Je n'aime pas cet endroit. l Libre

Il lui avait fallu beaucoup, beaucoup de courage pour traverser la langue d'eau qui séparait l'Île Abysse du continent. A vrai dire, il avait cru qu'il n'y arriverait jamais. Rien que poser les yeux sur le ressac, la peur enserrait son coeur d'une main glaciale, monstrueuse, et le pressait par vagues de fraîcheur. Chaque vague se répercutait en lui par une autre vague, tout aussi glacée.

Il avait envie de vomir.

Mais Ely était quelqu'un de déterminé - non, quelqu'un de buté. Une fois qu'il avait une idée en tête, il était très difficile de l'en faire sortir, et aujourd'hui il avait décidé qu'il avait envie de se rendre à l'Île Abysse, où les fleurs y étaient, lui avait-on dit, plus belles que nulle part ailleurs, plus colorées et plus vives encore que celles du champ de Moïro. De toute façon, il n'avait jamais vu le champ de Moïro. Et au moins, l'Île Abysse se situait sur leurs terres, il avait donc le droit d'y aller, ce qui diminuait le risque de rencontres néfastes.

Néfastes pour lui, évidemment.

Mais là, devant les quelques centaines de mètre qui séparaient les deux rives, il n'était plus si sûr de lui. Devait-il renoncer ? Sur son dos, l'orage, sans un bruit, éclatait en flashs blancs successifs très rapides, reflet de son malêtre intérieur. Il posa une patte dans l'eau. Clamer qu'elle était froide aurait été un euphémisme. Ely gronda, pour lui-même.

Ely, tu n'es pas si faible.

Le grognement mourut entre ses dents. Et il s'engagea dans l'eau. Son poil rapidement s'alourdit, son collier le tirait par le fond, les chaînes aussi, gênant ses mouvements. Naturellement, il savait nager. Mais il n'était pas très bon. Témoin de sa détresse, son pouvoir se déclenchait en vagues successives et autour de lui l'eau changeait de couleur, passant d'un bleu profond à un violet sombre, puis du rouges, de l'orange, du vert, avant de se dissiper en se mélangeant avec le reste de l'eau salée. Ely piaffait, travaillant fort à garder la tête hors du liquide si désagréable.

Et, à force de coups de patte, à force de volonté, il se retrouva enfin de l'autre côté. Ses pattes touchèrent terre, il se hissa, au galop, sur cette grève tant attendue, tant cherchée, courut sur le sable jusqu'à atteindre un lieu plus... Sec. Il s'ébroua. La pensée de devoir faire le chemin en sens inverse le prit un instant aux tripes, et il ferma les yeux, forts, haletant, pour la chasser. C'était difficile. Non, non, il ne voulait pas retourner dans l'eau, il ne voulait pas.

Puis une pensée le rattrapa.

Il ouvrit les yeux.

La jungle se tenait devant lui, merveilleuse, monstrueuse, emplie de mystères (quelle horreur !) mais surtout de Beau (Aah !). Ely fit quelques pas. Il n'avait pas envie de s'y aventurer. Pas comme ça, pas seul, pas... Où étaient les fleurs qu'on lui avait promis ? Il avait envie de pleurer. De rage. D'impuissance. Pourquoi ? Il voulait simplement voir les fleurs. Pourquoi était-ce si difficile ?

Il se mit à marcher sur la plage, la longeant. Il marcha un peu. Puis, bientôt, il se rendit compte qu'il avait tant, tant marché qu'il avait tracé de longs sillons, d'un sens, puis dans l'autre, sur la plage couleur crème. Ely montra les dents face à l'eau, face à lui-même, gronda. Puis son regard attira quelque chose. Une interstice, dans la roche. Une pensée s'imposa à lui, impérieuse.

Un temple, comme celui de Daïro.

Sa sauveuse. C'était sûr - quoi d'autre ? Qu'est-ce qui pouvait bien être taillé à même la roche comme ça, à peine accessible à force de bonds sur des rochers facétieux, tout ceci ressemblait bien à la Renarde. Relevant les oreilles, le cou, Ely se dirigea vers le premier écueil. Dangereux. Il ne voulait pas retourner à l'eau... Un frisson le parcourut. Le soleil, haut, très haut dans le ciel lorsqu'il avait entamé son périple, était maintenant bien avancé dans son cycle. Et si la nuit venait à tomber... Il gémit. Et bondit sur la première pierre.

Ca n'était pas si difficile.

Il bondit encore.

Et encore.

Bond après bond, son objectif se rapprochait, gueule noire, béante, monstrueuse. Et plus il s'approchait, plus il se demandait.

Etait-ce vraiment la renarde, ou un autre piège de cette Mauvaise Île ? Il manqua glisser, et se reprit au dernier moment. Ca n'était pas le moment de flancher... L'eau, comme pour se moquer de lui, l'éclaboussa. Il retroussa les babines, et lui prit quelques couleurs pour la punir, conscient de la futilité de son geste. Il déposa son butin sous forme d'une rose stylisée sur ce rocher au milieu des autres, avant de bondir sur le suivant.

Jusqu'à atteindre le bord de la caverne.

Il venait à peine de toucher terre qu'une masse le projeta violemment sur le côté, lui tirant un jappement très bas, de surprise et de colère. Il reprit son équilibre et se retourna doucement, son pelage se parant de mille éclairs plus violents les uns que les autres, reflets de son âme perturbée. Il en devenait, à certains instants, d'un blanc glace difficile à discerner, presque luisant sur les bords. Ely se mit à gronder et baisser la tête. Les premiers mots du loup gris lui parvinrent, il les assimila, très rapidement, mais il parlait

Il parlait

Il parlait il parlait il parlait, il parlait beaucoup trop et s'approchait de lui pour l'aider mais Ely ne voulait pas de son aide, non, il ne voulait surtout pas qu'il le touche et le lui fit savoir d'un grondement plus grave encore, un bruit de gorge très désagréable autant pour lui que pour son interlocuteur. Et l'autre parlait, et parlait tant ! Ely cligna des yeux plusieurs fois, avant de tourner la tête sur le côté et fixer la pierre.

La pierre était tout autant intéressante, et au moins elle ne faisait pas de bruit, elle.

Il se désintéressa bien vit de cet être gris et bleu - il ne se souvenait plus de son nom, avait-ce un quelconque intérêt ?, pour se diriger vers la grotte. Il aimait bien les grottes. C'est sombre, agréable, accueillant, et des fois à l'intérieur il y a la déesse orange qui nous y attend. Peut être, ici aussi, trouverait-il un petit bout de Dairo ? Ou, peut-être, trouverait-il quelque chose d'intéressant à lui ramener, et à mettre dans sa grotte à elle.

Qui sait ?

[Dé -> Rocher griffé]

Mmmh. Au bout de quelques pas son attention fut retenue par quelque chose. Quelque chose... D'intéressant ? Un rocher.

Il aimait bien les rochers. Les rochers, ça n'est pas dangereux, et surtout, c'est une surface parfaite pour dessiner. Ely retira quelques couleurs autour des griffes pour parer ces dernières d'un rouge sanglant, quelques gouttes semblables à du fluide vital glissant vers le sol.

Qui avait bien pu imprimer ainsi la pierre ? Un monstre, probablement, qu'il n'avait aucune envie de croiser. il agita son museau, une fois, et renacla. Il ne pouvait pas ramener ça à Dairo, non non non.

Il allait falloir qu'il trouve autre chose.

Il avait espéré que l'autre le laisse tranquille. Qu'il parte ? Qu'il se taise, à minima. Ely n'avait pas très envie de sa compagnie.

Il se rendit compte très vite qu'il ne voulait pas de sa compagnie du tout. Il parlait. Il parlait parlait parlait parlait et rien ne semblait vouloir l'arrêter. Au début, le loup gris aux bandes jaunes tenta de se concentrer pour comprendre les questions, sa curiosité. Et très vite il se rendit compte que tout ce babillage ne l'intéressait pas, non non non ça ne l'intéressait pas du tout. Pas plus que sa compagnie.

Alors il fit de son mieux pour l'ignorer. Faire comme s'il n'était pas là. Se rendre sourd à ses paroles. Il passa de son caillou griffé à autre chose. Il leva le museau et huma. Peu d'odeurs dans l'air...C'était plutôt rassurant, vu les environs. Il n'avait pas envie de tomber sur un autre Thid.

Ou pire.

Un truc vraiment méchant.

Il n'adressa qu'un regard très vague à l'os qu'avait ramené le gris. Après tout, cet os n'était pas beau. Il ne méritait donc pas son attention, pas plus que son nouveau propriétaire. Peut-être cet os à ronger l'intéresserait-il assez pour qu'il le laisse tranquille ?

Ely passa à la salle suivante, se sentant suivi et entouré du loup gris, mais sans chercher à le fuir ni à le repousser. Il se lasserait bien ! S'il cherchait à le renvoyer, il risquait de s'acharner encore plus.

Mais !

Ses yeux s'élargirent. Ca brillait ! C'était... Beau ! Un trésor, enfin digne de Dairo. Enfin quelque chose qu'il pouvait ramener ! Il s'approcha un peu plus rapidement - signe ostentatoire d'une certaine joie, le plus qu'il puisse exprimer en ces circonstances, et commença à faire des cercles autour des piécettes.

Que Dairo serait contente avec ces pièces dans son temple ! Il en était sûr ! Il serait si bien agrémenté !

Ely regarda autour de lui et finit par repérer un vieux sac en toile de jute qui trainait. Mmh ! En voilà un objet qui pourrait lui servir. Il commença à le remplir de pièces, à ras-bord (Dairo méritait bien au moins ça !), puis se ravisa.

Non non. C'était dangereux. Comment reviendrait-il à la nage, chargé comme il était ? Alors il reposa quelques pièces, déçu. Surtout qu'il n'était pas sûr de revenir. Non, le voyage était bien trop horrible, ce lieu bien trop inaccessible, Ely n'était pas fait pour de tels voyages ! C'était déjà étonnant qu'il soit arrivé jusqu'ici, qu'il ait traversé la langue d'eau.

Il n'aimait pas nager.

Par contre, il adorait tout ce qui brillait ! Et ces pièces était splendides. Il devrait prendre le temps de les polir un peu, de son poil, pour qu'elles retrouvent leur lustre d'antan, oui. Ça l'occuperait quelques heures, quelques jours si la tâche s'avérait particulièrement difficile. Mais il ne voulait pas recolorer par dessus. Il devinait sous la terre un éclat que toutes ses couleurs ne parviendraient jamais à rendre.

Il hocha la queue, une fois.

Bien.

Il s'avança dans une salle mitoyenne. Mmh... Ah ! Encore quelque chose qui brillait ! D'un pas plus vif, Ely se jeta sur l'objet qui s'avéra être... Un calice ! Il fit rouler l'objet dans un bruit métalique sur le sol rocheux. L'objet, à l'image des pièces, était recouvert d'une terre apportée là par le temps. Il le saisit entre ses crocs, et le ramena au sac qu'il n'avait pas trainé derrière lui. Après tout, il était assez lourd, il y reviendrait après. Il hésita, et ôta quelques pièces. Encore quelques unes. Dans l'espace ainsi créé, il déposa le calice avant de tirer sur les bords de jute du sac, et secouer. Le tout se tassa dans un bruit bien agréable à l'oreille. Satisfait, Ely tira ses trouvailles sur le côté, pour qu'ils ne trainent pas dans le passage - son passage. Il avait complètement oublié Thid qui, dieu merci, était parti ailleurs.

Satisfait du placement du sac de jute, il reprit son exploration de la grotte, de plus en plus curieux de ce qu'il pourrait y trouver. Jusque là, ça avait été plutôt positif ! Pourrait-il trouver d'autres objets à ramener à Dairo ? Le calice pourrait avoir une place de choix sur un autel à proximité. Peut-être pourrait il le construire, ou le faire construire ?

Mais ça impliquait de demander à quelqu'un.

Il ne savait pas faire d'objets comme ça. Ou peut-être en se concentrant sur le côté artistique de la chose, par exemple un réceptacle pour la coupe ?

Tout à ses réflexions, il buta sur un nouvel os. Il piailla, avant de s'ébrouer et humer la chose. Ca sentait...

...

... La poussière.

Une vieille poussière bien pourrie, qui le fit éternuer. Une fois ! Deux fois ! Trois fois ! Il tapa du bout de la patte dans le vieil os. Quatre fois ! Il grommela, passant une paluche sur son museau pour se gratter. On l'y reprendrait !

Quand il eut fini d'éternuer, Ely cracha un peu par terre pour évacuer le gout de terre et de poussière qui l'avait pris à la gorge. Bah ! Cette pièce n'était pas très agréable - vite, passons à la suivante !

C'était impressionnant. Il y en avait des dizaines (des centaines ?) toutes liées entre elles par des galeries informes, à peine taillées. Quel pouvait vraiment être cet endroit ? Mais si la question effleurait Ely, c'était bien loin de ses véritables considérations. Ce pouvait bien être le nid d'un poussin piaillard, c'était bien le moindre de son intérêt !

Et son intérêt se trouva piqué.

De mille feux.

C'est ce dont brillait la pierre qui se trouvait au milieu de la pièce. Et quelle pierre ! Un... Un diamant ! Un énorme diamant ! Il était ! Tellement gros ! Ely n'en croyait pas ses yeux. Son poil se hérissa, il ressemblait à un porc-épic surpris par un prédateur. Finalement ! Il reviendrait peut-être ici, si on y trouvait ce genre de choses !

Il se jeta sur la pierre.

Le caillou.

Le diamant.

Qu'il était beau ! Il le dévorait du regard. Qu'il ornerait de façon merveilleuse le temple de Dairo, la seule qui mérite ces attentions ! Ely toucha la pierre précieuse. Elle roula légèrement, projetant sur les murs de la crypte mille reflets colorés, dansant sur les murs et transformant la grotte en fond marin venu d'un autre monde. Ely était électrisé, et sur son dos les éclairs se succédaient à un rythme frénétique. Ce... Ce diamant ! Il était tellement

Tellement

B e a u

Il respirait le beau, autant qu'un caillou pouvait le respirer.

Finalement, Ely le saisit entre ses crocs. Avec difficulté : c'était tellement grand qu'il manqua par trois fois le laisser choir sur le sol. Et il se rua dans les pièces précédentes, à son sac.

Hésita. Le diamant ne valait-il pas mille fois les pièces et le calice dans le sac ? Non. Il devait en prendre un maximum.

Il ôta encore quelques piécettes et glissa le diamant tout au fond du sac, où il risquait le moins de le perdre. Et il saisit le haut du sac entre ses crocs, son glowstick brillant dans la pénombre alors qu'il dévoilait sa denture de prédateur. Il tourna le sac deux, trois fois pour le fermer, et le saisit fermement.

Oof !

C'était lourd, pour une crevette comme lui. Mais il devait le faire.

Il se glissa à l'extérieur de la grotte, et considéra la mer. Le trajet du retour lui semblait impossible, mais il était boosté, électrisé par tout ce qu'il avait trouvé et qu'il pourrait soigneusement placer dans la Crypte de la Renarde. Alors, il se jeta à l'eau.

[Le dé sert à voir comment il s'en sort dans l'eau :3]

Comme prévu, ce fut loin d'être aisé. Peut-être une des choses les plus difficiles qu'il ait faite jusque là, lui qui n'avait pas l'habitude de tirer sur son corps, de le faire travailler, de se rappeler qu'il y avait des muscles sous ce poil. Finalement, il y avait peut-être une utilité à s'entrainer de temps en temps et faire en sorte de garder la forme : pouvoir ramener des trucs à Dairo.

Il pédala

et pédala

Cherchant à atteindre la rive qui lui paraissait ridiculement loin. S'éloignait. Non ! C'était un effet d'optique. Mais quand même ! Le sac semblait s'alourdir à mesure qu'il avançait, pédalant

Une patte

Après

L'autre

Il remonta ses babines sur ses crocs pour laisser passer un peu plus d'air, manqua tousser. Sa gueule voulait absolument le tirer par le fond. Le système était intéressant, mais loin d'être pratique dans cette situation. Il aurait fallu... Une bourse. Ou quelque chose du genre. Un contenant. Oui ! Il devrait demander un contenant.

Non ! Il n'aimait pas demander aux gens les choses.

Mais un contenant ! Une gorgée d'eau salée lui rentra dans le fond de la gorge, et un râle d'outre-tombe manqua l'envoyer par le fond une fois de plus. Oui. Un contenant. Il en avait vraiment besoin. C'était indispensable. Il nagea pendant ce qui lui sembla être une éternité avant que l'eau ne lui paraisse soudain un peu plus chaude. Etait-ce une illusion ? Il pouvait presque voir le fond - il faillit boire la tasse de nouveau en baissant la tête une seconde de trop. Oups !

Mais c'est bien le sable qu'il sentit alors sous ses pattes. Soulagé, il accéléra la cadence et, une seconde plus tard, voilà qu'il était enfin sur la plage. Il se secoua une fois, deux fois, dix fois pour chasser l'eau de son poil. Il devrait trouver un coin d'eau claire pour en chasser le sel...

Mais pour l'instant il avait mieux à faire. Satisfait, il se dirigea vers le temple de la Renarde.