement, elle fit quelques pas de plus pour se dévoiler.

« Salut. »

Sobre, simple, efficace.
Les pupilles fendues de Nout s'élargirent en un rectangle épais au milieu d'un lac de miel et s'arrêtèrent sur le loup brun. Elle le fixa en silence, inexpressive, de marbre. Les oreilles dressées et la queue droite, en attente de la réaction, histoire d'interagir en fonction de son comportement.

La louve-crocodile roula des épaules pour les détendre, et s'assit, toujours bien droite, sur le qui-vive. Il était méfiant, l'hybride le sentait. Nout sentait aussi l'odeur des Séides sur son poil, à l'instar de son nouvel interlocuteur. Elle reconnaissait son odeur comme étant celle de l'un de ses compatriotes. Evidemment, parce que Nout était encore jeune et qu'elle était loin d'être la plus sociable des jeunes louves, elle ne pouvait pas connaître tout les membres de sa meute. Les oreilles de la grise accueillirent le salut-réponse de l'ailé en se tournant brièvement vers son crâne avant de se redresser vers lui. A l'écoute du mâle caramel. Aux aguets. Le regard couleur or liquide de la Soldate suivit la buée qui s'échappait des crocs entreouverts de l'autre Séide. Nout adorait voir la vapeur s'échapper vers le ciel en toute quiètude. Aux naseaux de la louve aux longs cheveux de neige, les petites soeurs s'enfuyaient, fugaces. Lorsque le mâle cessa de soupirer, les orbes ambré de Nout descendirent s'ancrés dans ceux, sanguins, de l'autre. Il expira encore et une nouvelle fois la louve-crocodile suivit ce ballet nébuleux avant d'à nouveau fixer l'ailé. Elle cligna des yeux. Lorsque la voix masculine remplaça le silence ouaté de l'île, les oreilles de la femelle se collèrent à son crâne si bien qu'elles disparurent sous la masse imposante de sa chevelure immaculée quelques secondes. Nout pencha la tête sur le côté, esquissa un très très furtif et léger sourire qui disparut immédiatement.

« Tu. Pas vous. Et excellente idée. »

Brève et concise. Elle se releva d'un bloc, fluide et leste, reptilienne. Elle était prête à le suivre levant la patte en signe de courtoisie pour qu'il passe devant, sachant les mâles gonflés d'égo, de besoin de diriger, de montrer leur force, leur dominance ou leurs connaissances. Nout n'aimait pas les conflits et trouvait inutile de le vexer dès le début. Et puis, c'était un bon moyen aussi, de jauger ce nouvel individu et de voir qui il était : soit il se révélerait un bon macho comme elle l'imaginait, soit en surprise il n'aurait pas la fâcheuse envie de la diriger, de montrer le chemin ou de rouler des mécaniques. Enfin, pas que ça la dérangeait non plus. L'hybride n'était simplement pas sensible aux démonstrations pleine de testostérone. Elle inspira profondément, l'air frais glaça ses poumons et un frisson longea l'épine dorsale de la femelle louve-crocodile. Il était vraiment temps de rentrer au campement et de retrouver la chaleur de la meute.

le mâle brun se révéla donc être de ces loups pour qui l'égalité avait de l'importance. Un loup droit, franc et honnête, puisque de plus il avouait sa faiblesse en géographie. Nout baissa le museau vers le sol et ses longs cheveux de neige voilèrent ses yeux et son visage, cachant ainsi le sourire fugace qui egaya ses traits. Elle releva la tête vivement afin de balayer sa tignasse vers l'arrière et observa le loup ailé, un poil plus avenante.

« Ca me va ! »

Sa voix vibrait soudain d'une clarté joyeuse, presque guillerette. Nout se déliait en présence de personnes agréables et ce mâle là semblait en être un. Un petit peu du moins, parce que cette bonne humeur s'effaça bien vite pour que son museau reprenne un air plus sérieux. Chaleureux mais sérieux. Elle emboîta donc le pas au loup caramel et se tint à sa hauteur, pour rentrer sur un ton de ballade entre ami, alors même qu'ils ne connaissaient pas le nom l'un de l'autre. Les prunelles miel de Nout courait d'un arbre au suivant, cherchant des signes d'apparation de la menace végétal qui sévissait sur l'île. Mais toujours rien. Quelque chose sur l'île semblait protéger la terre et la forêt... Ou bien ce n'était que la barrière de l'océan ? L'esprit du Maton commença alors à cogiter. Peut-être y avait-il ici, une réponse ou du moins une piste ? Il faudrait qu'elle en parla à Ether, peut-être qu'il aurait un avis similaire au sien et que du coup, il accepterait de venir chercher avec elle. Depuis qu'elle savait le loup noir et blanc son frère, elle voulait passer plus de temps avec lui, devenir plus complice... Comme elle l'était avec ses autres frères et soeurs, simplement. Après quelques minutes de vagabondage de son cerveau, Nout revint un peu à la réalité pour s'interesser à son compagnon de route, le détaillant avec attention.

« Comment serais tu rentrer si tu ne te rapelle pas du chemin ? »

Curiosité. Auraiit-il dormi dehors ? Sur cette île glauque ? Ou sur le continent, plus dangereux que jamais ? Ou alors il n'aurait pas prit de repos tant qu'il n'aurait pas été à l'abri du Creux aux Loups ? Ce qui, si elle avait bien compris, aurait pu durer longtemps...

Elle le vit frissonner. Par mimétisme inconscient, une vague similaire agita les épaules et l'épine dorsale de Nout. Elle releva le menton, fixant les recoins sombre et brumeux de la forêt qui les encerclaient. Elle se sentait si vulnérable ici, en fait. Quelle idée de venir ?! Trouver un compagnon de route pour rentrer était finalement bien agréable. Et puis discuter tranquillement changeait tant de son habitude que pour une fois, cela la détendait un peu.

« J'aime bien l'option un. »

Les yeux de miel de la Soldate Séide coulèrent vers son nouvel ami fortuit.

« Je préfère réussir les choses par moi même ou les échouer, plutôt que de tricher. »

Un petit sourire étira les babines de la femelle hybride. C'était une façon d'avouer qu'elle en avait gros sur le coeur de ne pas avoir pu, comme tout ses congénères, passer son épreuve de glowstick. Aussi mettait elle en avant sa valeur et ses convictions, qui faisait sa force, plutôt qu'un quelconque pouvoir offert par les dieux. Elle espérait ainsi être reconnue vraiment pour elle-même, à défaut d'avoir un pouvoir utile à l'instar de bien d'autre. Certains jours -les mauvais-, elle en venait à avoir de la colère contre ces loups dont la vie est facilité, ou non, par un glowstick. Mais en pensant à Anthem et à son éducation, elle se calmait, relativisait et retrouvait volonté et motivation à se montrer meilleure que les disciples des dieux. Peut-être même qu'ainsi, elle rendait meilleur hommage encore aux divinités en faisant de son mieux en attandant d'avoir la chance de faire partis de leurs enfants sprirituels.

« On pourrait chasser un petit truc ? ici on ne craint pas que la proie -s'il y en a encore-, soit malade ou transmutée par Everbloom... »

Nout inspira longuement l'air frais et humide, puis s'arrêta en fixant l'obscurité nébuleuse de l'île recouverte d'un nuage de vapeur glaciale.