Advienne que pourra — Ao

Aujourd’hui.

Cela faisait combien de temps, hein, que ce moment était repoussé, par crainte du changement ? Que la simple idée de sauter le pas te faisait trembler de tout tes membres ? Que craindre, hein, demanderaient innocemment certains ? Le cadeau des dieux ne pouvait-il pas qu’être bénéfique ? N’apporter que bonheur et joie à celui qui en porterait la couleur ? Non, bien sûr que non, tout serait beaucoup trop simple sinon. La vie était un jeu. Jouer, comprenait des risques, parfois mortels, mais n’étais-ce pas cela qui rendait les choses si intéressantes ? Ce goût du danger, ce monde de possibilités et de suppositions ?

Inspires.

La silhouette de l’enfant se dresse derrière celle de son père, qui lâche un éclat de rire avant de l’attraper dans ses bras pour la soulever, elle qui est encore si légère. La petite rit, de son tin cristallin, tandis que ses mains effleurent la corne, là, sur le front de son père, symbole de son appartenance à une espèce tout autre. Ce dernier sourit doucement, n’effectuant de mouvement face à cet examen devenu presque une habitude entre eux, se contentant de la serrer dans ses bras, témoignant de ton son amour à son égard. Leikn sourit comme le font si bien les enfants à cet âge, avant de grandir et penser trop.

« — Papa, pourquoi on a des cornes et pas maman ? »

L’intéressé sourit, en s’installant dans un siège de la pièce, installant la petite sur ses genoux.

« — Parce que maman ne vient pas de ce monde Leikn. »
« — Heeko dit que c’est une déesse, dans ce cas tu es un dieu toi aussi ? »

Le père éclate de rire, avant de replacer une mèche rose derrière l’oreille de sa fille qui se contentait de l’observer, attendant la réponse.

« — Non, ta mère et moi, nous sommes de natures différentes. C’est pour cela que tu es si exceptionnelle. »

Ymir chatouilla sa fille, afin d’entendre une nouvelle ce rire qu’il chérissait plus que tout, celui qui lui réchauffait le coeur dans les moments de doutes. L’enfant se débat doucement, avant de repousser son père.

« — Arrêtes papa ! C’est pas du jeu. »
« — Je sais ma Licorne… Je sais aussi, que si tu ne prends pas ton bain, ta mère va te poursuivre dans toute la salle à manger. »

Adoptant une moue boudeuse, Leikn baisse doucement la tête en descendant des genoux de son père qui se dirige vers la porte, un sourire aux lèvres.

« — Allez princesse, accélères, sinon le grand dragon Ymir va t’attraper ! »

La jeune Licorne s’enfuit en riant, tandis que son père s’attarde un moment pour observer la pièce. Celle qui n’avait et ne changerait pas. En soupirant, Ymir saisit la main que lui tendait Leikn, afin de l’accompagner auprès des nourrices qui trouveraient bien le moyen de lui faire sa toilette à cet enfant qui savait par moment être un véritable petit démon. »

Le grand dragon bleu. En faisant les cents pas devant le fleuve, la louve espérait probablement se détendre, se convaincre que tout se passerait bien. Cette journée pouvait s’avérer aussi bénéfique que néfaste après tout. Les étoiles brillaient encore au-dessus de sa tête, le réveil avait été bien bien matinal. C’était en silence, que l’herboriste avait laissé Teddy et les filles dormir, espérant faire le moins de bruit possible. Par chance, le brun n’avait pas érigé cette barrière qu’il mettait habituellement pour empêcher les enfants de sortir… C’est ainsi que presque instinctivement, ses pas l’avaient guidé jusqu’ici. Alors, l’ancienne solitaire laisse les doutes l’envahir. Quel genre de don pourrait bien accorder une déesse ? Les dieux de ce monde n’auraient-ils rien contre le fait qu’un jour Leikn en ait vénéré d’autres ? Que sa mère soit une déesse d’un autre monde ?

 « — Maman ! Maman, je peux m’entraîner moi aussi ? »

La déesse pose ses yeux dorés sur l’enfant, dans lesquels brillait une lueur chagrinée. Les enfants présents se taisent, observant la scène avec curiosité, même le vif Heeko ne fait pas un mouvement, ses yeux allant de son amie à la reine, ne sachant visiblement comment réagir. Cette dernière conserve le silence un long moment avant de ranger l’épée dans son fourreau d’un mouvement plus brusque qu’à son habitude, espérant probablement transmettre une sorte d’avertissement par ce simple geste. Tournant le dos à la jeune Leikn qui incline doucement la tête cherchant à obtenir suite à sa demande.

« — Maman ? » 
« — J’en ai fini de toute manière. »

L’enfant, encore trop jeune pour mesurer la gravité de ses actes, contourna la silhouette de sa mère en riant, se saisissant d’une des dagues que la divinité gardait en permanence sur elle. Leikn sourit innocemment, cherchant par-dessus tout à vouloir impressionner sa mère. Tenant bien fermement la dague, la Licorne sourit, plutôt satisfaite d’elle-même ne pensant à mal.

« — Regardes, moi aussi je peux tenir une épée ! »
« — Leikn ! Rends-moi ça.  »

Le regard de la divinité s’assombrit, son ton est froid, tandis que l’atmosphère devient menaçante. L’enfant ne bougea pas, se contentant de regarder sa mère quelque peu surprise. Face à ce manque de réactions, Loki se saisit de la dague, tentant de l’arracher  de force à sa fille. Le temps sembla ralentir, tandis que les yeux de la jeune Licorne regardent le sang argenté s’échappé de sa plaie, la main de sa mère qui tente de la saisir avant qu’elle ne tombe. Le corps de Leikn heurte la pierre, ses yeux choqués observaient l’entaille que sa mère lui avait involontairement causé en récupérant l’arme.

« — Leikn ! »

Heeko se lève d’un bond tentant de rejoindre son amie, mais Loki le stoppe d’un mouvement de la main, s’accroupissant aux côtés de sa fille en rangeant l’arme.

« — Pardonne-moi Leikn. Je ne voulais point te faire de mal. Ne bouges pas je vais soigner ça. »

La déesse approche sa main entourée d’une lueur dorée vers la plaie de la Licorne qui la repousse brutalement, des larmes coulant sur ses joues en un mélange de tristesse et de fureur.

« — Je ne veux pas que tu m’aides ! »
« — Leikn… »
« — Arrêtes de jouer la comédie ! Je sais que tu me détestes ! »

Les yeux de Loki s’écarquillent, tandis que sa fille espère qu’elle niera cette vérité frappante. Pourtant… Rien ne vient. Leikn recule avant de s’enfuir à tout jambe, tandis que la déesse reste au sol, le regard dans le vide, sans dire le moindre mot.

Les griffes de Leikn effleurèrent la cicatrices bleutée à sa patte. Rah, pourquoi tous ces souvenirs revenaient maintenant ? La louve n’avait pas besoin de se remémorer tout cela, n’était-il pas possible d’oublier tout simplement ? Soupirant, la Licorne posa ses yeux sur la cascade qui cache l’entrée du temple, de la fontaine et par-dessus tout de la déesse, représentative des Lazulis. Les Lazulis. L’angoisse de cette épreuve faisait monter à l’esprit de Leikn de multiples questions. Pourquoi demeurer dans cette meute, alors que des menaces avaient été proférées par Astaroth ? Alors que personne ne voulait siéger aux côtés de Gloriel ? Qu’au sein des Lazulis eux-mêmes il semblait y avoir des tensions ? Alors pourquoi rester, hein, si ce n’est que pour demeurer aux côtés de Teddy ? L’ancienne solitaire passe une de ses pattes avant sur son front, espérant pouvoir calmer cette fichue migraine qui semblait ne vouloir la quitter. Ce n’était pour lui qu’elle avait intégré le clan, certes, il le lui avait bien vendu, mais c’était de son propre chef que la solitaire avait décidé d’avoir cet entretien avec les alphas. Rejoindre la meute, c’était sa décision, uniquement la sienne. Comme toujours hein, Leikn ?

L’ouvrage fut brusquement posé sur le sol. Essoufflée, Leikn demeura immobile un moment les yeux fermés. Étais-ce le bon choix ? Abandonner ce qu’elle était, pour espérer une autre vie ? Espérer que sa mère ne détourne plus le regard à son approche ? Que ses frères ne prennent de pincettes avec elle ? Que son père cesse de la traiter comme une enfant naïve ? Les doigts de l’enfant effleurent la corne la plus imposante sur son crâne. Se sentait-elle prête à délaisser cette part d’elle ? La question ne se posait même plus. Parcourant le livre, la Licorne trouva rapidement le sort qui signerait sa délivrance.

« — C’est ça… »

Le sort était là, nécessitant un certains nombre d’ingrédients que la Licorne n’aurait de mal à assembler. Traçant le pentagramme en disposant des bougies et diverses plantes aux extrémités, Leikn fit une pause, observant les étoiles par la fenêtre ouverte. Les étoiles l’avaient toujours apaisé. Toujours. Un rappel sur le fait que certaines choses ne pouvaient changer. Alors, décidée, les mots fusent de sa bouche, prononçant des paroles qui transformeraient à jamais sa vie.  Pendant un instant rien ne se passe, faisant monter l’inquiétude chez l’enfant qui recula, tentant de sortir du cercle alors que le livre quittait ses mains, toutefois, une barrière invisible semblait la bloquer. Non ! Qu’avait-elle fait de mal ? Les mots avaient-ils été mal lus ?! Leikn tente de briser ce mur invisible, afin de récupérer le livre plus loin, mais rien n’y fait.

« — Papa ! Maman ! »

Personne ne l’entendait-il crier ?! Les poings de la petite tambourinent le plus fort possible, alors qu’une sensation de légèreté s’empare d’elle. Baissant ses yeux sur ses mains, Leikn voit son corps se décomposer en petites particules dorées. Rapidement, la panique se saisit d’elle, étais-ce donc cela, la mort ? Le début d’une longue disparition dans le néant ? Son corps tremble, alors qu’elle fit volte-face en entendant le bruit de pas. Loki. Sa mère était là !

« — Maman ! »
« — Leikn… Qu’as-tu fais ? »

Le ton de sa mère est dur, sans émotions. Leikn ne bouge pas, se contenant d’observer la déception qui brillait dans les yeux dorées de la déesse. Encore aujourd’hui, Loki se contenterait uniquement de regarder ? Un sourire attristé vint étirer les lèvres de l’enfant qui ferma les yeux. C’était mieux ainsi, comme ça elle ne serait plus un fardeau pour personne. Adieu la déception des autres, adieu sa propre déception. Les larmes creusent des sillons sur ses joues, tandis que la Licorne pose une dernière fois son regard sur sa mère.

« — Par…don maman. »

L’intéressée sembla surprise, tendant la main au même moment où le corps de Leikn s’envolait en poussière dorées, s’envolant vers le ciel.

« — Ça suffit ! »

Les pattes avants de la Lazulis tremblent, sous l’émotion de tout ces souvenirs. Leikn n’en peut plus, c’est une véritable torture de revivre tout cela. Serrant les crocs, la louve redresse la tête en essayant de calmer sa respiration. Sa nature de Licorne aurait beau tout essayé pour la dissuader de tenter son épreuve, cela serait en vain. Désormais, Leikn n’était plus la seule qui comptait. Il y avait Teddy. Nugget. Méluciole. Azzinoth. Les autres. Les choix égoïstes n’avaient plus leur place désormais. La Licorne se devait d’être une mère, une compagne, une herboriste pour son clan. S’en était fini de la solitaire, depuis un moment, alors que la licorne en elle proteste, qu’elle tente de lutter pour imposer sa volonté. Cela ne changerait rien, la fille de Loki vaincrait, irait au-delà de tout cela, au-delà de son rôle. Décidée, Leikn suivit le sentir étroit, passant sous la cascade.

L’endroit était humide, tandis que régnait une atmosphère bleutée. Ce n’était pas sa première visite en ces lieux, en revanche c’était la première fois qu’elle venait ici dans un but officiel. Penchant sa tête au-dessus de la fontaine, la Licorne admira son reflet sur l’eau bleue. Un instant, il lui sembla percevoir son reflet d’antan, alors que ses pattes étaient des pieds et des mains, que sa peau n’était recouverte de poils, que ses traits étaient plus enfantins, dotés de nettement moins de cicatrices. Cette époque était désormais derrière elle. Le passé, ne devait plus être une entrave. L’attention de l’ancienne solitaire se porta donc sur cette statue qui surplombait la fontaine. Devait-elle s’incliner ou autre face à cette représentation de la déesse ? Préférant la simplicité, la louve inclina seulement la tête avant de prendre la parole.

« — Je ne prétends pas connaître parfaitement les intentions des dieux de ce monde, mais me voici toutefois ici, pour prétendre à votre glowstick Ao, afin d’aider au mieux les miens. » La Licorne marqua une pause avant de reprendre son regard rivé sur la statue. « Je ne veux plus être un fardeau pour quiconque. »

Advienne que pourra.

Rien n’a changé.

Tout semble demeurer comme avant, la déesse refuserait-elle de répondre à sa requête ? Leikn demeure toutefois immobile, se contentant d’observer à tour de rôle à la fois la statue, puis la fontaine. Ce fut lors d’un énième battement de cils que tout bascula et que les ténèbres l’envahirent.

Deux portails. L’attention de la Licorne se porte dans un premier temps sur celui de gauche, là où quelque chose sembla changer en elle, ses yeux se posèrent sur ses articulations changé, son corps plus grand, pour cause ! Désormais, c’était sur ses pattes arrière qu’elle se tenait debout, comme au commencement. À gauche son corps reprend la forme de celui adopté sur Punk Wolf, tandis que Teddy et Nugget sont ensembles. Étais-ce la réalité tout cela ?

Rien n’a changé.

La voix de Loki se fait entendre, inchangée depuis ces années, son compagnon à ses côtes qui tentent de calmer les jumeaux. C’était comme si le temps s’était arrêté là où Leikn avait vieilli. Les mains de la Licorne effleurent le surface du portail de gauche, celui qui lui montre ce qui fut sa famille. Un sourire vint étirer ses lèvres, alors qu’un rire sans joie s’échappe de sa gorge. Les larmes coulent sur ses joues, tant tout cela lui semble réel. C’était le chemin de la maison, celui qui lui permettrait de retourner auprès de ses semblables, de ses parents, de ses frères et soeurs. Celui qui lui permettrait de reprendre le cours d’une vie normal… mais il n’y avait jamais eu de vie normal de l’autre côté. Rien que le regret et la honte.

Le rire de Nugget lui apporte du baume au coeur, alors que la Lazulis se détourne de ce portail, de cette ultime voie d’accès pour se pencher sur le portail de droite. Teddy est là, lui… lui. Cet être à qui elle doit temps, lui qui semble lui sourire. Leikn veut lui effleurer la joue, sentir sa présence — ce qui la rassurerait peut-être —, mais sa patte n’effleure que la surface du portail. Les paroles d’Ao semblent résonner dans son esprit. Prendre une décision qui changerait tout, celle qui ferait basculer sa vie. Fermant les paupières un moment, la Licorne les réouvre brutalement, les crocs serrés.

« — Rien n’est éternel, nous sommes tous prédestinés à naître et mourir, vivre pour choisir… »

Encore et toujours. Alors quel choix s’imposait ? Pour certains, l’évidence aurait été que l’ancienne solitaire rejoigne sa famille, sa vraie famille, mais alors à quoi bon avoir bâti une nouvelle vie en ce monde ? Aux côtés de personne qu’elle aimait. Le choix était alors évident à partir de là, nul autre n’était possible. En se tournant vers le portail de son choix, son corps reprend forme, alors que ses pattes traversent le portail pour rejoindre sa famille, la seule qui importait désormais, jusqu’à ce que la mort ne les sépare et bien encore.