À la frontière · Volstein, Bree

Les frontières étaient si mince, si... franchissables.

Entre la vie et la mort, il n'y avait qu'un dernier souffle ; entre l'ennui et la tristesse, parfois seulement une annonce ; et entre lui et le quartier général des Nakhus, plus qu'un pas. A cette intersection métaphorique de plusieurs sujets, 'Clou ne savait pas s'il devait avancer.

Oh, dieux seuls savaient que c'était la chose logique à faire s'il voulait accomplir la tâche qu'il s'était fixée mais... Qui apprécierait, dans le fond, de n'être que le colporteur de mauvaises nouvelles ? Peu importait le nombre de fois, les lieux, les visages différents, ce ne serait jamais plus facile. Jamais agréable. Il ne serait jamais que l'oiseau de mauvaise augure traînant avec lui, à l'image du collier qui oscillait encore à sa patte, un dernier souvenir. Une preuve indéniable. La dure clé trop concrète d'une réalité qu'on aurait voulu simplement abstraite. On ne pourrait jamais pleinement s'y préparer non plus. Et lui, il serait, tant que son rang l'impliquerait, acteur de cette mécanique funèbre.

Pourtant... C'était un devoir. Une croix qu'il porterait avec sans regret. Car informer, pouvoir savoir et que rien ne tombe dans l'indifférence était de la plus haute importance. Un but, bien plus grand que sa considération personnelle et ses propres sentiments. Il ne serait pas ingrat, même s'il était quelques fois reçus avec cris et colère, jurons. Il savait, il pardonnait. Il l'avait vécu lui-même en trouvant la silhouette un jour de sa propre mère, l'âme évaporée après le conflit contre Cronos.

Il soupira, devant le dédale. Se racla la gorge, pour essayer de se donner du courage.
Finalement, préféra ne pas aller se perdre là-dedans. Même si tout serait long, s'il devait aller chercher jusque chez les Lazulis la famille, et peut-être ne pas dormir dans sa grotte cette nuit, il serait encore plus lent s'il s'embrouillait l'esprit parmi les murs hauts. Quelqu'un finirait bien par sortir, ou rentrer. Il n'aurait pu nier qu'ainsi, il se sentirait moins invasif également. Ils le toléraient déjà sur leur terres, alors aller au creux de celles-ci ne lui plaisait point.

Il pourrait envoyer une personne passant, pour aller demander s'ils reconnaissaient le collier.

Et le messie apparut.
Sans le côté libérateur du terme, l'Oracle n'en restait pas moins directement désigné par Yurai et donc en était théoriquement un. Le porteur du glowstick violet et tête de la meute des Nakhus se rapprocha, l'ayant visiblement repéré ; Boîte à Clou en soupira d'aise intérieurement, il n'aurait ainsi pas à rentrer. Il serait plus simple de parler directement au chef également, supposa t-il : celui-ci connaîtrait sans doutes les membres de sa meute et pourrait le diriger vers la bonne personne.
Ce que 'Clou n'avait pas anticipé fut que cette personne soit... lui.

Mais au vu de la façon dont il se coupa dans sa salutation, Volstein ne l'avait pas prévu non plus, visiblement. Un silence s'installa. 'Clou ne le brisa pas. Il observa simplement la réaction et l'étirement du temps devenu irréel. Quelques secondes qui semblèrent devenir une éternité. Un temps où le visage de l'autre loup à la base rayonnant se décomposa petit à petit, où sa gaieté initiale s’effrita pour laisser place au désarroi et à la tristesse. Virent les larmes ensuite, puis le murmure.

Le gouffre était ouvert.
Cette réaction, qu'il avait vu tant de fois, ne manquait et ne manquerait jamais de faire se serrer son cœur. D'autant plus, aujourd'hui. La mort était une entité ne discernant ni les noms, ni les frontières.  Il ferma les paupières une seconde pour retenir un soupir prématurément fatigué, la suite étant encore à faire. Il se releva de sa position assise et en quelques pas se retrouva aux côtés de Volstein. Sans bruit le collier fut dénoué et solennellement déposé près de la famille.

"Je suis désolé."

Désolé que ça tombe sur lui. Lui voyait Volstein comme un loup agréable, rayonnant d'ordinaire de bienveillance. Il n'avait pas été choisit par la déesse de l'humilité pour rien. Mais encore une fois, c'était, et ce serait une peine qui serait perçue d'une façon universelle, par tous et chacun. On ne pouvait l'éviter.
Son travail à lui, était de faciliter un peu tout ça, finalement.
Alors il lui offrit ces mots de réconfort.

Les pas de Bree s'étaient eux aussi égarés en terres Nakhus ce jour-là, pour une raison différente mais au même protagoniste. Cela faisait quelques temps maintenant que la meute s'était éveillée et rassemblée au complet. L'effervescence et l'étonnement étaient de mise, personne n'ayant réussi à percer si vite le mystère du Grand Sommeil qui avait frappé les loups du continent. Des pointes d'inquiétude aussi, car de nombreux loups avaient été blessés, et les rumeurs parlaient tout particulièrement de la famille royale Etelkru. Chez les Lazulis, quelques loups manquaient encore à l'appel, et c'est pour cela que la blanche se trouvait chez ses confrères au glowstick violacé ce jour-là. Car son père en faisait malheureusement partie.

Elle avait suivi sa piste la plus récente et finit par découvrir qu'il s'était dirigé visiblement vers la meute de son oncle Volstein. Mais après ça, plus de trace. L'hiver passé là, malgré le temps qui s'était figé, et la neige tombée avaient effacé la moindre piste. Bree n'était pas du genre à hurler au vent le nom de l'herboriste en espérant qu'il l'entende ou qu'il soit, et était plutôt partisane d'une recherche silencieuse. Emmitouflée dans son bonnet et son écharpe d'encre, elle parcourait donc sans mot dire les longues plaines qui menaient jusqu'au coeur du territoires des disciples de Yurai. Elle ne craignait pas d'y être importunée, et surtout pas par ses habitants. Peut-être cette recherche était-elle aussi pour elle l'occasion de s'isoler complètement pour réfléchir seule à ce qui lui arrivait. Elle n'imaginait pas d'ailleurs la réaction de Roy lorsqu'elle devrait lui annoncer, inévitablement, la nouvelle. Elle-même avait du mal à s'y faire, à cette idée qu'elle porterait bientôt le statut si solennel de mère. La sienne n'étant plus là pour la guider et sans véritable amie féminine, Bree devrait affronter cela seule. Peut-être que son père, guérisseur, l'y aiderait, mais elle doutait fort qu'un point de vue sans aucun vécu sur la question ne puisse remplacer celui d'une mère. Elle avait été triste du départ d'Hikotsu, après la bataille du cerf, mais c'était la première fois depuis qu'elle aurait réellement aimé qu'elle puisse être près d'elle. Il y avait des choses qui ne pouvaient se dire qu'entre mère et fille, et pour l'instant elle n'avait que le second rôle dans cette scène.

Ses pas la guidèrent non loin de l'endroit où commençait le labyrinthe menant au camp Nakhu - dans lequel elle ne s'était jamais aventurée, et n'y risquerait donc pas ses pattes aujourd'hui - et elle fut surprise d'y sentir l'odeur d'un loup de la troisième meute du continent, les Etelkrus. Son regard attrapa bien vite la silhouette d'un grand loup crème dont elle ignorait l'identité. En revanche, celui qui se trouvait à ses côtés lui était bien familier, puisqu'il s'agissait de l'Oracle Volstein, le frère cadet de Roy. Son cerveau ne mit qu'une seconde à conclure que deux loups des autres meutes maximisaient ses chances d'avoir un indice sur l'endroit où se trouvait son paternel, et elle obliqua sa trajectoire pour se diriger vers eux.

La fausse note arriva bien vite, alors qu'en s'approchant elle constata la mine déconfite de Volstein. Déconfite était un bien maigre mot en réalité. Le museau du loup blanc était complètement fermé, et elle vit distinctement ses yeux briller de larmes. Les oreilles redressées, elle ralentit l'allure, prenant conscience d'arriver à un moment où sa présence n'était peut-être pas la plus judicieuse. Maintenant que les deux loups pouvaient l'avoir distinctement entendue et sentie, il était toutefois trop tard pour faire marche arrière. Et ce ne fut que lorsqu'elle arriva à petits pas près des deux mâles qu'elle saisit le dernier détail de ce funeste tableau.
Le collier de son père, posé aux pattes de Volstein.

Elle se figea sur place, sans même saluer les deux présents, alors qu'un grand frisson l'envahissait. Un frisson glacé, une vérité qu'elle n'avait pas envie de connaître. Elle eut l'impression que ses narines s'emplissaient de l'odeur froide et âcre de la mort, et sa gorge se serra. Son museau laissa apparaître une expression qui ressemblait à de la stupéfaction, à de l'horreur, à quelque-chose qui avait réussi à briser son froid masque d'indifférence pour tordre ses traits.
Ses yeux s'accrochaient désespérément à l'image de ce collier qui n'avait plus de lumière, comme si faire une grand vide dans son esprit allait empêcher la réaltié de s'y immiscer. Comme s'il suffisait de ça pour que le temps s'arrête, remonte, et que rien ne se soit passé.