Marche entre les ombres ♖ Leikn

Comateuse.

C’est ainsi qu’elle se sent, portant le corps de Méluciole sur son dos, trouvant la force dans le peu qu’il lui restait d’énergie, parce qu’apaiser les cris l’avait vidé. Le chemin avait paru bien long, la pluie n’avait fait que l’alourdir, alors que l’adolescente était recouverte de la cape rouge, comme si on lui rendait hommage, tel les anciens combattants d’autres mondes. Les pensées de Leikn sont vides, le sens de toute chose tout autant. Pourtant n’avait-elle pas fait son possible pour sauver cette fille qu’elle chérissait ? Ne s’était-elle pas évertué à apaiser toute trace de douleur chez elle ? Pourtant… pourtant… Rien ne serait jamais suffisant, parce qu’une autre avait mutilé cette enfant, l’avait privé de ses attributs de prédateurs, la rendant presque inoffensive. Le sol devient plus rugueux sous les pattes de Leikn qui entraîne Méluciole jusqu’à leur tanière, la déposant aussi doucement que possible, alors que ses pattes avant ne fléchisse sous la poids de la fatigue. L’ancienne solitaire serre les crocs, cherchant à se relever, observant Mélu qui semble en meilleur état que lorsqu’elle l’avait trouvé. Les pattes tremblent lorsqu’elle se relève, tout simplement parce que son corps n’en peu plus de tout cet effort. Toutefois, le travail n’était pas fini, pas encore, alors l’herboriste se dirige vers leur stock d’herbe, mâchouillant sans conviction quelques plantes énergisantes.

C’est lorsqu’elle se rapproche de Méluciole, que les cris reviennent vriller à ses tympans, lui arrachant une gémissement de douleur, alors que ses pattes avants tentent de lui boucher ses oreilles. En vain bien sûr, car elle ne pouvait leur échapper d’une quelconque manière… La respiration de Leikn devient plus saccadée, alors qu’elle est contrainte d’entendre les gitaigo s’approcher, suffisamment pour les apaiser, pour les faire taire définitivement, parce qu’ils étaient tel un abcès. L’odeur du sang envahi ses narines, la faisant froncer les sourcils. Les yeux de la louve fixent sans voir le cornu, ses traits ravagés par la douleur, par l’impuissance qui était sienne. Les mots sonnent comme creux à ses oreilles, trop occupées à écouter ceux qui hurlaient, lui vrillaient les tympans, la sommaient de les guérir. L’ancienne solitaire tremble, sous le poids de ce pouvoir, sous la douleur de ce qu’elle a vu.

(Lancé de dé)

Alors, elle fait ce qu’on lui intime désormais, ce que la lumière bleue lui a apporté, elle fredonne, doucement, pour apaiser les voix, pour inciter les os à se ressouder, pour contraindre la plaie à se refermer. Les sons persistent, mais la migraine cesse de brouiller ses sens un temps. Alors la louve aux cheveux rose pose son regard sur Teddy, ses yeux qui ont trop pleuré, attristés. C’est comme si elle revenait d’ailleurs, comme si c’était une autre personne qui agissait, prenait la parole. Leikn se couche sur le sol, épuisée par tout cela. Mister Bélier semble attendre une réponse quant-a l’état de Méluciole. Avec dégoût la disciple d’Ao consent à lui répondre.

« — Celle que tu appelles « ami » s’en ai pris à elle. Celle que tu considérais comme proche a presque détruit Méluciole. » La Licorne marque une pause avant de reprendre, un air affligé. « Comment peut-on faire ça, Teddy ? Comment peut-on infliger tant de souffrance ? Elles ont tant hurlé, Teddy, elles ont tant souffert. Je n’ai pu que les apaiser, que les inciter à partir, mais qu’ai-je fais ? Méluciole a tant perdu… Anianka s’en ai pris à elle, l’a mutilé. Cette chienne de prêtresse s’en ai pris à notre enfant. »

Et pour ça elle paiera, ce n’est qu’une question de temps selon toi, Leikn, n’est-ce pas ? Parce que dans ce monde tout était régi par l’adage Oeil pour oeil, dent pour dent. Alors cette foutue prêtresse goûterait à son tour le goût du sang d’un de ses enfants, ressentirait cette douleur qui vous maintient en vie juste pour vous faire souffrir un peu plus. La Lazulis serre les crocs, priant pour que plus jamais cela n’advienne, priant pour que sa famille ne souffre plus jamais de l’égoïsme des autres, parce que ce monde de noirceur n’était qu’immondice pour ces enfants. Leikn pose sa tête sur ses pattes avants, les gitaigo maintenant apaisés, de sorte qu’ils ne viendront hurler à ses oreilles. Ses yeux à moitié clos, regardent son compagnon, alors qu’elle se rend compte de l’absence de deux autres de ses enfants, dont la plus jeune. L’ancienne solitaire veut se redresser, vérifier si elle avait bien cherché dans la pièce, mais la fatigue l’en empêche, alors elle se contente de prendre la parole.

« — Où sont-elles Teddy ? »

Parce qu’au final, seul lui pourrait lui donner la réponse, seul lui serait en mesure d’apaiser ses craintes et ses doutes, ainsi que sa peur qui montait progressivement ces derniers temps, menaçant d’imploser d’une manière ou d’une autre…

Ce n’était que question de fierté. Prouver un tant soit peu aux autres, que l’on existait. Là, était l’intention réelle d’Anianka, d’être considérée par les autres, prouver qu’à son tour, elle avait défendu le temple, servi les dieux. Mais ne comprends-tu pas, que ces uniquement tes desseins ? Que les dieux n’exigeaient nulle vie ? Que nulle entité n’est venue protéger son temple pour maudire Méluciole ? N’as-tu point ressenti la souffrance qui hurlait ?

La Licorne voudrait réconforter son compagnon, calmer ses doutes, apaiser ses craintes, mais Leikn lui en voulait. Parce qu’il avait eu confiance en Anianka, parce qu’il avait cru voir le bon en elle. Pourtant, l’ancienne solitaire se contente de serrer les crocs, lâchant un gémissement fatigué. Lasse de toute cette violence, lasse d’entendre ces voix, lasse de sentir l’odeur du sang en permanence…

« — C’est pour des cailloux et de la poussière, qu’elle doit en payer le prix… pour la dignité d’une louve qui prétend servir l’intérêt de tous… »

Les voix hurlent à ses tympans, parce que Mister Bélier se laisse envahir par le désarroi. L’ancienne solitaire se crispe, parce que s’en était trop, parce qu’elle ne pouvait plus les entendre ces cris, qui devenaient sa torture. Alors elle se redresse, cherchant à ne pas les entendre, parce que celles-ci étaient impossible à faire taire. L’estomac de l’herboriste se contracte, avant qu’elle ne régurgite le maigre contenu de son estomac. Son regard est vide, son souffle saccadé, parce que cela la rongeait, que le brun devait se calmer sous peine de la voir basculer dans ce gouffre sans issue.

« — Arrêtes. Fais-les taire, Teddy, fais-les taire… »

C’était une supplication, plus que de l’ordre. Une demande de grâce, parce que cela la rongeait. Le Lazulis s’approche alors de la Licorne, sa patte effleurant la sienne, avant que Leikn ne sentent ses griffes s’enfoncer dans sa peau. C’est une louve fatiguée qui laisse sa tête tanguer doucement, s’appuyant sur le corps de son compagnon pas nécessairement en meilleur état. Et puis vint la vérité… Disparues. Voilà où étaient Nugget et Mésange, dévorées par un monstre. Ce n’était que plaisanterie n’est-ce pas ? Les dieux se jouaient d’eux tous ? Pourquoi devait-on tout lui prendre ? L’ancienne solitaire serre les crocs, regardant son compagnon qui semblait dans une pure crise de folie.

Oh non Teddy, pas toi aussi.

Faisait-il une crise dé dénis ? Refusait-il d’accepter la vérité ? La Licorne serre les crocs, le corps tremblant avant de reculer dans un coin de la caverne, laissant les larmes creuser des sillons sur ses joues, parce que visiblement elle n’avait pas usé de tout son stock avec Méluciole. Les gitaigo de Teddy revenaient à l’attaque, gémissant. L’herboriste conserve un long moment le silence, ne sachant que croire. Son compagnon rongé par le chagrin ou l’absence des deux enfants qui en disait long ?

« — Teddy… Arrêtes. Regardes-toi bon sang… »

Le contact vint faire sursauter Leikn qui pourtant ne cherche à se dérober, sentant les voix se taire progressivement. Cela était apaisant, le calme qui raisonnait enfin dans son esprit. Le cornu tente d’apaiser ls craintes de la louve vis-à-vis de la situation précaire de Méluciole, le rassurer quant-au sort des deux autres. Il s’évertuait, mais y parvenait-il réellement ? La Licorne serrait les crocs, ne sachant quoi penser, toute cette situation la laissait perplexe, car elle ne comprenait pas, ne parvenait à déchiffrer les messages cachés de Mister Bélier. Où était-elle cette époque de l’insouciance, loin de la colère des dieux et de la responsabilité de parents ? Cet âge ancien était-il révolu ? Parviendraient-ils à retrouver des moments de bonheur, loin du combat et du sang ? Loin de la vengeance et de la violence de ce bas monde ?

Sceptique au début, habitée de cette envie irrépressible de croire Teddy, quand bien même une part d’elle doute encore, sa patte vient rejoindre celle du mâle, posée sur ce qui restait de leurs deux autres filles. Alors la Licorne ferma les yeux, son esprit lui démontrant une scène particulière. Un monde de gris et de rouge, comme le fut le territoire des démons de Descna. Un monde de ruine et de cendres, comme celui dans lequel les Lazulis habitaient désormais. Pourtant… au-delà de ça… il y avait bien quelque chose qui capta son attention, son coeur se serra, peinant à croire à ce qu’elle avait sous les yeux. C’étaient elles. Nugget et Mésange, ensembles, vivantes. Bon sang ! Comment tout cela était possible ? Par quelle magie ? L’herboriste retira sa patte, dardant ses yeux verts sur Mister Bélier, encore confuse par ce qu’elle venait de voir.

« — Nous devons les retrouver. Teddy, on doit les sortir de là, les ramener dans notre monde. »

Mais comment procéder ? De quelle manière pourraient-ils interagir avec cet autre monde dans lequel les enfants semblaient être ? Teddy semblait avoir bien plus de liens avec eux, qu’elle n’en avait, pourtant, Leikn ne voulait lui laisser toute cette responsabilité. Il était encore trop faible, quand bien même il ne le reconnaîtrait jamais. Les yeux de la louve se posent sur Méluciole, marquée par les dieux, marquée par une imposteur, avant qu’elle ne reporte son regard sur le mâle.

« — C’est notre devoir de les faire revenir de cet enfer. »

Le devoir de tout parent à l’égard de leur enfant, quand bien même cela pouvait les conduire à leurs pertes. L’ancienne solitaire se redresse, fébrile, pourtant déterminée à se battre pour ses enfants, parce qu’ils vivraient bien après eux, parce que leur vie comptait au-delà de sa propre vie…