Last Sunset - Sly

Pourquoi, Brienna ?
Pourquoi avoir décidé de me laisser seul ?
Pourquoi m'avoir abandonné ?

Chaque jour était une nouvelle épreuve, il n'avait aucun intérêt à rester. Il était seul, si seul, il en venait à se réveiller au milieu de la nuit, espérant apercevoir la fine silhouette de sa défunte compagne.

Pourquoi me faire ça ?

Il en était venu à ne plus se nourrir, la viande n'avait plus aucun goût et son estomac ne témoignait d'aucune envie de se remplir. Maigre, décharné ... voilà ce qu'était devenu Astaroth. Les yeux creusés, la tête basse comme trop lourde pour lui, voici l'image que l'on avait de l'ancien alpha. Une image négative, une image que personne n'aurait voulu voir. Le mâle était si faible qu'il lui arrivait de trébucher lors de ses rares déplacements.
Se laissait-il mourir ?
Oui.

Pourtant, en cette matinée, il repensa à ses enfants. A Abbygail, la solitaire qui s'en sortait relativement bien dans sa nouvelle vie, et Lymphalème qui était bien vu par son Alpha. Tout allait bien pour eux, tout allait bien ...
Mais quelque chose sembla l'obliger à aller leur rendre une petite visite. Il ne pouvait pas faire comme Brienna, et partir sans prévenir. Il leur devait bien ça.


Le pas lourd, il était sorti de la tanière juste avant l'aube. Il était seul, personne ne le verrait partir. Astaroth s'approcha des restes de proie qui traînaient sur le sol, et malgré la poussière et la terre sur les morceaux, il mordit dedans, déchira avec difficultés la viande et se retint de la recracher lorsque celle-ci fut avalée. Il devait tenir pour le voyage, il devait se nourrir même si la nourriture était sans goût, même si son corps la refusait.
Il ne pouvait pas dire non.
Et ce fut après cet ultime repas qu'il s'en alla, et il savait qu'il n'allait jamais revenir. Un dernier regard comme pour dire au-revoir et il disparut dans les ombres.


Il fallut deux jours à l'anthracite pour se rendre aux falaises. La faiblesse du loup était détectable, mais pourtant il ne s'était pas arrêté, sauf une fois pendant trois heures afin de se reposer. Était-ce suffisant ? Bien sûr que non, mais il voulait se débarrasser au plus vite de cette tâche.
Un ultime au-revoir.
Traverser les montagnes lui aurait sans doute coûté la vie dans son état, ce qui expliquait pourquoi un tel détour.


Du haut des falaises, la vue était magnifique. Le soleil allait bientôt se coucher, laissant un magnifique jeu de couleurs sur les vagues. Il s'arrêta afin de contempler cette splendide vue, manquant plusieurs fois de tomber à cause du vent. La chute lui aurait valu une mort sur le coup, c'était si tentant ...
Comme hypnotisé, le mâle s'approcha du bord à pas lents, et se pencha afin de mieux voir le pied des falaises. S'il tombait maintenant, cela allait être vu comme un accident, n'est-ce pas ... ? Lymphalème et Abbygail ne lui en voudraient pas ...
Une bourrasque emporta son écharpe.
Ses yeux se posèrent sur celle-ci, emportée au loin par le vent, sans la moindre pensée en tête.
Le mâle baissa ensuite les yeux, observant sa bague ornée d'un crâne à l'intérieur duquel se trouvait le glowstick donné par Ao. La Dragonne allait-elle prendre cela pour de la faiblesse ?
D'après lui, s'échapper vers un autre monde était une preuve de courage, et il s'était toujours défini comme étant un lâche car, malgré ses envies, jamais il n'avait été capable de passer à l'acte. Certains voyaient cela comme de la faiblesse, car il fallait être lâche pour ne pas être capable d'affronter ses problèmes.
Qui avait raison ?
Brienna avait donné un sens à sa vie, mais elle n'était plus là désormais.
Plus rien ne le retenait.

Lymphalème, je dois te dire quelque chose ...

Non.

J'ai fait mon choix, Lymphalème ... je vais rejoindre ta mère.

Non.

C'est la dernière fois que nous nous voyons et ...

Non.

Comment lui dire ? Comment lui annoncer qu'il avait déjà pris sa décision ?

« Lymphalème ... je- »

Astaroth fut interrompu par des bruits de pas. Qui était là ? Lymphalème ? Il se tourna dans la direction du bruit, une expression neutre sur le visage.
Il ne savait même plus sourire.
Malheureusement pour lui, ce n'était pas son fils qui était là. C'était un autre Etelkru.

Peut-être l'avait-il déjà vu, cet Etelkru, peut-être pas. Il ne le savait même pas. De toute façon, son interlocuteur n'avait aucune importance, tout comme n'importe quel autre canidé. Celui-là n'était pas Lymphalème.
Il voulait dire au-revoir à son fils, et on lui ordonnait de partir.
Qu'aurait fait l'ancien Astaroth ? Il se serait excusé, aurait expliqué sa situation calmement, en essayant de faire comprendre ses intentions. Sauf que cet individu était mort, enterré même.
Tout ce que l'anthracite voyait, c'était qu'on l'empêchait de voir son fils. On lui faisait barrage, et il n'allait pas pouvoir accomplir son devoir. Sans chercher à comprendre, il montra les crocs. Pourquoi perdre bêtement son temps avec un individu pareil ? Voir Lymphalème, Abbygail, et mourir, tel était son plan. Et il fallait que ce ... ce mâle s'interpose. Et pour en rajouter une couche, il fit danser des flammes sur son pelage.

« Tu n'es PAS Lymphalème ... »

Lymphalème, Lymphalème ... il n'avait que ce nom à la gueule à l'instant présent.
Avait-il une chance face au loup robuste qu'était son adversaire ? Certainement pas. Mais il ne pouvait pas faire demi-tour, et il n'avait aucune raison de parler de choses privées avec lui.

La mort ne l'effrayait plus. Et un individu ne craignant rien devient sans doute l'ennemi le plus redoutable.
Personne ne s'interposait entre lui et sa famille.

Le vide derrière lui, il savait qu'une chute était possible de différentes manières, pourtant, cela ne le dérangeait pas. Il planta son regard doré dans celui de l'adversaire, les sourcils froncés, les crocs dévoilés.
Astaroth était déjà mort au fond. Ce que l'on voyait là n'était qu'un corps, qu'un cadavre ambulant.

L'anthracite se jeta férocement sur l'Etelkru, cherchant la jugulaire avec ses crocs.
Préserver des vies ? En retirer le rendait indifférent à présent.
Ses crocs s'enfoncèrent dans son cou, mais la peau du mâle était épaisse, et lui manquait de force. Il avait beau refermer plusieurs fois ses mâchoires, il ne parvenait pas à transpercer la peau.
Riposte ou faiblesse, il ne savait pas trop, il lâcha le loup et tomba au sol, le souffle court.
Astaroth chercha à se redresser péniblement, ses cheveux sales et emmêlés traînant sur le sol.
Il n'en était qu'à sa première attaque, et pourtant, il tremblait, non pas par peur, mais parce que son corps peinait à le soutenir.


- P'pa ! Il est chiant Lymphaaa, il veut jamais faire ce que je dis ! Pourtant c'est moi la plus intelligente de nous deux !
- Et qu'est-ce qui te fait dire ça ma chérie ?
- Lui il sert à rien, il parle pas et il me regarde bêtement ! Hein Lympha c'est vrai que t'es bête !
- Mais je-
- Tu vois, il dit rien ! Autant qu'il m'obéisse alors !

Le temps passait si vite, ils n'étaient plus des louveteaux à présent, pourtant il continuait de les voir ainsi.
Ses enfants, ses bébés, ses amours.

Fatigué, las de vivre, faible.
Il n'avait même pas bronché lorsque, surpris par son attaque, son adversaire avait utilisé son pouvoir. Il n'avait pas senti les flammes lui ronger le museau, un simple fourmillement, rien de plus.
Comment en était-il arrivé là ?

Alors qu'il voulu se redresser, il senti les crocs de l'Etelkru se planter dans sa nuque.
C'était donc la fin ...
Son adversaire devait être surpris par le poids plume de l'anthracite, mais pourtant, cela ne le freina pas. Le voilà qu'il secoue Astaroth comme une vulgaire poupée de chiffon.

Astaroth paniqua un instant, des larmes au coin des yeux. Il se sentait détaché de son corps, son cœur battant à toute allure.
Je t'aime Abby, je t'aime Lympha !
Je vous aime tous les deux, je suis vraiment désolé ...

La gorge nouée, aucun son ne sortit de sa gueule. Pourtant, il aurait eu envie d'hurler, d'hurler ces pensées qui lui pesaient sur le coeur. Il les aimait, et il n'avait pas pu dire au-revoir.


- Toi aussi un jour tu rejoindras le ciel p'pa ?
- Oui, comme toi un jour. Nous deviendrons tous des étoiles. Et tant que tu penseras à moi, je continuerai de briller fort dans le ciel Abby
- Si je meurs, j'en serai une aussi ?
- Oui, et de là-haut tu pourras veiller sur ceux que tu aimes


Veiller sur ceux que tu aimes ...
Pourrais-je vous protéger de là-haut ?

Quand il revint à lui, il réalisa que le noir envahissait sa vision.
Brienna, c'est toi ... ?
Tu es venu me chercher ... ?

Astaroth sentait encore l'odeur de celui qui fut son adversaire. L'avait-il réellement été finalement ? Ou lui avait-il permis de s'échapper ?

« ... merci ... »

Un simple souffle pourtant audible pour l'Etelkru.
On venait de le sortir de son calvaire.
Il était libre.

Brienna était là, elle l'attendait.

Adieu, mes bébés ...

Mouvement et bruit.
Dans les renforts de la pierre, Anette dressa la tête, le cliquetis des griffes et la lueur orange d'un glowstick ayant attiré son attention comme escompté par le loup arrivant. Le regard de suie s'ancra sur l'Épée. La respiration encore irrégulière, chaos dans leur calme habituel ; quelques dernières traces survivantes, écarlates, sur son museau ; un regard habité par le regret. Une seule conclusion : tout n'allait pas bien.

L'Alpha se redressa immédiatement, les mots de son inquiétude pendus à ses lèvres. Là où ils restèrent, finalement. Sly expliqua ; narra qu'une patrouille avait dérapé. Loin du sillage habituel, le destin avait emporté la mission de protection sur une triste fin. Funeste dénouement pour l'intrus. Anette baissa les oreilles, une expression désolée et alertée se peignant sur ses traits. Il fallait traiter cela le plus vite possible, en partir pour soulager le regret qui alourdissait la carrure du loup de sa meute, pour aussi pour ne pas éveiller la colère de tous : la meute s'était accordée sur le fait de ne tuer personne, pas même les Wanteds.

Elle s'approcha de Sly, et hocha la tête vers lui, la compassion et l'alerte ne cédant pas leur place, mais plutôt rejointes par la détermination.

"Tout va bien aller. Mène-moi au lieu, et nous déciderons de la suite."

Un regard et elle sut.
Tout serait bien plus compliqué qu'escompté.

Un frisson invisible lécha depuis le creux de sa tête, jusqu'à la naissance de ses épaules. Raidie pour n'en montrer signe, la trace qu'il laissa la brûla presque de son froid. Anette redressa la tête, jaugeant celui qu'elle savait être Astaroth ; le père de Lymphalem leur. Pepper lui en avait parlé, et l'Alpha se devait d'être au courant de qui étaient les Alphas -anciens ou non, même si cela elle ne le savait encore- des autres meutes. L'inspiration prise, elle posa son regard d'obsidienne sur Sly. Elle ne voulait augmenter son mal-être, mais elle ne pourrait le laisser dans l'ignorance.

"Je comprends. Il s'agit d'Astaroth, un membre important des Lazulis." annonça t-elle, avec tout le tact dont elle pouvait faire preuve. Le débit de parole lent, posé. "Nous devront sans doutes en répondre, mais nous allons trouver quoi faire."

Elle repassa vers la dépouille du loup sombre, au poil calciné.
Solennellement, elle s'approcha et hissa celui qui n'était plus, sur son dos. Une fois bien en place, elle observa Sly.

"Va chercher Pepper nôtre, raconte-lui. Elle t'écoutera, n'aie crainte. Transmet-lui que nous nous retrouveront toi compris, au cimetière, avec mon père." déclara t-elle.

Elle hocha la tête, et se mit en route, le plus vite possible.
Que personne ne sache, ou voit, pour le moment, ce qui s'était passé.