Dévotion [FINI]

Élaine

Le soleil se couchait paresseusement sur les terres de Punk Wolf, si différentes et pourtant elles étaient les mêmes qu'avant l'Apocalypse. Enfin, presque. Tout était allé beaucoup trop vite, Élaine ne se souvenait que de très peu de choses, sa patte cassée puis les Dieux, la fin de Cronos, puis la voix si particulière de Kiro lui annonçant, à elle et à Ezhekiel, un loup qu'elle ne connaissait absolument pas, qu'ils avaient été tous deux choisis pour être meneurs d'une nouvelle meute : les Etelkrus. La brune n'y avait pas cru, et elle se réveilla ce matin-là avec la sensation d'avoir mangé trop d'herbes hallucinantes. Elle se leva difficilement, et sa patte arrière semblait plus légère, une attelle maintenait ses articulations avec une précision hors-norme et la douleur s'était atténuée grâce au travail remarquable des guérisseurs et autres altruistes.

Être nommée Alpha ne changeait presque rien à sa façon de penser et de vivre, une seule chose la taquinait : l'Alpha de l'autre meute était Anastasia, sa sœur et cela n'augurait rien de bon. Elle se demanda alors, tête basse tout en marchant, qui ses parents allaient suivre ? Et Athelstan ? Elle songea avec douleur qu'après tout, ce titre était très honorable et la flattait mais cela lui empêchait de vivre dans une famille constituée et pleine de bonne humeur. Elle remonta la tête en se disant que de toute façon, Anastasia et elle ne partageaient rien en tant que sœurs à part leurs parents alors qu'importe. Elle arriva devant les Falaises avec anxiété, maintenant qu'elle avait ce poste, elle se devait de quémander à un Dieu un glowstick et plus particulièrement, Dairo. Elle s'avança et vit le long escalier inquiétant, flottant au-dessus d'un vide qui semblait sans fin. Elle passait d'une marche après l'autre sans jamais regardé en bas, son regard vert clair fixé sur le plafond décrépi et poussiéreux. Elle songea avec amertume à toutes ses connaissances : Callisto, Esterno, son oncle Agravain ou encore Fawn. Elle serra les mâchoires en se disant que, peut-être, elle ne les verra pas parmi les siens. Sauf peut-être Agravain, mais rien n'était sûr tant qu'elle ignorait si Père et Mère avaient rejoint sa meute ou celle de sa cadette.

Elle arriva devant la fontaine de Dairo, où un magnifique liquide orangé tournoyait en un ballet calme et silencieux. L'immense statue de la Renarde semblait intacte, et elle était plus belle que jamais. Élaine s'approcha de la fontaine et contempla son reflet difforme. Elle voulait être parmi les partisans de Dairo, elle le sentait au fond d'elle. Elle prit une longue inspiration et sa voix retentit dans la pièce, telle une balle rebondissant sur tous les murs :

"Ô déesse de feu, je me présente à vous en ce jour pour deux raisons. Tout d'abord, merci de votre confiance, je mènerais ce projet à bien, quoiqu'il en coûte. Elle marqua une pause et sentit des fourmillements dans sa patte cassée, elle avait déjà prouvé jusqu'où elle était capable d'aller. Et je viens également vous demander d'être l'une des vôtres, j'aimerais arborer votre couleur et demeurer sous votre protection."

Elle ignorait si ce qu'elle avait dit était correct, elle baissa les yeux devant la statue comme si elle était vivante, et attendit, le cœur serré, anxieuse. Elle ferma les yeux, comme pour permettre la magie d'opérer, et son souffle court se calma en de longues inspirations et expirations.

Élaine

Quand Dairo apparut, Élaine ressentit une vague de chaleur intense et rassurante, et c'était comme si elle replongeait dans le ventre maternelle. La Renarde avait été brève, mais si équivoque. Sa voix était si douce, et Élaine en déduisit que la voix d'une Déesse était du miel pour ses oreilles, elle sourit, malgré elle et d'un coup, la chaleur s'évapora pour la laisser dans la pénombre la plus totale. Elle laissa un instant pour laisser ses yeux s'habituer à l'obscurité et dès que sa vue se rétablit, elle observa avec anxiété tout autour d'elle. Des caisses de bois, des barres métalliques, et un tas informe de tissus. Élaine resta plantée au milieu de la pièce, elle se retourna et fixa là par où elle était rentrée. Évidemment, il ne restait rien de l'entrée, elle était enfermée ici et elle supposa que son défi était justement de sortir d'ici. Elle s'assit, calme, et ferma les yeux bien que l'obscurité donnait l'impression qu'elle avait déjà les yeux fermés. Elle baissa la tête et leva la patte et vit qu'une trappe se situait sous elle. Elle leva les yeux au ciel et vit des stalactites imposantes. Bien. Elle regarda droit devant elle là où la statue de Dairo l'observait de son œil de pierre et énuméra à haute voix :

"Des caisses, des stalactites, du métal, et du tissu."

Inutile, mais elle se leva d'un coup, comme possédée par une idée. Elle se glissa derrière une caisse et la poussa avec son front jusqu'à la trappe. Elle revint à côté d'une autre caisse et fit de même puis avec ses pattes, elle posa l'une des caisses sur sa jumelle. La brune sauta sur la seconde caisse et perdit l'équilibre, les caisses mal positionnées tombèrent à la renverse dans un fracas. Élaine grogna et refit exactement le même schéma. Elle sauta pour la seconde fois sur la caisse et à présent, elle n'avait qu'à tendre le cou pour toucher les stalactites. Elle entoura de ses mâchoires l'une d'entre elles et essaya de l'arracher, sa langue évitant judicieusement de toucher la glace. Elle serra fort sa gueule et réussit par en décrocher une mais l'effet boule de neige se produisit, deux autres stalactites s'écroulèrent et se plantèrent dans le sol. Élaine frissonna, encore heureux qu'elle n'était pas sur le sol à cet endroit, elle aurait été embrochée. Elle descendit de son piédestal de fortune, le cône de glace dans la gueule et plaça l'extrémité dans la serrure fermant la trappe. Elle essaya de tourner dans tous les sens, mais rien n'y fit, la serrure ne bougeait pas. Elle jeta le stalactite d'un côté et s'approcha des barres métalliques. Elle en prit une et avec la force de ses mâchoires, elle plia légèrement la barre. Elle plaça l'extrémité fine vers la trappe et avec de la chance, elle passa le bout crochu dans l'étroite bordure qui séparait la trappe du sol. Elle enfonça la barre jusqu'à ce que l'angle formé par ses soins soit englouti par la trappe. Elle se recula, laissant donc la barre oblique contre le sol puis elle posa une caisse sur l'autre extrémité. Puis elle récupéra une autre caisse pour reformer une pile de deux caisses tout en prenant soin d'évitant de se griffer sur les stalactites et finalement, elle monta sur les deux caisses avec rapidité et agilité. Elle prit sa respiration, absolument incertaine de ce qu'elle allait faire puis elle sauta sur la caisse posée maladroitement sur la barre métallique.

Dans un bruit sourd, la trappe se souleva de quelques centimètres. Elle lâcha un sourire de victoire et redescendit avec hâte, manqua de se prendre les pattes dans la barre érigée au milieu de la pièce. Avec l'effet levier, elle avait réussi à ouvrir un peu la trappe. Elle s'approcha alors de cette dernière et d'un geste de patte, elle ouvrit en grand. Elle pencha sa tête et ne vit rien. Inquiète de la hauteur de la chute, elle gronda et se mit à faire les cent pas autour de la trappe. D'un coup, un éclair de génie la frappa. Elle attrapa les tissus qu'elle entreprit de nouer entre eux dans le but de faire une longue corde qui l'aiderait à descendre dans cette trappe. Elle s'y prit à plusieurs fois et regretta de ne pas avoir observé sa mère nouer ses cheveux ou ceux d'Anastasia. Toutefois, elle réussit à faire une corde de fortune et avant de la lancer à corps perdu, elle chercha des yeux quelque part où elle pourrait attacher l'autre bout. Les caisses étaient trop mobiles, elles glisseraient avec aisance. Les stalactites, étant positionnées sur le plafond, feraient de piètres points d'attache. Élaine tourna en rond au moins vingt fois. Elle attrapa une barre de fer et la posa sur la trappe, la séparant en deux. Elle attacha les bouts de tissus liés entre eux et avant de s'élancer, elle s'arrêta net. Et si sa chute était plus longues que la corde ? Et si elle lâchait le tissu, elle tomberait forcément lourdement et elle ne savait même pas sur quoi elle allait tomber. Élaine défit alors la moitié de sa corde et attrapa le tas de tissus. Elle s'approcha de la trappe, inquiète, et dans un geste qu'elle regretterait peut-être, elle jeta le tas de tissus dans le trou. Elle entendit un "pouf" quelques secondes après et jugea que la chute ne devait pas être si longue. Elle attrapa sa corde et la noua autour de sa patte avant inférieur puis elle l'agrippa entre ses crocs comme si sa vie lui en coûtait. Inquiète, elle se glissa dans le trou et chercha des pattes un appui sur un mur ou autre mais rien à part le vide absolu. Elle paniqua un court instant et finit par retirer ses pattes avant du sol. La chute fut rapide mais la corde n'avait pas été assez longue, comme redouté. Elle resta un instant dans le vide à tournoyer fébrilement, la corde entre ses crocs fermement serrés, sa patte attachée plus haute que les autres. Elle sentait que la barre de fer commençait peu à peu à se plier sous le poids de la jeune louve. Elle lâcha un peu de leste et elle sentit sa patte glisser lentement, s'échappant de son attache. Elle tenait à présent la corde du bout des crocs et elle pensa Dairo, pardonnez-moi si j'échoue puis elle lâcha son emprise. Elle s'attendait à atterrir sur une surface dure mais le tissu qu'elle avait jeté fut un excellent amortisseur. Elle poussa un cri de victoire et resta dans le noir pendant un instant. Elle se leva, fébrile et anxieuse d'avoir correctement réussi, puis elle se mit à marcher vers une lumière extrêmement petite et faible mais d'un orange vif, ce qui lui rappela Dairo. Elle marcha jusqu'à ce que la lumière soit aussi grosse qu'elle et elle attendit. Peut-être était-ce à l'endroit où Dairo annonçait si oui ou non elle avait réussi.

Alors le décors se brouilla autour d'Elaine, et les contours du temple de la Renarde se dessinèrent de nouveau autour d'elle. La déesse se tenait toujours à la place de sa statue, le regard bienveillant et un léger sourire aux babines.

"Félicitations, Elaine. Tu as réussi cette épreuve avec brio."

Un petit tube coloré apparut sur la margelle de la fontaine avce un léger bruit de verre.

"Bienvenue parmi mes disciples. Porte avec fierté la couleur de ta meute, jeune Elaine. Et n'oublie pas que dans la détresse, tu ne seras plus jamais seule."

Sur ces mots, elle disparut dans une grande lumière. Un courant d'air chaud parcourut le temple et ébouriffa le pelage de sa nouvelle enfant.
Et ce fut comme si rien ne s'était passé...