Au-delà — Nugget

C’était effrayant.

De se retrouver responsable d’une petite boule de poils. Leikn ne pouvait qu’admirer sa mère qui en avait eu cinq… Peut-être plus depuis ? Mais Loki n’était-elle pas une déesse après tout ? Sa lignée était bien différente des loups de ce monde. Loki. Ymir. Ces noms provoquèrent une certaine migraine chez la louve qui laissa échapper un léger gémissement. Ces rêves devenaient de plus en plus cauchemars, cauchemars représentatifs d’une certaine réalité. De lointains souvenirs remontaient à l’esprit de la louve ces derniers temps, en particulier son dernier sort. Celui qui avait tout changé. Serrant les crocs, Leikn passa une patte sur son front, la lumière orangé qui l’avait entouré lors de l’exécution de son sort l’envahissait à chaque fois qu’elle fermait les yeux. La panique se saisissait de son être à chaque instant, lui tordant l’estomac. La Licorne se revoyait tendre sa main vers la silhouette de sa mère qui se tenait dans l’embrasure de la porte. La panique sur ses traits. La déception qui s’était emparée de cet être venu d’une autre terre en découvrant que même sur Punk Wolf, rien n’avait changé. Le regret d’avoir abandonné les siens..

Soupirant afin de reprendre ses esprits, la louve ouvrit doucement les paupières, pour les poser sur la silhouette mauve et blanche de cet être encore si petit, si fragile. Probablement mort si personne ne l’avait recueilli. Tout comme l’avait fait cette solitaire en me recueillant… Qu’est-elle devenue ? Sait-elle que je suis toujours en vie ?  Leikn n’avait pas protesté lorsque Teddy avait ramené la petite dans leur tanière, après tout, n’avait-il pas la manie de recueillir les louveteaux de tout le monde ? Puis bon, si cela lui faisait plaisir, la Licorne n’avait rien contre.

Toutefois, son inexpérience avec les enfants de ce monde rendait la Lazulis quelque peu mal à l’aise. Les sourcils légèrement froncés, elle s’installa à une distance raisonnable de l’enfant, évitant tout contact avec la petite. Après tout, si Teddy avait su la convaincre que le toucher lui n’était pas dangereux, rien n’était moins sûr pour les autres, encore moins pour un être aussi fragile. Penchant doucement sa tête sur le côté, Leikn tentait de comprendre les activités de cette petite créature à l’esprit tellement différent.

« — Que fais-tu ? »

Enfant si innocente.

Comprenait-elle le monde qui l’entourait ? Les actions qu’elle effectuait ? Les paroles qui lui étaient dites ? La Lazulis ne pouvait s’empêché de s’interroger, sur son monde d’origine les enfants n’étaient en rien semblable à ceux de ce monde. Le contact physique tira brutalement l’ancienne solitaire de ses pensées qui sursauté. Surtout, pas de mouvement brusque. Leikn ne pouvait que regarder horrifiée les pattes de la petite sur une des sienne. Tentant d’être le plus calme possible, l’ancienne solitaire éloigna sa patte en lâchant un léger soupir de soulagement. Comment à vouloir à l’enfant ? Elle qui n’aspirait qu’à amour et tendresse alors que la Licorne craignait le contact d’autrui ? Seul Teddy avait su traverser la barrière, Nugget devrait attendre à son tour.

« — Et si je te racontais une histoire, hein ? »

Les histoires, tout le monde aimait ça non ? Allongeant son corps sur le sol froid, la Licorne réfléchit à une histoire susceptible de plaire à l’enfant. Pourtant, alors que le peuple de Leikn avait des histoires bien plus joyeuses, le choix de la louve se porta sur le commencement même du chaos, car après tout, tout cela lui revenait en mémoire ces derniers temps. Cela soulagerait peut-être son subconscient.

« — Loin de ce monde, existait un monde peuplé par deux espèces, ceux appelés démons, créatures difformes aux pulsions violentes qui ne semaient que la destruction autour d’eux, et le peuple des Licornes, des êtres pacifistes, au sang purifié de toute violence. »

L’enfant ne comprendrait probablement pas toute l’histoire, mais qu’importe. Ces souvenirs venus d’une autre vie hantaient de plus en plus Leikn qui les yeux dans le vague cherchait bien ses mots, cherchant à alléger la vérité en omettant des détails bien plus violents. Les démons avaient engendré tant de mal, mais avant eux, ils y avait les hommes, avant les monstres il y avait la civilisation, avant le chaos, il y avait la paix.

« — Mais au commencement, les démons n’avaient absolument rien à voir avec les monstres d’aujourd’hui. Tout débuta avec Menviel, un homme ingénieux promit à un grand destin. Les siens chantaient ses louanges, remerciant les dieux de leur avoir accordé un esprit aussi créatif. Oui, le destin de Menviel s’annonçait grand, sans aucune embûches si il avait suivit le chemin tout tracé par son peuple… mais l’homme n’en fit rien. Cherchant toujours plus loin, ne cessant jamais de voir au-delà. Ce fut lors d’une de ses recherches, qui le mena au loin dans des forêts éloignées, qu’il rencontra pour la première fois une Licorne. Ces êtres de légendes dont personne jusque-là n’avait voulu y croire. Ainsi, Menviel rencontra Argony, fille du dieu Lecter. » La louve marqua une courte pause, perdue dans ses pensées. « Vois-tu, les Licornes étaient des êtres divins, que Lecter chérissaient plus que tout car elles étaient ses enfants. »

Lecter les chérissait tant, lui qui avait uniquement capable de mettre au monde des Licornes alors que sa compagne de coeur et d’âme modela les hommes. Peut-être que si les hommes avaient été tout autre, tout ceci n’aurait pas eu lieu d’être ? Peut-être, que la guerre n’aurait été que plaisanterie et que les Licornes auraient été bien plus nombreuses. C’était un monde de possibilité et de doutes, de suppositions et d’interrogations, mais en attendant, il n’existait qu’une seule réalité, celle que Leikn racontait.

« — Fasciné par Argony, Menviel la charma pendant un long moment, espérant en apprendre toujours un peu plus sur les Licornes. Argony tomba sans mal sous son charme, cédant à ses avances, lui vouant tout son amour, mais refusa toujours de révéler à cet homme, où son peuple vivait. Menviel avait beau tenté de la suivre, de la convaincre du bien-fondé de ses idées, jamais elle ne céda, même lorsqu’elle mit au monde leur enfant. Pas entièrement Licorne, pas entièrement humaine. Appelée Clarke, l’enfant avait une manière de penser de son peuple entièrement différente, son innocence et sa naïveté ravit l’esprit de plus d’un. »

Clarke fut le premier être à partager le sang d’un humain et le sang d’une Licorne, probablement la seule à la connaissance générale. Dire qu’il s’agissait de la tante de Leikn, celle qui lui avait accordé tant de son temps à comprendre la tristesse de l’enfant aux cheveux roses. Serrant les crocs, la Lazulis choisit de poursuivre son récit, avant de laisser les souvenirs l’envahir, car après cela il serait trop tard et la fin se perdrait. Un sourire penaud aux babines, la louve posa son regard sur la petite Nugget. Cela l’intéressait-elle réellement ? Ces histoires venus d’un autre monde ?

« — Mais il y a toujours une ombre au tableau. Argony voulut montrer l’enfant à Menviel, lui montrait le fruit de leur amour, croyant éperdument que son aimé serait comblé de la nouvelle. Ce fut tout le contraire, Menviel fut horrifié en voyant sa fille, repoussant Argony, son intérêt à son égard n’étant que purement scientifique. Les Licornes n’aiment qu’une fois, aussi, cette nouvelle plongea la belle Argony dans un profond désespoir, tandis que tout son être semblait se briser. Ressentant son désarroi, les siens vinrent à elles, sous le regard médusé de l’homme à l’origine de tant de malheurs, lui qui avait tant espéré voir d’autres de ces créatures divines. Toutefois, bien que les Licornes n’étaient pas de nature agressive, le mal qu’il avait causé ne leur plaisait guère, ils ordonnèrent à Menviel de ne plus jamais revenir. » Leikn marqua une courte pause, son regard quelque peu chagriné. « Argony fut ramenée chez elle, les siens tentèrent de l’apaiser par la magie, mais rien n’y faisait, elle était brisée. Rapidement, la magie de la Licorne devint néfaste, alors qu’elle se détournait de sa fille pour tourner sa colère vers les hommes, dont celui qui l’avait à jamais blessé. Lecter en personne tenta de calmer sa fille, souhaitant éviter son malheur, mais peut-être aurait-il dû penser au malheur que les hommes connaîtraient. Utilisant sa vie comme réceptacle, Argony lança une terrible malédiction, si terrible qu’elle condamna un peuple entier à la destruction. Utilisant de noires paroles et toute sa colère qui ne lui était possible de libérer directement, Argony transforma les premiers hommes en créatures dirigées par leurs pulsions primitives qui les mèneraient à leur propre perte, pour protéger les siens, son corps devint le coeur même de cette grande montagne qui enveloppa tout le territoire des Licornes, le préservant par la magie afin que jamais plus, son peuple n’est à souffrir de l’égoïsmes des hommes. »

Cet acte. Probablement la plus grande honte des Licornes, elles qui n’étaient supposées qu’inspiré que la bonté et la pureté de l’âme, voilà que l’une d’elles avaient engendré le chaos et la destruction de leur monde. Certains anciens prétendent que Argony survécu au sort, que son âme résidait dans la montagne même veillant sur les siens, car d’après eux sa mort auraient engendré la destruction de leurs ressources et de la montagne toute entière. Argony n’avait toutefois plus jamais redonné signe de vie, aussi tout cela ne demeurait que mystère…

« — Profondément touché par la disparition de sa fille, Lecter ne donna plus aucun signe à ses enfants, qui durent se débrouiller dans ce nouveau monde régit par la terreur que l’une des leur avait engendré. Ce n’est pas la crainte qui obligea les Licornes à intervenir des années plus tard pour aider les hommes survivants, mais le regret de constater que l’une des leur avait pu engendré tant de malheurs, tant de chaos… »

Tant de morts… Habituellement cette histoire n’était pas racontée aux plus jeunes, mais Leikn n’avait jamais prétendu être un fille obéissante. Elle se souvint de la cachette que son ami d’enfance leur avait trouvé. Un léger sourire étira ses babines en repensant à Heeko, lui qui contrairement à elle avait toujours accepté sa nature de Licorne. Avait-il survécu à la colère des hommes ? Lâchant un léger soupir, l’herboriste porta son attention sur l’enfant bien présente à ses côtés.

« — Excuse-moi, ce n’est pas des histoires que l’on raconte habituellement aux enfants. »

Perdue dans ses pensées, Leikn réfléchissait à l’histoire d’Argony et Menviel. Lui qui ne l’utilisait qu’à ses fins, elle qui, l’aimait d’un amour sincère. Un amour qui l’avait détruit, sa colère la consumant, la poussant à maudire ainsi un peuple tout entier. L’on ne parlait de cette Licorne devenue ivre de colère que dans les moments les plus sombres, lorsque les adultes étaient sûrs que les oreilles innocentes n’apprennent jamais ce qu’avaient pu commettre leur ancêtre. La raison était simple, le doute. Ce doute de n’avoir plus rien de bon qui planerait au-dessus des plus jeunes, ce doute qui les pousserait à faire des choix qu’ils n’auraient fait en temps normal. Une hésitation néfaste pour leur peuple tout entier, puis, ce genre d’union n’aurait pu être tolérée sous le règne de Loki, elle qui haïssait les humains plus que tout, voir même au-delà des démons.

Le contact de Nugget fit sursauter l’ancienne solitaire plongée dans ses pensées. Une lueur étrange dans le regard, Leikn lui accorda un demi-sourire qui se voulait rassurant, tandis que sa conscience lui ordonnait de prendre des distances afin de ne pas être la cause du malheur de cette enfant. Toutefois, la sans-glowstick lutta contre ses pensées qui devenaient de plus en plus étouffantes ces derniers temps. La petite n’y était pour rien après tout.

« — Non trésor, maman est juste fatiguée… »

Fatiguée et particulièrement troublée. Reprends-toi Leikn, tu vas réellement finir par faire peur à l’enfant… Penchant légèrement la tête sur le côté, la louve observe Nugget, un air perplexe sur son visage. Que faisait-elle fond avec ses pattes ?

« — Qu’est-ce que tu… Oh. » La louve conserve le silence un instant avant de reprendre, le regard au loin. « Les cornes des Licornes commencent généralement à pousser quelques jours suivant la naissance. Ce n’est pas plus mal que tu n’en ai pas. »

Cela lui évitera bien des peines, être une Licorne cela n’avait rien d’amusant, encore moins lorsqu’on été complexée par cette nature secondaire. Une expression plus douce sur les traits, Leikn observa l’enfant aux couleurs pastels, ses grands rubans, ses teintes dorées. Les couleurs lui donnaient tout d’une vraie Licorne.

Leikn n’avait pu retenir un rire, chose qui arrivait si rarement. La petite savait posé les bonnes questions pour amuser. Teddy une Licorne ? Cela fit remonter des souvenirs à l’esprit de la louve, notamment de leur rencontre, alors qu’elle avait tant espéré en avoir une sous les yeux. Au final, le Lazulis de époque n’avait absolument rien à voir avec le peuple de la louve, si ce n’est la paire de cornes. Chose plutôt bénéfique au final. Conservant un sourire aux babines, la louve incline légèrement la tête sur le côté en observant l’enfant.

« — C’est ce que j’ai cru en le rencontrant la première fois, mais non. Disons, qu’il s’approche plus du Bélier que de la Licorne. »

Et maintenant du Faux pégase, parce que bon il ne fallait pas oublier que ses ailes lui conféraient une sorte de seconde nature. Teddy avait décidément plus d’une carte dans sa manche. Les questions de la loupiote sortirent l’ancienne solitaire de ses pensées. Aïe, la question tant redoutée par tout parent ayant adopté. Leikn hésita un instant à dire la vérité, pourquoi Nugget ne partageait pas le sang des licornes, mais elle choisit de garder cela pour elle, pour un temps. Attendant que la petite grandisse un peu, savoir comment Teddy voulait aborder ce sujet avec elle, sans faire le moins de mal possible. Soupirant, la Licorne plongea ses yeux émeraudes dans ceux rougeoyants de la petite. L’émeraude et le rubis.

« — Tu poses beaucoup de questions. »

Ce n’était pas plus mal au fond, la curiosité n’avait rien d’un vilain défaut. Un sourire amusé aux babines, Leikn lui avoue l’origine de son nom, au moins cela. Après tout, cela l’amuserait probablement de savoir que ce n’était aucun de ses deux parents qui avait choisi le nom de Nugget, mais bien Méluciole rentrée il y a peu de l’île des pirates.

« — C’est Méluciole qui a trouvé ton nom, va savoir ce qu’elle avait en tête à ce moment là. »

Probablement un p’tit creux, mais mieux valait garder cette remarque pour soi.

Leikn avait beau répondre aux questions, l’enfant trouvait toujours le moyen d’en poser d’autres. C’était sans fin. Pourtant, cela n’embêtait pas vraiment Licorne, cela lui permettait de penser à d’autres choses. En revanche, pas sûr que l’ancienne solitaire soit la plus compétente pour parler des dieux et des clans de Punk Wolf… Remuant doucement la bout de sa queue, la Lazulis demeura pensive un instant, cherchant des mots simples, faciles à comprendre.

« — Hum… Disons qu’un dieu est une sorte d’entité supérieur, qui nous permet d’acquérir un pouvoir en échange de notre fidélité. J’avoue ne pas être une experte sur les dieux de ce monde, il te faudrait demander à ton père. »

Teddy serait certainement plus en mesure de developper la question des dieux, lui qui était disciple de l’un d’eux. Au final, Leikn ne s’y connaissait pas plus en dieux, qu’en meute… Le peu qu’elle savait des autres ne renvoyait pas forcément une bonne image. Difficile de présenter un point de vue neutre à un enfant…

« — Plusieurs meutes vivent sur ce continent, les Etelkrus au nord-ouest, les Nakhus au centre et les Lazulis au sud. Ce sont des groupes de loups, triés selon leur appartenance à un dieu généralement, mais ce ne sont pas les seuls. Il y a aussi les Raeders et les solitaires. »

La Licorne marque une courte pause avant de reprendre, un sourire venant étirer ses babines.

« — Teddy et moi étions solitaires avant de devenir Lazulis. »

L’innocence des enfants, probablement le plus beau spectacle qu’il était donné aux parents de pouvoir observer.

N’osant briser les rêves de la petite, Leikn se contente d’un sourire doux, cherchant les mots juste pour expliquer que derrière chaque pouvoir se cache une part de douleur, du moins dans la grande majorité. Toutefois, laisser Nugget bercé dans cette innocence que les dieux n’offraient que des « dons » serait lui mentir et la Licorne ne voulait pas être ce genre de mère pour elle, qu’importe la peine que cela pourrait engendrer. Parce que le mensonge n’était que poison. Mieux valait demander pardon que permission.

« — Peut-être, princesse, mais les dieux n’offrent pas toujours des cadeaux à leurs disciples. Certains pouvoirs sont dangereux pour leurs porteurs, choisir un dieu ce n’est pas une décision à prendre à la légère. »

Sous la surprise de la Lazulis, la petite se mit à courir dans tous les sens, jappant d’une étrange manière jusqu’à ce que son ventre gargouille. Entendre l’enfant pleurer tétanisa Leikn qui sentit la peur monter en elle. Cela faisait bien longtemps que ce son n’avait été porté à ses oreilles, bien longtemps qu’elle avait oublié le désarroi et la peur qui l’accompagnait. Les cris de Nugget la ramenèrent à la réalité, l’éloignant d’anciens souvenirs. Sursautant, elle s’approcha de la petite.

« — Oh euh… Ne pleures pas, d’accord ? On va te trouver de quoi manger. »

La louve attrapa l’enfant, la serrant contre elle, étouffant la voix de la Licorne en elle qui la mettait en garde contre ce contact soudain. L’ancienne solitaire ne voulait plus l’entendre pleurer, elle ne pouvait pas, parce que cela lui rappelait toute cette peine qui régnait dans son monde, parce que cela lui rappelait ses propres pleurs. Fermant les paupières, l’herboriste fredonna doucement pour apaiser la petite.

« — Chut, ne pleures pas. »