Les joies de la nature [Libre]

Sobieski lui avait tant vendu cette plage ! Et même si elle y avait déjà fait un passage, la lumière n'y était pas à son avantage et elle n'avait pas pu observer les mille éclats décrits dans la lumière du soleil couchant. Il lui fallait donc, bien évidemment, y retourner ! Et Sobieski occupé, la côte étant tout de même à plusieurs jours de trot du territoire des Nakhus, c'est en volant qu'Eva était parvenue en ce lieu si désiré. Le trajet ne lui avait pris que quelques heures, rendu aisé par les arbres, les monts et les obstacles évités, alors que le temps de début d'automne, encore clément, lui avait épargné une pluie qui l'aurait obligé à se poser.

Le soleil, s'il ne chauffait plus comme quelques mois auparavant les terres qu'il surplombait, brillait toutefois haut dans le ciel, donnant à tout ce qu'il touchait l'éclat radieux et joyeux de l'agréable. Eva trotta sur le sable, ses coussinets chatouillés par les coquillages brisés la parsemant. Elle venait d'arriver en ces lieux féériques quand une voix l'interpela.

La première fois, elle crut que le vent lui apporter quelque réminiscence d'un bruit étrange. La seconde, elle tourna la tête et écouta plus attentivement et la troisième fois, enfin, l'appel à l'aide lui parvint. Inquiète et empressée, elle se jeta à foulées souples vers l'origine du bruit avant de tomber nez à fesses avec le derrière saillant d'une louve ivoire pêche et colorée. Elle ne put s'empêcher de rire en voyant la louve et l'épineux problème dans lequel elle s'était fourrée.

Attends ! Ne bouge pas, je vais t'aider.

Elle lui tourna autour, fronça les sourcils. Eh, beau bordel, si vous voulez mon avis ! Très doucement, elle saisit du bout des dents l'une des branches pour délicatement l'éloigner du visage de la louve, jusqu'à poser une patte dessus. Puis elle recommença avec une autre branche. Puis une autre.

La tâche s'avérait plus délicate que prévu.

Eva s'escrima et s'escrima encore, tant et si bien que les branches finirent, enfin, par céder. Elle avait laissé couler les paroles de la louve coincée, pour mieux se concentrer sur sa tâche : il fallait pas trop lui en demander, quand même ! Une chose à la fois, la tâche était bien assez ardue comme ça. Lorsque les branches lui restèrent dans le museau, sa comparse se trouva libérée, braillant à hue et à dia sa joie de retrouver sa liberté de mouvement. Ces cris ravirent Eva, bien plus que les mouvements désordonnés qui la couvrirent de poussière de coquillage.

Ahah pas de soucis-

Son exubérance l'amusait. Elle était beaucoup moins retenue que la plupart des loups (et louves !) qu'elle avait croisé jusque là, et Eva avait toujours plus confiance en quelqu'un qui exprimait librement ses sentiments et sensations, plutôt que la retenue nerveuse et méfiante auxquels elle avait souvent le droit ; quand ça n'était pas franchement de l'antipathie.

Elle rit de bon coeur, et s'ébroua pour chasser le sable qui la recouvrait, chassant les réminiscences de ses cheveux de savants coups de patte. Quelques sourires et paroles joyeuses, c'est tout ce qu'il fallait pour pouvoir sans problème marcher sur les pattes de la louve bicolore. Pour un rire, elle se damnerait.

Heureuse d'avoir croisé personnalité si chatoyante, elle n'allait pas la laisser s'en tirer à si bon compte et s'approcha de quelques pas pour engager la conversation, sans l'empêcher de partir, rendre le mouvement inconfortable.

Tu vis sur ces plages ?

Peut être connaîtrait-elle, à défaut de bon coin à champignons, un endroit sympa d'où observer la vue et qui mettrait ces lieux à leur avantage ? Elle agitait en vagues paresseuses sa queue diaphane, ses ailes repliées en couverture sur son dos, ses longues , si longues pattes ancrées fermement dans le sol.

Un jus de baies ? C'était une proposition pour le moins curieuse, et Eva n'allait certainement pas refuser. Elle s'avança en sautillant à la suite de la louve, détaillant le petit coin où elle vivait. C'était spartiate, mais étonnamment agréable, cet arbre torturé aux racines immenses qui semblaient vouloir soulever la terre. Ses oreilles s'agitaient comme des girouettes.

Ce sont quel genre de baies ?

Et, sa curiosité pour tout ce qui touchait à la médecine prenant le dessus :

Elles ont des propriétés médicinales ? Tu connais bien la flore d'ici ? Je pourrais peut être en rapporter un peu à mon clan, je ne suis pas sûre d'en trouver de similaires d'où je viens.

Elle réfléchissait un peu à voix haute, sans se soucier d'être entendue.

Wow ! La jeune demoiselle... Parlait... Beaucoup... Et ça amusait beaucoup Eva ! Elle ne s'y attendait pas, mais elle avait tapé juste avec ces questions sur les baies et la flore en général, la jeune dame semblait adorer ça. La Pie considéra la masure avec grand intérêt. C'était simple, mais joliment décoré de couleurs agréables à l'oeil, naturelles et douces. Et puis, un mobilier spartiate mais efficace faisait passer Octavia pour une louve débrouillarde et indépendante. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle vivait là, mais elle était bien installée.

Eva fit bien attention à ne rien raboter avec ses ailes, et passa la tête sous le rideau de végétation, avant d'aller sagement s'asseoir dans un petit coin libre, en se gardant de ne rien renverser. C'était joli, et plutôt agréable.

Je m'appelle Eva ! Je viens des terres Nakhus.

Enfin, en gros. Sinon ça devenait vite compliqué...

Enchantée de te rencontrer aussi, Octavia !

Elle huma les baies, curieuse.

Ca sent bon...

Elle avait rarement eu l'idée de mâchouiller des baies autrement que pour soigner des maux de ventre ou de tête, et voir en elles des repas ou en-cas complets lui ouvrait de nombreuses possibilités. Elle lapa à son tour le jus qui lui était offert, et un sourire entoura son visage.

C'est super bon !

Elle était agréablement surprise. Ca avait beaucoup plus de goût que ce à quoi elle s'attendait ! La jeune louve se lécha les babines, sans se rendre compte qu'elle maculait de ce fait son blanc pelage de bouillie pourpre. Attendez qu'elle croise son reflet dans une rivière !

Elle nota avec attention les remarques de la louve crème. Si elle connaissait deux-trois ficelles du métier, elle ne crachait pas sur un peu plus de savoir pour pouvoir se rendre utile. Qui sait quand on aura besoin de ce genre de savoir ! Et puis, le sujet semblait passionner Octavia, et Eva adorait entendre les loups parler de leurs passions. Elle l'encouragea à continuer :

Tu sais plein de choses sur la nature ! Tu as eu un mentor, ou tu as expérimenté ?

Eva n'était que curiosité.

Elle hocha la tête, avec un large sourire.

N'hésite pas ! Je pourrai te montrer un peu le coin, si tu veux. La Vallée des Murmures et les Champs Mystiques sont très vastes, mais quand on sait où chercher ils regorgent de plantes que l'on ne trouve nulle part ailleurs !

Évidemment, qu'Eva se proposait en guide. Elle adorait faire découvrir ses terres (et celles des autres) à qui le demandait. Et même à qui ne le demandait pas. Elle pencha la tête sur le côté.

Tu faisais partie de quelle meute ?

Elle était curieuse, elle avait vu beaucoup de loups les quitter - à commencer Crystal, dont l'histoire lui semblait un brin plus compliquée, Sobieski qu'elle mentorait en ce moment et Nocera, sa soeur. Etelkrus, Lazulis ? Ou... Peut être venait-elle de cette île, des Raeders, même si elle n'avait pas souvent entendu ces loups être qualifié de meute. Des pirates, tout au plus.

Par contre, parler avec les lapins, ça c'était quelque chose ! Au début, la louve bicolore se demanda si Octavia conversait vraiment avec les lagomorphes, et si elle les comprenait. Un pouvoir ? Elle n'avait pas l'air d'avoir de glowstick, mais ça ne la choquerait pas que ça vienne d'ailleurs. Ca ne serait pas la première étrangeté de ces terres.

Et puis, elle parlait tellement, tellement, tellement [...] qu'Eva doutait qu'elle réussisse à survivre avec uniquement le silence des lapins. Elle pencha la tête sur le côté.

Et tu préfères t'éloigner des autres qu'en être incomprise ?

Ca n'était pas une attaquer, mais elle était toujours curieuse des comportements qu'elle ne comprenait pas. Elle-même, si elle voyageait énormément, ne se voyait pas s'éloigner à jamais de toute compagnie, ou ne former que des liens de façade. Elle hocha la tête.

Pas vraiment -  enfin beaucoup sont bien plus doués que moi. Je connais quelques bases et je suis curieuse de ce qui m'entoure, on va dire. Et la nature est source infinie de mystères et réponses !

A la mention des Raeders, Eva ne put s'empêcher de glousser.

Et les voisins ne sont pas trop bruyants ?

Elle savait que les meutes avaient eu des problèmes avec, elle n'aurait pas été étonnée d'entendre que la louve avait, elle aussi, pâti de cette proximité. Après, vu le peu de discrétion qu'elle avait l'air d'adopter, elle n'imaginait pas la louve multicolore se sentir en danger.

Eva accepta d'un mouvement de la tête le jus de baies - il était damn good et elle ne crachait pas sur un peu de rab ! Elle réfléchit un instant à la question que la louve lui avait retourné. Elle nécessitait un peu de réflexion de son côté, avant de pouvoir l'annoncer :

Je suis d'accord que la pression sociale n'est pas agréable et parfois difficile à vivre, mais je pense que c'est la diversité qui permet de nous construire dans l'acceptation de soi, et que si chacun s'écoute, alors on comprend mieux l'autre et on peut travailler sur le vivre-ensemble. Si personne ne fait jamais l'effort de te connaître et de te comprendre, c'est triste non ?

Elle lapa quelques gouttes du jus carmin, qui éclaboussa ses babines et y traça de larges tâches violacées.

Après, je suis d'accord qu'il est plus simple de s'éloigner. Et, parfois, on en a besoin. Mais je t'avoue que je ne pourrais pas le faire longtemps. Je suis une bestiole trop sociable !

Elle agita sa longue queue immaculée aux dernières paroles de son interlocutrice.

Surtout, viens quand tu veux ! C'est vraiment magnifique, chez nous. Et, oui, tout le monde est... Très gentil.

Trop.

Elle remua le museau. Elle-même n'avait pas eu à se plaindre de ses parents, et sûrement pas jusqu'à ce point là, et ne comptait que quelques échauffourées malencontreuses avec son frère et ses cousins, les seuls qu'elle pouvait targuer "d'ennemis" dans le champ familial dans lequel elle avait grandi. Elle grimaça à l'idée d'être pairé avec quelqu'un de force.

Je conçois que ça soit loin d'être agréable.

En voyant les babines carmins de son interlocutrice, Eva éclata de rire, ce dernier secouant son corps de soubresauts jusqu'à ce qu'elle réussisse, au prix d'un effort sur-lupin, à les maîtriser. Elle finit dans un gloussement :

Je suis plutôt en accord avec cette philosophie - la plupart des conflits ne sont que des guerres d'égo. Il suffirait parfois de savoir un peu plus partager, un peu plus accepter les personnes avec qui l'on vit, pour que tout aille pour le mieux.

Et surtout, que tant ne soient pas blessés.

Lorsqu'Octavia évoqua l'idée de se rendre en terre Nakhus, mais aussi d'y rester, le visage d'Eva s'illumina, s'embrasa même, et son sourire sembla vouloir faire le tour de sa face.

Oh !

Surprise, mais aussi très contente à l'idée qu'une louve aussi drôle et sympathique se retrouve sur des terres bien plus proches, l'idée lui faisait vraiment plaisir. Non pas qu'elle ne s'entende pas avec les loups de la meute ! Mais un peu de diversité ne ferait de mal à personne, et puis ils manquaient un peu, à son avis, de jeunes de leurs âges. Il y avait beaucoup de loups plus jeunes, ou plus âgés. Ca risquait d'être très drôle.

Ca serait génial ! N'hésite pas à me signaler si tu as besoin d'aide, si jamais tu comptes vraiment déménager. J'imagine que tu préfères faire un tour avant - je pourrais te présenter à la meute, aussi !

Elle débordait d'énergie.

Eva rit doucement.

Beaucoup ne sont pas nés Nakhus, mais le sont devenus. Ca pourrait être ton cas aussi, si tu t'y plais !

Elle considéra la plante avec une forte curiosité. Est-ce qu'elle nommait absolument tout et tout le monde et toutes les choses qu'elle croisait ? Est-ce qu'elle s'attachait très très fort très vite à tout ce qu'elle croisait, et qu'elle retenait absolument tout, ou est-ce qu'elle perdait un peu la boule et aimait s'entendre parler d'avoir passé trop de temps seule, et choisissait à chaque fois un nouveau patronyme pour le même animal (ou végétal) ? Voilà bien des questions qui intriguaient Eva, mais qu'elle n'aurait pas l'impolitesse de poser.

Le ciel bleu n'était plus qu'un souvenir, et l'orage tonnait tout ce qu'il pouvait dans les cieux déchainés : que les changements arrivaient vite sur la côte ! Eva fronça les sourcils : elle ne pourrait pas repartir tout de suite, si ça continuait, le voyage serait trop dangereux. A moins de le faire à pied pour les premiers jours, pourquoi pas. Le lapin qui déboula dans leurs pattes la surprit, et elle eut un mouvement de recul face à ce gibier qui les approchait sans crainte, et observa abasourdie la danse se jouer entre les deux protagonistes. Elle sortit le museau, pour observer une scène d'apocalypse : un éclair tomber droit sur la louve colorée !

Elle se figea.

Incapable du moindre mouvement. Jusqu'à ce qu'Octavia ne bouge une patte, et se redresse à demi. Alors, Eva se jeta sur elle et la maintint doucement, palpant son dos à l'endroit où l'éclair l'avait touché, et où le poil avait roussi en une forme délicate et... Effrayante.

Octavia ! Ca va ?

Elle délaissa complètement le lapin au doux fumet, entièrement focalisée sur sa nouvelle amie.

Tu vois trouble ? Tu m'entends bien ? Tu peux te relever ?

Personne ne lui avait jamais rien dit sur la conduite à tenir face à quelqu'un touché par l'orage - était-ce seulement possible !

Oups-

Elle releva tout de suite sa patte, confuse. Comment pouvait-elle l'aider, comment comment comment comment ? Elle ne paniquait pas, mais passait en revue tout ce qu'elle savait de la médecine, et si elle en avait les bases, ses connaissances étaient bien maigres. De frustration, elle déplia ses grandes ailes de plume et les agita un coup sec, avant de les étirer autour d'elles pour empêcher la pluie de les heurter.

Pour le moment, le plus simple était peut-être de ne pas bouger et d'attendre que la douleur reflue, que les environs se calment, que la pluie cesse... Lorsque la truffe se glissa dans son cou, Eva se pencha simplement en avant pour étreindre doucement la louve pastel, et tenter de la rassurer.

Shh, ne t'en fais pas, ça va aller. Ne bouge pas, on va rester un peu là, le temps que tu te remettes du choc. Je suis là, je ne vais pas partir. Je n'ai pas envie de te laisser seule dans cet état, j'irai chercher quelques plantes plus tard - quand tout sera passé. Ne t'en fais pas. Tout va bien, Octavia. Tout va bien.

Elle parlait, et parlait sans relâche, sa voix comme seul baume à appliquer sur les plaies de la louve multicolore, litanie incessante censée rassurer sa camarade pour éviter le stress ou qu'elle ne cède à la panique. C'était la seule solution qu'avait Eva, et elle espérait que, au moins pour l'instant, ça suffirait. Elle évitait avec soin de toucher la peau à vif touchée par l'orage, alors que le tonnerre grondait encore autour d'elles, noyant tout autre son.