♰ Lymphalème Il faisait de moins en moins beau. Ce matin, la brume recouvrait le camp des Etelkrus. Lymphalème se redressa dans sa grotte, et en sortit, ses oreilles redressées, pour regarder autour de lui. On n’y voyait rien, même à quelques pas. Il pointait ses oreilles vers l’avant, entendant les pas des loups sans les apercevoir dans la brume.
L’automne arrivait, et la météo des Nakhus était venue se réfugier sur leurs terres. Lymphalème n’avait pas d’entraînement ce matin, pas de patrouille à laquelle assister. Il traversa le camp, ses bracelets dorés cliquetant sur ses pattes à chaque pas. Un de ces bracelets, son père le lui avait apporté en souvenir de sa mère. C’était la louve qu’elle avait sauvée des pirates qui les avait rapportés. C’était la seule chose qu’on avait eu d’elle, jusqu’à que la mer rejette son corps sur la cote de nacre, comme pour la rendre à ceux qui l’aimaient de son vivant.
Il portait les bijoux d’une morte à ses pattes, mais pourtant cela ne l’avait jamais ralenti, ni gêné. Sa mère les avait passés à la louve qu’elle sauvait, parce qu’elle avait su qu’elle allait y laisser sa peau. Au lieu de fuir, de laisser la captive, elle s’était battue, et ces bracelets étaient le signe de son courage.
Cling. Cling.
Il l’avait si peu apprécié, lorsqu’elle le recoiffait, lorsqu’elle s’occupait de lui et de sa sœur, lorsqu’elle s’occupait des malades. Elle n’avait jamais rien dit, sur son passé, sur sa vie avant les Lazulis. Il ne savait rien, vraiment, sur elle. Il aurait pu, s’il s’était intéressé à elle, s’il avait pris juste un instant pour discuter. Peut être aurait il enfin compris d’où venait son désir si profond d’acquérir le glowstick d’une meute à laquelle il n’appartenait pas. Peut-être aurait-il mieux compris sa mère, et le courage qu’il n’avait jamais deviné chez elle. Elle avait toujours été là, jusqu’au jour où elle était disparue.
Cling. Cling.
Il inspire l’air de la mer. Il a marché de nombreux pas, depuis le camp, et ici, enfin, la brume se dissipe, et le vent de la mer lui caresse le museau. Jusqu’à l’horizon, l’étendue bleue se mêle avec les nuages gris de la saison. C’est là, qu’elle est morte. Quelque part dans cette mer.
Il aurait dû lui faire ce dernier câlin, avant de partir. Il aurait dû lui dire qu’il l’aimait.
Que de regrets.
Il descend la pente, le petit chemin, caché entre les rochers, qui serpent le long de la falaise.
Et son père ? Son père était Alpha, son père était le plus fort, le meilleur, le plus beau. Il avait cru ça toute sa jeunesse, et c’était agacé qu’on lui parle toujours comme ‘le fils du chef’, bien qu’il fût ravi de baigner un peu de la gloire de son géniteur. Il avait grandi, en sachant qu’il était ‘spécial’ quelque part. Il était le fils d’un chef, il n’y en avait pas d’autre à l’époque. Il se savait unique. Il se savait irremplaçable, et tout ça grâce à son père. Son père aussi, il ignorait ce qu’il avait été, avant de devenir chef Lazuli. Il avait toujours cru son père le plus fort et imperturbable, sa mère la plus douce et émotionnelle. Sa mère était morte au combat. Son père était mort de chagrin.
Même jusqu’à leurs derniers jours, ils avaient prouvé qu’il ne les connaissait pas.
Il n’avait pas pris le temps.
Mais maintenant, il le prendrait, pour tous les autres loups qui étaient importants à ces yeux.
Il finit sa descente, sur l’escalier au-dessus du vide, sans regarder en bas. Il avait peur de regarder en bas, c’était trop haut, trop dangereux. Il s’y était habitué, il regardait en face, et posait délicatement les pattes.
Il se glissa par l’entrée de la grotte, et leva la tête, vers la déesse, sculptée dans la pierre.
Il ne venait pas pour son glowstick, pourtant il était temps. Mais il ne se sentait pas prêt. Il avait trop peur : Peur qu’une fois qu’il aurait son glowstick, il serait coincé pour toujours sous un idéal, une figure qu’il n’atteindrait jamais. Qu’il serait déterminé, aux yeux de tous. Sa liberté n’était pas encore prête à porter les couleurs de la renarde, même si c’était pour elle qu’il était ici. Le sang de solitaire, de son père, coulait dans ses veines.
Il s’approcha de l’autel, et s’inclina respectueusement devant la rusée d’ocre, en fermant les yeux. Puis il redressa la tête. Il n’était pas là pour lui, aujourd’hui. Il était là pour prendre le temps, pour ceux qu’il aimait.
Pour celle qu’il aimait, plus particulièrement.
Il inspira profondément, et ouvrit la gueule :
« Déesse Renarde, vous savez comme j’ai du retard sur mes camarades Etelkrus. Je ne suis toujours pas venu vous demander l’honneur de passer votre épreuve, mais pourtant c’est bien pour ça que je suis membre des Etelkrus. « Il jeta un regard à la fontaine orangée. Cela prendrait si peu d’effort, de s’en emparer… Mais cela n’avait aucun intérêt pour lui. Il devait mériter sa place, pas la voler.
« Je vous promets que le jour viendra, et que ce jour, je serais prêt à mériter une place parmi les vôtres. »Il marqua une pause, et son regard retrouva la déesse.
« Mais ce n’est pas pour moi, que je viens aujourd’hui. C’est pour notre Alpha. C’est pour mon amie. C’est pour Pepper. » dit-il à la rusée, sa voix s’étranglant légèrement sur la dernière syllabe du nom de la bleue.
Elle avait été gravement malade, elle était réduite à une situation horrible, dans laquelle elle n’avait plus aucun repère du monde réel, mais pourtant, elle survivait. Et elle le faisait pour la meute, Lymphalème en était assuré, en venant lui apporter de la viande, de temps en temps. Le feu de son courage brûlait encore en elle, bien qu’il soit terni par la peine de la perte et de l’échec. Lymphalème comprenait, mais il savait aussi qu’elle avait besoin d’aide, et c’était pour cela qu’il était venu.
« S’il vous plait, éclairez-là de votre lumière, qu’elle ne passe pas sa vie dans le noir. » souffla-il.
Il redressa la patte, et posa un bracelet d’or sur l’autel. Le bracelet de sa mère, pour qui il n’avait rien pu faire, pour la sauver. Mais maintenant il pouvait sauver quelqu’un et c’était ce que sa mère aurait voulu qu’il fasse. De manière plus importante, c’était ce qu’il voulait faire. Pour Pepper.
C’était son présent. Il était posé là, cercle d’or, sur l’autel de pierre brune, brillant et renvoyant la lumière de la fontaine. Il était le passé. Il était le présent. Il serait le futur, si la déesse le désirait.
Le gris se redressa et inspira profondément.
« Merci, déesse Dairo »Pour tout.Il respira profondément et ferma les yeux, pour prier plus longtemps, dans le silence qui le caractérisait.