Achievement [libre]

Il avait abandonné l'idée d'entrer dans cette fichu meute, trop compliqué et il les haïssait bien trop pour ça, son aile arraché n'étant qu'un rappel constant de ce qu'ils lui avaient fait... ce que des gosses lui avaient fait. Lucky avait fini par apprendre à faire la part des choses, deux d'autres eux n'avaient été que des suiveurs qui en grandissant étaient devenus de bons loups. Un était un espèce de guérisseur, le loup beige ne savait pas vraiment comment ils les appelaient chez eux, l'autre avait au moins le mérite d'être un excellent père de famille. Lucky le savait, il savait tout ça, parce qu'il les avait observé, parce qu'il avait voulu les tuer, comme ça, en  brute, plutôt que d'entrer dans la meute. Mais là aussi il fallait être malin, il fallait être patient et à force d'observation, il s'était presque mis à les apprécier. Il avait toujours mal quand il y repensait, il avait cette sensation du membre fantôme et cette démangeaison qui lui disait que s'il avait eu ses deux ailes, il aurait été un de ces loups capable de voler, mais à eux, il avait réussi leur pardonner. Au troisième par contre, c'était une autre histoire.
Il était l'incarnation du parfait connard, prétentieux et vantard à souhait. Il rabaissait constamment les plus jeunes et passait son temps à aller emmerder les femelles. Ce qui rendait le plus fou Lucky, c'était qu'il avait gardé une de ses plumes. Il la voyait constamment, d'un rouge vif sur une écharpe sombre, c'était lui qui lui avait arraché son aile, il passait son temps à s'en vanter, comme quoi il avait mis un solitaire en déroute et qu'il s'était arrangé pour lui rappeler éternellement de ne jamais revenir poser une patte chez les Etelkru. Ce qu'il oubliait de dire était que le solitaire en question était un louveteau à l'époque, ce qu'il ne se doutait pas, c'était qu'effectivement, Lucky ne l'avait jamais oublié.

Depuis quelque temps, le semi-ailé avait remarqué que quelque chose avait changé sur les terres Etelkru, sur toutes les terres d'ailleurs mais cette meute là était la seule qui l'intéressait et sa vengeance obnubilant ses pensées. De plus en plus de loup patrouillaient à la frontière et la passer était devenu impossible, Lucky ne parvenait plus à suivre sa proie et avait même perdu sa trace depuis plusieurs mois. Il restait là, à errer aux abords de la frontière sans jamais la franchir, parcourant  le tour du territoire dans l'espoir de retrouver ne serait-ce qu'une touffe de poil du loup qu'il recherchait.
Et aujourd'hui il l'avait retrouvé.

Là, plus loin de sa frontière d'un bon kilomètre, il s'amusait à narguer les solitaires en venant pisser sur un tronc comme pour dire qu'il pouvait récupérer les terres libres quand ça lui chantait. Oh ça risquait d'en énerver plus d'un, mais Lucky n'en avait pas grand chose à faire. Ce jour, c'était le bon, il n'avait pas le choix, il risquait de le perdre à nouveau sinon et de ne jamais le recroiser. Alors il le suivit, il le suivit jusque dans son territoire, traversant la frontière. Il ferait demi-tour en vitesse après, ce n'était pas grave, il devait juste planter ses crocs dans la nuque de cet abruti et.... il avait perdu sa trace.
Relevant la tête du sol, il chercha plus loin dans l'air odeur de l'Etelkru. Il n'eut cependant pas vraiment l'occasion de le chercher que celui-ci bondit sur son dos tout croc dehors. Il n'y eu aucun échange civilisé durant l'affrontement, visiblement, il l'avait reconnu lui aussi. Non, juste des aboiements et des grognements  résonnant en écho dans la montagne. Les crocs cherchèrent la chair tout autant que les griffes. Le pelage dense de Lucky le protégea probablement un peu mieux que son adversaire, lui connaissait mieux le terrain, ce qui ne l'empêcha pas de glisser dans une pente, emportant son adversaire avec lui en refermant sa mâchoire sur sa veste.
Les deux loups roulèrent, les épines de pins salissant les plaies. Il dégringolèrent de plusieurs mètres avant que leur chute ne se termine brutalement contre le tronc d'un pin grisant au sol. L'écho d'un couinement bref retentit alors qu'une nuée d'oiseau s'envola dans le ciel. Ce fut ensuite le calme plat. En se relevant, le loup beige pouvait sentir toute la douleur de sa chute dans ses membres, ce qui lui tira une grimace mais rien ne semblait trop grave. Quelques égratignures contre les pierres, des morsures et des griffures mais rien de dramatique, il remarqua que sa veste était surtout celle qui avait le plus pris, il ne restait que des lambeaux. Son aile arrachée était dévoilé au grand jour sous la forme d'un moyen mâchouillé sur lequel tentait vainement de pousser quelques plumes rouges.  

Reprenant petit à petit conscience du monde, une odeur de sang envahis sa truffe, un regard sur le côté lui permit de voir, embrochés sur des branches du tronc, le corps de son ennemi qui s'agitait encore dans quelques spasmes alors qu'il essayait encore de s'accrocher à la vie. Un pieu lui traversait la gorge, deux autres le ventre et Lucky comprit que s'il n'avait rien eu de trop grave, c'était parce que lui, avait amorti sa chute. Soudainement, prit d'une sensation soudaine de vide et d'accomplissement, au-delà de la prudence qui l'adrénaline lui avait fait oublié, le mâle beige pointa son museau vers le ciel, poussant un long hurlement de victoire.

Il aurait du fuir, une voix au fond de lui le lui soufflait, plutôt que de rester là à contempler sa victoire. Ça ne manqua pas, ils arrivèrent bien vite. D'abord un mâle, imposant au pelage chaud qui hurla le constat. Ucky n'eut pas vraiment le temps de prendre conscience des événements qui allèrent s'enchaîner, toujours abasourdi par sa victoire, par l'accomplissement de ce qu'avait été sa vie jusque là. Il ne vit pas tout de suite la petite bleue, mais il entendit son grognement qui résonnait jusque dans les cœurs avant de se faire renverser en arrière en sentir une ouverture au niveau de sa gorge. Ses yeux s'exorbitèrent lorsque la douleur se fit sentir comme une immense brûlure. Et pourtant, il avait froid à cet endroit, froid parce que son sang était habitué à la chaleur du corps, pas à cet air vers lequel il se déversait. Lucky cracha un peu de sang, de son propre sang qui s'infiltrait jusque dans sa gueule alors que la louve le maintenait fermement au sol. Il la sentait petite, plus que lui en tout cas, la renverser ne devait pas être si difficile. Oui, la bousculer, inverser les forces malgré le coup qu'elle lui avait mis, malgré sa gorge ouverte et sa fourrure déchiqueté, malgré la douleur. Il la connaissait la douleur, il vivait tout les jours avec. Il suffisait juste de la renverser et ça serait lui le menaçant, il imposerait à son copain de le laisser repartir et tout serait fini. Il ne se vengerait pas d'eux, il comprenait la réaction, eux ne comprendraient jamais son acte. Ça avait toujours été comme ça ici, il avait toujours été l'ennemi, mais cette fois, il avait réellement fait quelque chose.
Lucky balança alors sa tête vers la gorge de la louve, voulant profiter d'une réaction soudaine pour la prendre par surprise.

[dé]

Mais visiblement, malgré sa petite taille, elle était bien plus puissante que lui, et bien plus entraîner. L'adrénaline qui ne parvenait pas à remonter à cause du pic précédent encore proche, le mâle beige n'eut pas non plus l'énergie suffisante insuffler dans ses muscles pour changer la donne. Non, à la place la bleue ne fit que déplacer sa patte suffisamment pour faire monter une boule de douleur de sa blessure qui se propagea dans son corps, arrachant au solitaire un aboiement vif et bref de douleur.
Il relâcha tout, la pression de ses muscles, sa résistance, sa volonté, laissant sa tête retomber lourdement sur le sol. Plaquer ainsi sur le dos, il était totalement à la merci de la femelle, ou à celle de n'importe qui de ses copains. Sa blessure qui continuait à répandre son sang sur le sol refroidissait son corps, il se fatiguait. Et puis il y eu le contrecoup de ce qu'il venait de faire, d'accomplir. Il ne savait pas ce qu'il allait faire ensuite, ce qu'il voulait faire. Il s'était vengé et maintenant ? Maintenant il avait la totalité de cette meute contre lui et s'il parvenait par un miracle improbable à s'échapper, ils l'auraient recherché de toute manière. Alors soit, il avait fait régner sa justice personnel, alors s'ils voulaient faire régner la leur... Il ne savait pas où était sa sœur, n'avait pas vu depuis un moment celui qu'il pensait être potentiellement son père, il n'avait pas la certitude que sa mère vive encore, pas d'amis, pas d'attache, il avait juste eux cette vengeance qui l'accompagnait depuis toujours. Ses yeux bleus cherchèrent ceux de la louves mais il remarqua que les siens non, ils ne cherchaient rien. Etait-elle malvoyante ? Il eut un rire intérieur contre lui même, un monde où les faibles mouraient hein ? Il avait tout fait pour ne pas être de ceux là mais il était bien parti pour.

« J'me rends. »