Résonnent les pas d'acier [Eva+Libre]

Glong.
Bruit du fer sur le sol de pierre.
Glong.
Son des éléments de métal qui interagissent entre eux.
Glong.
Mécanique résonnant dans l'écho de ce monde silencieux.

Ce monde avait été délaissé depuis bien longtemps maintenant, si longtemps que personne ne s'en souvenait. Une civilisation oubliée, un héritage délaissé, vidé de vie, vidé d'âme et pourtant, au milieu de la pénombre, brisant le silence d'un pas lourd et mécanique, une ombre avançait, ses contours à peine éclairés par de faibles points violet. Les parois brillaient à la lueur, dévoilant la forme des pierres et des tunnels, dévoilant l'humidité ambiante également.
Junlahdwiin, ce n'était pas son véritable nom mais c'était l'être qui habitait ces espaces oubliés. Depuis si longtemps il arpentait ces ruines, cherchant sans la trouver, la sortie qui le ramènera à la surface. Il avait pu les voir changer un petit peu, parfois elles étaient plus abîmés, semblaient plus ancienne, parfois elles s'ouvraient sur d'immense salle comme si le sous-sol protégeait le secret des cités perdues, parfois il n'y avait pas grand chose, les murs se mélangeaient à la pierre et il était facile de croire que le chemin était mauvais. Probablement que le climat avait changé également, à force de marcher sous la terre. Il se rappelait qu'au début, du sable cachait parfois le sol, il se rappelait des jours sans eaux, du bonheur de tomber sur un puits, de la couleur rouge et ocre de la roche, de la sensation de poussière lorsqu'il respirait. Ces terres-ci, il les savait plus humide, plus fraîches. Les murs étaient noirs, les plafonds moins troués, les roches plus solide. Il ignorait comment était le monde au delà de son plafond, probablement qu'il était différent des rares souvenirs qu'il lui restait. Il aurait préféré avoir trouver une issue de là où il venait, il aurait aimé, espéré voir le monde et se souvenir de qui il était véritablement. Trois ans plus ou moins qu'il marchait dans ses galeries, il savait qu'il ne reviendrait jamais, il savait que ce n'était pas qu'un coup d'oeil à la surface qui l'aiderait. Ce n'était plus son chez lui qu'il recherchait, c'était simplement une sortie.

Cette journée était exactement semblable aux autres, une marche monotone dont ses pas mécaniques donnait le rythme régulier. Pas de lumières, ce n'était pas rare ce genre de cas. Son œil encore vivant n'aimait pas ça, parfois, au retour de la lumière via une crevasse, il lui brûlait un peu, le mécanique lui s'adaptait, le diaphragmes s'ouvrant ou se refermant au besoin. Une journée comme les autres et pourtant, quelque chose de nouveaux vient interrompre ma monotonie. Quelques choses qui n'était encore jamais arrivé depuis trois ans, quelque chose qu'il  n'avait jamais pu toucher.
Un mur était tombé, petit éboulis de pierre qui donnait sur une surface de bois. Tout n'avait été que minéral et ferraille jusque là, jamais de bois. Lorsqu'il vint y coller sa truffe, entre les interstices, il pouvait sentir le vieux papier et... un semblant d'air frais ? Ça semblait si irréel, si impossible. Depuis le temps qu'il cherchait en vain, ça ressemblait à une blague, jamais il n'avait réussi  jusque là à atteindre ne serait-ce que l'espoir d'un éventuelle sortie.

Il posa une patte sur les planches de bois, la pression exercée le fit craquer. Le mur semblait vieux et fragile, probablement que l'humidité l'avait fait pourrir un peu. Il gratta, arracha un pan, formant un trou suffisamment grand pour y passer sa gueule. Le reste fut encore plus simple, grands coups de crocs accompagnés de cornes et dans un bruit infernal, il parvint à s'ouvrir un passage vers une pièce pleine de poussières.
Un frisson parcourut son pelage lorsqu'il passa le trou, il avait comme une impression de légèreté, comme si la pression exercées par les pierres au dessus de lui depuis toute ces années s'envolaient, pourtant, ce n'était pas le ciel qui s'ouvrait au dessus de sa tête mais un plancher de bois dont les interstices laissaient filtré une lumière grise. Il posa délicatement ses pattes de fer sur le sol nouveau, aucune sensation, évidemment, il s'y était attendu. Il ne ressentait rien de ses parts mécaniques, rien de plus que la vibration des éléments lorsqu'il les utilisait.
Il marcha le long de grandes étagères où étaient entreposer vieux parchemins dévorés par les mites et la poussières, vieux grimoires oubliés et souvenirs d'auteur passés. C'était différent des ruines qu'il avait arpenté jusque là, plus récent et pourtant, tout aussi délaissé aux yeux du présent, aussi faudrait-il qu'il reste quelqu'un pour se souvenir. Au milieu de ces archives, il était comme dans les sous-terrain, comme le dernier être qui arpentait un lieu. Peut-être n'était-ce pas une sortie qu'il avait trouvé, il faisait toujours aussi sombre après tout, mais simplement le reste d'un bâtiment mieux conservé. Il avait déjà découvert quelques restes de villes dans le passé, mieux valait ne pas se donner trop d'espoir, c'était encore probablement la même chose. Il aimait bien les villes, il aimait les explorer, essayer de deviner l'époque où elles étaient pleine de vie. Il prenait place, occupait les bâtiment abandonnés avant de repartir , toujours à suivre le même chemin incertain.
A un moment, il tomba sur un escalier, monta jusqu'à une petite trappe. Il les monta mais se butta sur la trappe, elle semblait verrouillée. Il essaya de la forcée un peu avec sa tête, espérant que le bois soit dans le même état que celui du mur mais visiblement, il s'était mieux conservé. Tout ce qu'il gagnait à faire ça, c'était à s'y coincé les cornes, il dû forcer pour les déloger des planches. Loin de se laisser abattre, il s'en servit ensuite comme levier, parvenant à les glisser dans la faible ouverture autour de la serrure, un coup sec et hop, cette dernière sauta dans un glong.

Au delà des escaliers, une immense bibliothèque plongée dans une ambiance de nuit. Un plafond de  voûtes s'élevait à des dizaines de mètres au dessus de sa tête  offrant une sensation de petitesse à celui qui se tenait aux milieux des grandes étagères couvertes de livres. Et là, au travers des grandes fenêtres, il le vit, le ciel étoilé dans lequel brillait une lune d'argent. Il s'approcha doucement, devant lever la tête pour continuer à observer, la fenêtre se positionnant au dessus de grandes étagères, à chacun de ses pas, le plancher grinçait, haïssant le poids de l'être qu'ils portaient. Et lui... il ne parvenait pas à détacher son regard du ciel qui se dévoilait derrière le verre. Ce n'était pas comme les fois où il en voyait un morceau dans une faille lointaine, non, là, il avait l'impression de pouvoir  le toucher, qu'il aurait suffit de tendre la patte pour attraper la lune. Il en eut le souffle couper, est-ce qu'il avait enfin réussi ? Après trois années, est-ce que la terre avait fini par libérer ? Est-ce qu'il pourrait à nouveau sentir le vent frais son visage ? Le redécouvrir lui qui l'avait oublié ? Est-ce qu'il pourrait ressentir le sol meuble sous ses pattes ? La chaleur du soleil sur son pelage ?
Un instant, son regard retomba sur l'ombre qu'il projetait. Ce n'était pas un loup qu'il voyait, c'était une créature étrange au dos hérissé de pointes menaçantes. La sortie qu'il avait depuis si longtemps rechercher, l'espoir de revoir, de retrouver les sensations de ses faibles souvenirs  était ce qui l'avait avancé et pourtant, soudainement, il fut pris d'un doute. Tout ce qu'il espérait retrouver, aimer à nouveau, c'était des souvenirs d'un autre loup, de celui qu'il était avant son accident. Il avait été forgé aux ruines, il les avaient habité depuis trois ans, il ne se souvenait que d'elle et son seul nom était celui qu'elles lui avaient donné. Etait-il fait pour ce monde au-delà des profondeurs ? Maintenant qu'il avait enfin atteint l'objectif fixé, était-il encore nécessaire ? Il en doutait, peut-être ferait-il mieux de retourner dans ses galeries, de retrouver un de ces restes de villes oubliées et d'y vivre comme dernier souverain. Peut-être que s'il acceptait enfin ce rôle, ceux qui l'avaient sauvé, ceux qui le suivait sans jamais se montrer, apparaîtrait enfin devant ses yeux. Peut-être que c'était un test pour savoir quels étaient ses choix véritables ?
Le ciel attira à nouveau son regard, la lune, les étoiles, brillants à l'unissons dans un regard gris. S'il repartait, à jamais il devrait les abandonner, il retrouverait une solitude certaines sous des pierres écrasantes. Il n'était pas dehors, juste dans une immense bibliothèque mais la sensation qu'il n'y avait plus d'épaisses pierres au dessus de sa tête le faisait souffler. C'était une liberté nouvelle, quelque chose qu'il découvrait ou redécouvrait. Le ciel scintillant, la liberté de l'air nouveau et peut-être même, la possibilité de courir là où il le voulait, libre, sans frontière de pierre. Il n'était plus obligé d'être le roi prisonnier, il y reviendrait, peut-être, mais là, à cet instant, le loup qu'il était au fond de lui, avant la machine qu'on espérait qu'il devienne, voulait retrouver cette liberté animale, cette liberté si primitive. Peut-être que ses ancêtres, que ceux qui habitaient ces galeries, s'étaient dit un jour la même chose ? A quoi bon des bâtisses immenses qui nous protégeait du ciel ? A quoi bon la technologie avancée qui nous faisait oublié d'être animal ? Peut-être bien qu'ils avaient par abandonné pour l'amour de retrouver cette innocence primitive qui apportait la liberté. Alors lui, Junlahdwiin décida d'accepter lui aussi cette liberté si longtemps rechercher. Il avait besoin de voir le monde extérieur, de le découvrir, d'un pas décidé, il avança vers les grandes portes de bois sculpté, son pas mécanique résonnant dans l'écho, son poids d'être de fer faisant hurler le plancher.

1625 mots

Étoiles d'été,
Et reflets de lune
Accrochés dans le vent.

Eva n'arrivait pas à dormir. Elle avait vaqué à ses occupations, tenté de se divertir, tourné en rond une heure peut-être dans le dédale et au niveau du camp des Nakhus, avant de décider qu'elle n'arriverait pas à revenir aux bras de Morphée, et qu'elle serait mieux dehors plutôt qu'enfermée entre ces pierres qui parfois, souvent, la rendent claustrophobe.

Frisson, alors qu'elle passe la première arche naturelle et va semble-t-il au hasard dans les chemins qu'elle peine à discerner, se guidant au nez et à la fragrance des dizaines, centaines de loups qui sont passés là avant elle. Sans eux, elle se perdrait à coup sûr dès qu'elle mettrait le museau dans les galeries. Si elle avait un bon sens de l'orientation, sous terre, ça importait peu. L'habitude et l'observation faisaient meilleur ménage que l'instinct et les sensations. Eva n'était pas très douée à ce petit jeu. Mais cela fait de nombreuses semaines, maintenant, qu'elle rôde sur le territoire. Il ne lui faut qu'un petit quart d'heure pour enfin sentir la bise gonfler les plumes de son poitrail, apportant avec elle les effluves de forêt et de basse-montagne. Elle passe la tête au dehors, inspire, laisse la nuit pénétrer ses poumons, de sa trachée aux follicules les plus minces.

Cercle parfait, orbe de nacre pendue dans l'immensité variant du bleu sombre au noir d'encre ; de la teinte de la mer en profondeur et lorsque l'on descend plus bas encore. La lune, cette nuit, est haute pour parer l'échancrure du monde. Énorme diamant étincelant, paisible. Elle semble remplir le ciel, manger les étoiles et l'obscurité. Eva laisse l'air gonflant ses poumons s'échapper, retourner à l'état sauvage. Elle fait quelques pas, profitant de cet instant hors du temps, le relief visible comme en plein jour grâce aux reflets d'argent de la lune.

Elle ouvre ses ailes, les agite, dénoue ses muscles. Il est tard, pleine nuit, mais elle doit s'éloigner, partir d'ici, répondre à l'appel de la nature qui l'encourage et fait trembler ses membres, l'incite, lui ordonne de se jeter corps et âme dans cette nuit qui l'entoure. Mue par cet instinct, ce vent violent qui la pousse de l'intérieur, elle s'arrache à la terre et en quelques battements d'aile se trouve à plusieurs mètres, puis centaines de mètres du sol.

Eva tourne sur elle même, le froid mordant de l'altitude glissant sur ses muscles et ses tendons, sa peau, passant entre plumes et poils pour revigorer son corps entier, loin de la tétaniser, la poussant en avant encore. Elle se laisse tomber, fermant les yeux, coeur et estomac poussant ses poumons alors qu'une chute libre l'emmène couper les touffes des nains, géants, qui l'observent du sol. Elle effleure les frondaisons du bout de ses pattes, avant de remonter encore, et encore, quittant son point de départ, se baignant dans l'immensité nocturne et la vacuité spatiale.

L'entrée de la grotte n'est plus qu'un point d'obsidienne qui s'éloigne et s'éloigne encore, les arbres de géants deviennent nains, puis fourmis, dont on ne voit que le haut du crâne chevelu, bruissant à la bonne volonté des courants aériens. Elle s'éloigne, avale les kilomètres, piquant, plongeant, redressant, évacuant cette énergie qui l'emplit et dont la nourrit la nuit. L'euphorie la gagne, elle rit, présentant sa denture à la lune et son collier d'étoiles, ses yeux qui pleurent de sa vitesse et son engouement.

Elle rit, pleure, se sent vivre sous l'astre brillant.

Eva finit par étendre ses ailes, loin, pour se laisser porter par les courants ascendants qu'elle agrippe ici ou là, se laisser aller sans but, s'en remettant à la bonne fortune et au hasard pour lui donner une destination. La forêt, la montagne laissent place à la grève, puis l'océan dans lequel se reflètent mille éclats d'argent, portés par les vagues qu'un doux zéphyr agite. Elle gite et tourne, forme ronds et farandoles pour aller toucher du bout des griffes cette eau salée dans laquelle elle ne se risquerait pas, avant d'un coup d'épaule se redresser, poussée ultime qui l'amène à toucher terre sur cette Île Fantôme qui sous l'oeil de mère lune se pare de camaïeux plus étranges encore qu'à l'ordinaire. Ses ailes fatiguent, elle les agite pour chasser quelques gouttes d'eau, avant de les replier le long de son corps bicolore.

Sur cette île, elle ne connait pas tout, arpentant lieu après lieu ces terres qu'elle souhaite découvrir en profondeur. Sur cette île, elle laisses ses pas la porter, entre brumes et nuages, entre chemins de terre et chemins pavés. En haut, tout en haut, se dresse un bâtiment. Le bâtiment. La bibliothèque. Les vieux en parlent avec déférence, les jeunes désintérêt. Elle, le trouve intriguant. Elle ne sait pas lire, n'a jamais su lire, le concept lui est si étranger ! Et pourtant, qu'un lieu aussi étroit abrite un savoir si étendu lui donne envie de le découvrir, intimement. Elle laisse derrière elle les astres lointains et pousse la porte d'entrée.

Elle grince dans un bruit de fin du monde, lui tirant un mouvement d'oreille et un pincement du museau. Quelle entrée en la matière ! Quiconque se trouvait en ces lieux pouvait aller se recoucher : elle gagnait la palme du moins discret. Elle chassa sa gêne d'un rire, qui résonna tout autant dans l'antre au plafond haut, si haut que l'obscurité ne permettait pas d'en distinguer le fait. Eva fit quelques pas timides, quand un bruit, répétitif, attira son attention. Sa régularité l'avait caché à son intérêt jusque là, mais il était si étrange, si profond, qu'elle ne pouvait plus l'ignorer.

Elle se dirigea vers lui, pour découvrir un loup... Etait-ce vraiment un loup ? Gris, comme tous les chats la nuit, sa couleur ocre et safran balayée par les rais opalescents, il présentait de bien étranges protubérances. Ses pattes, sa queue, sa crête, sa colonne, son visage, chaque partie de son corps présentait des irrégularités qui, si elle n'étaient pas disgracieuses, surprenaient. Eva se rendit compte qu'elle s'était figée, le dévisageait. Elle baissa légèrement la tête, et se composa un air avenant. Un sourire, un léger mouvement de sa queue éthérée qui formait un fanion derrière elle, une oreille qui se dérobe.

Bonjour ? Nous ne nous sommes jamais croisé, je crois ?

Une introduction maladroite, induite par la curiosité de la jeune louve qui hume son odeur si... Atypique, loin de tout ce qu'elle a pu connaître, ici comme ailleurs ! Une odeur musquée, mais aussi florale, avec un arrière goût cuivré qui roule sur sa langue et y laisse une pointe d'acidité.

Peut-être bien qu'il faisait trop de bruit avec ses pas mécaniques pour pouvoir l'avoir entendu avant, ou peut-être qu'elle n'existait pas vraiment. Au milieu des grandes étagères de bibliothèque, baignant dans la lumière lunaire d'une des fenêtres, l'apparition quasi féerique et fantomatique d'une silhouette lupine. Probablement parce qu'il n'avait vu personne depuis tant d'années, parce les seuls loups dont il se rappelait n'étaient que des souvenirs flous dans une mémoire défaillante, il ne put s'empêcher de trouver cette apparition baignée de ces rayons blancs magnifique. Gracieuse avec ses longues pattes fine, sa queue légère semblant flottée dans les airs, angélique avec ses immenses ailes. Si Junlahdwiin avait un corps lourd et l'héritage du passé des souterrains sur lui, elle, elle était probablement proche de l'incarnation de ce ciel nocturne qu'il pouvait apercevoir au travers des fenêtre et le loup mécanique douta. Cette créature si belle qui s'approchait, elle ressemblait à un loup tout en s'en éloignant également. En était-elle vraiment un ? Ou était-elle ce genre de créature qui venait vous chercher pour vous emmenez vers un monde meilleur ? C'était étrange, si étrange que le jour où il revoyait un bout de ciel pour la première fois, était le même où il rencontrait un autre être de son espèce ou qui s'en approchait. N'était-ce pas la simple douceur de l'au-delà, n'avait-il pas finit par périr dans les sous-sols ? Et il se demanda soudainement, s'il n'était pas mort le jour de sa chute, si tout ceci n'avait pas été une épreuve jusque là. Il ouvrit la gueule, pour poser la question, pour demander la réponse, avança d'un pas et finalement, ce fut elle qui brisa le silence en premier.

Il referma sa gueule, recula un peu, dans un excès de timidité. Elle... n'avait pas l'air d'être véritablement une créature de l'au-delà, peut-être qu'elle existait réellement qui sait ? Il en était tellement incertain, il avait tellement espéré qu'il se sentait totalement capable de l'inventer. Il donna soudainement un coup d'une de ses pattes de fer pour se réveiller, se sortir de ce doute absurde.

« Arrêtes de faire l'idiot Jun, tu le verras bien assez tôt si c'est faux. »

Et il avança de quelques pas vers la louve, ses pas mécaniques résonnant dans l'écho de la bibliothèque, pour s'arrêter à quelques mètres devant elle. Il resta immobile, à la regarder quelques instants avant de détourner le regard et pencher lui aussi une oreille sur le côté.

« Je... »

Devait-il avouer qu'il venait du sol ? Qu'il sortait enfin d'un exil souterrain qui lui avait pris les trois quarts de sa vie ? Qu'il revoyait pour la première depuis le ciel ? Qu'il n'avait même plus souvenir de quand remontait une conversation avec un autre loup ?

« Non pas maintenant. »

Il releva son regard gris de son œil unique vers la louve, l'autre réajustant son diaphragme dans une mise au point.

« Non, effectivement. Disons... que je viens d'arriver. »

La lune perçait les imposantes fenêtres de la bibliothèque et teintaient le loup de blanc et d'argent, le rendant monochrome, si bien qu'Eva était bien incapable de distinguer la couleur de son pelage, museau, ou celle de ses poils d'oreille. Seul ses yeux, non, son oeil gauche laissait échapper une teinte carmin, à peine marquée.

Il recule. Eva pince les lèvres - lui a-t-elle fait peur ? Au milieu de la nuit, dans un lieu aussi sombre et froid, peu amical, elle ne pouvait pas lui en vouloir. Elle recula d'un pas, ramenant ses ailes plus proche de son corps, se faisant plus petite, souriante. Elle dressa l'oreille lorsqu'il lui répondit - ah ben non, il se parlait à lui-même. Son regard pétilla. C'était... Adorable. C'était tellement drôle ! Elle laissa échapper un petit rire. Oh ! Elle espérait qu'il n'allait pas croire qu'elle se moquait de lui - c'était tout le contraire ! Elle se reprit. Elle ne faisait pas un hôte très qualitatif. Après tout, il était sur ses terres, elle se devait de l'accueillir comme il se doit !

Ses pattes résonnaient violemment sur le sol, la bibliothèque toute entière semblait vibrer, prête à se fracasser. Si Eva était une plume, lui était le chêne, qui ne ploie ni ne fatigue. Elle voulait s'approcher, le rassurer, lui parler ! Mais n'osait pas. Il semblait déjà prêt à fuir, elle n'était pas là pour en rajouter. Elle lui laissa le temps de se reprendre - de parler.

Et, encore, il se parla plus à lui-même qu'à elle. Et, de nouveau, elle rit doucement, amusée par la situation. Elle agita sa longue queue blanche en panaches, avant de l'encourager :

Jun... C'est un joli nom. Bienvenue sur ces terres, Jun ! Comme toi, je ne suis pas d'ici. Tout ça pour te dire : on s'y habitue vite !

Son sourire, si c'était possible, s'élargit encore.

Ici tu es à la bibliothèque, sur les terres des Nakhus. Un... Mon clan.

Elle se rattrapa. Elle n'était pas encore très habituée, mais elle allait s'y faire, promis !

C'est une meute pacifiste. A vrai dire, je ne sais pas vraiment à quoi servent les frontières - à délimiter un lieu de vie, je suppose, un espace décent pour le nombre de loups-

Elle parlait, parlait ! Et de choses tellement inintéressantes. Elle ferma son clapet une seconde, puis reprit, gênée.

Désolée, je ne voulais pas- bref, n'hésite pas, si tu as des questions.

Elle voulait aider. La vie d'Eva se résumait très souvent à son envie d'aider. Et, de temps en temps, de moments à se ressourcer, à l'écart. Mais Jun semblait sympathique, et son air perdu titillait en elle sa fibre empathique. Pas un seul instant, Eva ne se demanda ce qu'il foutait sur une île au centre de toutes les terres des clans. Après tout, même s'il lui mentait : quelle importance ?

Son rire était si doux, le loup mécanique ne s'en vexa pas le moins du monde. Il y a avait quelque chose qui émanait de cette femelle, comme une aura de gentillesse pure, et lui, il avait envie d'y croire. Lui qui ne se souvenait d'aucun être, lui qui n'avait eu que lui même comme compagnie réelle, lui qui avait tenté tant de fois de parler à des fantômes, il voulait croire à la bonté et la gentillesse de cette ange dans la nuit. Alors il mit sa méfiance de côté, celle qui l'aurait poussé à retourner errer dans ces galeries qu'il avait si longtemps arpenté. Et il sourit, une oreille sur le coté, à celle qui l'accueillait à la surface.

« En réalité, mon nom complet est Junlahdwiin mais c'est vrai qu'il est un peu long. »

Il eut lui même un petit rire, plutôt nerveux que réellement amusé sur le moment. A se parler tout seul, il dévoilait directement des informations, bien qu'un nom, ce n'était pas grand chose et ce n'était dans un lieu qui n'aurait jamais su son existence s'il n'y était pas que le savoir d'avance changeait quoi que ce soit.

« Quel est le tiens ? »

Elle lui expliqua des choses, où il était, chez qui il était. Il écouta la présentation avec attention, mettre des noms sur un lieu et sur un peuple le rendait curieux, lui qui découvrait la surface avait déjà hâte d'en découvrir plus que le ciel étoilé et il offrit à la louve un sourire plus sincère et moins timide.

« Donc il y en a d'autres des comme toi si c'est un clan ? »

D'autres loups ou d'autres oiseaux, voir le mélange des deux, des êtres avec qui conversé. Il l'espérait bien que l'imaginer donner un peu le tournis. La question pouvait peut-être paraître un peu idiote, mais peut-être, comme lui, elle était la dernier héritière d'un peuple tout aussi oublié, peut-être était-elle également une gardienne de cette civilisation dont il avait parcouru les ruines. Après tout, il semblait y avoir des grands bâtiments également à la surface, cette bibliothèque en était une preuve. Et peut-être que c'est fameux nakhus si elle était seule ou s'ils étaient plusieurs, étaient le nom qu'il cherchait à donner aux fantômes des galeries.

« J'ai eu de la chance alors d'être tombé sur des pacifiques »

Léger rire.

« D'où venez vous alors si vous ne venez pas d'ici ? »

D'où vient-elle ? Quels sont les origines de ces Nakhus ?

Il semblait vraiment sympathique et agréable, malgré tout son bordel en métal qui le recouvrait et lui donnait des airs de monstre des profondeurs. Elle s'assit, prenant ses aises.

Eva ! Junlahdwiin ? C'est tout aussi joli, mais je vais garder Jun si ça ne te dérange pas !

Elle lui fit un petit clin d'oeil. Puis il posa quelques questions, et Eva agita une oreille. Oups ! Elle s'était peut être lancée dans une tâche un peu trop grande pour elle, ou en tout cas qui allait mériter pas mal d'éclaircissements. Elle rit doucement, amusée par sa volonté d'apprendre et de connaître le monde, trait dans lequel elle se reconnaissait.

Alors, c'est un peu plus compliqué que ça. Enfin, pour répondre à ta première question : oui, il y en a d'autres des comme moi, enfin des loups ailés, je suppose que tu parles de ça ? Je viens de familles itinérantes qui vivent bien plus à l'Est de ces terres, à plusieurs jours de vol de distance. Mais les loups ici sont plus...

Normaux ?

Terrestres.

Son sourire, qui avait vacillé, se ré-affirma.

Mais il y a de nombreux loups, ici, oui. Trois clans, les Nakhus qui sont plutôt neutres, et les Etelkrus et les Lazulis, chez qui s'introduire est plus... Délicat. Je crois que suite à quelques drames, les solitaires - ceux qui n'ont pas de clan, comme toi - sont mal considérés.

Son sourire prit une teinte gênée.

C'est bête, mais bon, du protectionnisme classique.

Elle gratta le sol de ses pattes.

Si tu veux plus d'informations sur les clans, je doute d'être l'interlocuteur idéal ! Mais je peux peut-être te trouver des interlocuteurs.

Si jamais elle pouvait.

Vous savez.

Aider.

Il lui sourit à nouveau, elle qui voulait garder le raccourci, elle qui avait un nom si court alors que le sien était beaucoup trop long. Non ça ne le dérangeait pas, après tout, elle l'avait entendu faire lui même le raccourci. Elle répondit ensuite à ses questions, elle qui venait tout comme lui de loin, mais seule finalement par rapport à ce qu'il avait compris précédemment. Un peuple de semi-oiseaux qui venait de l'Est et il se questionna un peu personnellement. Lui, d'où venait-il précisément bien au delà des souterrain qu'il n'avait que trop connu? Pouvait-il espérer un jour rentrer chez lui ? Est-ce que ce chez lui pouvait-il encore être considéré comme tel ? Lui qui avait disparu depuis si longtemps, lui qui n'était plus celui d'avant l'accident, lui que les fantômes du peuple disparu avait modifié.
Son regard dériva légèrement à ce rappel, à ces questions, perdant un instant le sourire qu'il offrait à la louve oiseau. Il releva les yeux cependant lorsqu'elle prononça le mot terrestre, comme si elle aussi, se languissait de ses origines. Il agita les oreilles dans un tic nerveux, se retenant se frapper à nouveau le sol d'une de ses pattes d'acier.

« C'est pas le moment de penser à ça. »

Encore des paroles pour lui même, lui qui avait depuis trop longtemps perdu l'habitude d'avoir un interlocuteur. Et il écouta avec attention la suite : Trois clans, un neutre, celui sur lequel il avait eu la chance de tomber, deux autres, plus hostiles parce qu'il était... un solitaire. Ce constat fut comme une blessure.

« J'ai une meute. »

Réponse sèche, il n'avait pas retrouvé le sourire, juste avant de lever une babine pour montrer ses crocs à quelque chose. Oh pas à Eva, il ne la regardait même plus, tournant la tête sur le côté, comme si un autre se tenait à son niveau.

« Ah oui et laquelle ? Tu n'as jamais été capable de les retrouver et les autres... ils ne t'ont jamais répondu. »

Il baissa la tête, oreilles en arrière avant de taper le sol d'une patte arrière et de reculer dans la nuit, abattu quelques instants par ses propres paroles, détournant la tête de tout, n'écoutant même plus la suite de ce que racontait la louve... la louve ! Oh, oh non, il l'avait oublié quelques instants, trop habitué à n'avoir personne en face de lui. Elle allait le prendre pour un fou, probablement qu'il l'était  un peu mais il ne voulait pas qu'elle fuit, qu'elle parte, elle qui était son premier véritable contact depuis quatre ans. Il releva à nouveau la tête vers elle, dans son œil robotique, aucune émotion, il ne pouvait la créer mais dans le vivant, un sentiment d'inquiétude.

« Oh excuse moi, je ne voulais pas... s'il te plaît, est-ce qu'il serait possible que tu m’amènes vers les tiens ? »

Que tu ne me laisses pas seul ? Que je ne sois pas ce solitaire que personne ne voulait ? Ni ce dernier membre d'un peuple disparu ?

La réponse, sèche, lui cloua le bec, bien qu'elle n'ait que les ailes de ces animaux. Avait-elle tant que ça donné l'air de s'apitoyer ? Elle recula d'un pas, quand même. Puis une idée s'imposa à elle, peut-être ses histoires ne faisaient que réveiller vieux échos en lui, qu'elle parlait trop, qu'elle avait-

Sa deuxième phrase ne fit que confirmer ses doutes.

Je ne savais pas je-

Elle commença à se justifier, se tut. Quel social faux-pas ! Et quel manque de clairvoyance. Elle avait cru pouvoir le distraire, lui offrir un sourire mais il s'avérait qu'il n'en voulait pas. Les babines de Jun se soulevaient - soudain Eva n'était plus si sûre quant à sa présence ici. Elle prenait conscience de son corps de métal, de la puissance contenue dans ses pattes, de celle de sa mâchoire, dont les crocs brillaient au clair de lune. Ses muscles, habitués à soutenir la masse le composant, roulaient sous sa peau, tendus.

Elle déglutit. D'un simple mouvement, il pouvait la briser en deux. Si Eva n'était pas simple à impressionner, elle avait conscience de sa faiblesse physique, marque des loups de sa famille. Elle n'était qu'une brindille flottant au vent, et lui seul était son allié. La jeune louve s'interrogeait sur le bien fondé de prendre la fuite, lorsque les mots du loup en face d'elle éveillèrent une certaine confusion dans son esprit.

Il ne lui parlait pas, c'était impossible. Cette fois encore, il se parlait à lui-même, pire ! S'accablait de remords. Et ça, Eva ne pouvait le tolérer.

Malgré la peur panique qu'il lui inspirait, malgré le tiraillement qui la poussait à fuir, le tremblement de ses membres qu'elle était obligée de réprimer, elle se composa un sourire.

Se maudit.

Il était faible, et n'aurait pas convaincu sa mère qui pourtant gobait n'importe quoi. Alors elle se força un peu plus, un peu mieux. Elle ouvrit légèrement ses ailes, et sautilla vers lui, un pas rendu plus simple encore par celui que son congénère avait fait en arrière, les peur de la louve chassées par ses dernières paroles, sa question. Un rire, véritable cette fois. Si elle n'oubliait sa carrure et son potentiel, elle n'avait plus aucun mal à passer outre. Elle pouvait l'aider et c'était tout ce qui comptait.

Bien sûr !

Elle s'approcha d'un pas encore, jusqu'à le frôler.

Il n'y a qu'à franchir le, eeeeeh

Petite pause.

Un petit bout de mer. Mais tout va bien se passer !

Elle laissa passer un moment plus long encore, alors qu'elle se dirigeait vers l'entrée de la bibliothèque, l'encourageant à la suivre. Sa voix était douce, un simple murmure.

Je suis désolée, pour tout à l'heure. Je n'ai pas reconnu l'odeur des clans que je connaissais, et j'en ai déduit de fausses conclusions...

Elle masqua sa gêne d'un rire.

Sous leurs yeux, la mer, la vie. La lune était haute dans le ciel et éclairait presque comme en plein jour, dessinant ombres et reliefs de son voile d'argent. Les vagues venaient mourir sur la grève, à quelques pas seulement, où l'écume reflétait mille lueurs, lucioles vivantes et cabriolantes à quelques mètres de leurs pattes. Eva sentit son corps frémir, alors qu'un léger vent s'introduisant entre ses plumes et rafraîchissait sa peau délicate. Elle s'arrêta sur le perron, les yeux mi-clos, et prit une longue goulée d'air, laissant le vent de la nuit emplir ses poumons et son corps tout entier, frais, bourré des odeurs nocturnes. Qu'elle aimait ce temps !

Elle refit quelques pas, jusqu'à être chatouillée par le sable s'immisçant entre les doigts de ses pattes. Son rire brisa le silence de la nuit, et elle secoua ses membres pour chasser cette sensation à la fois agréable et désagréable. Quelques pas encore la menèrent droit dans l'eau. Elle était un peu froide, mais la grève n'était pas très loin, en moins d'une heure de nage ils pourraient y être. En plus, ils avaient de la chance : le temps calme promettait une traversée tout en douceur. Elle se tourna de nouveau vers Jun.

Tu sais nager ?

L'autre éventualité ne lui était pas venue à l'esprit un seul instant, et elle espérait très fort qu'il avait des ascendances de poisson, parce que sinon l'aventure risquait de devenir très compliquée.

Son coeur se serra un peu lorsque, le considérant, elle remarqua ses pattes qui s'enfonçaient bien plus que de raison dans le seul meuble et sablonneux.

Ca ne serait peut être pas si facile, en fin de compte...

Son regard s'assombrit à sa réponse pleine d'esprit mais clairement négative sur le sujet. Mauvaise pioche... Elle détailla le corps de métal du loup, lourd et massif. C'était un véritable travail d'orfèvre d'un esprit inventif et créatif. Les lignes étaient épaisses mais harmonieuses, les articulations cachées mais efficaces, les pics désordonnés mais gracieux. A la mention d'un avant, les yeux d'Eva s'agrandirent. Elle était partie du principe que, comme beaucoup d'autres ici, il n'était que la victime ou le résultat d'une magie puissante et sauvage, née des dieux et de leurs lubies. Mais il parlait d'avant comme d'un accident, un passé révolu dont il ne pouvait, ou ne voulait se souvenir. Un frisson agita son poil épais.

Etait-ce... Un sujet tabou ? Il n'avait pas l'air particulièrement traumatisé, amer peut-être quand à sa condition d'hybride, mais sans la profonde tristesse sous-jacente que l'on trouvait parfois chez les âmes torturées. Il avait l'air plutôt... Curieux. Et ouvert. Et sympathique. Elle s'approcha de quelques pas et osa ses questions, oubliant momentanément le problème de cette langue océane qui les séparait du continent. Elle était curieuse, si curieuse ! Qui, où, quand, quoi, comment !

Mais d'où viens tu vraiment, loup de sable ?

Elle faisait référence à sa couleur, qui lui imposait l'image d'une plaine désertique rougeoyante intense et mortelle, emplie d'un sable si fin qu'il se glisse entre les coussinets, gratouille sous le poil, agresse le museau. Un désert où le soleil brûle tout ce qui ose sortir de sa cachette, massacre les ombres le temps qu'il est levé, chasse tout nuage de son oeil vipérin.

Tu sors de la terre, et tu ne ressembles à rien que je n'aie déjà vu. Comment ?

Elle se montrait impolie, mais. Curiosité ! Comment lui résister ? A défaut d'avoir une idée miracle de comment les sortir d'ici (parce qu'Eva ne se sentait pas, jamais, de l'abandonner sur ce petit bout de plage qui, bien que joli sous la lune, n'avait rien de paradisiaque avec en prime son cimetière), elle pouvait faire la causette.

Raconte moi ton histoire !

Occultée, la façon de rejoindre la plage... Pour l'instant, car un petit coin du cerveau d'Eva y travaillait sans relâche. Une paille géante ? Une bulle d'air ? Retenir son souffle ?

Le rhum des Raeders ? La légende disait qu'ils étaient loups des mers, peut être pourrait-elle trouver quelques informations intéressantes de ce côté ?

Sinon, Yurai restait une carte puissante à jouer.

Il ne traverserait pas, pas tout de suite en tout cas, le loup au corps d’acier finit par le deviner. Alors il quitta ce sable trop mou, ces vaguelettes qui creusaient un trou autour de ses pattes, pour rejoindre un sol légèrement plus stable mais encore assez difficile pour lui qui était trop lourd, trop rigide également. À nouveau, à la question de la louve ailée, il perdit son regard dans l’horizon, si lointain paysage qu’on ne voyait jamais lorsqu’on vivait sous terre.

« En réalité, je ne le sais pas vraiment non plus. »

Ses origines qu’il chérissait, qu’il avait toujours voulu retrouvé, qu’il avait si longtemps cherché, Jun les ignorait. Son nom même était très certainement faux, une identité perdue, réécrite avec ce qu’on lui soufflait, si les voix existaient réellement.
Son regard revint sur Eva dont l’air si curieux, si intéressé lui tira un nouveau sourire.

« Je n’ai que des souvenirs flous de là où je viens vraiment ou de qui j’étais avant, à peine quelques images, quelques sons ou sensation.  
Je ne sais pas ce qu’il s’est réellement passer, probablement que je suis tombé mais à mon réveil j’étais... comme ça »

Et il se pointa d’un signe de tête, à nouveau il montrait ses prothèses de métal qui lui donnait cet air si atypique, qui lui avaient probablement offert une seconde chance mais qui actuellement, le condamnait à cette île alors que s’étendaient devant lui tant de terres impossibles à atteindre.

« Ce n’était pas le cas avant, c’est une des rares choses dont je suis certain.
Mais je me suis retrouvé au fond d’un gouffre, avec le ciel bleu comme une petite tache au travers de la sortie à des dizaines de mètres au dessus de ma tête et cette sensation d’avoir perdu quelque chose. Tout à ce moment en l’occurrence »

Famille, foyer, soit même. Il eut un soupir en y repensant. Ce qui lui faisait le plus mal dans tout ça c’était de ne même pas se souvenir de ce qu’il avait perdu, être totalement incertain de s’il aurait été capable de reconnaître là d’où il venait s’il un jour il retrouvait l’endroit. Il s’efforçait à se dire que oui, même au plus profond de lui, l’optimisme permettait de tenir là où le pessimisme inciterait à s’effondre rapidement.
Le mâle ocre pointa ses oreilles vers la louve.

« Mais c’était loin d’être inintéressant, là sous terre ou enterrer par l’âge vivait une immense civilisation. Il y a des villes en dessous de nos pattes, immenses, aux mécanismes complexes, à l’art et au savoir extrêmement développés. Tout a été délaissé pourtant, je n’ai jamais croisé personne »

Et il détourna un peu le regard, comme à chaque fois qu’il s’adressait à lui même, comme s’il cherchait un reflet ou le fantôme d’un clone, enfonçant ses doigts d’acier entre les grains du sable.

« Cependant il y avait forcément quelqu’un d’autre n’est ce pas? »

Il laissa sa question au silence, attendit quelques instants le temps de revenir dans la conversation alors que son esprit divaguait entre milles pensées, milles questionnement qui avaient rythmé sa vie jusque.
Et il revint sur la louve, chassant le tout d’un tapotement de patte sur le sol et d’un petit rire qui s’échappa de sa gorge.

« Mais ça manque de ciel et d’air frai là dessous, j’ai vraiment hâte de découvrir un peu du monde d’au dessus! »

Pour cela encore fallait-il trouver un moyen de traverser.

Elle écouta sans l'interrompre le flot d'informations et de légende que lui racontait le loup couleur du désert. C'était tellement... Surréaliste. Mais, après tout, sur ces terres c'était presque cohérent avec ce qu'elle avait l'habitude de voir au quotidien. Entre les statues et les dieux ; les pouvoirs et les loups ; était-ce si absurde que ça ? Eva sautilla doucement sur la plage, appréciant les grains qui se glissaient entre ses doigts. Le sourire qui parfois illuminait les traits de son interlocuteur était tout ce qu'il fallait pour lui remonter le moral.

A la fin des explications, elle secoua doucement la tête.

Peut être le jeu d'un dieu curieux et capricieux ? Le continent en est rempli.

De ce qu'elle avait pu voir jusque là, en tout cas. Elle tourna sur elle-même et jeta un coup d'oeil nerveux à la langue d'eau qui les séparait dudit continent. Elle se gratta l'oreille.

Elle était visiblement très emmerdée.

Ecoute...

Son ton était nerveux, désolé.

Je ne sais pas du tout comment t'aider à retourner sur le continent. Enfin, pas là, pas toute seule pas comme ça.

Elle secoua la tête.

Mais je vais trouver. Si ça te va, je peux aller chercher de l'aide et revenir avec ? Ici, je ne te suis d'aucune utilité.

Le reconnaître lui faisait aussi mal que de devoir repartir sans lui avoir rien offert d'autre qu'une petite discussion. Mais elle avait plein d'options qui s'offraient à elle : demander aux membres de la meute s'ils avaient des idées, en parler à leur oracle, à leur couturier, et à Yurai, peut être ! C'était toujours mieux que de moisir ici sans rien faire.

Il dressa les oreilles à l'évocation d'un dieu. Le mâle ocre laissa quelques secondes filées avant de prendre un air plus léger, sur le point de rire doucement mais se ravisa en remarquant que la louve n'avait pas l'expression de la blague. Des dieux... Visiblement une croyante qui avait fini par se faire embobiner par une poignée de prêtres aux artifices connus d'eux seuls. Un moyen simple et efficace pour contrôler les masses, il en avait vu des mécanismes multiples à cet effet dans ces villes qu'il avait visité. Quand il n'y a plus personne pour surveiller les curieux, eux, voyaient l'envers du décors.

Eva enchaîna finalement sur la vérité, avec un air peiné et agacé sur le visage probablement contrariée par la promesse qu'elle ne pouvait pas tenir, se rendant à l'évidence qu'elle ne pouvait rien faire. Junlahdwiin lui, baissa une oreille sur le côté mais n'afficha pas d'air triste ou déçu.

« En réalité, je m'en doutais un peu. »

Bien qu'il espérait vraiment que la louve trouve une solution, il l'avait deviné dés qu'elle s'était rendue compte qu'il ne pouvait pas nager que ça ne serait pas aussi simple qu'il n'y paraissait, peut-être même s'en doutait-il un peu déjà plus tôt. Après quatre ans à être rester enfermer sous terre, ça aurait été bien trop beau de se retrouver libérer dans de grands espaces, une terre infinie sous un ciel bleu et sous le soleil. Il l'avait si longtemps imaginé, on ne faisait plus attention lorsqu'on était si proche du but, il avait réussi à sortir certes, mais au mauvais endroit.
Le mâle ocre hocha la tête aux dernières paroles de la louve ailée puis il s’essaya dans le sable dans un bruit de mécanisme qui se déclenchaient entre eux avant de relever son museau vers la femelle.

« J'attendrais. »

Ce n'était pas une promesse mais peut-être que ça y ressembler tout de même un peu, il ne se doutait pas que lui aussi n'en tiendrait pas une finalement.

Cette petite phrase, toute simple, la blessa quand même. C'était la traduction sympathique de "On ne peut pas te faire confiance" ou "Tu racontes n'importe quoi". Elle tressaillit et se mordit la lèvre, soupira. Après tout, elle n'avait pas de solution à lui proposer, donc oui, c'était du vent, autant se rendre à l'évidence. Peut être qu'un loup plus fort qu'elle pourrait l'aider à traverser ? C'était encore la solution la plus simple, la plus évidente. Ajani semblait le mieux placé pour ce faire...

Elle secoua la tête et recula d'un pas.

D'accord. Alors je reviendrai, je te le promets.

Elle ôta l'un de ses bracelets doré, et le posa sur le sol juste devant le loup couleur sable.

Tiens je te laisse ça en gageure. A bientôt, Jun !

Et elle recula de quelques pas. Il ne servait à rien de faire trainer plus longtemps ces adieux nécessaires : Eva bondit de plusieurs mètres, battant des ailes, pour prendre de l'altitude et ne devenir plus qu'un petit point dans le ciel, avant de se laisser glisser vers le continent.


Quand elle reviendrait plusieurs heures plus tard avec Ajani, il n'y aurait sur la grève que deux loups, l'un profondément perplexe et l'autre profondément triste.