Vacance sur les flots [Creek]

< Creek ; pendant la convalescence


C'était dingue quand même. On ne le laissait pas en paix. On ne le laissait pas se morfondre dans son coin. On ne le laissait pas dormir et être grincheux. C'était donc bien évidemment en ronchonnant que le mâle anthracite avait suivi Sayuri et ses promesses de lui fournir plus de pavot sur la beau bâtiment que Céto leur avait offert. Le navire l’impressionnait à chaque fois par sa taille et sa beauté. De belles voiles claquants sous le vent marin, un bois massif et sombre, couvert de mousse et de coquillages après son long sommeil dans les abîmes. Et encore de nombreux trésors et cachettes à découvrir en son ventre. Alors forcément, une fois sur place, il en oubliait presque son besoin viscéral d'endormir la douleur au profit de fureter encore et toujours plus loin dans les entrailles de la bête réveillée. La voix moqueuse de la louve-poisson le tira de sa contemplation et il répondit par un rictus jobard. La vieille louve subissait l'action du temps dans ses muscles et ses os aussi bien que lui, ses blessures à peine cicatrisées. Pourtant il l'enviait beaucoup. Parce que elle, au moins, elle pouvait déjà atteindre les profondeurs de l'océan, elle pouvait vivre sous l'eau, elle pouvait profiter de la malédiction, alors que lui ne faisait que la subir pour l'instant. Enfin subir... Bientôt oui, pour l'instant ça ne changeait rien à son morne quotidien, sur Morne-Oeil.

« Il fallait bien que l'un de nous soutiennent tes vieilles et jolies écailles~ »

Lâcha t-il sur le même ton qu'elle avait employé. Il s'était installé entre eux une certaine complicité, un jeu de piques orales, des flagorneries parfois, maquillées en moqueries, de l'ironie souvent. Un respect mutuel aussi les liait, car elle avait fait son chemin dans leur groupe de forban, et qu'à ce titre elle méritait amplement sa place au sein des Raeders. Or tous les membres formaient une espèce de famille soudées et complices bien que fort étrange et monstrueuse, il en convenait. Mais la monstruosité n'était-elle pas subjective ? Ils n'avaient de bête de foire que l'apparence, parce que transformation pour certains, blessures de guerres pour d'autres, aspect général et odeur aussi parce que les claniques et leur mentalité de brutes épaisses n'étaient pas mieux lotie qu'eux et leurs sacrifices. Et puis il avait déjà eu l'occasion de voir une louve ailé, une louve chauve souris et aperçu de loin des loups crocodiles. Alors, de tout ça, qui étaient les plus effrayants ? Le sourire de Creek s'élargit alors qu'il avança en claudiquant jusqu'au rebord du pont, côté océan, pour se noyer dans la contemplation de l'horizon avec son œil valide. Il avait remarqué depuis peu que le second voyait flou, mais il ne l'aurait jamais avoué. Il avait bien assez de maux avec lesquels on l'enquiquinait.

« T'inquiète pas, je me reposerais quand je serais mort. Et c'est pas demain la veille ! »

Ricana le pirate en replaçant son bandeau sur le haut de son crâne. des breloques teintèrent avec le mouvement. Son oreille valide se dressa aux craquements du bois alors qu'il se déplaçait. Il adorait tous les sons que pouvaient produire un grand voilier comme celui-là. Sa patte de bois grinça, et son regard cobalt suivi la ligne de bastingage. Il revint vers le milieu du parquet, vers Sayuri. Sa démarche était encore saccadée, douloureuse et lente. Il avait su retrouver l'équilibre avec une patte broyée et la queue coupée, mais cela demandait du temps pour revenir à une fluidité plus banale. Enfin, il ne se reposait pas sur ses lauriers, et bien qu'il aimait rester seul dans sa grotte, loin de la lumière du jour, il appréciait montrer ses efforts et progressions du chaque nouvelle journée.

« Bon ! Tu m'as pas emmené ici pour regarder les mouettes, j'espère ! »

Il s'assit sur son postérieur et fixa la femelle en souriant. Il l'aimait bien finalement, et puis elle était presque aussi attentionnée qu'une mère avec lui.

< Creek ;


Des échanges un peu piquants, des rires et des gestes amicaux plus tard, le pirate quitta le bord du pont pour s'approcher lentement de Sayuri et du temps d'exploration qu'elle proposait. Il fixa un instant le trou sombre que marquait le chambranle de porte où descendait une volée de marche s'enfonçant dans l'obscurité vers les ponts inférieurs. Puis son regard cobalt dériva vers la femelle hybride grise et il l'étudia, un sourire vague flottait sur son museau couturé. Il observa son mouvement en suspension. Elle était prête à dévaler l'escalier pour se lancer dans cette drôle d'aventure avec lui s'il le désirait. C'était comme retomber en enfance, à l'orée de partir en découverte de l'inconnu malgré la pression du noir. Qui savait ce qu'ils trouveraient là en bas ? Il se revoyait, jeune loup, impressionné par la grotte mystérieuse de Morne-Oeil où Ajani l'avait rejoint pour une soirée à se faire peur et à jouer les durs. Le sourire du mâle anthracite s'élargit alors qu'il avança tranquillement jusqu'à la louve-poisson. Son regard pétillait de malice, son allure était volontairement posée et son attitude un peu trapue. Tel un prédateur s'approchant de sa proie tout en la dévisageant pour qu'elle se sente électrisé par les orbes qui la fixaient et en oublie de fuir. Lorsqu'il la rejoignit sur le perron de ce monde prometteur où il comptait bien se lancer à corps perdu avec elle, il frotta son épaule contre elle et la dépassa dans un rire :

« Je parie que je trouverais un plus beau trésor que toi. »

Il descendit de quelques degrés d'un bond, et retint un grognement de douleur. Il était plutôt en bonne voie de rémission, toutefois il savait devoir faire doucement. Creek n'était pas patient, pas à ce point là. Il ronchonna un peu, mais releva ses prunelles bleu nuit vers la femelle.

« Mais si tu es sympa, je partagerais peut-être ! »

Et il n'attendit pas plus pour se précipiter dans le noir, malgré la douleur qu'il côtoyait maintenant quotidiennement, afin de lancer la course, le jeu, afin surtout, de lancer la compétition avec elle. Car plus que partir dans un moment de détente et d'amusement, c'était le partager avec elle qui le rendait de meilleur humeur. Il laissa éclater un nouveau rire guttural vers le haut des marches, afin de le faire résonner jusqu'à la femelle blonde et s'engouffra ensuite dans la première pièce à sa gauche. Quel bonheur de découvrir une cabine richement décoré de tentures rouge sombre passée, moisie par endroit pour être restées si longtemps dans l'eau salée. Derrière, des carreaux sales mais qui laissait transpercer une lumière crue. Il tira l'un des rideau pour gagner en luminosité et mieux apprécier ce qu'il avait sous les yeux. Un meuble bas aux épaisses portes de bois attira son attention, car l'une des portes avait gondolé et ne fermait plus correctement. Il alla donc en claudiquant jusque là et la tira grande ouverte pour trouver, avec le plus grand des bonheurs, une bouteille de rhum qui semblait bien âgée. Jobard, le noiraud attrapa le goulot en verre et tira la lourde trouvaille vers le centre de la pièce pour observer la charmante couleur ambrée du liquide vieillissant. Instant d'hésitation... Peut-être faudrait-il garder ce petit trésor pour une occasion spéciale ? En même temps, chaque jour était une fête alors... Il aboya pour interpeller sa compagne de jeu et avoir son avis.