Des mioches pour ma pomme [Widar & Grimm]

De la pluie. Encore de la pluie. Vinara boudait ce temps. Elle n'appréciait pas être ainsi trempée alors qu'elle n'avait aucun lieu pour s'abriter. Elle avait regardé les Precurors s'installer sous ce temps. Elle avait volé quelques solitaires sous ce temps. Elle avait chassé sous ce temps. Elle soupira et grogna.

« Abruti de temps ! Dégages la pluie !!

Elle foudroya du regard le temps. Rien à y faire, elle avait beau insulter les cieux, ils semblaient se venger en redoublant l'eau qu'ils relâchaient, trempant et énervant encore plus la pauvre mortelle qu'elle était. Elle avait fini par trouver un petit refuge. C'était une tanière, sans doute celle d'un loup ou d'une famille de renard, abandonnée depuis quelques temps. L'air humide cachait toutes odeurs qui auraient pu indiquer quels étaient les précédents hôtes ou de savoir si d'autres animaux n'y avaient pas élu domicile. Vinara inspecta son abri du regard, se mettant sur ses gardes. Elle s'était retrouvée face à un blaireau l'autre jour et en avait gardé un mauvais goût. Nulle présence ne se fit voir ou entendre, alors elle se coucha dans cette humidité ambiante.

Vinara attendit un temps puis elle pointa le bout de sa truffe à l'extérieur. Le mauvais temps s'était calmé et elle sortit. La faim la tenaillait et dans le delta embourbé, elle devrait se contenter de nourriture ignoble : les insectes. Elle venait souvent ici pour cette unique raison. Les insectes pullulaient et étaient si énorme que deux insectes permettaient de calmer sa faim ou même, de la taire pendant des heures. Le gibier animal avait fui avec la pluie abondante, ce que pouvait parfaitement comprendre la solitaire.

Elle bondit et retomba sur une berge. Elle dût choper une branche avec sa gueule pour éviter de glisser dans la boue. Elle grogna. Une longue et fastidieuse toilette l'attendrait quand elle se remettra loin de ce mauvais temps. Vinara regarda tout autour d'elle. Un petit voile de brume était tombé sur le delta, le rendant plus dangereux. Les sables mouvants étaient nombreux et la louve ne connaissait pas suffisamment leurs positions pour s'éloigner de son terrain connu. Elle n'aimait pas trop cela car son ignorance ne lui permettait pas d'aller chourer les offrandes faites au dieu Mido. Oui, pour la demoiselle, les dieux n'avaient pas besoin des présents déposés par les croyants. Elle ne leur vouait pas du tout foi, après tout, ils l'avaient placée dans une situation précaire de naissance et n'avaient jamais essayé de la sortir de ce bourbier de chemin … Comme ils ne s'étaient jamais plaints quand elle leur volait à la fontaine un gibier abandonné pour eux. Mais Mido était bien le seul dieu pour lequel elle n'avait encore rien volé … Maudits sables mouvants car pour Vinara, il n'y avait pas de doute que de beaux présents devaient lui être offert, sinon, pourquoi se terrer dans un lieu aussi nul que le delta ?

Un gros insecte passa près d'elle. Elle le croqua d'un coup. Une grimace se dessina sur son visage tandis qu'elle avalait … Lentement … Elle sentait les pattes encore articulées passer dans sa gorge … Les ailes coller au palais … Beurk. Vinara ne le mâchonna pas plus, l'avalant. Elle ignorait qu'elle était le nom de cet insecte mais il était comme tous les autres : infâme à manger. Elle répéta cette action une seconde fois, manquant de se faire elle-même engloutir par un sable mouvant. En sautillant de berges boueuses en berges boueuses, elle s'en retournait dans son petit refuge, en chantonnant.

« ♫ C'était un grillon
Qui s'appelait Dudule ♩
♫ Du haut de son rocher
Il ne cessait de chanter : ♩
♫ Le cri-cri de la crique …

C'est quoi un grillon d'abord ? Elle réfléchit un moment et haussa les épaules. Un abruti comme tant d'autres je suppose.

Grimm venait d'atteindre la révolution de sa première année. Il était fier et impatient de pouvoir prétendre à l'une des Épreuves des Dieux afin d'obtenir son glowstick. Il ne savait pas encore exactement à quelle divinité il prêterait allégeance mais son choix s'affinait de jour en jour. Pour s'aider dans cette tâche importante, il avait décidé de quitter la bibliothèque où il passait la majeure partie de son temps libre par passion, et d'aller prier les Sept dans leur temple. Ses parents lui avaient toujours dit que c'était ainsi qu'il saurait où son affinité le porterait. La veille il était aller voir Moiro, l'avant-veille, Aka. Grimm avait tout de suite compris en posant la patte dans les temples respectifs de la Tigresse et du Grizzli que là n'était pas sa place. Alors il avait juste prier pour un futur meilleur pour sa meute avant de s’éclipser respectueusement. Après cela il avait réfléchi un peu : si la force brute ou le charme, valeur prépondérante des dieux visités, ne lui convenaient pas, alors qu'est-ce qui pouvait bien lui coller ? Il restait la ruse de le Renarde, la force mentale de la Dragonne, l'Intelligence du Raptor et l'agilité de l'Anaconda. Grossièrement résumé évidemment. Oh. Et la tempérance de la Corneille. Mais Grimm ne se sentait pas du tout à l'aise avec cette dernière, après avoir lu les nombreux récits du passé qui ornaient les rayonnages de livres de la grande bibliothèques, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une gène, une crainte, vis à vis de cette déesse pourpre. Elle serait la seule qu'il n'irait pas voir, ça il en était certain. Par peur de la foudre divine, il se dépêcha de prier pour elle silencieusement, alors qu'il traversait une étendue de boue vaseuse.

Son chemin jusqu'au temple du Raptor était loin d'être aisé. Il tourna en rond longtemps à chercher des passages stables pour éviter de tomber dans des trous de sables mouvants ou de terre spongieuse dont il ne saurait se sortir. Grimm était loin d'avoir la carrure d'un combattant, a cause de ses trop nombreuses heures à lire dans la pénombre plutôt qu'à jouer avec les autres gamins pour être le plus fort ou le plus rapide. Bon, il se défendait pas trop mal quand même, pour pour son âge, ça pourrait être bien mieux ! Plusieurs heures de lutte dans les méandres du Delta finirent par payer, en fin de compte, car le bâtiment de marbre se dévoila sous son regard d'or lorsqu'il releva le museau de la terre molle où il posait les coussinets. C'est là que ça le frappa : il n'avait rien à faire ici. Mido n'était pas le dieu qui l'appelait. Le loup beige couvert de boue ne désespérait pas : le bon côté était qu'il serait plus vite de retour au campement de la meute ! Dans un demi-sourire, le jeune mâle aux cheveux de neige remercia le Raptor et s'en retourna comme il était venu. Un aller-retour pour rien ! La fatigue cependant l'empêcha de continuer très longtemps sur ce terrain dangereux. Le futur archiviste soupira. Il ne savait même pas combien de temps il lui restait pour se dépêtrer du Delta... Une heure ou quatre ? La journée était bien avancer déjà et le temps instable inquiétait le jeune mâle Séide. Il ne voulait pas se prendre la pluie une deuxième fois aujourd'hui... Grimm fronça le museau et arrêta sa lente progression pour se reposer un peu. C'est là qu'il l'entendit : la chanson. Les oreilles du beige se dressèrent alors qu'il tentait de deviner d'où provenaient ces lointaines paroles.

Il supposa que le chuintement de ses pas avait couvert la jolie voix avant qu'il ne s'arrête. Ou alors elle venait de commencer. Il s'agissait d'une louve forcément. Ou un d'un mâle n'ayant pas mué. Un jeune mâle peut-être. Méfiant mais curieux, Grimm aboya pour avertir de sa présence tout en cherchant la source de la chanson. Au détour de grands arbres aux racines entrelacées dans les sables mouvants, il vit une jeune louve au pelage clair comme lui, mais qu'il n'avait jamais vu. Elle n'était donc pas Séide. Une espèce de serpent entourait son buste presque jusqu'à... Oh ! Elle n'avait pas de queue ! Grimm ouvrit de grand yeux ronds couleur miel tout en l'apostrophant :

« Hé ! Salut ! »

Maladroit, il essayait tant bien que mal de s'approcher, n'ayant pas réaliser le danger potentiel de croiser un inconnu dans un lieu si peu propice à la fuite.

* * *

Depuis plusieurs semaines, Widar suivait son cousin. Elle préparait dans son coin une sale vengeance de son crue. Après tout, la mère de Grimm avait tué sa propre mère. La louve chocolat n'avait aucune compassion pour le fait que la disparition de sa génitrice soit accidentelle et encore moins pour le fait que Sekmêt avait été la première a se jeter sur l'autre louve. Le jeune femelle au regard turquoise avait cette fâcheuse tendance à penser que tout lui était dû à elle et à ses frères et sœurs et que quiconque s'en prenait à sa famille -ou ne se laisserait pas faire- devait en payer le prix. Et le prix, là, était très élevé. Mais Widar ne souhaitait pas tuer son cousin. Elle voulait le faire souffrir. Elle voulait qu'il ai peur d'elle, elle voulait qu'il ai mal, qu'il se sente mal au point de vouloir en mourir de lui-même. Elle le persécutait dès qu'elle en avait l'occasion, et sa rage contre lui en grandissait chaque jour, parce qu’il ne réagissait pas comme un faible petit terrorisé : il l'évitait et quand il n'avait pas le choix que de subir sa colère, il attendait calmement qu'elle se désintéresse de lui. Ce manque de réaction le rendait plus haïssable, plus... La mâchoire de Widar claqua dans le vide en essayant de tuer un insecte qui vrombissait à ses oreilles. Par les Sept qu'elle haïssait ce lieu plus encore que ce cancrelat. Lorsque les prunelles bleues de la louve revinrent vers sa cible, il avait disparu de son champ de vision. Elle grogna et accéléra le pas, manquant de se laisser avoir par un creux plus profond de boue spongieuse. Plus entraînée que lui, elle parvenait à retrouver sa trace olfactive, enfin, elle le pourrait tant qu'il ne pleuvait plus. Widar maudissait ce petit bouffon d'être venu s'aventurer ici. C'était tellement plus facile de lui faire un croche patte au camp ou de lui jeter des cailloux au museau. Mais Widar avait au moins une qualité : celle de ne jamais abandonner ! Alors elle ne tarderait pas à le retrouver pour lui mettre la tête la première dans une des marres du marécages !

Vinara se sentait apaisée après sa petite chansonnette. Elle ignorait d'où les paroles lui venaient, se souvenant juste d'une voix claire qui la lui chantait. Ce n'était pas celle de la solitaire qui l'avait recueillie. Non non, ça, la petite le savait. Sa mère adoptive avait une voix grave, rauque comme un spectre sorti d'une caverne aux stalactites acérés. Cette pensée arracha un rire joyeux à la louve mais ce dernier s'étouffa rapidement en entendant une petite voix. Elle se retourna d'un coup, faisait face au loup qui venait d’apparaître. Il n'était pas plus grand qu'elle. Il possédait de belles couleurs, mélangeant des teintes assez naturelles à du vert qui aurait piqué les yeux s'il n'avait pas été aussi bien accordé à la couleur dominante.
Vinara resta un instant dans le silence. Elle ne l'avait pas entendu arriver. Pourquoi ? Il empestait le Séide à pleine truffe, il avait des teintes qui ressortaient dans ce lieu de boue et de verdâtres foncés. Et puis, à moins d'être un génie, marcher dans ce bourbier faisait forcément le bruit du "splotch splotch". Elle avait donc baissé sa garde pour une chanson dont le souvenir lui était flou et lointain.

« Qu'est ce tu veux le marmot ?

La solitaire commençait fort. Elle n'avait pas particulièrement envie de se prendre la tête avec un plus jeune qu'elle -bien que ce soit de quelques mois-. Lui, il avait sans doute été couvert d'amour, de richesses nutritives. bref, il devait être un enfant roi dans son clan comme toute la marmaille des séides. Vinara ignorait tout du passé de l'enfant mais au final, est-ce que cela l'intéresserait réellement ? Non.

Elle regarda aux alentours mais ne vit personne d'autres. Ils étaient deux jeunes enfants livrés à eux-même dans un lieu où la boue pouvait cacher bien des sables mouvants et autres traquenards. La solitaire comprenait sa situation. Elle vivait libre comme l'air, exerçant bien de sales boulots pour se nourrir de grosses proies, ainsi qu'elle volait à son compte, mais que faisait un enfant de bourgeois dans cet endroit ?

 « Tu fous quoi ici ? C'est pas un lieu pour les mioches. Et séide qui plus est.

Elle renifla avec une telle grâce que cela devrait bien dégoûter l'inconnu. Elle n'avait pas spécialement besoin de compagnie. Elle avait mangé alors elle avait besoin de rien d'autre … C'est ce qu'elle se disait intérieurement mais elle resta cantonnée face au jeune loup, le fixant. Elle se maudissait et grognait, demandant à ses pattes de se mouvoir. Elle voulait partir, elle voulait se « casser » et abandonner cette marmaille qui ferait face à la vie sauvage loin de ses parents. Oui elle voulait qu'il reste seul, qu'il pleure en criant à l'aide pour que ses parents viennent le chercher. Elle voulait qu'il découvre la dure vie qu'elle avait, qu'il découvre sa solitude ...

Elle ne bougea toujours pas.

Vinara lâcha un soupire. Elle se désespérait elle-même. Elle jouait la dure mais semblait avoir un coeur de guimauve qui l'empêchait de s'en aller. Elle regarda autour d'eux. Elle commençait à avoir l'impression qu'il n'y avait plus qu'eux deux, mais qu'une troisième présence les avait rejoints … La solitaire ne vit personne. « Tu deviens folle et parano pauvre fille. » Elle secoua la tête et reporta toute son attention sur le Séide.

« C'est quoi ton nom p'tit bourgeois ?

Si son corps ne voulait pas partir, autant s'occuper en discutant, non ?

« Qu'est ce tu veux le marmot ?

Aimaaable comme une porte de prison la ptite dame. Passé le premier instant de surprise face cette queue très raccourcie, et grâce à la gentillesse toute particulière de cette jeune femelle, Grimm se désintéressa de l'appendice manquant pour ancrer ses prunelles dorés dans les yeux vairons de la demoiselle. Il remarqua alors que ses pupilles étaient fendues, comme les siennes, héritage de hybridation maternel. C'était la première fois qu'il voyait une telle singularité en dehors des membres de sa famille. Le jeune loup couleur sable ne pu que sourire en réponse à la louve qu'il imagina Solitaire, à son odeur.

« Tu avais une belle voix, j'étais curieux. »

Elle semblait méfiante, peut-être de mauvais poil ? C'était-elle levée de la patte gauche ? Peut-être avait-elle été réprimander par un adulte ? L'adolescent pouvait comprendre ça, bien qu'il n'ai jamais eu a déplorer la colère d'un grand. Grimm avait toujours été sage et discipliné, s'adonnant très tôt aux plaisirs tranquilles de la lecture dans les coins les plus sombres et poussiéreux de la Grande Bibliothèque. C'est bien pour ça qu'il se formait au rang d'Archiviste d'ailleurs. La louvette beige et brune sembla chercha quelque chose, ou quelqu'un. Ou bien vérifier qu'aucun loup plus âgé ne vienne la chercher par la peau du cou ?

« Tu fous quoi ici ? C'est pas un lieu pour les mioches. Et séide qui plus est.

Grimm bien qu'encore petit en taille et en muscle se sentit vexé par cette remarque à la fois parce qu'elle le prenait pour un gamin, alors qu'au plus elle avait deux ou trois lunes de trop, et qu'en plus elle dénigrait le fait qu'il soit Séide, comme s'il s'agissait d'une tare. Le museau du jeune mâle se plissa en une moue froissée. Le reniflement qui suivit fit penser au futur Archiviste qu'expliquer sa présence par une prière au Dieu Raptor serait inutile, il doutait que cette Solitaire ne comprenne quoi que ce soit à la religion qui encerclaient ces terres. Alors il se contenta d'hausser les épaules, muet. Comme s'il n'avait pas réellement de raison d'être là en dehors de la chance. Ou de la malchance. C'était dommage qu'elle ne soit pas plus sympathique parce que tout chez elle était intriguant. De sa courte queue à son regard poignant, en passant par ses beaux cheveux colorés. Les siens étaient d'un blanc pur, et formait comme un voile fantomatique devant ses yeux lorsqu'il ne les arrangeait pas correctement. Comme aujourd'hui d'ailleurs, l'effort avait fait de sa tignasse de neige une espèce de crête hirsute. Finalement, la jeune Solitaire qui semblait vouloir être partout ailleurs sauf ici montra un sembla d'interêt pour lui après avoir soupira exagérément.

« C'est quoi ton nom p'tit bourgeois ?

Bourgeois ? Le voyait-elle ainsi parce qu'il n'était pas un Solitaire ? Parce qu'il appartenait à une meute ? Ou parce qu’elle estimait qu'il avait une place de choix dans sa meute ? Que croyait-elle ? Que sa vie était une succession de douceur et de panse bien pleine ? Sans vouloir faire sa victime, il était de ceux qu'on martyrise parce qu'ils sont plus petits, plus faibles ou parce qu'ils sont différents. Enfin, oui et non. Son cas était à part, puisque c'était ses cousines qui lui voulait du mal, pour se venger de sa mère Nout, qui avait tué leur mère lors d'un combat dont personne n'avait compris le pourquoi du comment. La Soldate refusait catégoriquement d'aborder le sujet de la mort de sa demie-soeur, Grimm avait fini par laisser couler et attendre que ses cousines se lasse de lui. Il n'aimait pas se battre de toute façon, considérant qu'on pouvait résonner quelqu’un plutôt que de le mordre... C'était en tout cas l'éducation de ses parents. Bien que passablement insulté, le fils Viking décida qu'il ne valait pas la peine de se sentir aussi contrarié par une Solitaire sans bienséance et préféra user d'ironie et de morgue. Après tout, il savait très bien manier les mots grâce à ses nombreuses lectures aussi fantastiques que culturelles.

« Grimm, pour te servir, jolie roturière. »

Parce que si faire partie des Séides fait de lui un bourgeois, alors elle qui ne portait nul odeur connue devait être le bas peuple. Il esquissa un sourire moqueur et ses pupilles s'étrécirent en une fine ligne noire dans un océan de miel, illuminant ainsi les yeux rieurs du futur Archiviste.

Sorry:

Ah. Elle venait de se faire avoir. Le Bourgeois semblait avoir plus d'esprit que la solitaire ne l'aurait pensé. Son petit jeu d'appellation s'était retourné contre elle. Roturière. C'était blessant. Vinara se sentit bien rabaissée à ce mot mais n'était-elle pas à l'origine de ce dernier ? Elle l'avait appelé petit bourgeois donc elle se mettait obligatoirement en-dessous de lui. Sauf si elle considérait les Solitaires comme les Nobles. Elle le pourrait. Ils avaient la liberté, le choix de leur vie, pas d'obligation et pouvaient engrosser bien des dames -pour les mâles, c'était autrement pour les femelles solitaires-. Ils n'étaient pas les pâles moutons d'un chef, les imbéciles qui pliaient l'échine pour des dieux. Oui, ils l'auraient pu l'être. Mais ils étaient ingrats, sales et mal nourris. Cons, abrutis. La chapardeuse ne les voyait que d'un mauvais oeil. Ironique vu qu'elle l'était mais elle ne s'appréciait pas non plus. Elle aimait personne après tout donc pourquoi s'aimerait-elle ? Tout ce qui ne qualifiait pas vraiment la Noblesse mais bel et bien le bas-peuple, celui qui se dressait contre toute forme de pouvoir, celui qui reniait bien des règles ... Les bas-fonds qu'elle illustrait parfaitement.

Elle plongea son regard dans le sien. Ils partageaient les même pupilles, fendues mais si lui y voyait un héritage, pour Vinara, c'était la banalité. Elle ignorait que les yeux fendus étaient une rareté en ce monde comme elle ne comprenait pas qu'elle puisse avoir une hybridation familiale. La notion d’hérédité lui échappait complètement. Elle n'était pas savante mais surtout, elle ne se souvenait pas de ses parents et avait grandi avec une louve complètement différente d'elle. Forcément cela n'aide pas à se rendre compte qu'elle ressemblait à ses véritables parents ou à ses frères et soeurs.

Complimentée puis rabaissée. Comment devait-elle le prendre ? Comme une demoiselle jolie possédant une belle voix mais n'étant qu'une moins que rien ? Elle avait bien peur que ce fut cela. Vinara soupira de nouveau et son moignon s'agita, montrant qu'elle était vexée malgré la fierté peinte sur son visage.

« Ne prends pas direct tes grands airs.

Il l'énervait et elle lutait pour ne pas lui sauter à la gorge. Il l'avait complimenté, ce que peu de gens avait fait pour elle. La solitaire ne se souvenait pas de quand datait le dernier qu'on lui ait fait. Sans doute depuis sa rencontre avec Mylo, un habitant de la Crique, qui avait admiré ses cheveux. Si nous comptions celui-là, c'était il y a peu mais avant ... Elle se questionnait même : en avait-elle déjà reçu avant ces deux mâles ? A part ceux la traitant de vermine, de peste, de voleuse, d'imbécile -ce qui n'étaient pas vraiment des gentillesses à son égard- elle ne se rappelait nullement ceux "Vous êtes jolie". Il ne devait donc pas y en avoir avant Mylo et ce maudit Grimm.

« Merci. Pour la voix.

Aïe. c'était dur de remercier quelqu'un, elle n'en avait pas l'habitude. Elle eut l'impression de recracher un aliment mal digéré en formulant ce mot. "merci". Elle regrettait déjà de l'avoir formulé et lancé dans cette conversation. Elle aurait simplement du le penser intérieurement et non le divulguer. Quelle idiote.

« J'le sens pas ce lieu, j'me barre de là. Suis moi si tu veux, Bourgeois.

Traduction :" je me les pèle, j'en ai marre d'être dans la boue, je retourne dans ma tanière. Tu peux me suivre si tu veux." Bien entendu, elle ne formulerait pas une telle phrase car 1- cela traduisait une faiblesse face au mauvais temps et un inconfort dans la boue qui emprisonnait ses pattes. 2- vous la voyez inviter quelqu'un poliment ? Non et je suis de votre avis. Pour illustrer ces paroles, elle bougea enfin, s'éloignant un peu du canin au beau pelage. La suivrait-il ? Elle se le demandait. Il l'énervait mais elle avait au moins une occasion de converser.

Puis, il avait de beaux accessoires, elle pourrait le dépouiller s'il venait ...

Sploch. Sploch. Nom de mes deux ! Ce bruit l'énervait. Ce bruit de succions dès qu'elle levait les pattes. Elle était prête à exploser, à cracher tous les sales mots qu'elle avait appris tellement ce bourbier commençait à lui courir sur le croupion. Elle ne fit rien, lançant un regard au loup à peine plus petit qu'elle. Il était dans la même galère mais il ne disait rien, marchant sagement. Comment faisait-il pour garder son sang froid dans ce truc marron qui vous retient dès que vous marchez ? Là, la solitaire admira le calme du mâle. Il était fortiche et elle commençait à avoir un peu de considération pour lui. Un peu beaucoup. Enfin elle l'appréciait. Du moins, elle croyait même si elle ne voulait pas se l'avouer. Son esprit ne savait plus trop quoi penser de son vis à vis envers celui qui la suivait docilement. D'ailleurs pourquoi le séide la suivait ? Il avait la trouille d'être seul ici ?

La réponse lui vint.

Du moins, Vinara cru que ce qu'il venait de dire était la source du pourquoi il la suivait. Il voulait de nouveau l'entendre chanter et elle le regarda, dubitative. Il aimait donc à ce point sa voix ? Pourtant les grenouilles chantaient mieux qu'elle.

« Si tu veux.

Comme le "merci", elle le regretta amèrement. Que pouvait-elle bien chanter à Grimm ? Elle ne connaissait que peu de chanson si bien qu'elle pouvait les compter sur le bout de ses griffes. Et encore, elle avait plus de griffes que de chansons ! Elle s'était encore mise dans la galère. Pourquoi l'avait-elle invité déjà ? Ah oui pour converser et pas pour chanter. C'était balot, elle venait de se faire avoir pour la deuxième fois. Réfléchis avant de parler triple sotte. Elle lâcha un petit grognement.

La petite tanière se fit voir. Vinara redressa ses oreilles rondes et son moignon s'agita. Enfin ! Elle allait être à l'abri de toute cette maudite boue, elle pourrait s'étirer, profiter de sa solitude ... Ah non, elle avait invité quelqu'un. Elle regarda Grimm méchamment mais elle ne pouvait pas le renvoyer. Ce serait rustre de sa part. Elle n'était pas une princesse mais pas dépourvue de politesse non plus.

« Et voilà, on y est.

Elle sautilla jusqu'à l'entrée, attrapa des feuilles qui pendouillaient. Elle ne vit pas l'eau qu'elles stockaient et ...

« Par tous les enfers !

Elle retint le gros de son langage familier, foudroya les feuilles du regard et se fit un vrai plaisir en s'essuyant les pattes boueuses sur ces dernières après les avoir arracher. Elle ne nettoyait tout en se vengeant et ça, ça lui plaisait. Elle lança un regard à Grimm, l'invitant à faire de même. Il ne risquait plus la saucée, elle semblait avoir égouttée toutes les feuilles sur elle mais elle rirait de coeur joie si ce n'était pas le cas.

La chapardeuse se faufila dans la tanière plus spacieuse que dans son souvenir. Elle s'étira, profitant que le mâle ne soit pas encore là. Elle se mit dans un coin, se couchant en boule. Pour le moment, elle était plus grande que Grimm mais elle savait que les rôles ne tarderaient pas à s'inverser. Vinara avait bien compris qu'elle serait destinée à être regardée de haut toute sa vie alors elle profitait des enfants pour le faire à son tour. Elle essayait de paraître imposante tant que les petits ne la dépassaient pas. Elle soupira et attendit que le mâle face son entrée.

Vinara ne le perdait pas de vue. Elle sourit en voyant qu'il avait lui-même les pattes sales et elle se demandait s'il oserait faire sa toilette ici, dans son petit antre. Il était intéressant car il l'avait suivi aveuglément jusque là, était rentré sans vraiment se méfier. Du moins, la louve ne l'avait pas vu être aux aguets mais elle pouvait se tromper. Elle bailla quant il se coucha à son tour. Il demeurait loin d'elle, n'empiétant pas dans son espace vital. Parfait songea-t-elle en se mettant plus à son aise.

Elle haussa un sourcil à sa question. Ah oui, c'est vrai. Elle ne s'était pas du tout présentée. Elle devait passer pour une rustre. Sans doute était ce une des raisons pour laquelle il l'avait appelée la roturière. Il n'avait pas tort mais divulguer son prénom l'embêtait. Elle préférait rester anonyme. D'un autre côté, elle lui devait bien ça. Il l'avait battue dans son petit jeu. Il était un adversaire de taille, ce qui plaisait à la demoiselle. Et puis, si seulement lui connaissait son prénom, elle ne serait pas bien en danger. Il pourrait le divulguer mais les chances qu'il la revoit était faible donc il finirait par oublier à quoi elle ressemblerait. Il n'était pas une menace ... Au quel cas, elle le tuerait. Certaine voleuse, elle savait aussi abattre en silence bien que cet instinct d'assassine devrait être émoussée depuis le temps.

« Plus de roturière ?

Ses yeux brillaient de mesquinerie tandis qu'elle posait sa tête au sol. Elle voyait les yeux de Grimm luire dans l'obscurité de cette tanière. Ils pouvaient se distinguer mais guère se voir vraiment. Cette ambiance plaisait à la louve, juste l'humidité lui posait problème. Elle s'y accommodait malgré elle.

« Vinara, finit-elle par soupirer, les yeux mi-clos.

La demoiselle releva la tête en entendant les paroles de Grimm. Elle esquiva un sourire. Elle n'était pas toute à faite une combattante mais cela lui faisait plaisir d'entendre ça. Elle calma son moignon qui s'agitait signe de sa petite joie. Décidément, elle ne contrôlait pas aussi bien sa queue qu'elle l'aurait voulue. Elle soupira. Un de ses sourcils se haussa lorsque Grimm passa la patte sur sa truffe, chassant des mèches de cheveux qui prirent une teinte marronné. Il venait de se salir et il n'avait désormais plus rien du petit Bourgeois tout propre.

« T'es crade là. Elle désigna d'une de ses pattes sa propre tignasse pour guider son invité à savoir où il s'était sali. Tu perds de ton prestige, Bourgeois se moqua-t-elle.

Elle s'étira dans son coin tout en baillant. Elle croisa ses pattes avants et reposa sa tête dessus, rivant ses yeux vers l'entrée de la tanière. La pluie semblait avoir décidée de refaire des siennes. Vinara l'entendait tomber lourdement au-dessus de son abri et remplissant de nouveaux les feuilles que la louve n'avait pu arracher pour s'essuyer les pattes. Elle soupira.

« Maudit temps.

Pour tout dire, ce voile pluvieux ne lui rappelait que des mauvais souvenirs dont celui où elle avait failli y passer par une maudite coulée de boue près d'ici.

« Tu n'as pas vieux qui t'attendent ?

Elle posa son regard vairon sur lui. Elle ne tenait pas à ce que des parents déboulent dans son abri et lui fassent la peau car elle aurait kidnappé leur adorable enfant. Et puis, elle ne savait pas quoi dire d'autre.

Du camouflage hein ... Elle le regarda, mi-amusée m-spectique quant à ce qu'il venait de dire. Se payait-il sa tête ou était-ce de l'humour ? Dans le second cas, la solitude avait fini par faire oublier cette notion à la demoiselle qui ne savait pas trop comment traiter cette information. Elle ne dit mot pendant un bon moment, se perdant dans ses pensées et cherchant la dernière fois où elle avait pu déceler de l'humour. Elle haussa doucement les épaules et elle préféra prendre cela comme une taquinerie. Grimm avait été mignon d'affirmer qu'il s'agissait d'autre chose que de la simple salissure accidentelle. C'était bien essayé et ça, elle ne pouvait qu'approuver.

Elle le regarda fuir de là où il était couché. Il s'était fait prendre en douce par la pluie, cette vicieuse perverse qui aimait bien tourmenter de nombreuses personnes. Vinara ne pipa guère en le voyant se rapprocher. Il restait assez loin et puis elle ne pouvait pas lui en vouloir de fuir le tourment aqueux qui se déroulait dehors. Ce temps était vraiment insupportable, arrachant un long soupire de frustration à la chapardeuse. Si elle avait un pouvoir divin, elle prierait pour en avoir un qui puisse changer la météo où qu'elle aille. Super n'est ce pas ? Pff, encore fallait elle qu'elle accorde une importance aux dieux, qu'elle rejoigne une meute vu qu'ils étaient les VIP pour l'obtention de glowstick. Elle disait donc adieux à cette idée farfelue de don météorologique. Elle n'allait pas sacrifier ses principes pour une telle connerie ... Non elle n'allait pas.

A la Bibliothèque ... Que état ce mot à la drôle de sonorité ? Vinara l'ignorait mais bizarrement il ne lui inspirait pas confiance. Il devait s'agir de trucs relatifs à l'intellectuel car son interlocuteur avait tout du petit savant sur patte qui serait capable d'énumérer de nombreuses choses sans que les autres en comprennent le sens. Elle haussa un sourcil. Grimm utilisait un mot inconnu, lui demanderait-elle sa signification ? En soit, elle avait envie de savoir car même si elle s'y refusait, elle était assoiffée de connaissances et ne disait pas non à l'apprentissage de nouvelles choses. Surtout si elle pouvait renforcer son jargon de la haute société et approcher plus facilement les autres bourgeois avec. Ils deviendraient plus facile à dépouiller tandis qu'elle fera la discussion avec brio et mots intellectuels. Cependant il fallait demander et avouer son ignorance. Ah, cela allait contre sa fierté de solitaire mal-lunée.

Et la troisième prise de paroles de son invité la fit devenir bien froide. Non elle avait personne qui l'attendaient. Non elle n'avait personne qui pensaient qu'elle était à la Bibliothèque en train de faire elle ne sait quoi. Non. Elle n'avait tout simplement personne. Elle baissa légèrement les oreilles et plongea son regard dans celui de Grimm -Il avait de beaux yeux qui pourraient valoir chers sur le marché noir des solitaires, j'dis ça, j'dis rien-. Ne pas montrer ses émotions. C'était la phrase que sa mère adoptive lui disait bien que la demoiselle ne se souvienne pas de son visage. Juste des mots qui étaient devenus sa doctrine persistaient à lui rappeler la louve qui l'avait sauvée d'une mort certaine. Vinara retrouva son visage renfrogné. Elle se leva et s'étira et alla se tremper les pattes dans l'eau sale. Elle se rapprocha de lui.

« Pourri ton camouflage ... Tu devrais plutôt faire comme ça !

Sans crier garde, elle lui barbouilla le visage de ses pattes cracra. Elle gardait un visage qui n'inspirait pas la sympathie mais ses yeux s'étaient un peu mis à briller. Elle n'avait personne qui l'attendait mais elle avait un peu de compagnie en cet instant. Elle voulait en profiter avant de retrouver la solitude pour seule compagne. Vinara pressait les joues de Grimm puis elle se retira, se reculant et le fixant avec un air de défi.

« C'est mieux.

Elle se força à sourire. Que c'était dur de le faire quand ses muscles n'étaient absolument pas habitués à en faire ! Elle abandonna et soupira. Son essai de sourire n'avait pas du être très concluant. Elle avait tenté et ne recommencerait pas. Grimm commençait à l'énerver. Il lui redonnait des sentiments qu'elle devait oublié. Si elle s'attachait, elle risquait de vouloir repousser la solitude. Elle n'avait sa place nulle part. Elle devrait le chasser.

Elle posa son popotin dans la flaque d'eau sale et se releva en vitesse, lâchant un juron contre elle-même. Qu'elle était maladroite ! La solitaire fixa le mâle.

« Non. Personne ne m'attend.

Elle prit un air détaché, mimant une attitude de je-m'en-fous d'être seule. Elle devait le mettre dehors ... Mais il pleuvait. Il risquait d'être emporté par les coulées du delta. C'était risqué. Quel dommage, elle devait rester en sa compagnie. Cela l'arrangeait d'une certaine manière. Bon, autant s'afficher un bon coup. Le ridicule ne tue pas après tout, on est d'accord ?

« C'est quoi une bi... Une petite pause. Euh ... thèque ?

Une bithèque ... Il ne manquait que le "blio" qu'elle avait oublié.