Les deux voleurs ❀ Hicham

Tu te retrouvais donc ici à nouveau.

Voilà.

Toi Hicham, tu avais l'impression d'avoir pris 10 ans d'un seul coup. Tes pas te traînèrent ici, à la carcasse, demeure de ta cousine Safran que tu avais perdu de vue, tout comme presque toute ta fratrie et ta famille, alors même que vous étiez une partie coincée ici, sur cette île maudite que tu n'avais su quitter. Tu étais résigné, mais fier, quoique, tu ne savais plus trop où elle était partie, ta fierté, Hicham. Tous comme tous tes accessoires qui semblaient également t'avoir délaissé, ou bien était-ce toi qui délaissais tout le reste ? Tu ne comprenais plus grand chose à ton existence, et tu pensas alors que ta vie devrait bientôt s'arrêter, plus tôt que prévu, mais tu ne voulais pas continuer ainsi.

La solitude, qui t’effrayait tant, elle t'avait collé à la peau depuis quelques années maintenant, tu n'aimais pas ça mais tu ne savais t'en défaire, comme d'une toile d'araignée qui s'enroule autour de toi et faisant prisonnier pour finir en repas.

Déboussolé.
Ça, tu l'étais Hicham.
Tu ne savais plus où était ta place, toi qui avait tant fait pour sauver ta famille. Tu étais même à aller trahir les tiens à l'instar de ta lopette de frère, qui avait prit ses clics et ses clacs pour s'enfuir à toutes jambes au moindre obstacle. Il t'avait promis, pourtant. Il t'avait promis qu'il ne t'abandonnerais pas. Qu'il ne t'abandonnerait plus.
Tu étais perdu, sur une île qui l'était encore plus et toi, tu te demandais pourquoi tes pattes étaient encore engourdies du sommeil dans lequel tu semblais avoir été plongé une éternité durant.

Tu ne pensas pas à t'enfuir, tu étais ici maintenant, tu avais fait ton choix. Mais pour qui ?
Tu avais toujours été le plus calme, le plus attentionné, mais également le plus fragile de ta fratrie. Mais au moins il te restait ta loyauté sans failles qui t'emporterait certainement jusqu'au tunnel de la mort.

Mais alors que tes sombres pensées t'anéantissaient complètement, te laissant fouler le sable que tu ne reconnaissais pas, tu te retrouvas en compagnie d'une louve au poil de menthe, dont la tête blonde était ornée de fleurs.
Stoïque, tu l'observa tourner autour de toi en te susurrant des mots, telle une hyène. Tu ne te posas presque pas la question de qui était cette folle à lier. Tu sentais la folie rien qu'à la regarder. Cependant, tu admiras sa manière mystérieuse de communiquer. Toi même était quelque peu fantasque, Hicham, alors tu lui répondis.

« Je n'ai pas d'ailes pour migrer vers d'autres terres, ni de cornes pour creuser les murs. Tout comme les damnés résidant en ce lieu maudit, je ne pourrais m'enfuir que par la mort. »

Ainsi tu l'observas sans geste aucun, tu ne trouvas rien d'autre à dire, ni à faire.
Tu étais perdu.

HRP:

Tu la regardais, telle une vipère, s'approcher de toi sans crainte ni émotion. Tu la trouvas alors fascinante, cette louve qui semblait appartenir à un tout autre monde et à personne en même temps. Tu admiras cette liberté certaine émaner d'elle, cette confiance en elle et cette lueur d'amusement qui semblait animer son regard à chaque détresse qu'elle pu croiser... Tu étais donc devenu un nouveau jeu, Hicham. Elle qui se disait être comme une messagère de la mort, ou plutôt, amie, prétendait-elle. Tu te demandais bien si elle avait déjà vécu une expérience de mort imminente pour en parler ainsi, en toute connaissance de cause.

Une chose était certaine : ce n'était pas cette louve de couleur menthe qui allait t'empêcher de faire une bêtise, ça non, et tant mieux. Tu n'aurais pas supporté quelque hypocrisie d'autrui, résultant de sa seule peur d'affronter la mort en la regardant droit dans les yeux, impuissant, et la voir prendre aussi vite que la vie naît sur ce bas monde.

Tu fixas ses yeux d'un bleu intense, des tiens qui étaient d'un ambré sombre en ce jour. Elle était si près de lui qu'il pouvait sentir son souffle chaud contre son museau. Mais à aucun moment tu ne sentis de menace. Tu ne frémis pas d'un poil, car tu gardais l'échine basse, et une faiblesse, une résolution, qui imprégnait alors tout ton corps. Tu ne voyais plus de peur. Tu ne savais plus ce à quoi cela ressemblait. Tu te concentrais sur les paroles de l'inconnue à la tête blonde ornée de fleurs, te parler à la manière des serpents s'ils avaient la paroles. Elle se déplaçait également de la même manière, tu songeais alors.

Tu avais absorbé ses mots, qui te faisaient alors l'effet d'une brise qui mènerait sans aucun doute à la tempête.

Ces dernières paroles, cependant, semblait comme t'avoir réveillé.

« Les mats semblent dominer, mais ce n'est uniquement de cela qu'il s'agit, une vision comme une autre, comme tout autre chose ou être qui semble dominer sur quelque chose ou quelqu'un. »

Tu décidas de la suivre en grimpant à ton tour un peu plus haut sur cette carcasse qui ressemblait à ton être en ces moments de solitude. Tu observas l'horizon, et tu compris que tu pourrais obtenir des ailes, si tu sautais d'assez haut pour te séparer de ton corps physique.

« Et vous, avez vous déjà expérimenté le vol, avec ces ailes éthérées dont vous parlez, juste pour un instant ? Avez-vous dominé le ciel en compagnie de cette amie qui nous accompagne tous un jour ? »

Tu étais curieux, de savoir d'où venait ce venin qui circulait dans le sang de cette louve énigmatique. Peut-être est-elle fascinante.

Tu la vois s'intéresser à tes paroles curieuses, s'amuser de ta damnation et de ce désespoir qui te consume.
Tu la laisses alors s'en délecter puisque cela ne semblait d'importuner. Tu frissonnas à son contact, à ce frôlement qui délivra son effluve envoûtante, comme l'était finalement tout son être. Il était vrai, tu la trouvais envoûtante. Et la lune qui illuminait son poil menthe de ses rayons blanc-argentés n'était pas pour contredire cette vérité déroutante. Comme une belle plante aux épines tranchantes, auxquelles on pouvait se frotter, et aussi vite d'empoisonner. Un être féminin aussi dangereux qu'intrigant.

Tu te doutais bien que cette plante empoisonnée avait déjà joué avec les limites que la vie vous donnait à tous. Comme une funambule, elle dansait sur ce fil rouge en riant, n'ayant crainte aucune de quelque représaille. Et toi, Hicham, qu'en pensais-tu ? Ne serait-il pas bon de te joindre à elle sur cette voie, sur cette pente dangereuse enfouie de mystères sous ses roches et ses profondeurs ? Tu voulais apprendre à voler. Pourquoi pas apprendre à danser par dessus le vide et les précipices, puisque ta vie semblait être un précipice à elle tout seule.

L'idée de conquérir le temps te plaisait.
L'idée de voler te plaisait, comme celle de danser.
L'Amie de l'inconnue, t'attirait.
Et peut-être même l'inconnue elle-même.

Tu la sens à nouveau, la plante empoisonnée, te frôler. Puis tu la regardes s'envoler dans la nuit pour apparaître de l'autre côté.
Elle te dit d'essayer, comme déconnectée de son propre corps légèrement blessée par l’atterrissage. Tu la fixais, sur son bord, et regardait son sang couler, résonnant en écho sur les planches de plus en plus bas, fasciné.

Tu étais là, et semblais avoir perdu toute force, mais tu décidas d'écouter. Alors à ton tour, dans la nuit tu sautas, laissant le vent nocturne te guider d'où se tiendrait l'endroit de ta chute.

Volais-tu, Hicham, ou bien tombais-tu ?

Les sensations, elles, étaient grisantes. Tu sentais l'air fouetter ton poitrail, puis ton dos à mesure que la gravité reprenait ses droits. Tu entendais comme une mélodie au fur et mesure que ton corps ne sentait pas le sol. Une mélodie sulfureuse, envoûtante. Puis, tu te retournas dans les airs, comme une petite vrille, et atterrissais non loin de la louve épineuse, avec une légèreté déconcertante, quatre pattes sur une planche vacillante. Tu captas un instant le regard de cette dernière, avant de t'effondrer. Mais cette fois, ce n'était pas toi qui était responsable de cette décadence. Un crac retentissant résonna dans la nuit et contre les vieilles coques de bois, et au travers des mats. Tu percutas quelques planches. Ton épaule fut tailladée, ton ventre frotta contre quelques clous saillants, et ta joue s'ouvra contre quelque chose que tu n'arrivas pas à identifier. Quelques mètres ainsi plus bas, en mauvaise posture, tu te levas alors. Le sang coulait le long de ta joue, et tu passas ta langue dessus pour y goûter la saveur métallisée et amer de cette étrange liqueur de vie.

Et puis, tu éprouvais une sensation étrange. Tu savais que ses blessures faisaient mal à ton corps, mais tu n'étais pas sûr de les ressentir comme telles. Comme si tu ignorais royalement la douleur. Sur cette réflexion, tu avais mis de côtés toutes tes autres pensées, et tu te réjouissais de cela.

Tu grimpas alors, à nouveau, de bonds en bonds, jusqu'à la femelle, pour la fixer intensément, comme fasciné, envoûté.

Tu restais cette âme perdue, que l'on pouvait lire comme un livre ouvert. Tu restais ces yeux d'ambres éphémères, qui exprimaient un abandon de soi-même, tristes et effarés. Tu restais cet être stoïque, spectateur de ta vie, de ta situation. Ton corps exprimait tes faiblesses que tu avais toujours enfouies sous cette sagesse et ce calme olympien que ta famille semblait remarquer le plus chez toi.

Mais tu n'étais pas que cela. Tu ne l'étais pas cette nuit là.
Et il était temps de te laisser aller, pour une fois.

« Êtes-vous déjà tombée si bas, que l'Ascension vous sembla alors d'autant plus alléchante ? »

Ton regard circulait des yeux de la Plante Empoisonnée, jusqu'à sa patte blessée. Tu fixais le sang qui y coulait avec une fascination perturbante. Tu avais une envie d'autant plus déroutante, accentuée par cette effluve qui avait pour effet de t'assommer le cerveau plus qu'il ne l'était déjà.
Tu voulais peut-être y goûter.

L'idée de danser avec la mort devenait ainsi bien plus qu'une idée.

Sans crier gare, tu te retrouvas devant une belle plante empoisonnée. Sans que tu ne le comprennes, une fleur dans la nuit t'avait conquit de ses charmes.
Oh, tu savais que cela n'était que poudre aux yeux. Tu avais saisi que sous la toison sombre et parsemée d'étoiles, se tenait ce genre d'instants, que la nature n'offrait parfois qu'une fois. Tu humais les odeurs, celles de la nuit, celle du bois humide. Celle du vent, et celle de la mer, salée. Et puis celle du sang, et la sienne. Ce cocktail enivrant et dangereux ne pouvait mener qu'à une seule chose lorsque deux âmes perturbées par la folie et la perdition se rencontrent et se défient. Ou bien, était-ce que toi qui était défié. Oui, plutôt... Mais tu ne détestait pas cela. Tu restas presque hébété de ton propre comportement et pourtant tu continuas à l'observer et à accepter ce qu'elle faisait de toi. Elle avait remarquée cette étrange envie qui t'étais venue, et ne se fit pas prier bien longtemps, elle, plante épineuse qui semblait apprécier les agissements parfois bien discutables. C'est donc ainsi que toi, Hicham, âme déchue, te retrouvas à goûter le sang pour la première fois.

Tu passas ta langue contre son poil rêche, et goûta cette substance métallique qui rendait plus euphorique que le rhum de ces fichus Raeders. Une fois débarrassée du sang qui coulait, tu lui rendis sa patte à la femelle aguicheuse. Ton regard un moment s'assombrit tandis que tu te rapprochas d'elle. Tandis qu'elle semblait donner son approbation en t'offrant une possible ascension, tu ne te fis pas prier. N'étais-ce pas une bonne façon de se sentir exister, de goûter aux plaisirs de la nature ? Tu voulais voler, mais d'une façon bien différente cette fois. Tu ne saisis pas ses dernières paroles, et à vrai dire, ton cerveau était déjà trop embrumé à ce stade. Tu la vénérerai, oui, à ta façon. Et ce, juste le temps d'une nuit.

Ainsi tu laissas ton corps reprendre vie et reprendre le dessus. Tu te frottas contre son poil de menthe, comme on se frotte aux rosier. Tu lui tournas autour un moment, pour mieux l'observer. Bien fascinante était-elle, d'être si douce au regard, si dangereuse en l'approchant. Était-ce la folie qui régnait son âme ? Peu importe, vous étiez deux fous qui ne répondirent alors qu'à un instinct primaire et sauvage. Tu lui léchas la joue lentement avant de t'avancer vers le fruit des tes fantaisies.
Du plaisir, tu prenais. Tout était flou et net en même temps. Divines étaient ces sensations que jusqu'alors tu ne connaissais pas. Et ainsi, tu avais bien l'impression de voir plus clairement alors même que ton esprit ne pouvait être plus confus durant cette éphémère étreinte.

Tu parvins aussi à susurrer :

« Vous êtes délicieuse, ma plante empoisonnée. »