Émulation ○ Kalash

< Joy ; 6 ans


Il y avait dans la vie des épreuves auxquelles il fallait se confronter. Il y avait des moments difficiles ou gênants qu'on ne pouvait esquiver. Cette journée en faisait parti. L'humeur de la femelle sablée était à l'image du ciel : grise et couverte. De lourds nuages semblaient menacer de déverser sur eux des larmes de colère et l'atmosphère était électrique, elle le sentait dans son poil. Comme elle ne contrôlait pas vraiment la formidable capacité offerte par le Seigneur rouge, celle-ci s'enclenchait souvent avec ses émotions. Outre la présence à ses côtés, l'orage grondant la rendait aussi nerveuse. Enfin, c'est ce que Joy préférait se dire. Jamais elle n'aurait avoué être mal à l'aise ou légèrement méfiante vis à vis du Prêtre d'Aka, et surtout il ne fallait pas le montrer ! Le mâle était imposant, strict, puissant et disciple de son Dieu. De ce fait il avait toutes les qualités requises pour être respecté de sa part. Sa bizarrerie fanatique n'était plus qu'une anecdote pour la louve, puisque le Grizzli lui-même les avait félicité pour cela et avait ainsi ré-assit la position de son porte-parole. Par contre, ce que la Bouclier ne pouvait oublier et laisser passer, c'était les paroles dénigrantes qu'il avait eu pour elle en tant que femelle. Comme si elle était plus fragile, plus faible ou quoi que ce soit dans cet esprit là, qu'un mâle. Ainsi donc, Joy gardait griefs contre Kalashnikov et l'avait évité autant que possible pour parvenir à gérer sa colère.

Chose qu'elle avait su faire de mieux en mieux depuis le nouvel espoir qu'Aka leur avait transmis. Elle sentait la chaleur de son Dieu la guider vers le droit chemin et l'apaisement. Loin de son Prêtre en tout cas. Aujourd'hui, elle se retrouvait à nouveau confronter à son propre sale caractère et devait s'efforcer de ne pas penser à ce qu'elle aimerait lui faire, à ce misogyne. Si vous imaginiez la tête qu'elle avait tiré le matin, lorsque Geb avait organiser les missions de chasse parce que les réserves s'amenuisaient. Il était fatigué, ça se voyait, il ne dormait pas beaucoup, était toujours sur le qui-vive et mangeait peu par manque d'appétit peut-être ou pour laisser les plus belles parts aux jeunes guerriers. En même temps... Avec sa fille la plus jeune dans une longue convalescence, il y avait de quoi être dans cet état fébrile... Et dans la mesure où il essayait d'être un roc pour tous, il s'oubliait dans le devoir à son clan, permettant ainsi à Anette d'aider Pepper à se soigner, et Athelstan à faire son deuil. Enfin bon, tout ça, ça expliquait très bien pourquoi il avait eu l'idée saugrenue et parfaitement stupide de demander au militaire et à la Bouclier de faire équipe pour ramener du bon gibier. Voilà, là vous imaginez bien la face interdite de Joy en entendant leurs deux noms prononcés pour une seule et même mission. Si elle avait pu grincer des crocs, elle l'aurait fait. Mais elle avait trop de respect pour le Heaume pour se révolter, et surtout le Grizzli lui même les avait inciter à la cohésion. Alors elle fit taire ses démons et était partie chercher le Prêtre rouge pour lui proposer de se rendre à l’île Abysse, terre très giboyeuse.

Egalement territoire où pour la première fois ils avaient eu à combattre côte à côté, face aux pirates pilleurs de... De quoi déjà ? De pierre précieuses sorties tout droit de terre avec leur piédestal de roc ? Enfin bref. Elle avait imaginé qu'ici serait l'endroit le plus logique et positif pour elle, afin de calmer ses ardeurs et se rappeler que Kalashnikov était respectable et puissant, et tout aussi dévoué qu'elle à leurs Alphas. De temps en temps, elle posait son regard d'or sur lui, à la dérobée, tandis qu'elle marchait deux pas en arrière, truffe au solen quête d'une piste solide. Si déjà ils étaient partis chasser à deux, ils pourraient rapporter une très belle proie. Peut-être un cerf ? C'était de surcroît la saison du brame et donc celle où les grands Rois de la forêt de se retrouvait relativement affaiblis par leur constance surveillance de leur harde. Pauvre mâle qui cessait de vivre copieusement juste pour le beau fessier de ces dames. Belle preuve de priorités pour ces cerveaux masculins. Joy sourit, goguenarde. Tous les mêmes, peut importait l'espèce. L'espace d'une seconde, elle se demanda si le loup bicolore au béret se laisserait distraire ainsi par une femelle ou s'il était assez dévoué à leur divinité pour se contrôler. Parce que elle, elle ne voyait vraiment aucun intérêt à ce genre de choses. Elle avait bien plus important à faire : faire son possible pour le bien-être de ses Meneuses. Les rendre fières et heureuses. Rien en comptait plus que de retrouver le sourire de son amie et l'approbation d'Anette.

Cela faisait déjà un bon moment que le Prêtre n'avais pas remis les pattes sur l'Île. Depuis le vol du Cœur, l'endroit semblait garder une certaine amertume, un rappel de leur défaite à défendre ce qui était leur, en tout cas pour Kalashnikov, qui se le voyait rappelé à chaque coup d’œil à son flanc marqué. L'humidité de la jungle ainsi que la pluie qui les poivraient depuis tout à l'heure rehaussait plusieurs odeurs singulières, plantes, boisés, animaux de toutes sortes, mais rien qui ne pouvait secouer l'impression qu'avait le mâle de sentir à nouveau l'odeur saline des envahisseurs. Ils avaient marqué cet endroit de leur souillure et il n'était pas prêt de l'oublier. À vrai dire, les loups à l'odeur de poisson, n'ayant auparavant qu'un statut d'ennemi potentiel pour le militaire, s'étaient très vite transformés en promesse de mort quand on lui avait dérobé son fils Mint. Il avait réussi à se contenir durant le raid, à ne pas verser le sang comme le commandait Anette, concentré avant tout sur la sécurité de son fils, mais avec du recul et beaucoup de temps pour y réfléchir, sa haine ne faisait que grandir. À quand la prochaine manigance de ces moins que rien ? À quand le prochain kidnapping ? Si ça ne tenait que de lui, ils auraient déjà fait un bon ménage de printemps pour se débarrasser de la vermine. Son jour viendrais peut-être.

Malgré cette impression désagréable, le Prêtre Rouge n'était pas là aujourd'hui pour ruminer sur les Raeders. On lui avait suggéré une partie de chasse pour rendre service à la meute, ce qu'il avait accepté avec joie. Ses enfants n'étant pas encore assez matures pour se prêter à des chasses sérieuses, il n'avait plus beaucoup le plaisir de se livrer à de telles activités. Cette partie de chasse, elle se déroulait avec Joy. La louve électrique qui l'avait remis en question lors du rituel. Il avait haussé les épaules à sa mention. Pourquoi pas, s'était-il dit. Bien que son insubordination lui avait été des plus révoltantes, en y repensant, elle lui semblait avoir un bon potentiel comme disciple du Grizzly. Une fois plus en contrôle de ses émotions sauvages, bien entendu. Kalashnikov n'était pas aveugle, il savait très bien que la femelle sable ne l'appréciait guère, surtout après les mots durs qu'il lui avait adressé. Son empathie magique lui avait permis de ressentir la colère bouillante qu'il avait fait naître chez la guerrière. Il reconnaissait son erreur de méthode, et voyait cette occasion comme une possibilité de la connaître un peu plus, et peut-être même de faire la paix.

Les nuages s'alourdissaient aux dessus de leurs têtes lors qu'ils trottaient en file indienne. Déjà trempé, le pelage sombre du mâle s’amassaient en lourdes mèches dégoulinantes, éclaboussant le sol de leur excès de liquide à chaque pas. Il se demanda un instant si la rancune de Joy n'avait pas eu un impact quelconque sur la température, l'air électrifié chatouillant ses narines à chaque inspiration. Il y avait une énergie étrange tout autour d'eux. Mais le Prêtre n'aurait su mettre le doigt dessus.
Après quelques kilomètres en éclaireur, le soldat s'arrêta doucement. Leurs pattes dégoulinaient de boue, le sol devenant de plus en plus mou tandis que la pluie ne semblait pas vouloir s'arrêter. Il tourna son regard de feu vers Joy derrière lui.

« As-tu senti quelque-chose ? Toute cette pluie m'embrouille le museau. »

En réalité il avait pu capter quelques pistes faibles de mammifères comestibles, mais il était désireux de voir la beige à l’œuvre. Sa façon à lui de présenter des excuses, la laisser lui prouver ce qu'elle valait.

< Joy ; 6 ans


Le silence lourd et plutôt pesant pour la louve qui était d'un naturel bout en train et bavarde, lui avait toutefois permis une belle et longue introspection. Le rideau de pluie lui faisait l'effet d'une douche délassante, et le contact vif de l'eau tombant sur ses épaules et son dos avec régularité l'avait presque bercé pour retrouver une sorte de sérénité intérieure. Bien sûr, elle gardait rancune contre Kalaschnikov, mais la Bouclier avait depuis appris à connaître ce loup de loin. Elle ne l'aimait pas certes, le trouvait trop brutal et véhément, et pourtant il avait également sû se montrer discipliné et d'un calme olympien qu'elle se savait totalement incapable de posséder. Si n'importe qui avait osé posé la patte sur ne serait-ce qu'un poil de l'un de ses enfants, elle l'aurait déchiqueter sans autre forme de procès et sans la moindre pitié, même sous contre-ordre directe de Pepper ou d'Anette. La maternité lui avait fait comprendre que son obéissance et son respect de la hiérarchie avaient pour une franche limite. Bien que son union avec Thalion n'ai été que purement physique dans l'optique d'offrir à la meute une nouvelle génération de fiers guerriers, la disciple du Grizzli devait avouer qu'elle avait à l'égard du fruit de ses entrailles un amour inconditionnel et illimité tout comme un instinct de protection allant contre tout entendement. Aussi, le Prêtre rouge avait éveillé un petit élan de respect sous couvert de la compassion accordée à sa situation de parent meurtri. Heureusement l'enfant disparu avait été récupéré sauf. La pluie dégoulinait sur le museau de la louve beige sans discontinuer, et son esprit vagabondait d'autant. Lorsque la voix du mâle la tira de ses songes, elle releva brusquement la truffe.

Oh. Il avait besoin d'aide ?
Surprise d'être ainsi mise en avant alors qu'elle ne le voyait que comme un machiste, Joy essaya de se rappeler les quelques fragrances diffuses à cause du temps orageux, croisées sur leur route. Contrairement à ses espoirs premiers, elle n'avait pas senti l'effluve récente de grands cerfs, ni aucun de leur harem. Ils avaient tout de même suivit la piste d'un putois sur une certaine distance, mais c'était de la viande plutôt coriace et ils pouvaient rapporter mieux ! Sur la défensive, mais sans animosité grâce, donc, à ce chemin apaisant mené jusqu'ici, la femelle beige avança aux côtés du Prêtre, oreilles dressées vers lui.

« Pas de quoi nourrir notre intérêt. Mais je sais qu'il y a une harde quelque part sur cette île, et les cerfs se battent en cette saison pour son contrôle. Nous devrierions parvenir à en débusquer l'un ou l'autre ? Ce serait une prise honorable. »

Pour deux puissants et nobles guerriers comme nous. Pensa la louve. Il fallait reconnaître la présence des muscles noueux et les cicatrices preuves d'expérience de son compatriote. Joy ouvrit la gueule et inspira plus profondément. L'odeur de la pluie, de la terre détrempée et de la jungle humide emplit son palais. Au milieu de tout ça, il y avait une pointe de... De... Elle n'aurait pas su le dire, au milieu de tout ça, mais elle estimait que ça valait le coup de tenter quelque chose. Truffe en l'air, elle chercha à retrouver le fumet dissimulé. Elle passa sans faire attention devant Kalashnikov, en fait, juste sous son nez. Joy n'était pas très grande, elle atteignait à peine la petite moyenne des louves de la meute, tandis que le Prêtre était plutôt haut sur pattes et aux épaules larges. Il la dominait facilement d'une bonne tête, si ce n'est plus, alors elle ne remarqua avec quelle promiscuité elle le frôla, trop concentrée dans sa tâche, que lorsque le poil de sa queue chargé d'électricité entra en contact avec l'épaule du soldat. Il se prirent tous les deux une châtaigne. Joy bondit de côté, d'abord surprise puis confuse en comprenant que c'était de sa faute. Feignant l'acte volontaire -après tout, la Bouclier restait quelqu'un de foncièrement jovial et joueur-, elle offrit u sourire narquois à son condisciple.

« Oh pardon. Tu étais encore là... »

Puis elle enchaîna en retrouvant un ton quasi-sérieux : ce n'était pas vraiment avec lui qu'elle avait envie de passer sa journée. Mieux valait chasser rapidement puis rentrer et vaquer à des occupations plus agréables !

« Par là, il y a quelque chose. Un gros herbivore, on voit qu'il a cassé des branches sur son passage. Il doit être lourd et pas focalisé sur sa discrétion. »

Tête haute, queue dressée, Joy était à la fois dans le défi et dans le travail d'équipe. Autant lié le travail forcé à quelque chose d'utile comme de l'entraînement ? Comme ça le temps passerait plus vite et ils auraient tôt fait d'être de retour au campement, les pattes pleines de victuailles. Enfin, si le loup au yeux rouge acceptait cette invitation muette à la compétition. Juste histoire de lui mettre la pâté. Juste histoire de montrer, qui ici, dominerait l'autre sans difficultés.

Les pattes du grand mâle ne tardèrent pas à se maculer de boue jusqu'aux ergots alors que leurs pas en duo les menaient plus en profondeur vers le cœur de l'île. Si le silence avait meublé le début de leur expédition, la tête du prêtre bourdonnait de pensées volatiles, un mélange de haine viscérale pour les pirates qui avaient sali le territoire et dérobé l'un de ses précieux enfants et de curiosité maladroite envers sa comparse de chasse. Il se demandait dans quel univers Joy avait-elle pu accepter de patrouiller pour de la nourriture avec lui, qu'elle détestait depuis leur altercation échauffée lors du sacrifice à Aka. Une partie du mâle regrettait la façon dont il avait géré la situation, salissant sa langue de mots comme il salissait aujourd'hui ses pattes. Dans le feu de la passion divine, teintée des énergies débordantes de la jeunesse, il ne s'était pas mesuré dans ses propos, débitant des sous-entendus durs et intolérants qui lui faisaient aujourd'hui serrer les crocs. Il ne regrettait pas sa décision d'offrir le cadavre du solitaire au Dieu Ours, mais possédait aujourd'hui un peu plus d'expérience et de recul pour assumer qu'il avait fait, ce soir là, une erreur. Une erreur bien grave considérant que leur meute se soutenait sur les pattes de fer de deux femelles dominantes. Il ne voulait pas finir comme le vieux Nachos qui avait éructé de sales paroles misogynes au moment de la montée au pouvoir de Pepper et Anette. Il valait mieux que ça. Du moins, il l’espérait... Mais ses espoirs n'étaient pas lancés dans le vide, moins qu'il ne le croyait. Il était vrai que le mâle avait changé, autant physiquement que mentalement. Fatigué par les raids et l'inquiétude, ses traits commençaient à se tirer davantage autour de ses yeux, des cheveux foncés parsemés de fils d'argent poussant en bataille sur son crâne auparavant nu. Des débuts de poils non-taillés perçaient sur son menton, trahissant un léger relâchement de son caractère dur. Même son accoutrement avait changé, son cou auparavant serré par un collier militaire désormais emmitouflé dans un large bandana pâle fort utile pour traverser le territoire sous toutes les températures.

C'est à cause de ces pensées gênantes d'actes passés que Kalashnikov avait ainsi brisé le silence qui dressait entre lui et la louve beige un mur, mur aidé par le rideau de pluie qui atténuait les sons et remplissait les oreilles de bruit blanc. Il fut tout de même surpris de ne pas entendre de protestation ou de réplique cinglante alors qu'il avouait sa défaite dans une tentative de débusquer une piste olfactive, surprise qui ne fut traduite seulement que par un léger battement d'une oreille. La Bouclier qui se tenait derrière lui s'avança à ses côtés, ce qui lui permit de lui jeter un coup d’œil sur le côté de ses iris orangés. Il ne l'avait jamais vraiment regardée, vraiment regardé du moins, jusqu'à maintenant. Elle aussi avait changé depuis son souvenir d'elle le soir de la cérémonie. Il voyait dans les orbes jaunes de la guerrière une détermination qu'il n'aurait su reconnaître n'aurait-il pas maturé, le visage d'une femelle forte et essentielle, une mère, comme lui était devenu père. Il y avait une certaine beauté dans son visage pâle, artefact de la force qui coulait dans les veines de chaque Etelkrus. Kalash' ne se le serait peut-être pas encore avoué à ce moment-ci de leur relation houleuse, mais au fond, il était fier d'avoir de telles têtes fortes pour soutenir le groupe.

Cette dernière répondit négativement à sa question. Maudite soit toute cette pluie qui brouillait les pistes. Mais heureusement, elle mentionna savoir qu'il y avait une harde de cervidé sur l'île, ne suffisait que de la trouver. Le duo allaient devoir faire valoir d'autres atouts que leur truffe, il fallait croire. Le prêtre rouge s’apprêta à répondre, quand la petite louve s'approcha de ses flancs, le frôlant littéralement sans s'en apercevoir tellement elle était concentrée. Ou s'en apercevait-elle ? Un peu gêné, Kalashnikov ferma sa gueule, ralentissant le pas, coulant quelques regards de côté en attendant de voir si elle allait s'en rendre compte, mais elle lui envoya une petite décharge du bout de la queue sur une partie dégagée de son épaule et tout deux bondirent de surprise. Les yeux ronds, le mâle bleuté la regarda lui sourire, lui lançant une petite pique joueuse. Décidément, Joy avait vraiment changée... même son empathie surnaturelle ne sut lui expliquer ce qui se tramait chez la femelle.

« C'est rien », marmonna-t-il entre ses dents, un peu incertain de l'attitude à adopter. Mais aucun malaise n'eût le temps de s'installer alors que la beige enchaîna immédiatement, pointant une partie de la végétation qui était tassée sur les côtés, écrasée semblait-il par quelque chose d'imposant. Bien vu. Le prêtre offrit un sourire, reconnaissant des capacités de Joy.

« Bien observé. Sa trajectoire ne devrait pas être trop difficile à suivre, vu les empreintes que nous laissons nous-même dans la boue. »

Le loup s'avança davantage vers l'endroit que pointait la Bouclier, voir s'il ne verrait pas d'autres indices laissé par leur possible proie.

[Lancé de dé Réussite ING - Réussite]

Après un peu d'observation attentive, Kalashnikov remarqua une touffe de poil coincée dans les branchages. Cela suffirait à leur laisser une odeur à suivre en plus des traces, si jamais celles-ci venait à s'effacer.

« Je crois qu'on a une bonne piste. Ce qui est passé par là a laissé de la fourrure sur les troncs. Une partie de traque ça te dis ? », dit-il, une expression de défi amical imprimée sur son visage.

< Joy ; 6 ans


Joy observa ce sourire inattendu. Un instant ses épaules se relâchèrent dans une attitude plus naturelle, sans méfiance. Cela ne dura pas longtemps, le temps du compliment. Elle suivit le mouvement du Prêtre Rouge qui s’avançait et cherchait à son tour des indices. Elle vit la pluie rouler sur son dos et ses omoplates, traçant sur leur passage le contour des muscles du soldat. Il était évident pour la femelle, et ce malgré l'animosité entre eux, que ce comparse était un fier Etelkru méritant. Sa confiance et sa complicité aurait dû être pleine pour le porte-parole de son dieu. Toutefois elle ne parvenait à s'ôter de la tête son discours désagréable, des années plus tôt. Elle restait bloquée sur ce qu'il avait dit, la rabaissant devant tous les disciples du grand Ours, alors même qu'elle donnait tout à son clan. Qu'elle l'avait toujours fait d'ailleurs. La meute était pour elle ce qu'il y avait de plus beau, de plus puissant -après ses petits bien sûr-, et l'unité des Etelkrus étaient un trésor forgé par Pepper et Anette. Joy avait toujours cru en elles, comme Kalashnikov qui s'était auto-proclamé protecteur de la petite bleue, alors même qu'elle n'en avait nul besoin. La louve sablée oubliait souvent cela : le porteur de rouge aurait donné sa vie pour sa meilleure amie, tout comme elle-même l'aurait fait sans la moindre hésitation. Alors pourquoi gardait-elle tant rancoeur contre lui ? Si elle avait su plus ou moins tourner la page des actes odieux de son affreux demi-frère parricide, pourquoi ne pouvait-elle pas simplement laisser cela derrière elle ?

Joy acquiesça à la trouvaille de son aîné, mieux, un sourire plus franc fendit ses babines alors qu'il acceptait son défi en lui proposant de suivre cette piste et de débusquer cette proie, qu'ils ne seraient sans doute pas trop de deux pour abattre.

« Avec plaisir. Co-équipier ? »

Une façon presque subtile d'avouer être prête à laisser tomber la méfiance et les doutes à l'égard du Prêtre d'Aka s'il était prêt à la voir en égal. Du moins... Pour le temps de la chasse en tout cas. Son langage non verbal indiquait plus encore qu'elle était prête à lui donner toute confiance. Après tout, pour qu'une traque à plusieurs cœurs battants n'ai pas de fausses notes, il fallait être à l'écoute de ses partenaires, il fallait être dans une harmonie parfaite. Et une telle communication silencieuse ne pouvait avoir lieu si l'animosité restait de mise. Par ailleurs, depuis qu'elle était mère, Joy savait mettre un tout petit peu d'eau dans son vin, et il y avait assez de monde à haïr en dehors de la meute. Peut-être était-il temps de porter un regard neuf sur le fils d'Aka. Au fond, c'était peut-être une chance, cette patrouille forcée, pour remettre les compteurs à zéro. Si et seulement si, Kalashnikov prenait la balle, qu'elle venait de lancer, au vol. Elle attendit donc sa réponse avant de se glisser entre les troncs de la jungle, à pas de loups.

Coéquipiers.
C'est ce qu'ils étaient en ce moment, deux êtres qui se croyaient contraires pendant toutes ces années. Le prêtre avait vu en son affront une insulte à la grandeur de leur dieu, une insulte à l'autorité de l'Ours et à celle qu'Il lui conférait, une insulte aux artefacts divins qui éclaboussaient de sang lumineux la nuit noire. Avait-elle vu en son offrande, en son sacrifice corporel une insulte à l'unité de leur meute ? Une insulte à leur code moral commun ? Alors que leurs idées respectives créaient moult flammèches en se heurtant, ils avaient assumés devoir être ennemis, s'entre-mépriser. C'est ce que le loup à couleur d'orage avait cru, dur comme fer durant toutes ces années. Mais ils avaient eu tort. Ils avaient eu tellement tort. Comme deux aimants aux polarités semblables, ils s'étaient reniés, repoussés, détestés. Mais il ne s'agissait que de changer les pôles, et les voilà alliés. Ce qu'ils avaient pris pour des personnalités opposées étaient en fait beaucoup plus semblables qu'ils n'osait s'avouer.
C'est ce que le mâle admis en observant sa comparse beige. Il avait regretté en silence plus tard les propos qu'il lui avait réservé ce soir là, mais ce n'est qu'aujourd'hui, sous la pluie et la bruine, dans la boue et le sable, qu'il la vit sous un jour nouveau. C'est à ce moment qu'il la regarda pour la deuxième fois franchement dans les yeux, ses iris de feu se mêlant à la citrine. Contrairement à la première fois, point d'animosité ou de mépris au fond de ceux-ci. Seulement un simple respect, d'égal à égal. Une pointe de défi. Le sourire qui était né sur ses babines d'habitude si froides ne s'évanouit pas. Il s'étira même un tout petit peu.

« Coéquipière. »

C'est sous le charme de ce nouvel alliage verbal que les deux Etelkrus s'enfoncèrent un peu plus dans la jungle dense. Kalashnikov croyait encore sentir la douleur éphémère de la statique sur son épaule; décidément, elle semblait réserver bien des surprises au soldat. Lui qui n'avait attribué son caractère qu'à une crise d'adolescence sans intérêt se voyait contredit. Elle avait mûrit, elle aussi. Maintenant tous deux parents, après toutes les preuves qu'elle avait apporté de son utilité à la meute et de ses habiletés, il n'avait pas le choix de voir en elle une soldate méritante. Il admettait même qu'elle avait son propre charme, électrifiant même (pardonnez le jeu de mot), mais il chassa rapidement l'idée de son esprit. Après tout, ils n'étaient pas venus ici pour jouer à des jeux d'esprits, et il avait dépassé l'âge des émoustillements de la jeunesse. Il se consola en se disant qu'après avoir couché pour le devoir avec la grosse Bamboo, il n'était pas difficile de trouver la majorité des autres loups de son âge plutôt jolis.

Ils avançaient rapidement, suivant sans trop de mal les touffes de poils ainsi que le sillon de pauvres végétaux écrasés laissés derrière par leur objectif. Si les deux guerriers n'étaient point taillés en finesse mais plutôt en force, être silencieux et discret n'étaient pas particulièrement leur priorité, la proie qu'ils traquaient ne semblant pas en faire de cas non plus. Après un kilomètre de traque, le Prêtre Rouge s'arrêta net, la tête baissée, une patte levée comme les chiens de chasse. Ça bougeait devant eux. Et pas qu'un peu. Un gros cerf bien engraissé par le manque de chasse sur ce territoire piétinait sur place quelques branches, essayant d'attraper une pousse dans un arbre un peu en dehors de sa portée, les bois s'entremêlant dans des lianes et des branches molles.

« Les dames d'abord ? » murmura-t-il en blaguant, laissant la chance, si elle le voulait, à sa coéquipière de lancer la première attaque.

< Joy ; 6 ans


Le Prêtre acquiesça, affirmant à son tour être prêt à être un binôme efficace. Bien que la femelle soit contente de cette nouvelle entente naissante, elle força sa tête à garder en mémoire que ce n'était que pour un temps. Joy était rancunière, et ses diverses expériences de la gente masculine ne lui avait pas apprit à compter longtemps sur un mâle. Sans parler de l'incident qui les avait amené à se détester mutuellement avec le disciple d'Aka. Nachos était un vrai salopard -une maintenant, bien fait pour son museau à ce sale con-, son demi-frère avait gagné sa confiance puis tué leur père, leur père avait possiblement des choses à se reprocher et il était impossible d'en avoir le coeur net, Athelstan n'était pas un paternel fiable alors qu'il avait été un mentor de qualité pour l'Alpha, Thalion était un guerrier émérite mais pas responsable pour une griffe, même Geb ! Elle le voyait parfois manqué de discernement ! L'âge sans doute...  Sans parler de Clou et d'Horus qui vivaient la moitié du temps chez les niais violets. Enfin bref, jusqu'à présent, elle n'avait jamais trouvé d'âme de la gente masculine aussi droite et fiable que les louves au sein des Etelkrus. Ce serait donc une complicité harmonieuse, le temps de la journée. On verrait bien ensuite.

Un allié de cette envergure était un réel atout dans la chasse du gros gibier. Il avait les muscles rompus à l'exercice d'un rythme soutenu, la puissance de frappe et le vécu, la connaissance de ses forces et faiblesses -ça c'était moins certain !-, le coeur et le souffle régulier. Le Prêtre du Grizzli était un soldat accompli, ça elle ne pouvait le nier. Nul doute qu'ils reviendraient victorieux de leur traque. Joy observait du coin de son œil doré le roulement des tissus et des articulations du loup bleu et vert, cherchant la faille. Il n'y avait là de volonté de nuire, simplement un regard critique habitué à étudier le danger potentiel d'un adversaire. Co-équipier. Par ce même biais, elle pouvait tenter de deviner les appuis solides et la fluidité de mouvement, la promptitude de réaction ou encore son côté prioritaire. La course était souple, concentrée. Il était évident que Kalaschnikov n'était pas encore atteint par le déclin dû aux années trop nombreuses ou trop éprouvantes. Quel âge avait-il d'ailleurs, le fils d'Aka ? Les prunelles de miel de la femelle se perdirent dans la contemplation des plaques militaires brillantes du rouge divin un instant, leur cliquetis régulier avait quelque chose de réconfortant. Sans doute était-ce là la présence du Grizzli à leurs côtés. A son coude, son propre glowstick en forme d'anneau cognait contre la griffe rougeoyante à chaque foulée.

L'esprit tempétueux de Joy se vit apaiser par le rappel de leur appartenance commune aux porteurs d'écarlate. Sa concentration revint vers la piste où malgré l'humidité ambiante et la petite pluie traversant la voûte de végétation de la jungle, l'odeur du sous-bois persistait. Ils découvrirent donc facilement l'odeur du musc caractéristique des cervidés en rut, tout en suivant les traces de son passage. Écorce râpée par les bois, poils accrochés dans les branchages crochus ou encore empreintes dans la boue, tout y était pour les mener directement à leur proie. Rapidement il eurent tout loisir d'observer la bête occupée à chercher le meilleur feuillage à poil hors de portée. Le gibier était grand, beau et gras. Il n'était donc pas le chef de la harde et pouvait se nourrir à loisir. Les Etelkrus chassaient trop peu les lourdes proies sur l'île, trop compliquée à rapporter seul au Castel. Il était certain que le cerf avait profité de cette lacune lupine pour s'engraisser au printemps, se préparant par la même à être un compétiteur de poids face à ses confrères cervidés et sans doute obtenir les faveurs des femelles. Ses hauts bois possédaient plusieurs fourches, indiquant également qu'il était dans la fleur de l'âge et se défendrait plus ou moins vaillamment.

Il fallait être vifs, malins, impitoyables. Le gibier avait bien profité de la saison, il était temps pour lui de laisser profiter la meute de sa viande prometteuse. Joy en salivait d'avance. Un coup d'oeil à son binôme pour que l'instinct de chasse les unissent dans un concert sans fausses notes.

« Mieux. Ensemble. »

L'habitude, l'expérience et l'intuition les guideraient dans une impulsion commune. D'un mouvement d'oreille ou du bout de la queue ils se comprendraient. Les mots ne seraient plus nécessaire. C'était une des choses qu'adorait la Bouclier : ce sentiment de plénitude et d'appartenance au groupe qui s'exacerbait en traque. Prête à se faufiler entre les larges feuilles et les troncs mous des jeunes arbres, la beige attendit que son compagnon de la journée ne donne le signal de déaprt dès qu'il serait prêt. Elle, elle l'était. La tête droite, le buste incliné, à demie tapie, la queue droite et gonflée par l'excitation d'avant départ, ses yeux d'or ne quittait plus leur futur repas. Bidoche qui nourrirait d'ailleurs pas mal de monde ce soir... A l’unisson, il s'élancèrent, et la danse macabre commença pour le roi de la forêt.