[CLOS] La traversée de l'hiver ♖ Leikn

Ce départ ressemblait plus à un exil personnel.

Les paupières de la louve se fermaient doucement, tandis que sa joue reposait contre le tronc d’un arbre. C’était ainsi désormais, que la Licorne passait ses journées, tentant de se retrouver en communion avec elle-même, essayant d’apaiser ses tourments. Pourtant, rien n’y faisait, absolument rien ne lui permettait d’oublier, car il y avait tant à oublier…

Cela avait commencé lors de l’affrontement avec Anianka, lorsque Leikn avait retrouvé Méluciole mutilée. Les gitaigo avaient criés à ses oreilles, lui demandant réparation, mais cela ne fut rien, absolument rien à côté de ceux qui vinrent hurler à ses oreilles, ceux qui agonisaient et qui dans une veine tentative exigeaient de l’aide. La mort d’Akira engendra le début de la fin. Suivit ensuite Teddy, blessé si gravement, si inconscient de son mal qui en venait jusqu’à procurer la nausée chez l’ancienne solitaire. Leikn ne pouvait oublier ce sentiment de dégoût, de peur qui avait envahi ses sens. Plus encore, lorsque Teddy avait disparu au travers de cette brèche pour rejoindre leurs enfants enfermés dans une dimension parallèle. Là, ce fut le chamboulement. La peur de ne plus revoir ce compagnon qui représentait temps, la peur de devoir continuer le chemin seule, de ne plus avoir la force de se battre. C’est dans ces moments-là, qu’une fois le choc passé, le corps agit seul, dans le désespoir.

Tu t’en souviens, hein Leikn, de la morsure glaciale de la pierre dans ta chair, de ton sang qui s’écoulait de la blessure, plus encore, de ce désespoir qui avait envahit tes sens. L’argent avait envahi la terre sèche, la douleur avait rejoint ton pouvoir. Le son de tes propres gitaigo avaient aussi hurlés dans ton esprit, alors que ton corps s’écroulait. Le cumul de tant d’émotions de la journée, ne pouvait te permettre d’en sortir indemne.

Alors, la Lazulis était partie. Comme ça. Quelque jours à peine après le rassemblement de sa famille. Laissant derrière elle tout ce qui pouvait la trahir dans les fourrés, le moindre accessoires fait été laissé au camp, surtout sa cape rouge, elle qui, avait traversé les mondes. L’animal domestique, était redevenu bête s sauvage, se soumettant à la force des prédateurs, se reposant sur les aléas de la nature pour subvenir à ses besoins, reprenant ce comportement de bête. Leikn n’était plus. Du moins plus totalement. Les gigaitos avaient brisé une part d’elle, la peur de perdre de Teddy une autre. Son esprit était en pièces, alors qu’en tant que mère, elle aurait du se réjouir du retour de ses enfants, profiter pleinement de sa famille réunie avant la prochaine catastrophe. Cela n’était plus possible, la Licorne n’y parvenait plus… ou ne voulait plus y parvenir. Pourtant, un départ aussi brusque ne passerait pas inaperçu, encore moins auprès de Teddy.

Le Bélier avait persisté, laissant de multiples présents, cherchant sûrement à faire comprendre à la louve que le danger était écarté… mais son pouvoir l’avait mené trop loin. Leikn avait observé ces présents, avec une certaine appréhension, de crainte d’être de nouveau assaillie par ces voix qui la hantaient, de peur que derrière la carotte se cache le bâton. Alors, la louve se contentait d’observer de loin, une part d’elle mourant d’envie de rejoindre ce compagnon qu’elle aimait au-delà de tout, tandis qu’une autre part, l’obscurité qui dominait, lui rappelaient les échos des gigaitos, le goût de sa peur, les conséquences de ses choix. La Licorne se sent quelque part traquée. C’est probablement pour cela que, pour la première fois depuis son départ, elle sortira des fourrées. Un camouflage qui masquait ses traits tirés par la fatigue, sans toutefois cacher sa silhouette plus famélique que jamais. Parce qu’elle ne parvenait à trouver l’appétit ou le sommeil, vomissant tout ses maigres repas.

Sa langue semble nouée, alors que Teddy lui tourne le dos. La reconnaître-t-il de toute façon ? Louve camouflée, sans odeur, sans plus aucun accessoires ? Lui même était difficilement reconnaissable, ses poils bruns ayant disparu. Étais-ce dû au stress ? Dormait-il assez ? Leikn l’observe un instant, avant de faire volte-face, prête à redisparaître dans la nature.

(Lancé de dé hasard, et une malédiction en moins)

Toutefois, le destin semble en décider autrement, car son coeur flotte soudainement au-dessus du sol, lui arrachant un grognement, plus mélange d’appréhension que de colère. Cette fois, sa porte de sortie venait de se refermer sous son nez, l’obligeant à affronter ses fantômes. Leikn n’observait pas le brun, plus par peur crainte de ce qu’elle pourrait entendre que par réelle honte. La lumière de son glowstick semble vaciller un instant avant de luire de nouveau doucement.

La Licorne devait faire face au Bélier.
Mais le coeur vaincra-t-il la peur ?

Lui conserve le silence.

Celle qui fut Lazulis finit par tourner la tête en sa direction, en même temps que le phénomène qui les faisait alors flotter s’estompe. Son arrière-train heurte le sol, alors que le Bélier, lui, tente de la rassurer. Comment pouvait-il deviner ? Qu’à chaque regard, à chaque fois que son esprit se portait sur lui, les voix envahissaient ses pensées. Les cris consommaient toute sa raison. S’en était pareil avec les autres, tous. Eux qui, empoisonnaient ses sens de leurs maux, qui venaient la torturer mentalement. La Dragonne ne lui avait pas offert de cadeau, mais un véritable fléau. Mais aucun ne pouvait le comprendre, personne n'était dans sa tête, nul ne voyait à quel point la folie attendait le basculement total.

Tu devenais l’animal sauvage, qu’il s’efforçait d’apprivoiser.

La louve refuse toujours de le regarder directement, de peur de ce que cela pourrait la conduire à commettre. À agir plus par instinct que par raison. Alors ses yeux observent le sol, les feuilles qui tapissent la terre pour donner naissance à une nouvelle forme de vie. À l’époque, un sourire aurait étiré les babines de la Licorne à cette idée, plus maintenant. Elle se redresse, bien vite d’ailleurs, sa vue se brouille un instant. Teddy fait un pas en sa direction, refusant sûrement de brutaliser les choses. La louve devine le glowstick rose qui brille à son poitrail, cette couleur qui lui rappelle cette vipère. Vile pourfendeuse, bourreau d’enfants et mère indigne de ce titre.

Le silence demeure un long moment. Les mots peinent à se former dans l’esprit de Leikn. L’absence de dialogue semblait lui avoir fait oublié les avantages de la communication. Secouant doucement sa tête, elle finit par incliner sa tête vers le sol, bête blessée, affaiblie. Les larmes viennent creuser des sillons dans ses poils, faisant partir le camouflage avec, tandis que son dos se voute par la fatigue.

« — C’est allé trop loin. »

Tout.

Absolument rien de tout ceci n’aurait dû advenir et pourtant… pourtant. Là où aurait dû résider le bonheur, le malheur avait pointé le bout de son nez. Là où la vie était alors indolore, le mal s’était glissé. Plus rien n’avait de sens. Étais-ce cela la vie ? Leikn n’ose prononcer le nom du Bélier, de peur que les voix en profitent pour revoir en force. Enfin, ce sont des yeux pleins de douleurs qui se posent sur le Bélier, parce que la louve ne parvenait à oublier. Que les voix raisonnaient en écho dans son esprit, alors qu’il n’y avait lieu. Que sa nature de Licorne amplifiait tout ces maux. Ses pattes tremblaient tandis qu’elle serait les crocs en gémissant. Voilà que la Licorne dominait sur la louve, que la faiblesse régnait sur la raison. Le loup perdait le combat, depuis ce jour sombre.

« — Me libéreras-tu… ? »

Parce que tu semblais déjà danser avec les fantômes, Leikn. Qu’eux, semblaient t’accueillir. Si toi tu avais abandonné ta cape, Charon lui, portait la sienne sur sa barque, attendant le moment venu pour t’offrir le passage.

ll s’obstinait.

La Licorne secoue doucement la tête, parce que c’était trop tout cela, plus qu’elle n’était prête à supporter. Teddy s’acharnait, toujours, lui aurait bien représenté la déesse bleue, celle qui prônait la détermination et la force mentale. Deux choses que Leikn n’avait plus désormais. C’est perdu dans ses pensées, que le mâle en profite lui, pour lui foncer dessus, crocs dévoilés. Ainsi, c’était le seul moyen qu’il avait trouvé pour la libérer ? Leikn redressa la tête, fermant ses paupières, attendant qu’il vienne porter le coup final. Voilà comment devait se terminer son existence, consumé par son pouvoir, consumé par l’amour. Étais-ce une fin si terrible en soit ?

La vie sur Punk Wolf t’avait accordé beaucoup, Leikn, voilà qu’un simple geste t’y ferait renoncé. Te rappelles-tu encore de ces moments de bonheur vécu ? Ou cela aussi, c’est resté dans un coin de ton esprit, loin du doute et de la douleur, un endroit tu ne peux point accéder tant que la paix ne réside pas en toi ? Peut-être que la mort te délivreras de ce fardeau, de ce cadeau maudit…

Pourtant, ce n’est pas sur sa gorge que se referment les crocs, mais sur la corne. Le choc fait serrer les crocs à Leikn, sachant la matière incassable. La matière venait d’un autre monde, loin des loups. Les cornes ne tombaient jamais, même après la mort de leur porteur. L’herboriste observe son compagnon, d’un regard ses aucune expression, alors qu’au-dessus d’eux, se fait entendre le son de la pluie qui tombe. Une pluie qui n’attendrait pas les terres Lazulis, comme cela était le cas depuis de nombreux mois maintenant. Le Bélier parle de Phoenix. Leikn en serait-elle capable de renaître de ses cendres à l’image de ces oiseaux de feu ? Ou cela viendra-t-il consommé le peu de raison qui lui restait ?

Lui, veut que le glowstick disparaisse, mais la Licorne refuse, alors que la louve, elle, ignore tout. Ce glowstick lui avait permit de sauver la vie de Méluciole, celle de Teddy… Tant de vies qui auraient pu être éteintes en l’absence de ce pouvoir. La Licorne savait que plus encore pouvaient être sauvées, qu’elle détenait la clé qui permettait d’échapper à la mort. Mais combien de temps son corps supporterait-il le poids de ce pouvoir ? Lui qui déjà dominait sur a raison, lui qui faisait raisonnait un concerto de voix dans son esprit. Les griffes vertes de l’ancienne solitaire s’enfoncent dans la terre, alors que les traits se crispent, sous le poids de la décision qui lui appartenait.

« — Si je le garde… cela me tuera… »

L’issue était inévitable, Leikn le savait maintenant. Elle voyait son corps en subir les effets, la forçant à rendre ses repas lorsqu’elle trouvait la force de les avaler, la privant de sommeil en faisant surgir le doute et la culpabilité, faisant resurgir une méfiance jadis oubliée, remontant à sa vie de solitaire. Les secondes se transformaient en minutes, elles en heures puis en jours. Cela faisait combien de temps qu’elle était dans la forêt à errer sans but ? Pourtant… Pourtant, la Lazulis se redresse, dévoile ses crocs quand bien même les larmes coulent, alors que la lumière bleue se fait plus forte.

« — Mais si je l’abandonne, alors qui vous sauvera ? Qui protégera Méluciole des répercussions de ses actes ? Qui te soignera lorsqu’une entité maléfique viendra t’attaquer ? » La Licorne marque une pause, sa respiration plus saccadée. « Si je l’abandonne, comment vous sauverais-je ? »

Sa nature la pousserait toujours à se sacrifier pour les autres, à donner sa vie pour permettre à une autre de se poursuivre.

Lui semblait comprendre.

Comprendre les effets néfastes de ce glowstick, connaître la finalité de cette histoire. Il avait tenté de le briser, mais Ao s’était montrée plus maligne, protégeant son don au sein même de ce qui ne pouvait être briser. Le Lazulis s’approche doucement, ce n’était pas son genre d’être aussi distant, mais au moins pour Leikn, il avait toujours fait cet effort. Le contact fait sursauter la louve qui se recule légèrement, presque machinalement. Lui s’efforce de la convaincre que ce glowstick est mauvais, que la vie de plus personne n’est en jeu. Mensonge, regardes-le, il n’a déjà plus aucun poils !

« — Je peux pas… Je ne peux pas le détruire. Ce serait un affront envers elle. »

La colère de la Dragonne pouvait être grande. Leikn n’osait imaginer ce qu’il adviendrait si jamais elle venait briser son glowstick, alors que sous ce dôme ils étaient tous des proies. Non. Le briser n’était la solution. Impossible. Les voix d’ailleurs s’y opposaient, murmurant à cette idée, à la possibilité qu’elles puissent disparaître. L’ancienne solitaire les écoute pendant quelques secondes,

Viennent alors ces trois petits mots. eux, qui font finalement déclic, arrachant ce qui s’avère un faible sourire à la louve qui se redresse. Les voix se taisent soudainement, laissant Leikn seule dans son esprit un moment. Par les dieux. Depuis combien de temps cela ne s’était-il produit ? Que les voix n’envahissent son esprit à tout moment de la journée ? Les mots de Teddy avaient réussi à faire taire les gigaitos assez longtemps pour permettre à la louve de reprendre ses esprits. Clignant plusieurs fois des yeux comme si elle sortait d’un mauvais rêve.

« — Je sais. »

Leikn se relève, un poids en moins sur ses épaules, redressant sa tête, ses yeux verts scrutants le Bélier. Son corps ne tremble plus, malgré la faim, cette fois, les gigaitos lui laissent un peu de répit, car ils savent ce qui les attendent. Eux, l’ont compris maintenant. La louve ferme un instant ses paupières, inspirant calmement, tentant de contrôler ses émotions afin de ne pas se laisser de nouveaux envahir.

« — C’est pour cela que c’est à moi d’en finir. »

La Licorne redresse ses cornes, son souffle venant caresser la peau nue de Teddy, lui qui désormais est sans poils. Un miracle qu’il ne se soit blessé ou n’est attrapé du mal… C’était bien lui ça, intouchable.

« — Teddy… Laisse-moi te revenir, sauver ce qui peut l’être encore. » La Licorne grimaça presque de douleur en effleurant l’ossature de la mâchoire du mâle. « À moi d’entamer ce dernier voyage vers l’équilibre… »

L’herboriste se recule brusquement, tournant le dos à son compagnon de coeur, avant de disparaître dans les fourrés.