Chiendent [Heever]

« Chiendent.

« Heever & Paprika.

La silhouette maigre de la louve gris pâle traînait souvent dans les environs, ne pouvant encore se résoudre à suivre l'une ou l'autre voie. Ne pouvant, non plus, se convaincre que tout ce qu'elle avait connu avait bel et bien disparu à jamais. Un peu comme un fantôme errant tristement sur le lieu qu'il hantait, Heever tournait en rond au milieu des ruines de ce qui avait été un majestueux palais de marbre et de pierre. Elle n'y avait jamais passé beaucoup de temps en réalité et n'avait donc absolument aucun lien avec cet endroit. D'autant plus qu'il avait été sous la coupe Brethen. Mais ces décombres étaient les seuls vestiges du monde où elle était née. Par ailleurs, il n'y avait rien eu pour elle avant, elle n'avait pas eu d'importance pour personne, ou même d'une place à part une parmi les autres. Elle n'avait pas assez compté pour ses parents biologiques puisqu'ils s'étaient débarrassés d'elle, pas beaucoup plus pour ses darons adoptifs puisqu’aucun n'avait jugé qu'une louve d'un an avait besoin de tendresse. Dès qu'il avait été Alpha, Roy ne l'avait plus considérée. Et puis tout les autres amis qu'elle avait pu avoir avait fini par se détourner. Heever donna un coup rageur dans un caillou à s'en faire mal. Elle en avait bien marre de ressasser encore et toujours ces idées sombres, cette colère amère. Mais elle ne parvenait pas à se défaire de tout ça. Et elle savait très bien pourquoi, parce que Leemoncello lui avait appris à tout garder, à toujours se souvenir, et de se servir de la haine comme force. Or ce bouillonnement était tout sauf un gage de force. C'était un boulet qui empêchait d'évoluer, d'avancer, de s'épanouir. Volstein lui avait promis de rester auprès d'elle et de lui montrer comment se rouvrir à l'apaisement, à la douceur et à la sympathie. Le travail était ardu et ne pourrait progresser si elle ne lâchait pas son fardeau émotionnel avant. Finalement c'était aussi un peu pour ça qu'elle s'isolait ici. En attente de parvenir à abandonner tout ça...
Une odeur familière éveilla les sens de la Savante qui releva le museau et huma l'air pour confirmer son idée. Comme un besoin impérieux, la grise aux yeux de givre pista sa mère au travers du dédale de gravas et d'éboulis qu'était devenu l'imposant palais. Des centaines de mètres de cailloux, de poutres brisées et de murs piétinés s'étendaient sous les prunelles froides d'Heever. Il ne lui fallait pourtant pas bien longtemps pour dénicher Paprika, fièrement assise sur un piédestal illuminé de rayons de soleil. L'image était amusante, et collait à merveille au personnage. Sans un mot, elle s'assit en contrebas et attendit, le regard rivé sur la louve brune qui l'avait élevé, des années en arrière.

« Chiendent.

« Heever & Paprika.

Thème ♫♪

Paprika n'avait pas tardé à baisser le museau et à la voir s'installer au bas de son mur. Les oreilles d'Heever se redressèrent en attendant son nom. La voix de sa mère avait à peine changée. Elle trouvait une espèce de calme. Probablement que la Capitaine Raeders avait troqué son enthousiasme farouche comme un tempérament plus posé ? En même temps, la femelle cendrée crû remarquer des cernes sous le regard de nuit de la brune. Cela n'avait rien d'étonnant avec les récents événements, peu de loups dormaient déjà à poing fermés la nuit. Elle n'en avait pas croisé beaucoup en tout cas. Paprika lança la conversation. devaient vraiment s'échanger des futilités ? Un vague sourire moqueur fendit le museau de la Savante.

« Je te retourne le compliment. »

Peut-être qu'échanger des mondanités n'était pas une si mauvaise idée que ça après tout. Il valait mieux laisser venir tranquillement les sujets plus sensibles. Heever n'allait pas attaquer sa mère avec un ' t'étais où quand j'ai eu le plus besoin de toi ? ' tout de suite. Elle hésitait à monter à son tour sur les décombres de pierres et préféra rester au bas pour l'instant. Les hauteurs n'étaient pas pour elle. Elle n'avait jamais eu l'étoffe de se tenir sur un promontoire face à quelqu'un. Paprika était faite pour ça, pas elle.

« Tu as pu retrouver ta meute ? »

Avec les divisions imposées par les Dieux, tout ça. Ou t'es tu retrouvée seule comme je le suis ? L'idée que la Capitaine Readers puisse souffrir de l'abandon de sa meute l'égaya un peu avant qu'elle ne repousse cette idée. Elle ne voulait plus être rancunière, elle en voulait plus rien que l'espoir de retrouver une vie normale, loin de la solitude qui l'avait caractérisée jusque là. Loin de l'ère glaciaire dont elle avait emmuré son coeur. Il était temps de faire face à tout ça une fois pour toute afin de tourner la page. De fermer le livre même. Et d'en ouvrir un autre, pour les futurs nouveaux chapitres de son avenir. Volstein lui avait fait miroiter cette possibilité. Peu être qu'après elle pourrait lui offrir quelque chose en retour ? Il avait toujours été si attentionné avec elle. Et elle ne l'avait jamais remercié. Or maintenant qu’elle risquait de ne plus le voir, cela l'attristait un peu. Elle devait vraiment arranger et mettre de l'ordre dans son passé afin de se tourner vers le futur sereinement.

« Chiendent.

« Heever & Paprika.

Thème ♫♪

Heever ne sut pas trop ce qu'elle ressentie face à cette annonce. Une pointe de jalousie peut-être ? De savoir que le reste de sa famille se portait très bien sans elle et restaient tous ensemble, noyée dans un océan de soulagement. Ils étaient restés soudés. On ne pouvait pas retirer ça à la brune, Paprika avait toujours su rassembler les foules sous une même bannière, à l'époque, elle avait prouver à tous qu'elle avait sa place en tant que Meneuse et donc en tant que guide. Et même si personne ne l'avait suivit au nom de lois ancestrales, beaucoup en aurait eu envie. Heever la première en vérité. C'était une des raisons pourquoi elle haïssait tant sa mère avant tout ces... chamboulements. Parce qu’elle avait été sur le bord de renier ses principes pour la suivre alors que les règles constituaient la discipline, l'ordre et donc l'absence de chaos. La louve pâle avait été trop jeune alors, pour voir que remettre en questions les enseignements de son père adoptif aurait été la solution. Elle avait été trop jeune pour prendre du recul. Et maintenant, il était bien trop tard. Evidemment, la colère d'Heever était aussi brûlante parce qu'elle avait vu sa mère partir sans un regard, sans un regret, en l'abandonnant sur place alors qu'elle avait besoin d'elle. Heever n'était pas tout à fait adulte lorsque Paprika s'était enfuit comme une paria. Age difficile de l'adolescence, âge ingrat aussi. Et maintenant, ce qui avait été, ce qui aurait pu être, tout espoir de retrouver cela était perdu. Du moins c'est ce que pensait Heever. C'est l'impression qui lui tenaillait le coeur. Et l'idée fixe qui la meurtrissait pourtant encore, alors qu'elle s'efforçait de passer outre. Finalement, la louve cendrée aux longs cheveux inspira profondément et lâcha de but en blanc :

« Tu m'a abandonné. »

Un constat qui sonnait comme un reproche. Malgré tout ce qu'elle pouvait dire ou penser, c'était cette absence de réponse, ce vide béant dans sa poitrine, qui commandait le reste de ses émotions. Heever avait beau vouloir tourner la page, cette blessure restait trop profonde et se rouvrait brutalement alors que paprika se tenait devant elle. Elle avait envoyer valser le reste, ne répondant ni à la question, ni à la gratitude de sa mère adoptive.

« Pourquoi ? »

Le regard givré de la femelle se fit fuyant. Comme si elle avait peur de la réponse. Et pour éviter de l'entendre, cette réponse, elle continua sur sa lancée...

« Il était malade, mourant même. Tu m'as laissée toute seule. »

La voix d'abord assurée de la disciple de Mido s'effila petit à petit pour finir en chuchotement incertain. En fait, Heever ne voulait pas savoir, elle ne voulait pas entendre les mots qu'elle pensait déjà connaître. Paprika l'avait laissée en arrière parce qu'elle n'était pas sa fille véritable, parce qu'elle n'était que le louveteau imposé par Leemoncello, parce qu'elle n'avait aucune légitimité nulle part. Ses géniteurs n'avaient pas voulu d'elle, son oncle et père adoptif ne l'avait jamais aimé qu'avec des regards méprisants et des ordres quand à ses piètres performances à améliorer, et Paprika qui pourtant l'avait câliné et bercé au tout début, était partie sans un seul putain de regard en arrière. Heever aurait tant voulu croiser les yeux de nuit de l'ex-Alpha ce jour-là, pour y lire un appel silencieux, pour y voir de la confiance ou de la tendresse. Parce que c'est tout ce qui avait manqué pour qu'elle court rejoindre sa mère, ses oncles, ses cousins... Ravalant sa peine, la grise et turquoise serra les crocs et darda ses prunelles froides dans celle de la Capitaine Reader. Tenir tête à l'adversaire lui donnait plus de courage et d'aplomb que d'observer le paysage morbide et abandonné...

« Chiendent.

« Heever & Paprika.

Thème ♫♪

Il y eu d'abord la colère sourde, qui enflait dans la poitrine d'Heever comme un tremblement de terre qui prenait racines au tréfonds de son âme. La brune rejetait la faute sur elle. C'était si... facile. Et puis toute son attitude changea, déstabilisant la femelle cendrée. Retrouver ce regard tendre et chaleureux, celui d'une maman qui couve son petit, vida d'air les poumons de la disciple du Raptor qui se sentit perdue, noyée dans l'incompréhension la plus totale. Comment la Reader pouvait-elle encore la regarder ainsi après tout ce temps ? Comment pouvait-elle encore faire passer tant de confiance et de réconfort dans un seul coup d'oeil ?! Une boule presque douloureuse bloqua la trachée de la femelle grise dont les oreilles oscillait entre l'écoute curieuse, l'envie de savoir et le doute, la méfiance. Tels de vrais satellites, elles pivotaient d'avant en arrière en fonction des inflexions de la voix calme de Paprika. L'obligeant à regarder droit devant elle pour être capable d'aller jusqu'au bout, elle ne savait pas si elle aurait pu sinon. Le noeud dans la gorge d'Heever descendit un peu, laissant à nouveau passé de l'oxygène. Ainsi, sa mère avait été forcée de ne pas la regarder elle, ou bien les autres d'ailleurs, pour parvenir à mener à bien sa rébellion. Pour réussir à tenir tête à Leemoncello et aux lois ancestrales du sang, pour rester droite et fière devant les ordres stupides d'un Alpha malade mais dont la voix comptait pourtant plus que celle de sa compagne en pleine santé. Pour montrer à tous qu'un chef tenait ses décisions, ses engagements. Pour essayer d'ouvrir les yeux de la majorité sur un choix arbitraire et sur des dogmes passés. Avec réflexion et recul, Heever comprenait à peu prêt le choix cornélien de sa mère. Elle pouvait en tout cas accepter cette décision sans en sentir encore une trop vive douleur. Et puisque cette souffrance avait été partagée elle devina que si elle avait su dès le départ, que si elle avait compris la raison sous-jacente qui avait forcée sa mère à partir, alors elle n'aurait jamais prit le parti de Leemoncello. Si elle avait pu, à cet âge-là, savoir tout ça, elle aurait agit tout à fait différemment. Elle accusait le coup aussi, parc'évidemment, à cet âge là, elle ne pouvait pas même imaginer le côté politique de cette scission dans la meute. Il y avait tant de chose qu'elle n'avait pas même envisagé. Heever se mordit la babine inférieure. Elle se sentit coupable d'avoir condamnée la Capitaine des Raeders, coupable de ne pas avoir cherché plus tôt des explications, coupable de ne pas avoir couru après elle pour entendre ça tout de suite. Coupable d'avoir laissée faire, comme tous les autres...

« Je... »

Heever eut une pensée pour le pauvre Reno. Son oncle avait dû faire un choix entre la louve de sa vie et sa soeur. C'était le même genre de choix qu'elle-même avait pris sans avoir tous les atouts dans son jeu. Elle s'était cantonné à ce qu'elle connaissait par peur de la remise en question de ce qui avait diriger son enfance.

« Je l'ai toujours regretté. Je ne savais pas, je n'ai même pas cherché à comprendre... »

Le prestance d'Heever s'évapora et ses épaules s’affaissèrent en même temps qu'elle baissait le museau..

« J'ai été lâche. Pardonne-moi. »

C'était sa principale erreur. La seule d'ailleurs qu'elle ai jamais commise. Le reste de sa vie ayant été poussé par la survie, l'aide aux autres à travers son rôle de Savante, le tout dénué de compassion ou d'émotion, pour rejeter en bloc tout remords ou rage. Ce n'avait pas été forcément très concluant, mais la plupart du temps, elle était parvenue a garder un masque glaciale et distant pour éloigner les curieux et ainsi enfermer les souvenirs douloureux derrière une muraille si haute qu'elle avait fini par s'effondrer toute seule. Il y avait dans les explications de Paprika une telle simplicité qui mettait Heever mal à l'aise. C'était, en fait, elle l'unique fautive. Et tout ce temps, elle avait reporté la frustration de son inaction sur sa mère alors qu'elle s'en voulait à elle-même. Rester camper dans ses positions absurdes au lieu de se secouer les puces et de bondir dans l'inconnu... La prise de conscience était violente, brutale et soudaine. Comme si on venait d'allumer le soleil dans l'esprit de la femelle cendrée. Elle reprochait aux autres ce qu'elle ne voulait pas se reprocher à elle... C'était si évident maintenant. Et elle se disait disciple de Mido ?! Elle ne méritait clairement pas ce titre...

« C'est trop tard ? »

Se redressa la louve comme mordue par une puce. Il n'avait fallu que quelques mots pour dissiper un malentendu de toute une vie. Que quelques mots pour une prise de conscience totale. Quelques mots pour qu'elle se rende compte qu'il n'y avait qu'un seul choix dont elle voulait réellement et qui lui permettait d'avoir à peu prêt tout ce qu'elle désirait. Si sa mère l'acceptait, si elle pouvait lui pardonner sa faiblesse et sa lâcheté, alors elle pourrait retrouver une place auprès des siens, auprès de sa famille. Elle pourrait être entourée à nouveau par sa mère, ses oncles et cousins, ceux qui avaient encerclés son enfance de rires et de tendresse. Elle retrouverait aussi une meute soudée avec des principes à apprendre. Et puis, si Volstein ne lui en voulait pas trop d'abandonner son statut de disciple d'un Dieu en qui elle avait presque perdu la foi après les derniers événements... Alors il serait heureux de voir qu'aucune barrière de meute n'empêcherait leur amitié. La solution était si simple, si palpable. Pourquoi avait-il fallu tant de temps à Heever pour retrouver la brune et mettre ses griefs sur la table ? Pourquoi n'avait jamais essayé de se mettre à la place de sa mère pour comprendre ? Un nouvel espoir brillait dans les prunelles de glace de la louve trop svelte, une étincelle timide et faible qui ne demandait qu'à être nourrie et encouragée...

« Chiendent.

« Heever & Paprika.

Thème ♫♪

Le contact fugace de Paprika électrisa Heever alors qu'une foule de souvenirs remontait à la surface. Il y avait tant d'années qu'elle n'avait pas eu de gestes doux, ni n'en avait reçu. Des années que les mots câlin ou caresse avaient perdu tout leur sens. Elle retrouvait là la douceur de sa mère. C'était une sensation perdue, aussi lointaine que la confiance ou la complicité. Heever se sentait prête à renouer avec tout ça, prête à avancer vraiment. Dire qu'il n'avait fallu que quelques mots... Si peu de chose au fond. Un vague sourire répondit au geste de Paprika, sourire qui s'élargit alors qu'elle s'entendit dire être bienvenue auprès des pirates. Flibustiers n'étant autre que des membres de sa tribu, autrefois.

« Je n'en demande pas moins ! »

Répondit la disciple du Raptor, ses prunelles de givres pétillant d'une malice toute neuve. Il fallait avouer que la Capitaine Raeder avait cet effet sur les gens : elle envoyait valser les problèmes à grands coups de pattes et se concentrait sur l'essentiel, sur le présent et sur ce et ceux qui l'entourait. Heever aurait aimé ressembler bien plus à sa mère adoptive de ce point de vue. C'est avec légèreté qu'elle emboîta le pas à la brune. C'était si facile... Si simple. Pourquoi n'avait-elle pas fait ce pas bien plus tôt ? Bien bien avant ? Genre, tout de suite ? Heever s'arrêta, ses yeux pâles visant le vide. Elle baissa le museau et ses deux longues nattes tombèrent vers l'avant. Le mouvement fit courir quelques mèches éparses et permit de découvrir la perle de verre cachée dans la tignasse cendre et turquoise. Remplie du liquide divin, elle brillait d'une douce couleur verte. D'un coup de crocs, Heever cisailla la mèche de cheveux fins, détachant par ce même mouvement le cadeau de Mido. La femelle grise prit une grande inspiration avant d'aller déposer la mèche retenue par le glowstick sur un pan de mur en miette, vestige du grand Palais qui trônait ici fièrement avant que le Créateur ne vienne tout piétiner. L'ex-savante estima que l'endroit était le plus approprié pour s'affranchir de tout ce lourds passé. Heever regarda encore un instant cette bille de lumière pure avant de lever ses iris glacées vers l'empyrée et remercier le Raptor pour ses dons et sa confiance. Elle pria un instant aussi, parce que c'était de bon ton de se séparer de son Dieu sur une prière. Il saurait de toute façon que tous ces changements avaient fait d'elle une autre louve qui ne pouvait plus prétendre à lui appartenir corps et âme.

« Il y a de la place au moins pour une savante ? »

Demanda t-elle d'une voix faible en revenant vers Paprika. Elle l'espérait en tout cas, car elle n'avait pas vraiment d'autres compétences que son cerveau et ses connaissances en médecine.