Doutes | Libre

Il faisait chaud, ce jour-là.

Dans le ciel, pas un nuage, seulement un soleil trônant dans son royaume d'azur. Pas un brin de vent non plus, juste une chaleur qui aurait été étouffante si la forêt n'avait pas fourni son ombre bienveillante, et si l’Étang Nacré n'avait pas été là pour le rafraichir. Enfermé dans un isolement et une solitude qu'il défendait farouchement depuis la mort de son père, Sethek était assis face au point d'eau, et regardait son reflet sans exprimer la moindre émotion. Il ne se rappelait plus la dernière fois qu'il avait été vraiment heureux, qu'il s'était senti vraiment vivant, au point de pouvoir ressentir des choses. Tout n'avait été qu'une succession d'atrocités. Le décès d'Ether, duquel il n'arrivait pas à se remettre, la réaction de la meute face à l'accès au pouvoir de sa mère, qu'il avait ressenti comme une trahison envers elle, et donc envers lui, la tristesse et le désespoir qui n'avaient fait que grandir en lui au point qu'il avait petit à petit mis de la distance avec tout le monde, y comprit son frère Quartz. Et enfin, les Precursors. Lui et son jumeau avaient beaucoup appris sur eux par le biais de leur mère, qui leur avait donné tout le savoir que sa mère avant elle lui avait transmis. Cela n'arrangeait pas la prise du poste d'Alpha pour Tatsu. Quoiqu'il se passe, il savait que la meute allait la tenir pour responsable.

Il planta les griffes dans la terre. Les Séides l'avaient tellement déçu. La seule personne qui lui était resté fidèle et qui l'épaulait vraiment était Roy. Il ne connaissait pas du tout le mâle blanc personnellement, mais il voyait bien à quel point il était précieux pour sa mère et à quel point ils semblaient s'entendre. Il ne savait pas trop comment se positionner vis à vis de ça. Il avait l'impression qu'il remplaçait Ether. Mais c'était impossible. Tatsu avait aimé Ether, elle n'aimait pas Roy. Il était juste son collègue. L'Alpha mâle. Mais ils n'étaient pas un couple. Sa lèvre inférieure trembla légèrement. Qu'en savait-il ? Après tout, c'était fort probable. Est-ce qu'ils allaient faire une portée ? Allait-elle l'abandonner ? Le rejeter, comme elle l'avait fait tout au long de sa vie ?

Les prunelles de Sethek s'animèrent enfin. Une colère brûlante les envahit et les fit étinceler. Il n'avait aucune attache chez les Séides. Il n'avait pas envie de se lier à eux de toute façon, vu ce qu'ils avaient été capable d'infliger comme tourments à sa mère. Il ne savait pas trop s'il avait envie ou non de la soutenir encore, car au final, elle passait tout son temps avec Roy, à essayer de trouver une issue au problème Precursor et préserver l'intégralité de la meute. Elle n'avait pas de temps pour lui. Quant à Quartz, ils ne s'étaient pas parlés depuis très longtemps. Depuis l'enterrement, en fait. En dehors de ces deux personnes, Sethek n'avait rien. Et ces deux personnes n'étaient plus vraiment là pour lui. Un souffle inattendu de vent chaud plissa la surface de l’Étang et agitèrent les plumes ancrées dans les crins du jeune mâle. Il ne lui restait plus qu'une seule chose : sa foi. Mais Dairo était silencieuse et invisible. Comme si elle l'avait abandonné, lui aussi. Il avait apprit qu'elle n’apparaissait plus à personne, tout comme Aka, et que la raison à cela était probablement le retour des Precursors. Dans quelle mesure, il l'ignorait. Mais ce qu'il savait, c'était qu'il aurait eu grand besoin de sa présence pour se sentir mieux. Sethek n'était pas quelqu'un de solitaire de nature : il l'était par obligation. Il aurait préféré être entouré, aimé, et aimer les autres en retour. Ce n'était pourtant pas ce que la destinée avait en réserve pour lui.

Ou peut-être que cela se trouvait ailleurs ?
Pas chez les Séides, mais chez les Brethens. Ou les Precursors ?
Il se serait ouvert la gorge pour penser à une chose pareille. Mais comme sa mère, il n'arrivait pas à savoir s'il les détestait ou les admirait, si l'on excluait les méthodes barbares qu'ils avaient utilisées la première fois qu'ils étaient revenus sur Punk Wolf. Il aurait aimé discuter avec l'un d'entre eux, mais il était trop terrorisé pour se rendre chez eux. Et il ne voulait pas porter préjudice à sa mère en agissant avec traitrise, même s'il ne voulait au final que se renseigner. Il baissa légèrement la tête et poussa un bref soupir inaudible. Il n'y avait aucune issue à ses tourments. Il ne pouvait que rester ici, seul, à imaginer le monde, à imaginer sa vie, dans des circonstances autres et bien plus belles que ce que la réalité était pour lui.

Un vrai cauchemar.