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Sujet: Vague à l'âme [libre] Dim 21 Jan 2018, 00:48
Agravain
Il fait froid, aujourd'hui. L'hiver est plus rude que jamais, le ciel est blanc comme de la nacre, il grêle. D'épais morceaux de glace rebondissent sur le sol enneigé dans un bruit sourd discret, une violente bourrasque de vent souffle et l'océan s'agite. De hautes vagues se succèdent, toutes plus grandes que les précédentes, les mouettes ont disparu face à ce déferlement de Mère Nature. Les Dieux semblent avoir abandonné l'endroit, le chaos y règne dans les yeux d'agate d'Agravain. Une tempête agressive grogne au loin, la neige et la pluie s'entremêlent dans une noce funèbre, et le lourd nuage noir qui se profile à l'horizon semble se transformer en tornade. Il fait froid, aujourd'hui, ou bien est-ce la fatigue et la douleur qui rendent le corps d'Agravain si froid. Il a si froid, depuis la mort de Némésis, son corps ne sait se réchauffer, de légers spasmes l'agitent de temps à autre. De lourdes cernes se sont creusées autour de ses yeux, son pelage semble avoir blanchi, ou alors est-ce la neige qui le recouvre. Il ne mange plus, ses côtes minces se révèlent à la lumière du jour, son estomac ne gronde plus, comme s'il avait accepté le malheur comme mode de vie. Personne ne sait combien de temps il a pleuré, personne ne sait où il s'est terré avec ses petits pendant si longtemps. Personne ne sait qu'il a eu ces enfants. Il a longuement songé à les tuer, les rendant fautifs de la mort de leur mère, mais à chaque envie meurtrière, il se refrénait. Il n'était pas un tueur d'enfants, ni un tueur tout court.
Ce matin, il s'est levé aux aurores. Il a attrapé les deux petits qui dormaient l'un contre l'autre, ils n'avaient pas mangé depuis la mort de leur mère, et Agravain n'a plus la force de chasser. Il s'est dirigé dans un pas lent vers le campement des Etelkrus, a traversé le Grand Castel en cherchant la tanière d'Élaine, puis en arrivant devant, il a déposé les deux enfants dans le nid chaud dans lequel la jeune alpha devait dormir, puis a attrapé une feuille, il a récupéré un peu de suie avec sa griffe et a écrit quelques mots simples.
« Élaine, voici Lucie et Icare, mes enfants. Prends soin d'eux, je t'en prie. Agravain, ton oncle.»
Il a alors déposé la feuille griffonnée sur le corps des deux endormis. Il s'est penché sur eux, les a embrassé sur le front et est parti sans dire un mot.
Maintenant, il est au bord de la falaise, il regarde la mer, et chaque remoud lui fait penser à sa Némésis et à ses yeux océan. Son cœur lui semble trop grand pour ses côtes, il fixe l'horizon qui s'agite, on dirait un combat acharné entre le vent et l'eau. Le vent fait virevolter ses cheveux bouclés noirs de jais, et quelques larmes s'envolent discrètement. Il se sent si mal, si seul. Il aimerait voir Méléagant, lui dire combien il l'aime, combien il regrette. Il aimerait revoir sa mère, une dernière fois. Il se souvient du temps autrefois quand les deux frères faisaient la tournée des bars en riant toute la nuit, ils parlaient sans cesse, de femelles, d'alcool, de chevalerie. Aujourd'hui, il se sent si nul, si lâche. Il n'est plus un chevalier, il est persuadé que l'ordre l'a raillé de la liste. Il soupire et un mince nuage sort de sa gueule pour s'envoler dans l'air dans une volute artistique. Némésis avait fait ce genre de choses quand une drôle de créature blanche lui avait frôlé le pelage. Son cœur se sert un peu plus sous un étau invisible. Tout lui renvoie à elle, elle est partout et pourtant, elle n'est plus là. Il baisse la tête vers le sable en contrebas et l'observe d'un œil nouveau. Il se met à marcher vers une falaise plus loin, contre laquelle la mer s'acharne minute après minute. En contrebas de cette falaise, d'épais rochers noirs saillent hors de l'eau, insolents et provocateurs, ils semblent venir des enfers sous-marins. Agravain s'approche du bord et observe l'horizon. Il se sent seul ici, il n'y a que lui. Le vent souffle encore une fois, il doit reculer pour ne pas tomber.
"Excuse-moi, Némésis, je ne peux pas."
Il soupire encore une fois, las, et son cœur menace d'exploser sous l'épais manteau de douleur qui l'étouffe. Il regarde la mer qui s'agite, l'eau gicle en heurtant la roche. Il lève les yeux au ciel et implore Dairo de lui rendre Némésis. Il ferme les yeux et compte jusqu'à cinq, mais quand il les rouvre, il est toujours seul sur cette falaise menaçante. Il repense à toutes ces bouteilles d'alcool qu'il a bu, l'état euphorique dans lequel il était plongé nuit après nuit, jour après jour. Il n'a pas bu une goutte, malgré l'envie persistante. Mais sa gorge refuse tout liquide. Il s'en veut terriblement de ne pas avoir pris le courage de revenir vers son frère. Les yeux glaciaux de Méléagant lui manque, il aurait aimé le revoir, lui parler, lui dire toute sa peine mais il imagine qu'il est plus heureux là où il est haut, auprès de sa femelle, de ses enfants. Une douleur le transperce, et la jalousie lui donne la nausée. Agravain n'a plus rien, plus personne. Si, ses enfants, mais leurs ailes uniques, leurs pelages, tout d'eux lui fait penser à Némésis et il ne veut pas voir leurs yeux s'ouvrir, de peur de voir le même bleu océan maternel. Une soudaine envie de faire demi-tour l'assaille. Il veut rentrer, prendre ses petits contre lui, les éduquer, les aimer toute sa vie. Mais il n'a plus la force, il s'en veut tant. Elle est morte à cause de la mise-bas, elle est morte à cause de lui.
Il n'a pas eu le courage de reprendre sa vie en main, Némésis était la seule qui lui avait changé sa perception du monde. Et sans Némésis, il n'est qu'un cadavre vivant. Il n'a pas eu le courage de reparler à Méléagant, de s'excuser d'avoir si mal pris le fait qu'il vive sa vie, sans lui. Il n'a pas eu le courage de tenir la promesse demandée par Némésis. Il n'a pas le courage d'éduquer ses enfants. Il n'est pas courageux, il est d'une lâcheté extraordinaire, et Agravain se recroqueville sur lui-même, la tête baissée, les yeux plantés sur les rochers aux pointes dressées vers le ciel. Il n'a jamais eu de courage, mais aujourd'hui, il se sent plus courageux que jamais. Il se redresse, face au vent, et s'approche du bord. De petits cailloux tombent vers le bas et plongent dans la mer. Il n'est qu'à quelques centimètres du bord. Agravain regarde le ciel, les larmes coulent le long de ses joues, il se sent si mal, il ne se serait jamais cru capable de penser à une telle chose, il est bien trop couard. Et tout d'un coup, il prend appui sur ses pattes arrières et dans un ultime effort, il saute.
La chute lui paraît lente, il voit le ciel blanc pur, le bord de la falaise est noire vue d'en-dessous. Il se demande si ce qu'il fait est la bonne solution, si Némésis lui pardonnera, si Méléagant lui pardonnera, si Icare et Lucie lui pardonneront. Il espère qu'ils comprendront.
Une douleur le transperce, son cœur bat si vite, ses tempes lui brûlent la peau, il sent la fraîcheur de la mer le tremper jusqu'aux os, tandis qu'un liquide plus chaud coule le long de son thorax. Une sensation inouïe s'empare de lui. Il n'entend plus rien, il ne sent plus rien à part l'odeur saline puissante. Une fragrance que Némésis portait sur ses poils. Il la revoit, souriante, aux bords de la plage des côtes de Nacre, il la revoit, à la grève gelée. Son visage se dessine tandis que ses paupières se ferment peu à peu. Il ne ressent plus rien, seulement un profond désespoir. Sa gueule se tord, les larmes lui montent aux yeux et la dernière larme s'écrase sur le rocher noir. Son souffle le quitte, et Agravain sent la vie s'échapper de son corps.
Peut-être l'esprit de Némésis était revenu dans l'océan, son âme de pirate l'aidant, car la mer s'empressa de récupérer le défunt. D'une vague, elle arracha le corps d'Agravain aux rochers, et dans une étreinte intense, elle l'entraîna dans ses abysses pour qu'il y repose à tout jamais, enveloppé d'un océan qui vivait autrefois dans les yeux d'une pirate.