Ce sang que je laisse sur la rose | Lysandre et Lieutenant

La neige fondante étendait sur l'île ses grandes ailes immaculées, embrassant les rosiers endormis de son étreinte. Reliques de l'hiver des endormis, ces grandes langues cristallisées avait quelque chose d'étrange, d'importun. Témoins d'une saison oubliée par tous, elles étaient simplement là, au réveil. Narguant les âmes languies et les yeux fatiguées de leur blancheur. Cette neige que personne n'a vue tomber inspirait chez toi des élans poétiques. N'est-il pas rassurant de constater que même dans l'inconscience totale des vivants, le monde continue de tourner ? Même dans le sommeil le plus profond, l'esprit perdu dans de brumeux rêves comateux, les saisons avancent, tournent et tournent dans leur cycle sans fin. Il arrive souvent aux gens de prendre le monde pour acquis, et cet état des choses vous a, à tous, rappelé que vous n’êtes en réalité qu'invités. Simples invités dans la divine création des Dieux. Cette pensée qui aurait pu se voir déprimante dans la tête des uns ne l'était certainement pas dans la tienne. Tu te sentais chanceux. Incroyablement chanceux.

Tes yeux vermeils effleuraient de leur regard amoureux les bourgeons grandissant doucement sur les rosiers. Le printemps était si beau. Emplis d'espoir, de vie, de renaissance. Les buissons qui n'était pour l'instant que rudes épines se transformeraient bientôt en fournis amas de fleurs multicolores. Quelque part en toi, tu espérais avoir l'occasion d'un jour faire fleurir ton cœur aussi joliment que ces élégants végétaux.

Ton éblouissement pensif devant la beauté oubliée du monde n'étais cependant pas ce qui avait mené tes pattes humides sur l'île aux roses. Tu avais un autre but en tête, et celui-ci était de nature pieuse.
Esquivant gracieusement quelques branches épineuses proéminentes, tes pas assurés connaissant leur chemin par cœur pour y avoir marché des centaines de fois, tu ne tarda pas à atteindre la roseraie. Impressionnant havre de couleurs et de doux parfums, elle était encore plus belle que dans tes souvenirs. L'humidité poignante du printemps fit place à une réconfortante bulle de chaleur, l'odeur terreuse du sol qui boit l'hiver se changea en celle, entêtante, des centaines de roses qui fleurissait éternellement. En son centre, les imposantes statues félines te surveillant de leur regard féroce. Et la fontaine. Son fuchsia pétillant de magie, brillant d'une énergie inconnue et puissante.
Dans ta bouche, reposant sur ta langue égratignée, la première rose du printemps que tu avais pu trouver. Regorgée de soleil, aussi rouge que le sang qu'elle laissait aux commissures de tes lèvres, sa beauté était, à tes yeux, foudroyante. Approchant respectueusement de la fontaine, ton glowstick vibrant de plus en plus fort à mesure que la distance entre toi et le liquide magique diminuait, tu allais déposer la rose teintée de ta religieuse douleur en offrande à la Déesse... mais un froissement végétal te fit tourner la tête. Tu n'étais apparemment pas la seule âme errant sur l'île de la Beauté en ce doux matin.

ROSES

Il n’avait aucune raisons apparentes de se trouver ici, mais c’était mieux que de piétiner dans l’impatience. Car comme déjà pensé plus tôt, il ne se passait rien ces derniers temps, et ce vieux loup n’était plus habitué au silence de l’ennuie. Vieux loup, c’était assez cocasse. Il était mort de vieillesse ( pour ne pas dire de chagrin ) et le revoilà avec une jeunesse nouvelle. Quelle plaisanterie. Il n’a plus rien à donner.
Faux; il a encore de quoi user ses forces. Trouver la vérité. Car son Dieu ne lui parlait plus, il s’était mit en tête de trouver une réponse chez les autres divins.

Tu n’as jamais été un grand fan des disciples de Moiro, tu les trouves sales à agiter une beauté proclamé, tu les trouves irritant à se voir plus haut que le reste, tu les trouves énervant à toujours vouloir séduire les sentiments, à les voler. Non, tu n’as jamais été un grand prêcheur de la Tigresse. Et pourtant te voilà devant sa fontaine. Cependant ton regard te trahis; tu sembles aussi agacé que frustré. Premièrement, parce que tu n’aimes pas ce lieux, mais aussi parce qu’un peu plus loin voilà un amant de l’Amante reine.

C’est un lazulis, Lieutenant l’a déjà croisé de loin, un simple regard lancé sur son épaule puis l’oublie total. Ces mortels là ne sont pas très reconnaissables, ils se ressemblent tous. Encore un chanteur d’amour.

— Vous déposez des roses pour Moiro ou pour l’être aimé ?

Il engage la discussion pour ne pas sembler farouche ou hostile, éviter les crocs, c’était le principal. Lentement, le borgne s’avance davantage, c’était au final, un bon moyen de passer le temps; se pencher sur l’ennuie et l’embrasser totalement.

— Lieutenant.

Présentation rapide et brève, mensonge sur son identité, peu importe.

Sort des épais feuillages épineux ton antagoniste coloré. Ton regard de sang se pose sur son anatomie effilée, détaille son pelage d'ébène, glisse tel le cygne sur l'eau de sa longue écharpe jusqu'aux nombreuses parures ornant ses oreilles d'or. Son visage est couvert d'un masque ouvragé; perçant sous le masque, un regard bleuté, sans pupilles ni direction. Glacial. L'odeur familière Lazulis fait son chemin jusqu'à ta truffe, largement effacée par les forts parfums floraux mais tout de même reconnaissable. Tu ne fais pas vraiment de cas de la provenance de tes interlocuteurs; Lazulis, Etelkrus, Solitaires, pour toi, vous êtes tous les mêmes.

Le mâle de nuit t'adresse la parole, sans surprise. Il se nomme. Lieutenant. Tu hoches la tête lentement en guise de salutation. Le prénom ne te dit rien, tout comme le visage. Il ne devait pas être du type social, car tous ceux qui s'amusaient à danser de la gueule finissait un jour ou l'autre par te connaître. Mais lui... non. Un élan de curiosité t'enflamma.
Fermant brièvement les yeux, tu déposa la rose délicatement sur le rebord de la fontaine. Le goût métallique du sang ne tarde pas à envahir ta bouche. Tu n'en fais pas de cas.

- Bon matin à vous, Lieutenant. Tu lui souris.
Un éclair de bienfaisante malice illumine ton regard rouge.
- J'allais en faire don à la Tigresse, car à mon plus grand malheur, je n'ai point de cœur aimé à ravir. Elle est à vous, si vous le voulez, peut-être vous portera-elle chance plus qu'à moi. Tu prend une pause. Le soleil de l'aurore teinte ta blancheur d'un doux orangé.
- Je me nomme Lysandre. Je ne crois pas que nous ayons eu l'honneur de nous présenter.
Ta queue fournie fouette l'air lentement, envoyant involontairement au mâle d'ébène quelques courants d'air chargés du féminin parfum ambiant.  
   

ROSES

La chance de l’amour tu n’en as plus besoin, tu as déjà gagné et perdu et maintenant tu es comblé, père et rêveur, tu t’imagines encore allongé contre le flanc de ton aimé. Coup d’oeil vif vers le loup bien trop pâle un léger sourire s’étire sur tes lèvres. Il te fait penser à ton fils, lui aussi possède une décoloration du pelage.

— Allons, vous êtes encore jeune, vous en aurez bien plus besoin qu’à moi.

Le grand brun s’assit confortablement, observant le paysage aux couleurs vives et unies. Un vrai disciple de la tigresse tout craché ce mâle; à lui envoyer le parfum de la séduction au museau comme s’il venait tout simplement de se frotter à son pelage.

— Non en effet c’est la première fois que nous prenons le temps de discuter. Je dois avouer que je ne suis pas de nature très ouverte et je n’apprécie guère les discussions mondaines inutiles.

Tu lui lances un second regard, un regard qui veut dire “ ne rend pas ça ennuyant pour l’amour du ciel “ car s’il a toujours vécu dans l’attente et le froid, maintenant il a besoin de courant d’air chaud. D’action.

— Vous venez souvent ici ?

Cette question est sincère, il se demande si ses comparses suivent toujours les idéaux de ces dieux qu’il déteste tant. Il se demande si les loups sont toujours à courber l’échine devant les caprices Divins. Il se demande si un jour ça changera. Il l’espère tout du moins.

Tu le détailles de tes grand yeux curieux. Tu t'attardes à son masque un instant, essayant de deviner quels traits se cachent sous l'ornement cornu. Des cicatrices, témoins d'un passé plus sombre ? Le visage doux d'un amant esseulé, ou celui, dur, d'une âme recherchant la rédemption ? Le regard du borgne est difficile à percer, et pourtant, il te semble y voir l'éclat de quelque chose de familier. Tu clignes doucement des paupières, tes longs cils sans couleur effleurant l'air aussi doucement que le ferait des ailes de papillon. Familier, oui... ou alors peut-être n'était-ce que ton imagination. Une partie de toi voudrait apprendre à connaître ce loup mystérieux, trouver un semblant d'attachement à ce monde beaucoup trop grand. Si remplis de gens, et pourtant si vide... Un espoir te pince le cœur, une pensée te chatouille l'âme. Lui qui ne semble pas d'adresser la parole à des fins charnelles, lui qui ne semble pas venir à toi poussé, comme d'autres, comme un papillon de nuit vers la lumière. Peut-être cette rencontre serait elle réellement intéressante, tout compte fait.

Tu souris doucement à la remarque du mâle de minuit, tes lèvres étirées d'amertume amusée. Les roses, tu n'en manques pas. Les prétendants et prétendantes non plus. Mais ton cœur, lui, reste solitaire. Tu aspirais à plus qu'à la soif simple de ceux venant demander ta chaleur pour une nuit. Ton frère Hubert ne comprenait guère cette envie de profondeur, te riant parfois gentiment à la truffe de refuser systématiquement tout rendez-vous offert. Toi qui désirait plonger au cœur du plus profond, du plus noir, du plus impénétrable des lacs, on ne t'offrais généralement que la triste rive boueuse d'une rivière.

Le dénommé Lieutenant, qui ne t'inspirait malgré son prénom pas grand chose de militaire, s'assit en face de toi. Tu fit de même, enroulant dans longue queue touffue autour de tes pattes comme une douce couverture. Il disait ne pas aimer les discussions simples, les brèves salutations vides de sens qu'on l'habitude de déblatérer les inconnus. Là-dessus, vous étiez d'accord. L'espoir pinça un peu plus fort dans ta poitrine.

« Si vous n'avez l'habitude de discuter pleinement avec les gens, sachez que je suis honoré de partager avec vous cette matinée »

Tu étais sincère. Il était rare que tu discutais avec d'autres personnalités que les grandes gueules extraverties.

« Vous venez souvent ici ? »

Ton regard de sang se tourna un instant sur le sol tapissé de pétales. Puis, emporté par un bref silence rêveur, il se tourna vers l'horizon. Un doux souffle de vent agita ton pelage sans taches.

« À vrai dire... »

Tu pris une pause. Tes orbes velours se reposèrent sur le brun.

« Surtout lorsque je me sens seul. »

Tu ne savais pas d'où sortait cette vérité crue, mais tu l'appréciait, bien qu'elle te surprenne toi-même. Tu ne faisait pas partie des disciples les plus réguliers, surtout considérant le silence de ta déesse. Croire en un être plus grand que soi ne te servait principalement que de réconfort. Une promesse qu'il y aurait un œil bienveillant posé sur toi lors des nuits les plus sombres. Cela te fit penser à quelque chose.

« Je vous montrerai un secret, si vous le voulez »

Tes dernières paroles semblait s'être échappée toute seule de ta bouche. Tu laissa dans l'air planer un silence chargé de mystère.