Le vent l'emportera ♖ Leikn

Le dome s’élevait au-dessus d’eux.

Les murmures avaient cessé maintenant que les autres étaient loins. Leikn n’entendait plus leurs plaintes, les lamentations douloureuses de la souffrance qu’émanait de ses confrères. Leur échapper n’était chose aisé, les suivre était nettement plus facile. Pourtant, il y avait bien des murmures qui la préoccupait, ceux qui émanait de celui qui à ses yeux comptait le plus. Ainsi, voici la raison qui la poussait à vouloir réentendre ces sons, apaiser la douleur de son Trèfle, le réconforter dans la peine. Parce que lui aussi avait souffert, lui qui avait du affronter la mort de sa nièce, voir deux de ses filles marquées, la troisième qui traçait son propre chemin.

Le vent souleva les mèches roses de la Licorne qui observa la silhouette du disciple de Moiro non loin. Lui qui, debout, les yeux dans le vide, semblait voir les choses sans réellement les ressentir. Les murmures montés doucement, la douleur de l’esprit fredonnait au loin, pas suffisamment forte pour réclamer de l’aide, pas assez faible pour conserver le silence. L’ancienne solitaire se stoppe dans sa marche, écoutant les mots qui sonnent vides à ses oreilles. Sans un mot, elle s’approche, se plaçant face à lui, ses yeux verts posés sur le cristal légèrement fissuré, dont s’échappait quelques gouttes roses. Les sourcils froncés, la Lazulis pose l’une de ses pattes dessus avec douceur. Nul mot ne fut prononcé. Les dieux, les enfants… tout cela semblait avoir détruit Mister Bélier, le transformant progressivement en coquille vide. Leikn aurait voulu dire plus, tellement plus, pourtant elle ignorait même si sa présence était encore bien vue, elle qui dans sa corne centrale portait désormais la marque d’Ao, elle qui n’avait su comment réagir lors du dernier rassemblement. Fermant doucement les paupières, l’herboriste tenta de ressentir, d’entendre les sons si étranges que son pouvoir lui permettait de percevoir. Elle aurait voulu apaiser le loup, le calmer, quitte à délaisser les autres pour se concentrer uniquement sur lui.

Les pans de la cape de la Licorne se soulèvent avec le vent. Qu’est-ce qu’ils t’ont fait, hein Teddy ? Pourquoi t’ont-ils brisé ? Pourquoi ? Où donc étaient passés les éclats de rires, les moments de joies ? Pourquoi toute chose devait-elle forcément avoir une fin ? Leikn était prête à tout pour retrouver cela, ne plus perdre ce lien, ne plus perdre le Trèfle. Quitte à offrir sa vie pour cela, pour le voir se sentir mieux.

Parce que je sais que tu en vaux la peine. Je te laisse t’approcher, même si je suis pétrifiée. Mon coeur me hurle de fuir, mais ce n’est plus moi. Pour toi je supporterais la douleur et resterais.

Encore et toujours.

La licorne regarde l’horizon au loin, écoutant Mister Bélier. Pourquoi serait-il toujours fautif ? Devait-il s’en vouloir que Méluciole et Mésange aient souhaité mené une existence toute autre ? Devait-il se reprocher le fait que Nugget souhaite à son tour voir ce que pouvait lui réserver la vie ? C’était dans l’ordre naturel des choses, c’était là le fardeau de tout parent, la peine de voir l’oisillon quitter le nid pour des fois ne jamais revenir. Teddy craignait sûrement que ce qui était arrivé à sa nièce, arrive également aux plus jeunes, mais chaque enfant était différent après tout ? À moins d’enfermer les enfants dans un espace clos sans contact avec l’extérieur, ils ne pourraient jamais les préserver éternellement de cette chose douloureuse qu’est la vie.

« — Idiot, pourquoi serais-ce toujours de ta faute Teddy ? »

C’était maintenant droit dans les yeux qu’elle l’observait, refusant qu’il s’accable de reproches pour une chose qu’il ne pouvait contrôler. Cela aurait été trop injuste, après tout, ils avaient tous leur rôle à jouer…

« — Si tu as été imparfait en tant que père, j’ai également échoué en tant que mère auprès d’elles. »

Quand bien même les deux aînées ne la voyait pas comme telle, Leikn avait fini par s’attacher aux deux, les considérant comme membre de cette étrange famille. Au même titre que Nugget, la louve donnerait leur vie pour protéger chacune d’entre elles. Alors si Teddy avait raté quelque chose dans leur éducation, la faute lui revenait aussi. Toutefois, pour l’herboriste les derniers actes des adolescentes n’était en rien un échec, juste une preuve qu’elles avaient forgé leur propre opinion, que leur vision des choses avait évolué. L’oisillon avait éclos pour laisser place à de majestueuses colombes.

« — Nous ne façonnons pas nos enfants, c’est à eux que revient leur destin, alors qu’ils volent de leurs propres ailes, si c’est ce qu’ils jugent nécessaire. »

Eux, n’étaient là que pour les épauler, leur apprendre la base de toute chose, mais en rien les contraindre. La louve demeure à sa place, laissant son corps se blottir contre le Bélier, ses yeux observant un instant le cristal rose ébréchée, qui murmurait doucement.

« — Veux-tu que je le répare ? »

Parce qu’elle ne le forcerait pas si jamais il voulait que cela se soigne naturellement, parce qu’elle savait que lui aussi cherchait toujours à voler toujours plus haut.