Le chant du cygne [Libre]

Dans la peur du beau temps

★ Yersine
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Le soleil ployait sous le poids du ciel, s’abreuvant de son sang lumière. La teinte ocre coula le long des nuages, les dorant sous les brûlures lancinantes des dernières complaintes de l’astre. Le monde lui-même semblait acclamer cette torpeur, se baignant dans ce parme, scintillant son eau et ses feuilles des derniers éclats solaires. Tout en ces lieux, semblait boire ces instants fatidiques. Le bois luisait d’agonie, les oiseaux chantaient leur dernier requiem avant de s’envoler au loin, dans ce que l’ombre n’avait pas encore dévoré. Même le grand et filiforme loup se tenait là, appréciant la vague de chaleur qu’apportait cette mise à mort. Comme s’il s’agissait de ces derniers instants. De son dernier plaisir.

Il ferma son regard sur cette lente agonie rougeoyante. Deux ans. Voilà deux ans que son regard monocorde ne se posait plus qu’à demi-teinte sur ces terres. Deux ans qu’il s’était vu son innocence et son enfance arrachées par des crocs acerbes. Deux ans qu’il revenait en ces lieux, comme pour se remémorer. Pour l’attendre.

Le si joli temps.

Car il le savait. Il le sentait, au fond de ses entrailles, le long de son échine. Elle était toujours là, quelque part, à dévorer le Monde comme le vers qu’elle était. Elle le traquait dans ses rêves devenus cauchemars, elle l’espionnait dans ses gestes, dans sa nourriture, grouillant dans les mouches et le sang qui bouillonnait. Et elle était là, face à lui, quand il se contemplait dans l’eau. Caché dans ce trou béant et scarifié qu’était désormais son œil. Elle était là. Quelque part. Et chaque année, il revenait. Pour cesser ce petit jeu macabre. Cette traque infernale. Pour en finir. Enfin. De cette vie. De cette survie.

Chante petit. Chante.

Un frémissement le prit aux épaules, remontant dans sa nuque. Sa voix, pourtant éteinte, résonnait encore dans le vent et le tumulte de l’eau. Comme un souvenir qui le poursuivait, sans cesse. Il en venait même à se retourner, parfois, pour être sûr que ce rire si lointain n’était que l’écho de son imagination.

Lui, devenu grand. Devenu agile. Tel un serpent fou et fugace, se faufilant sur les terres interdites, y échappant d’une pirouette. Lui, l’enfant devenu bouffon. Tremblant chaque soir, chaque nuit, comme un nouveau-né. Gémissant dans sa solitude sur les chemins trop visibles à son gout. S’alarmant du moindre bruit. Et il s’endormait, le soir, blottit contre lui-même, luttant bien plus contre la peur que le froid et la faim. Comme un étau sur sa poitrine, sur son esprit.

Il voulait en finir.

Il ouvrit le regard sur le monde qui se dépeignait de gris et d’étoiles désormais. Un fin firmament rosé indiquait les derniers instants du jour, tandis que se levait, déjà haute, la renaissance lunaire. Pas un bruit. Pas un mouvement. Le monde semblait paralysé, tétanisé par sa présence. Comme une ombre rodant, un monstre glapissant. Quelque chose qui semblait prêt à bondir. A déchirer. Le temps et l’espace s’étaient scindés, comme les éclats d’un miroir brisé, l’enfermant alors dans ce bois, dans ce piège qu’il s’était lui-même construit. Comme un papillon attiré par sa propre mort.

Il se retourna alors, lui faisant face.
Elle, le si joli temps.

Et son courage se déroba sous la terreur.

Premiers sangs

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« Tu ne m'as pas oublié, petit malheureux maintenant devenu grand. Reprenons notre danse. »

Son courage se déroba. Il sentit la colère s'évader, la peur le troubler. Lentement, ses pattes tremblèrent, et il recula d'un pas lorsqu'il fit son premier, la gueule béante, luisante de crocs, de bave et de carnage. Il la revoyait, si haute, si grade, si puissante, s'asseyant sur son petit corps fragile, l'étouffant, le narguant. Elle avait voulut le voir chanter. Le voir danser. Et il était là, face à elle, désormais si petite. C'était amusant, comme les choses peuvent changer. Comme le temps passant, la perspective du monde se déforme, se voile, pour mieux rebondir. Les tailles s'étaient inversées. Le rapport de force, pourtant, semblait encore du côté de la démone.
Alors il prit une grande inspiration, comme pour noyer la terreur de son corps dans une bouffée d'air pur. Il avait déjà gagné une bataille, aussi courte soit elle, contre un loup bien plus puissant. Il l'avait éjecté d'un coup dans les eaux troubles. Et il avait réussi à fuir, au large, emportant avec lui un précieux butin. Oui. Il avait déjà réussi cet exploit. Il pouvait recommencer.
Il n'était plus cet enfant seul.
Il était adulte. Il était chasseur. Voleur. Fuyard.
Il avait des amis.

Il savait où était son chemin.
Et il était dans ces yeux carnassiers.

Alors, tandis qu'elle bondissait sur lui tel un monstre avide de son âme, il leva la patte. Et l'abattit sur son crâne, stoppant net l'élan de la femelle. Surprise. Contentement. Confusion. Peur ? Peut être oui. Il venait de couper cette ambiance si horrifique qui était propre à la femelle aux roses. Il venait de casser son entrée dramatique. D'un coup de patte. Une simple baffe sur le front, pour tasser sa chevelure de blé et ses fleurs aux épines. Lui. Le gringalet. La proie qui se rebellait.
Mais il ne laissa qu'une rare seconde s'écouler entre cette contre-attaque surprise et la suite. Il n'était pas face ç un lièvre ou une biche qui allait fuir. Elle allait attaquer. Elle allait le terrasser s'il ne réagissait pas rapidement.

Alors, d'un coup, d'un seul, il chercha à la mordre là où elle était le plus sensible.
Les cheveux. S'il parvenait à lui attraper, peut être aurait il une idée, une chance de mettre à exécution son plan. Si l'on pouvait nommer ça un plan.

Je ne suis plus un enfant

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Ses dents claquèrent dans le vent. Elle venait d'esquiver, la belle et gracieuse louve. D'un pas chassé de chat, elle s'était décalé sur sa droite pour mieux se tasser. Un sourire béant était sur sa gueule, ravie qu'elle était de voir un peu de défi dans cette traque. Cela devait lui changer, oui. Elle qui attaquait les faibles et les enfants. Elle qui, sournoisement, l'avait enveloppé de son ombre.

« Oh. Il a apprit à être méchant, le petit malheureux. Crois-tu pouvoir m'avoir ? Tu vas le perdre. »

Méchant. Non. Probablement pas. Yersine était ce qu'il était. Un abruti qui pensait au pouvoir de l'amitié et de la justice. Qui pensait que ce monde, un jour, sous le nom de karma, viendrait l'aider dans sa quête pour stopper son assassin d'innocence. Un jeune loubard, des idées noires et des rêves de grandeurs plein la tête, contemplant la déchéance de ce monde avec l'espoir qu'il pourrait le changer. Lui. Seul. De sa conviction et de son empathie.
Mais il avait peur. Si peu de ce monde gigantesque et violent. Oui, il était peureux. Craintif. Atypique des traumatismes de l'enfance. Yersine était tout ça à la fois, et bien plus encore. Mais il n'était pas un méchant. Il n'était pas un petit malheureux.

Elle fit frémir ses muscles, et d'un bond, tel un tigre sur l'antilope, elle chercha à le saisir au visage. Encore une fois. Les crocs flamboyants venaient à lui, si proches, qu'il lui semblait que le temps s'était arrêté. Comme pour lui laisser une seconde chance. Comme si, quelque part, quelqu'un, quelque chose, avait entendu ses prières et les avaient ramenées à terre.
Ou n'était-ce que l'illusion pour mieux contempler sa propre mort ?

Non.
Yersine ne voulait l'entendre de cette oreille. Stupide oui. Couard oui. Faible, oui. Tant de choses qui le mettaient à mal dans ce combat qu'il sentait perdu d'avance. Mais il était certains d'une chose. Il ne se laisserai pas avoir de la sorte. Alors, il se jeta en arrière, la laissant passer au-dessus de lui, sans mal, tandis qu'il se relevait.

- Je ne suis plus un enfant ! Tu n'auras pas cette même facilité ! rugit-il

Il était grand. Bien plus grand qu'elle. Il était agile. Il avait survécu trois ans dans la solitude et la peur. La vie elle-même s'était teintée des couleurs de la folie, attendant patiemment que l'araignée tisse sa toile sur lui pour le plonger dans les ténèbres et dans l'oubli. Il avait peur oui. Mais il avait des amis. Il avait des gens sur qui compter. Et qui compter sur lui. Pour lui. Alors, il se redressa, bombant son maigre torse, comme le fier loup qu'il était devenu, ou plutôt, qu'il aurait souhaité être. A son tour, il montra ses crocs dans un grondement menaçant.
Oui. Yersine avait grandit. Et il était temps que la femelle le voit comme il était réellement.

Je ne suis plus un enfant

★ Yersine
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Un rire. Léger. Fin. Comme celui d'un enfant courant le bois et dont le vent porte la voix. Il l'avait déjà entendu. Loin, très loin dans ses rêves. Comme une silhouette battant, la contemplant, un sourire aux lèvres. Et ce rire. Ce rire qui s'élevait, l'entourant, l'enlaçant jusqu'à son réveil.

« Tu es grand, mais toujours aussi sot. Sais-tu encore chanter, mon enfant ? »

Il gronda. Voila quel était son chant. Voila quel serait les paroles qu'elle entendrait jusqu'à ce que la mort ne la rattrape. Des râles de colère. De haine. Du rire aux rugissements, ce n'était qu'une mascarade de noir et de vert, de blond et d'étoiles. Et pourtant, il se souvenait. Les paroles qu'il avait longuement chanté sous ses pattes. Qu'il avait inventé dans la peur.
Celles d'une mère pleurant son enfant noyé.

Sa conviction flancha aux souvenirs de ce soir d'automne. Lui qui ramassait des feuilles pour son abri de fortune au creux d'un arbre. Elle. Si grande. Si belle. Qui avait attiré l'enfant pour mieux le dévorer, l'utilisant comme coussin, comme jouet. Comme met.
Il passa une patte sur son orbite vide de douleur et pourtant emplit de souvenirs. Sa peau craquelée, dénudée de poil n'était que le firmament de ses griffes et crocs, traces, reliquats d'une attaque bien mal menée. Oui. Elle lui avait prit son œil, et pourtant, ce n'était que le dernier soucis. Elle lui avait avant tout volé son innocence. Sa candeur. Son bonheur. Elle avait fait de lui ce qu'il était désormais. Un trouillard. Un fuyard. Un agneau blessé au sein des loups. Et il avait dû se faire violence pour n'être que cette triste mimique, cette poupée de soie à l'effigie du canidé qu'il prétendait être.

Elle était là pour lui prendre son œil. Son orgueil. Son espoir.
Lui était là pour lui prendre la vie.

Elle l'attaqua. De face, comme si elle n'avait que faire de ses esquives. Peut être voulait elle aussi le faire danser. Un chorégraphie sans logiques ni sens. Macabre. Tordue. A son effigie. Le chant de l'enfant et la danse du mature animal. S'il n'avait pas été sa cible, probablement aurait il applaudit cette ironie.
Mais pour l'heure, il se devait de trouver un moyen de mettre un terme à sa lumière.

Il s'élança vers la droite, décrivant une parfaite parabole de son visage fixant le monstre. Oui. Elle l'avait encore raté. Peut être l'aurait il à l'usure. Peut être réussirait t-il à l'amener dans un piège. Si sûr de lui, si anxieux de sa vengeance, il n'avait pas réfléchit à comment l'abattre. Pour lui, cela n'aurait été que de crocs et de griffes. Corps contre corps, dans l'entre choc des cœurs et des âmes. Mais il ne faisait pas le poids. Il ne s'était jamais réellement battu.

La vengeance n'est rien de plus qu'un autre mot pour meurtre.
Et il n'avait jamais tué, ni même blessé de son propre chef quelqu'un de son espèce.

Alors comment avait-il pu croire, ne serait-ce qu'un instant, qu'il allait tenir tête à un tel colosse de sadisme ? Il ne pouvait que temporiser. Attendre. Se jouer d'elle jusqu'à ce qu'elle échoue.
Mais lui aussi pouvait échouer.
Lui aussi pouvait tomber.

Il n'y aurait alors que les abîmes pour le rattraper.

Je ne suis plus un enfant

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Le silence vint, pesant, violent, sur les deux loups. Enfin venait elle qu'il ne chanterait plus pour elle. Hurler sa colère, ou sa douleur aurait été même trop beau pour ce monstre d'ombre et de fleurs. Non. Il garderait ses mots pour la toute fin. Pour le chant du cygne. Son chant. Car lui, Rossignol, ne faisait que danser de ses attaques. Encore une, qu'il n'eut peine d'esquiver. Dans sa haine, dans son hystérie aveugle de carnage, elle le rata. Il la vit chanceler, boiter, pour mieux tomber. Et c'était ainsi qu'il la voyait désormais. Elle. La triste femelle. Vieille et fragile. Qui se faisait de ses crocs des armes et qui, pourtant, semblait pouvoir les perdre de son âge. Elle qui se pâmait dans son appétence carnassière, incapable de l'attraper, de le gouter comme elle l'avait fait il y a si longtemps.

L'âge avait joué en sa défaveur la première fois. Si fragile, si petit.
C'était désormais à lui, de se jouer d'elle. Si fragile. Si petite.

Mais y avait il honneur à ainsi attaquer plus faible que soit, plus vieux, plus malade ? Ces gestes, elle, n'était que guidés par l'hérésie mortelle de son âme brisée. Mais lui. Lui n'était pas encore ainsi. Lui n'avait fait qu'effleurer la surface de la mort. Et si les mains outrancières l'avaient saisies pour le faire plonger dans la démence meurtrière, il n'avait pas encore touché le fond. Il ne le désirait pas.
C'était comme se battre intérieurement.

La tuer avait été sa conviction.
Mais désormais, si triste, si seule, si agonisante, il lui semblait être un piètre choix. Alors quoi. Devait il tourner le dos a trois ans de peur, de colère envers lui même ? Devait-il renoncer à son espoir et la pardonner pour qu'elle puisse partir dans son grand âge sans jamais revenir pour lui ? Pouvait-elle, ne serait-ce qu'un instant, avoir l'idée saugrenue qu'elle n'était plus rien face à lui ?

Ou devait il faire ce qu'il avait cru juste toute sa vie ? Ce qui l'avait poussé à changer, à devenir ce Mange-Lumière que son enfance avait désiré héro et sauveur de son innocence perdue ? Devait il obéir à ses pulsions, à cette vulgarisation de la violence et du meurtre sous le prétexte de la sauvage vengeance, de la justice ? Etait-il ainsi ? Comme elle. Comme tous les autres loups ? Un assassin. Un soldat ?

Il recula d'un pas.
Il n'y avait qu'une façon de le savoir. D'en être certain. Quelque chose que jamais encore il n'avait fait.

Le cœur battant, il s'élança sur la femelle, cherchant à mordre ce dos, cette moelle, pour l'empêcher à jamais de nuire. La tuer aurait été une trop douce façon de la remercier de cet Eveil précoce à la vie sauvage. Non. Il voulait que, comme lui, elle soit blessée. Meurtrie dans son corps et dans son esprit. Que chaque jour elle contemple ses lacunes soudaines des souvenirs gravés dans sa chair. Qu'elle en pâtisse. Qu'elle en change. Qu'elle craigne que son handicap ne soit sa fatalité.

Il voulait qu'elle soit comme lui.
Comme elle l'avait fait devenir comme elle.

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L'avantage était palpable. Il était encore fringuant, le souffle lent, les pattes rapides. Son pelage immaculé de la moindre tâche de sang. Et elle. Elle. Pathétique loque vieillissante qu'elle était, venait de cracher sa démence rougeoyante à ses pattes. Les gouttelettes s'éclatèrent sur ses doigts, le laissant indiffèrent. Voila donc tout ce dont elle était capable désormais ? lui qui l'avait craint. Lui qui l'avait vu comme un monstre aux dents tranchantes. Désormais, il n'y avait plus l'illusion infantile. Plus que la triste vérité. Cette carcasse. Faible. Fragile.
Il écrasa le glaire d'un violent coup de patte, sans décrocher son unique œil de la femelle. Un signe, une victoire, à peine étanchée par sa soif de sang. Car la blessure qu'il avait infligé n'était rien. Une égratignure. Une touffe de poil, tout juste bonne à s'infecter. Et lentement, la pulsation de ce gout âpre, métallique, interdit montait en lui.
Elle l'avait contaminé de sa folie carnassière. Il voulait la gouter comme elle l'avait gouté. Il voulait faire de sa chair sienne, comme elle avait fait de son œil sien. Reprendre son dû. Sentir ce que cela fait d’ôter un membre à un autre. Le plaisir que l'on prend à la souffrance. A la lente agonie des siens. Le regarder mourir sous ses yeux. Le dernier souffle, sacré, montant vers les abysses.

Il ferma les yeux un bref instant pour calmer ses pattes tremblantes d'excitation.
Non. Il n'était pas comme ça. Il n'était pas comme elle.
Ou peut être que si.

Peut être que cette plaie béante, ces murmures, ces rires en son orbite desséché n'avait été que le signal de la fin. De sa fin. De sa raison. De son âme. Peut être, serpent qu'elle était, l'avait elle contaminé de son poison. De son sang noir, qui pulsait désormais en lui plus que de nécessité.

Il secoua sa lourde tête, n'esquivant qu'à la dernière seconde l'attaque fourbe de la femelle. Elle alla s'écraser plus loin, ne tenant plus sur ses pattes, son corps entier croulant sous les égratignures et les hématomes. Non. Non, il n'était pas comme elle. Déjà parce que lui tenait encore sur ses pattes. Et surtout parce qu'il ne voulait pas être son reflet, sa pérennité dans le temps. S'il la tuait, alors elle avait gagné. Elle lui aurait prit la dernière chose a la quelle il tenait. La dernière chose qui faisait de lui ce qu'il était.

Son innocence.

Alors, d'un mouvement brusque, il l'attrapa par la queue, cherchant à la faire basculer pour mieux la maintenir au sol. Si elle ne pouvait plus bouger, il pourrait potentiellement la bâillonner de son écharpe, pattes et museaux, pour la laisser aux jugements plus rationnels des meutes. Car il n'était pas dupe. Il était loin d'être sa seule victime.

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« Regarde. Regarde-toi. Tu es comme moi, maintenant. Comme. Moi.»

Il avait échoué sa prise. Mais pire encore, elle s'était remise à parler. Un flot incongrus de parole envahir sa bouche, et les oreilles du grand mâle frissonnèrent. Des mensonges. Rien que des mensonges. Elle n'était rien de plus qu'une sorcière, une avaleuse d'innocence, un vers destructeur dévoreur de monde. Ses mots, pourtant, avaient fait mouche. Elle l'avait piqué là où ça faisait mal. Là où toute sa faiblesse résidait dans l'écho de leurs similitude.

- Je ne suis pas comme toi !

Sa voix avait éclatée. Puissante. Rugissante. Elle n'était plus cette langueur d'antan, cette hésitation, cette confusion dans sa vie, dans sa survie, dans sa quête de ce qu'il était. Il savait. Il en était certain. Et rien ne pouvant en ébranler cette soudaine motivation, cette surprenante épiphanie quant à ses raisons d'être et de devenir. Il ne devait pas se concentrer sur ce qui les faisait se ressembler. Mais sur leurs différences. Sur ce qui faisait d'elle une cannibale, et de lui, un agneau devenu bélier.

- Tu es ignoble et fourbe. Tu n'as ni morale, ni amis.

Il gronda. Soebieski. Nocera. Avalon. Tiramisu. Boitaclou. Dame Lucie. Oh ils n'étaient pas de réels amis, ne les ayant vu que trop peu pour. Mais il y avait en eux cette même étincelle qui pulsait désormais en lui. Celle de la singularité. Celle de la vie. Et il refusait de laisser la démence se l'approprier.

- Je te plains sincèrement...

Et pourtant, dans ses paroles, ni empathie ni douceur. Juste l'âcre colère, l'amère dégout qui jutait sur ses crocs prêt à mordre. Il fronça les yeux pour voir l'attaque venir, cherchant à l'esquiver. Il se le devait. Pour lui. Pour eux. Tout ceux qui le soutenait. Tout ceux qui comptait sur lui. Et pour tous les autres qui avait subit le Monstre aux Fleurs.
Il ne laisserai pas le si joli temps descendre sa pluie manichéenne sur ce monde.

Cette fois-ci, il sauta par dessus son corps grinçant des temps anciens. Un bond si spectaculaire que lui-même en fut étonné. Il lui était passé par dessus, cabris de ses communes montagnes, se jouant de ses attaques, aussi féroces soient-elles. Elle ne l'aurait pas. Elle ne l'aurait plus. Son œil avait été son dernier met. Sa dernière touche. Et désormais il était aussi insaisissable que le souvenir de l'enfant pleurant qu'il avait été.
Il était un fantôme. A défaut de les voir, il était devenu l'un des leurs. De la fumée entre les crocs. De la poussière sous les pattes. Il était ce chat pitre et fugace, que l'on ne peut apercevoir que du coin de l’œil.
Il l'aurait à l'usure. Il allait la faire danser comme elle l'avait fait chanter. Il allait la faire cracher poumons et râles, colère et détresse comme elle l'avait fait il y a si longtemps. Oui. Il voulait inverser les rôles.

Mais à la fin.
A la toute fin. Ce n'est pas lui qui rendrai jugement. Il laissait ça aux dieux.
Elle lui avait trop prit. Trop pour qu'il soit raisonnable de la laisser ainsi se jouer une dernière fois de sa vie.