Incolore [Terminé]

Incolore

★ Yersine
★ Mâle, Solitaire.
★ Aucun Glowstick.

C'était une grande bâtisse qui s’élevait devant lui, étendant ses pierres comme les ailes d'un corbeau. Ou plutôt, d'une corneille. L'automne, déjà bien installé, avait donné au lieu un attrait flamboyant, de rouge et de vermeille, de jaune et de merveilles. Le soir tombant, le ciel lui-même offrait un miel rosé, pailleté d'étoiles et de constellations, sur une nature déjà dorée. Il n'y avait pas un souffle de vent. Pas un frisson. Comme si le temps s'était stoppé, se taisant face aux premiers pas du loup sur les marches du Temple.

Tout avait changé.
Et pourtant, tout semblé constamment plongé dans la confusion et le déni. Comme un magma insipide, un chaos vibrant, roulant, se trémoussant, se mordant, sur lui-même et sur les autres, indomptable. Alors, d'un soupir, il s'avançant, cliquetant ses griffes sur les pavés de marbres, ne daignant lever les yeux sur les somptueux arts qui gravé si bien les pierres de l'édifice. Jusqu'à ce qu'il manque de buter contre l'autel. Un grand autel en l'honneur de Yurai.

Il déglutit.
Les questions s'étaient bousculées dans sa tête tout le long du voyage. Et désormais, il n'y avait que le silence, rythmé par son cœur trépidant. D'un mouvement tremblant, il s'avança. Posant une patte timide sur la pierre froide, il y déposa de sa gueule un coquillage irisé. Un présent spécial en son être. Garde le ou offre le à quelqu'un qui est spécial à tes yeux.
Sobieski avait raison. Il avait toujours raison. La déesse était spéciale. Oh, pas de la façon dont beaucoup aurait aimé. Pas d'histoire de cœurs, ou d'amitié. Pas de sollicitude ni d'appréciation. Mais il y avait quelque chose, dans ce temple, dans l'atmosphère, qui donnait un âpre gout de similitude entre la Corneille et le jeune mâle.

- Yurai. Je... Je ne suis pas l'un de vos disciples. Ni même de votre clan. A vrai dire, je ne suis personne. Je n'ai ni dieu. Ni clan... Ni famille.

Il se mordit l'intérieur de la joue, frissonnant face à l'imposante statue. Le regard d’améthyste semblait le fixer, attendant quelque chose de sa part. Quelque chose d'autre qu'un coquillage. Alors il reprit, cherchant à donner un sens à ses pensées, à ses mots si confus et blessés.

- J'ai tué.

Un silence se fit, même en lui. C'était comme accepté ce fait. Accepté qu'elle avait gagné, même dans la mort. Accepté, au delà du monstre, qu'il avait tué une louve. Un membre de son espèce. Qu'il avait prit une vie sacrée. Au nom de la vengeance. Et uniquement, de la vengeance.

- J'ai poussé au suicide, après l'avoir combattu, une louve. Une fille. Une mère. J'ai prit la vie d'un être qui était aimé. Qui était désiré. J'ai tué quelqu'un. Pour me venger.

Il déglutit. Difficilement. Autant de salive que de larmes qui affluaient en ses yeux. Il ouvrit la bouche pour parler, mais la referma aussitôt, pour baisser les yeux sur ses pattes, un sourire amusé et pourtant si triste, sur ses lèvres.

- C'est étrange, n'est-ce pas. De venir vous voir pour expier un pêché. Je ne suis pas l'un des vôtres. Je n'ai rien à faire ici... Mais j'aimerais comprendre. Pourquoi. Pourquoi est-ce que la fin d'un être si cruel me tue autant ? Pourquoi ce monstre, même dans les Abysses, arrive t-il encore à me poignarder ? J'ai rêvé de ce sang. J'ai rêvé de sa mort. Je l'ai attendu, longuement. Cette vengeance qui bouillait en moi, simplement inhibée par la peur. Et maintenant... maintenant, j'ai l'impression qu'elle a gagné.

Il fit une pause, courte, et pourtant si intense sur sa langue.

- Elle m'a tout prit ! Mon enfance. Mon œil. Mon innocence. Elle m'a poursuivit des années. Des années de survie, a courir et à sursauter au moindre bruit. A fuir meutes et dieux par peur de la croiser dans ces assemblées. Par peur des autres, qu'ils soient tous comme elle. Des années de cauchemars et de larmes, à me penser faible, stupide. A me haïr. Alors pourquoi est-ce que je me sens coupable ? Pourquoi est-ce que son sang à un gout si amer ? Pourquoi ai-je l'impression que c'est moi, le fautif ? Que c'est de ma faute, si elle a sauté. Que c'est de ma faute, si les orphelins pleurent désormais.

Les sanglots ne purent être réprimés plus longtemps. Et il pleura ; des larmes d'enfant perdu et d'adulte meurtris, un hoquet incontrôlable, longs et sinueux, bloquant sa respiration et ses pensées. Il avait tué. Il avait prit une vie. Aussi noire soit-elle. Il avait tué.

- Yurai...

Il chercha à se calmer, serrant les crocs et les yeux pour condenser sa frustration, sa peine et sa douleur. Pour les faire taire, ne serait-ce que le temps d'une réponse.

- Comment... Comment avez-vous fait pour leur pardonner ? Vos frères et sœurs. Ceux qui vous ont trahis. Abandonnée. Comment avez-vous trouvé la force de les pardonner de leur oubli. De nous pardonner notre mémoire inerte. Et de vous pardonner. De vous pardonner d'avoir fait vengeance. D'avoir prit.

Un énième sanglot prit le court sur ses phrases, les déformant comme un enfant babillant. Car c'était bien tout ce qu'il était, face a la Corneille. Un gamin perdu.

- Est-ce que c'est pour cela que vous n'intervenez pas pour les sauver ?

Eux. Ceux enfermés dans le dôme. Les innocents n'ayant répandu la haine du divin. Ceux qui n'ont fait que subir la colère d'une minorité anarchique. Eux, ces révoltés en colère, qui ne cherche que des réponses. Et qui n'ont plus que la violence comme solution. Et eux. Les dieux affaiblis. Blessés par la colère de leurs disciples. Les frères et sœurs de ce monde.

- Pourquoi est-ce que personne ne veut aider notre Famille ?

Celle qui forme le monde. Sous trois clans. Et battant pourtant à l'unisson.

Ce fut un volatile, qui se manifesta lentement devant Yersine. Petite, arborant le pourpre signature de la déesse, et un plumage plus long qu'un individu classique.
Yurai, sous une forme d'oiseau.

"Tes mots résonnent en mon temple, comme en moi." entama la corneille. "La vengeance ne saurait réparer les blessures que nous portons, ceci est une leçon que nous aurons appris tous deux."

Elle avança d'un pas, faisant cliqueter ses serres sur la pierre.

"Se pardonner à soi-même est amplement difficile, mais une conclusion est possible. Il y a tant de chemin possibles devant toi, pour trouver l'apaisement ; réflexion et compréhension, compassion, trouver sa voie." Elle reprit, après une pause. "J'ai trouvé la mienne en jurant d'expier les fautes du passé. Pour faire du futur un endroit meilleur."

L'oiseau posa ses yeux tout aussi violet que son corps, dans celui unique du loup noir.

"Soit tendre avec toi-même, avant tout. Il s'agit de l'action la plus ardue, mais la plus importante."


Un long moment passa, où Yurai resta silencieuse, observant le ciel à travers le vitrail de l'église. Ses comparses, perchées sur les poutres, les toisaient tous les deux.
Elle reprit la parole, alors que la conversation avait presque semblée être conclue.

"Nos pouvoirs son égaux, je ne peux réellement lever la barrière qu'a installé Mido. Je ne pourrais nier qu'ils ont parjuré aussi. Mais nous sommes les même, tout m'indique également de les aider."

Un objet apparut.
Une bille, qu'on aurait pensé faite de verre, recéllant en son sein une lumière violacée qui pulsait, palpitant comme un coeur vivant à l'intérieur.

"Si je ne peux ôter le dôme, même temporairement, cette perle devrait pouvoir permettre de le traverser. Une fois, et une fois seulement, cependant, elle se brisera juste après. Fais-en bon usage, peut-être pourras-tu les aider."

La silhouette de l'oiseau fantastique finalement, s'estompa doucement.

Incolore

★ Yersine
★ Mâle, Solitaire.
★ Aucun Glowstick.

Un oiseau se posa au près du loup, doucement, sans un bruit, telle une plume sur la neige. Les paroles furent, claires, résonnant dans la cathédrale comme dans le cœur de l'animal. Yurai avait répondu à son appel. A sa prière.

"La vengeance ne saurait réparer les blessures que nous portons, ceci est une leçon que nous aurons appris tous deux."

Il ferma les yeux, contenant ses larmes. Ainsi soit-il. Il n'y avait pas d'expiation de ses pêchés. Il n'y avait pas de solution miracle. Pas d'espoir d'épurer son âme entaché par le sang et le meurtre, par la colère et la démence des premiers crocs. La vengeance n'était qu'un autre nom pour meurtre.

"Se pardonner à soi-même est amplement difficile, mais une conclusion est possible. Il y a tant de chemin possibles devant toi, pour trouver l'apaisement ; réflexion et compréhension, compassion, trouver sa voie."

Il rouvrit son œil imbibé de larmes, cherchant la lumière en ces quelques mots. Compassion. En avait-il eu pour cette femelle tyrannique ? En avait-il reçu des siens. Etait-il, tout simplement, capable de comprendre ce mot ? Oui. Tout au fond de lui, il savait. Ce n'était pas uniquement le fait d'être empathique. C'était celui d'accepter au delà de comprendre. C'était celui de voir la détresse dans la haine. De tendre la patte aux crocs les plus apeurés. Celui d'aimer les indésirables. D'aimer les handicapés et les malades. Les esseulés et les perdus. D'aimer ce qu'apportait la vie, et d'y voir en chacun un espoir. De changer une vie, une seule vie, pour changer tout un monde.
Mais était-ce sa voie ? Lui, le craintif. L'errant. Celui qui ne connu l'amour, à peine l'amitié. Celui qui ploie dans la lumière et qui broie dans l'ombre. Celui qui, en cette nuit, semblait avoir été tué. Pour renaître en ce temple.

"J'ai trouvé la mienne en jurant d'expier les fautes du passé. Pour faire du futur un endroit meilleur."

Il voulu parler, mais se retint. A quoi bon faire de ce monde meilleur si le loup n'est là que pour détruire, pour prendre ? Pouvait il donner ce que les autres volaient ? Donner ce qu'il n'eut jamais reçu, ni même connu. Un mirage.
De l'aide. Il était venu ici pour recevoir de l'aide.
Et pourtant, en contemplant l'oiseau divin, il eut l'impression que c'était à lui de proposer ses services. Comme un appel lointain, vrombissant en son âme, en son essence même. Une résonance entre deux êtres, si différents, et qui, en ces firmaments, semblaient si proches.

"Nos pouvoirs son égaux, je ne peux réellement lever la barrière qu'a installé Mido. Je ne pourrais nier qu'ils ont parjuré aussi. Mais nous sommes les même, tout m'indique également de les aider. Si je ne peux ôter le dôme, même temporairement, cette perle devrait pouvoir permettre de le traverser. Une fois, et une fois seulement, cependant, elle se brisera juste après. Fais-en bon usage, peut-être pourras-tu les aider."

Il la contempla encore un peu, jusqu'à ce que la silhouette ne fut plus que fumée, emportée par un vent imaginaire et pourtant si rafraichissant. Il se leva, ramassant de sa gueule la petite perle scintillante, qu'il accrocha à son écharpe, fidèle arme et armure dans les situations les plus désespérées. Car, désormais, cette petite lumière lilas serait son signe d'espoir. De rédemption. Sa quête. Son dessein.
Il fit ce qui semblerait être une révérence maladroite, avant de tourner les talons, sans un mot.

Il savait.
Il comprenait.
Et plus encore.

Il acceptait.