Blanc comme neige ○ Volstein

Au milieu des fleurs pâles comme un manteau de poudreuse sous les rayons diaphanes de Dame Lune, Heever se tenait, droite et immobile. Ses iris de glace fixait le néant, perdues dans le vide devant elle, signe d'une intense réflexion. A son poitrail scintillait tranquillement une luciole verte, colorant quelques pétales tout proche d'une allure quasi toxique. Il y avait un petit moment que la femelle grise avait voulu venir se promener ici, mais comme elle évitait soigneusement de croiser quelqu'un, elle avait opté pour un petit voyage de nuit. Ici tout était paisible, rassurant. L'atmosphère du jardin de Moiro tranchait avec la peur et la rage qui tambourinait partout ailleurs sur les territoires. peu être était-ce parce qu'ici les fragrances des fleurs étaient plus fortes, plus lourdes et donc couvraient le reste. Une fine pluie venait rafraîchir le fond de l'air. C'était agréable. Heever soupira, reprenant peu à peu conscience de son environnement, revenant à l'instant présent. Lentement, elle se releva pour rejoindre la gargouille de la Tigresse, qui surplombait le petit bassin de liquide divin. Une chaleureuse auréole rosée attirait l'oeil dans la nuit. Mais Heever ne ressentait pas tout ce côté rassurant et serein. Elle n'en avait rien à faire. Cela ne la touchait plus. Ou presque. Elle reconnaissait tout de monde que ce n'était pas désagréable d'être libérée momentanément de la fureur grondante de la meute. Enfin. Ce n'était pas comme si elle la subissait quotidiennement, puisqu'elle ne rentrait que pour faire acte de présence. Préférant passer son temps dans les montagnes, les forêts ou encore la bibliothèque pour parfaire ses connaissance du monde des sciences naturelles. Et de temps en temps aussi, pour se remémorer quelques leçons d'histoire. Sans grande conviction, Heever pointa la truffe au dessus du bassin de Moiro pour observer la statue de plus près. Mais il n'y avait rien d’intéressant pour elle ici. De toute façon, elle ne s'était jamais sentie proche de la déesse rose. Sans un regret, Heever se détourna de la gargouille et de son trésor magique pour repartir dans un coin moins lumineux du Nasrin. La femelle grise aux yeux de glace préférait désormais la pénombre et la solitude, à contrario de son précédent rôle de fille d'Alphas en pleine lumière. Finalement, c'est au même endroit qu'elle s'était assise quelques minutes plus tôt, qu'elle vint s'allonger pour repartir dans des songes éveillés, méandreux et incertains. Autrefois la solitude était un poids. Aujourd'hui, elle était la plus douce des compagne. Heever eut une pensée pour Roy. Il avait été la goutte de trop, celle qui fait renverser le vase, celle qui le fragilise au point de céder sous le poids de son contenu. Roy, s'ajoutant à ses parents adoptifs qui l'avait abandonnée lâchement, s'ajoutant à ses parents biologiques qui eux aussi, n'avait pas voulu d'elle... Et on s'étonnait qu'elle ne veuille plus s'attacher aux autres ?!
Le regard de la louve se durcit sur les étoiles. Méritait-elle ce sort ? Sa poitrine se gonfla d'orgueil et un nœud rendit sa déglutition douloureuse. Heever respira quelques instants pour se libérer de ses chaînes invisibles, mais n'y parvint pas tout de suite. La vie était tellement injuste, alors pourquoi s'efforcer à l'être ...?

La voix de Volstein la tira de ses obscures pensées et fit relâcher la pression dans sa gorge comme un élastique qui claque. Une lueur de surprise frémit dans les yeux de la louve grise, éveillant un court instant ses froides iris. Heever était aussi étonné de croiser l'un de ses anciens amis ici, en beau milieu de la nuit, que saisie par l'intonation de son appel. C'était avec une légère stupéfaction qu'elle comprit d'emblée que malgré le temps passé et la distance qu'elle avait creusé avec tout le monde, le Savant blanc aux ailes de cristal n'avait jamais cessé de la considérer comme une amie. Malgré ses choix de vie de semi ermite, le disciple de Yurai ne lui en voulait pas ou en tout cas, il inquiétait pour elle. C'était inattendu. Et quelque part au fond d'elle, une pointe douloureuse titilla son coeur de glace. Cependant Heever refusa d'y prêter attention, préférant fixer simplement le blanc de ses prunelles pâles, avec pour toute salutation, un signe du museau, les oreilles dressées et une posture plus accueillante. Elle le laisserait approcher, lui, avant de s'enfuir de nouveau et de s'emmitoufler dans sa solitude. par respect pour le Savant qu'il était, et en honneur à ces innombrables moments passés l'un avec l'autre, lorsqu'ils étaient jeunes et naïfs, et avait tout fait pour élever un ourson. Un frémissement étira ses babines à ce souvenir. C'était une autre période, une belle époque. Parfois, Heever regrettait ce temps là. Mais trop de choses avaient changé : elle avait dû faire fasse à une guerre sans merci qui opposait son coeur et sa raison. Une vague de chaleur inhabituelle vint embêter la louve grise, celle provoqué par un ami de longue date autrefois apprécié. Si Heever n'admettait pas que voir Volstein ravivait en elle d'heureux souvenirs, elle devait quand même accepter qu'elle ne pouvait pas l'envoyer paître et partir comme une ombre dans la nuit. Il y avait quelque chose dans la voix, dans le regard du blanc qui s'approchait, qui l'obligeait à l'attendre, à rester, à écouter aussi, pourquoi pas, et surtout à répondre.

« Volly. Ça fait bien longtemps. »

Allait-elle bien ? Elle ne le savait pas. Ignorer cette question était une solution de facilité pour éviter l'embarras. Elle profita qu'il soit bien plus proche pour détailler ce que ses yeux de loup lui permettait dans la clarté d'une nuit étoilée. Il avait grandi, elle remarquait ses muscles plus ciselés, sa carrure d'adulte, ses ailes faites de cristaux et d'or, véritables joyaux offertes par son Dieu. Et puis son regard, cet océan de miel si chaleureux et hypnotisant sans lequel elle avait apprécier se perdre. Volstein était si similaire à son grand frère Roy, et pourtant si différent. Une différence qui lui donnait quelque chose de plus charmant sans doute. Côtoyer le disciple de la Corneille avait été bien plus agréable que d'être en présence de son mentor, cela elle s'en souvenait bien. Même si Heever avait eu pour son mentor des sentiments bien inextricables. Tout cela était bien loin maintenant. Trop de choses avaient changées. La Savante se rendit compte que son collègue Séide n'avait cesser de la regarder. Une certaine tension électrisa l'atmosphère et crispa les épaules et la nuque de la femelle cendrée sans qu'elle n'en comprenne l'origine. Sans qu'elle ne veuille le comprendre plutôt. Elle soutenait le regard du mâle ailé. Glace plongée dans le feu. La seule explication que son cerveau valida pour justifier de ce léger trouble émotionnel était que malgré la froideur de son coeur, Heever ne pouvait nier qu'elle avait passé de bons moments avec son compère Savant, notamment lorsqu'ils avaient joués, tout deux, à être les parents d'un ourson orphelin par leur faute. Forcément, elle ne pouvait rester complètement de marbre face à lui, face à cette inquiétude qu'elle avait entendue dans son timbre de voix. Mais ce n'était pas grand chose.
Rien qu'une micro-faille dans sa muraille.
Rien qu'une griffure sur son armure.
Rien qu’elle ne saurait réparer, une fois sa solitude retrouvée.

Heever qui se croyait si loin de tout, qui se pensait si intouchable, dût se rendre à l'évidence : un contact physique aussi tenu soit-il, remuait forcément quelque chose chez un être vivant. C'était la définition même de la vie que de ressentir ainsi le toucher, les odeurs, le souffle de quelqu'un. Cette réponse biologique instinctive et inattendue perturba la louve grise autant que le geste de Volstein. Evidemment, son esprit terre à terre analysa ce frisson délicieux comme une simple manifestation de bas instincts naturels... Après tout, sous le lourd parfum des fleurs, elle savait que sa propre odeur de femelle ne passerait pas complètement inaperçu. La Savante préféra estimer qu'il s'agissait de la même chose chez le mâle. C'était plus simple, moins dangereux surtout, de penser ainsi. Elle n'allait pas laisser quelques réactions incontrôlées d'hormones en ébullition gérer ses émotions. Malgré cette détermination à rester de marbre, il y a eu quelques secondes d'un silence confus et équivoque, où Heever sentit tout son corps aimanté par celui du loup blanc et noir, elle aurait tant aimer se laisser aller contre lui, à le laisser dissoudre toutes les mauvaises pensées par sa simple présence rassurante, comme tout ami le ferait. Son orgueil refusait pourtant de le laisser passer par cette brèche qu'il venait de creuser avec son regard d'or ardent à travers son mur de glace. Comme s'il suffisait qu'un vieil ami s'approche pour qu'elle perde toute contenance ??! C'était hors de question, elle avait eu bien trop de mal à ériger cette forteresse autour d'elle-même pour se protéger de la dureté de la vie.

Alors qu'elle esquissa un geste pour recula, le loup ailé chuchota quelques mots. Elle aurait pu lui répondre, évidemment, que le temps où ils étaient proches lui manquait aussi, que lui, jeune Savant en devenir, lui manquait aussi. Mais elle n'était plus la fragile et frêle louve d'avant. Bien qu'elle soit rester très svelte et plus petite que la moyenne, quoi qu'un poil plus haute que son antagoniste. Et puis il y avait sa patte, ce contact doux, délicat et caressant contre son épaule. Physiquement parlant, c'était agréable. Émotionnellement, par contre, Heever rejetait tout type de sentiment, aussi finit-elle par reculer d'un pas en même temps que le disciple de Yurai reposait sa patte au sol. La promiscuité était aussi étouffante que crépitante. A l'embarras qu'elle cru lire sur le museau du Séide, la femelle cendrée compris que le trouble était partagé. Ce qui rendait le moment plus insupportable encore. Elle ne voulait plus rien ressentir, elle voulait rester cette coquille vide que personne ne pouvait faire souffrir, enfin en apparence. La pratique était loin d'être aussi facile que la théorie... Et si elle laissait passer l'espoir qu'elle sentait naître, alors reviendrait avec lui la colère, le chagrin et toute cette tornade d'émotion qui l'avait détruite une première fois. Et ça, elle ne le permettrait pas. Heever releva le menton en inspirant. Volstein lança la conversation, passant à autre chose. Avait-il compris ce qui la taraudait ?

« Le calme avant la tempête. »

Répondit-elle très calmement, redevenue presque impassible. Elle ne devait plus le laisser s'approcher autant. Peut-être même serait-il mieux qu'lele rompe tout dernier lien avec lui et leur passé commun ? Pour sa propre survie. Contrairement à lui, Heever ne pu pas détacher ses prunelles de son interlocuteur. Pourquoi fallait-il que son coeur soit un champ de ruine ? Pourquoi fallait-il que son esprit soit un terrain miné ? Pourquoi fallait-il que sa vie ressemble à un champ de bataille en pleine guerre ? Parce que simplement, elle avait été élevée pour cette guerre...

Beaucoup de mouvement, de signes silencieux. Son discours corporel en disait long sur le trouble qui l'animait. Et son débit de parole, son regard fuyant. Il n'y avait jamais eu de faux semblant entre eux. Leur amitié avait été sincère et simple, ne reposant que sur de précieux moments de joie et de découvertes. Pourquoi se comportait-il ainsi ? Pourquoi était-il gêné ? Parce qu’elle n'avait pas réagit chaleureusement à son approche directe ? Alors qu'Heever analysait les gestes et postures du Savant disciple de la Corneille, elle acquiesçait mentalement à la diatribe de Volstein. Vouloir se défendre et défendre ses proches était noble, honorable. Ce qu'elle n'était clairement pas. Elle était trop faible, et même si son intelligence pouvait la sortir de certains déboires, elle n'aurait jamais l'endurance et la puissance de frappe nécessaire à un combat. Leemoncello le lui avait assez reproché. Mais c'était une bonne chose que le loup à lunette soit si brave. Il ferait donc un loup bon et courageux. Un loup méritant qui risquait de ne pas rentrer chez lui un soir. Demain soir ? Les oreilles de la louve cendrée se dressèrent tandis qu'elle se relevait à demie instinctivement. Pourquoi ? Qu'allait-il se passer ? Un trait d'humour fit très vaguement sourire Heever. Des minis-elles courant partout ? Non. Çà n'arriverait pas. Evidemment. Mais il avait tort, c'était elle qui n'en avait pas envie. Comment élever des enfants dans un tel contexte ? Pire, comment donner un modèle d’honnêtement et de tendresse quand soi-même on n'en est pas capable ? Avoir des lardons n'étaient même pas envisageable. Jamais. Mais Volstein avait une autre question. Et même en imaginant plusieurs suites possibles à ces quelques paroles plutôt négatives, la Savante ne parvenait pas à se détacher de l'allusion qu'il avait faite plus tôt. Qu'allait-il se passer le lendemain ?

« T'ai-je jamais interdit quoi que ce soit ? »

Aurait-elle dû ? Fallait-il qu'elle l'empêche de continuer ? Craignait-il une réaction ? Ou justement sa potentielle non-réaction ? Et s'il parvenait à l'atteindre plus encore ? Elle ne devait pas se laisser faire. Elle devait le fuir pour rester solide. Leemoncello l'avait toujours dit, les sentiments affaiblissaient. Les liens les retenaient, ou alors causaient leur perte... Les yeux d'Heever quittèrent enfin le loup ailé pour suivre la course d'une luciole dansant de fleurs en fleurs, dessinant leurs pétales quelques fractions de secondes avant qu'ils ne retombent dans l'oubli de la pénombre. La femelle cendrée retourna la museau vers celui qui avait remué des souvenirs en elle. Dans le mouvement, des mèches turquoises vinrent barrer son regard de givre, et d'autres tombèrent en cascade d'argent sur ses épaules. Elle n'avait pas refait ses nattes de puis longtemps et à force de bouger, ses longs cheveux en désordre rendus éclatant par la lumière de la lune s'échappaient de leur entrave. Un éclair scintilla dans les orbes gelées de la disciple du Raptor alors qu'elle s'ancrait à nouveau aux prunelles chatoyantes de Volstein. Je t'écoute petit loup. Pour la première fois depuis longtemps, elle força à peine pour offrir un sourire engageant à son interlocuteur. Ses zygomatiques tiraillaient, comme par manque d'habitude de travailler dans ce sens. Elle lui devait bien ça, et puis elle n'avait pas l'impression de lui mentir à lui. Pour lui, elle voulait bien faire l'effort d'être plus naturelle. Un poil en tout cas.

La fièvre avait-elle prit le Savant ? Son discours décousu était signe d'un malaise bien plus grand que ce qu'elle avait cru. Pourquoi voulait-il lui laisser ce qu'il y avait dans sa tanière ? Qu'allait-il donc se passer le jour suivant ?! Les sourcils d'Heever son froncèrent franchement sous l'incompréhension et l’inquiétude légère qui vint chatouiller son ventre. Sans se montrer très expressive, elle laissait paraître sa mine soucieuse. Heever fit un pas vers le mâle pour l'encourager à continuer. Sa tête était basse et ses oreilles tirées en arrière, de sorte que son museau était à quelques centimètres en dessous de celui de Volstein. Continue ! Qu'y a t-il ?! Son esprit refusait de comprendre, tandis que son coeur battait un peu plus vite. Pourquoi ce sentait-il si fébrile maintenant qu'il n'arrivait plus à formuler des phrases logiques ? Finalement elle était bien loin de ne plus rien ressentir. Se mentait-elle a elle-même à ce point là ? Pourtant non. C'était plutôt lui. C'était la faute de Volstein si elle ne parvenait plus à réfléchir tout à fait correctement. Ce dernier tremblait légèrement. Dans ses yeux habituellement rieurs elle trouva autre chose. De l'appréhension. De la crainte. Avait-il peur d'elle ? De ce qu'elle était devenue ? Pourtant il savait bien qu'elle n'était pas violente. Même si elle avait perdu la compassion, elle n'en aimait pas plus la brutalité ou l’agressivité. Lorsque le gentil loup blanc et noir à lunette baissa les oreilles, Heever se redressa. Retrouvant cette posture confiante et imposante qui lui permettait, à ce moment précis, de pouvoir replonger dans les yeux de son ami d'enfance. Ce qui aussi, suspendit la déclaration du mâle.

« Tu peux tout me dire, vas-y ! »

Heever était très patiente. Mais là, il y avait ce bourdonnement agaçant dans ses oreilles, cette petite voix brisée qui lui intimait de fuir, si elle voulait préserver son intégrité. De l'autre côté, il y avait ce loup, avec qui elle s'entendait bien depuis leur première rencontre alors qu'il l'avait aidée à se sauver d'une ourse en colère. Ce loup qui avec elle, partageant ses idéaux, avait élevé l'ourson orphelin, ce loup qu'elle avait tenter d'aider en l'aider à se trouver des lunettes, ce loup qui l'avait soignée aussi, quand elle-même n'avait pas été capable de le faire. Ce loup... Qui l'avait aidé encore, à supporter le vide autour d'elle, bien avant qu'elle ne sombre totalement dans la déception et l'amertume. Bien avant qu'elle ne parvienne à balayer tout ça pour ressortir grandie et forte. Elle avait un immense respect pour lui. Et à bien y réfléchir, si elle n'avait pas fini par enrayer toute émotion de sa vie, alors sans doute ce serait-elle tourner vers lui pour trouver un semblant d'optimisme et de joie. De son point de vue distant, elle imaginait bien les possibilités que se seraient offert à elle. Si les choses avaient été différentes. Elle ne voulait plus s'affaiblir de sentiment. Mais elle comprenait maintenant où le blanc voulait en venir. Et elle savait qu'elle n'avait rien à lui offrir en retour. Bien sûr il restait des vestiges de tendresse adolescente partagée, des moments à travailler ensemble. Rien n'avait disparu de sa mémoire. Ces souvenirs lui paraissait juste hors d'atteinte, comme s'ils appartenaient à quelqu'un d'autre. Ne subsistait qu'une grande considération, une haute estime dans un corset de réserve.

« Je... Volly. Je ne sais plus comment... Je ne sais pas comment te répondre... »

Comprendrait-il ? Parce qu'elle oui, elle avait saisi le sens caché de ses propos maladroits. Elle n'était pas disciple du Raptor pour rien. Mais elle ne voulait pas le blesser. Surtout pas. Elle ne voulait pas non plus qu'il souffre parce qu'elle n'était plus capable de montrer à autrui plus d’intérêt ou d'affection. Si elle l'avait pu, elle aurait sans doute répondu en riant, avec joie probablement. Tout ce qu'elle pouvait faire de plus, c'était de lui sourire. Elle souhaitait qu'il comprenne son incapacité, son infirmité à lui renvoyer la passion pour laquelle il semblait se consumer. En pensant ainsi, elle sentait bien qu'il avait ouvert une réelle brèche dans sa carapace de glace. Elle sentait bien que son coeur battait un peu plus vite que la normale. Elle sentait qu'il l'avait touchée, au plus profond de l'obscurité de son âme esseulée. Pas assez pour la guérir instantanément, mais largement assez pour peut-être amorcer un retour parmi les vrais vivants. Et cela terrifia la louve cendrée. Devait-elle le laisser faire ? Ou devait-elle s'enfuir et réparer la fuite ? Cruel dilemme. Devait-elle accepter de prendre le risque de souffrir à nouveau pour d'autres ? Elle ne le voulait pas. Elle avait déjà tant eu mal pour sa si courte vie... Tant d’épreuves qui l'avait abîmée successivement avant de la jeter au fond du gouffre... Et personne n'avait été là pour la relever. Pas même Roy, pourtant son mentor. Le dernier adulte qui avait compté à l'époque. On ne pouvait compter que sur soi même. Instinctivement, Heever recula d'un tout petit pas et baissa le museau. Ses yeux de givre se tournèrent le ciel comme pour une prière silencieuse à son Dieu.

Contrairement à ce qu'elle aurait pu croire, Heever ne resta pas insensible à toute la tristesse qu'elle lu dans le regard doré de son ami. Elle sentit son propre coeur se serrer de chagrin. Pour lui. Pour elle aussi, et son incompétence à lui rendre l'affection qu'il avait pour elle. La louve cendrée serra les crocs. Elle avait tout fait pour ne plus être esclave de ses émotion irréfléchies, et pour qu'en face, personne ne trouve rien à aimer chez elle. Ni même à détester. Elle s'était efforcé à devenir la louve la plus neutre au monde. Elle avait failli dans cette tâche, pour la bonne et simple raison que les sentiments de Volstein était plus ancien que ce nouveau elle forgé par l'amertume, leurs racines remontaient à un temps plus paisible et heureux. Un temps où elle pourrait accepter de revenir si seulement elle en était capable. Mais elle ne méritait pas la tendresse qu'il lui témoignait. Elle ne méritait même pas son attention. Et pourtant il était là, devant elle, à essayer de l'atteindre sans la blesser. A essayer de la toucher sans lui nuire. La disciple de Mido ne savait plus comment laisser place à ce qu'elle avait si longtemps rejeté. Même si elle le voulait la tout de suite, pour lui prouver qu'elle n'était pas juste cette coquille vide et inutile, les mots lui manquèrent, tout comme la confiance. Elle avait perdu la faculté de laisser faire son jugement et sa conscience. Fallait-il pourtant qu'elle se rende compte qu'on pouvait tout de même l'apprécier pour amorcer un espoir de briser les chaînes de sa sensibilité ? De briser les barreaux des geôles de ses émotions ? Fallait-il se rendre compte du mal qu'elle causait involontairement chez ce pauvre loup blanc et noir ? Peut-être.

« Ne... Attend ! Je ne... Tu peux déjà m'aider... »

Elle ne savait même pas pourquoi, ni comment. Mais à croiser une dernière fois les yeux de miel de Volstein, à se perdre dans ce dernier regard qu'il lui lançait, prêt à ne plus jamais lui faire face, prêt à s'en aller pour toujours, Heever comprit qu'elle ne le souhaitait pas. Et s'il avait pu, en quelques instants, par quelques mots, par un léger contact, ébranler ses certitudes et allumer une toute petite étincelle au fond d'elle même... Alors il pourrait faire bien plus. La femelle grise ne savait plus si elle avait fait le bon choix, ou si elle avait suivit le bon modèle. Sa respiration s'était suspendue, accrochée aux prunelles malheureuses et déçues du Savant aux ailes de cristal. La petite étincelle qui mordait sa poitrine se refléta dans les orbes bleu glacé de la femelle, au moment même où elle fit un pas vers, puis deux. Supprimant la moitié de la distance les séparant. Il avait le dernier mot, il avait le choix : l'aider à jouer cette bataille de nerf vers la guérison de l'âme ou fuir devant l'étendue du désastre. Heever se sentait comme sur un fil au dessus d'un abîme, basculant entre la simplicité, la facilité de rester seule et de ne plus rien écouter que sa logique, sa raison et son devoir, et le combat de tout les instants que représentait la vie entourée de loups que l'ont veut protéger, la vie aux multiples risques : voir les autres souffrir ou même disparaître... Heever ne savait pas ce qu'elle voulait. Parce que Volstein lui avait fait miroiter un changement de voie. Il lui avait offert la possibilité de revoir son choix. Il lui promettait ce que personne n'avait jamais fait pour elle : être là, toujours. Mais pouvait-elle prendre le risque de le voir partir lui aussi, si elle acceptait de le suivre maintenant ? Un brin de colère revenait en même temps que le reste du tourbillon émotionnel qu'elle tenait encore à distance avec peine... Si ses parents avaient été là pour elle, jamais elle n'aurait eu à faire ce choix... En quoi devait-elle avoir foi ? Mido avait-il une réponse, un signe à lui accorder pour la guider ? Plus que jamais elle en avait besoin.