Final Game [Libre]

Les nuits de tempête était probablement ce l'île de Morne-oeil savait faire de pire. L'absence de la lune, avalée par les nuages, plongeait les formes escarpées des rochers dans les ténèbres, seule l’intermittence des éclairs les dévoilait. Le vent sifflait, furieux, emmenant avec lui les vagues qui se fracassaient contre ce morceau de terre qui n'avait rien à faire là. Obstacle impie, privilège à chérir que l'Océan faisait à quelques animaux un peu trop terrestre pour lui appartenir totalement. Comme ces loups, faibles créatures des forêts et des montagnes qui étaient si simple à noyer, ces bêtes beaucoup trop terrestre qu'il transformait petit à petit pour les éloigner de leurs continents d'origine.
Ces tempêtes cruelles qui auraient emporté n'importe qui, symbole de sa force et de sa rage, rappel régulier de la faible valeur d'une existence face à lui, parfois, apportait un message plus grand, un signe de changement ou de grand retour. Elles avaient accompagné ces monstres qui avaient changé les destins, des combats pour les sceller, des luttes pour la survie, pour cacher ses traces.
Morne-oeil se remplissait peu à peu d'histoires, à chaque fois, comme pour les faire rentrer dans les légendes, la fureur de l'Océan les accompagnait, aujourd'hui ne faisait pas exception.
Entre les flots noirs glissait ce genre de forme que craignaient ceux qui ne les avaient jamais vu. Elle remontait à la surface, cette créature échappée des abysses, nageant dans un mouvement souple et régulier, à mi-chemin entre la forme du crocodile et du serpent, quelques voiles en guise de nageoire lui donnant un aspect de fantôme réincarné d'un navire coulée. Sa tête creva alors la surface déchaînée, ses pattes, longs doigts palmés armés de griffes s'accrochant à la roche alors que les vagues continuaient à se fracasser contre, sa peau lisse reflétant les éclairs qui dévoilaient sa silhouette déformée. Dans un souffle, les évents dans son cou relâchèrent toute la pression alors que tête en arrière, elle inspira une grande goulée d'air, brûlant ses poumons de cette odeur marine, appréciant à cet instant cette immonde odeur d'algues fermentant sur la plage, sa peau se parcourant de spasme au contact de cet air gelée de nuit d'hiver au creux de la tempête.

Ça faisait si longtemps.

Ses yeux brillants admirèrent quelques instants cette île familière alors qu'un large sourire dévoila une dentition absurde et carnassière. D'un bond, la bête quitta son rocher pour rejoindre la plage, laissant la fureur de l'élément protecteur derrière elle, sa queue trop lourde traînant dans le sable. Elle s'arrêta devant les crânes laisser sur leurs pieux, symbole de certaines actions féroces qu'il l'avait amené à cet instant, spectateur d'une confrontation qui avait eu ici même, elle sentait encore et en permanence cette lame lui traverser la poitrine, embrochant son cœur. Cette sensation, elle ne partirait pas, pas avant qu'elle ne lui arrache la tête, qu'elle lui dévore ses entrailles. C'était pour lui qu'elle revenait, qu'on l'avait ressorti des flots, l'Océan réclamait sa vie, Elle, elle réclamait vengeance.
L'Océan n'était pas comme ces dieux qu'on vénérait sur ces terres et qu'elle avait appris à haïr depuis son plus jeune âge, fidèle à ce loup déchu qu'avait été le Capitaine Illidan. Les loups n'était pas sa spécialité, lui gardien des monstres marins. Les transformer pour les rendre plus conforme à sa vision était une chose, les faire revenir était une autre.
Elle se rappelait parfaitement du moment où la lame divine l'avait traversé, du moment où son esprit s'était éteint pour un monde de ténèbres. Elle se rappelait également à la perfection ce moment où ça avait cessé, il y a maintenant plus ou moins un an de cela, elle, être qui n'était plus censé être qu'on maintenait dans cet état instable entre vie et mort. Elle que l'Océan ne pouvait pas totalement faire revenir, encore trop terrestre.
Une résurrection faite par la transformation lente du corps, un retour qui n'aurait dû être, des griffes qui foulaient la plage, des crocs qui luisaient lors des éclairs. C'était une bête différente qui revenait, un être à peine loup qui ne demandait qu'à reprendre là où tout s'était arrêté.

A cet instant où elle avait été sur le point de le noyer, entre deux tentatives de détruire les divinités.
Pour ceux qui appartenaient à un autre monde, ceux qui étaient déjà mort, elle qui n'était déjà plus de ce temps.

Safran, la réincarnation d'une âme insatisfaite, les griffes d'une autre qui n'avait pu lacérer le monde.

< Ann ; Qlq mois


Et devant ce spectacle grandiose qu'offrait l'Océan tumultueux en recrachant l'une de ses Bêtes hybrides, le regard sanguin et émerveillé d'une âme encore pure et innocente mais déjà baignée des récits de ses aînés. Ann était sortie en cachette de la tanière parentale en quête d'os de seiche pour se faire les crocs lorsque la colère des flots l'avait subjuguée. Ça n'avait eu rien de compliqué, parce qu'elle n'avait fait le moindre bruit. Comme si ses gestes, pourtant maladroits, et ses pas patauds de bébé étaient entourés de coton ouaté. L'air iodé et la tempête appelaient l'enfant qui répondait sans hésitation à ce chant comme à une berceuse qui l'aurait apaisé. Sans doute une réminiscence de son développement sous marin, comme un rappel de sa condition de native d'un œuf, dans ce fort qu'elle ne saurait voir avant des années. Elle avait été poisson avant d'être terrestre. Les éclairs qui vrillaient sa vision régulièrement, le tonnerre qui grondait jusque dans son poitrail et résonnait avec son tout petit coeur de louveteau, les vagues toujours plus hautes qui venaient se fracasser sur la plage et petit à petit remontait vers elle et son petit tas de reste de poisson, tout ça l'a fascinait, au point qu'elle en oubliait par moment de croquer son os blanchi au gout de sel. Forcément lorsque la créature des abysses grimpa sur la plage aux algues odorantes, la loupiote releva la truffe vers elle pour observer dans l'obscurité de la tempête, cet étrange animal aux attributs sous-marins, son morceau de seiche entre les crocs et les cheveux en pagaille.

A cet âge, toute notion de danger imminent est inexistante. De plus, il n'y avait aucune raison que l'Océan lui veuille le moindre mal, sinon il n'aurait prit la peine de la bénir, elle et sa fratrie, selon les dires de Creek et de Sayuri. Ce que la mer donnait était forcément bon, non ? La louvette noire aux dos piqueté de lumière flavescente dans la pénombre qu'elle avait prit soin de couvrir d'algues humides pour se dissimuler à demi -on était pas vraiment doué à cet âge là ceci dit, elle restait donc visible comme un petit phare plein de bougies- se redressa sans lâcher son petit butin et fit quelques pas vers le bas de la plage, afin de mieux détailler le vénérable monstre cracher par les eaux hargneuses. Dans sa tignasse hirsute, les bijoux et os cliquetèrent à ses mouvements, mais son attention était trop focalisée sur l'animal étrange que sur le fait de rester cachée et discrète. Puis l'idée de s'en approcher les pattes vides lui fit ouvrir de grands yeux et elle repartit en arrière pour chercher sur son petit tas de coquillages quelque chose à donner. Elle lâcha alors son os de seiche pour en prendre un plus gros et non a moitié mâchouillé. Elle elle adorait ça, alors peut-être que le monstre aussi aimerait ça pour ses belles dents luisantes ! Elle prit aussi la plus grosse des pinces de crabes soigneusement arrachée à son propriétaire qui pourrait servir de goûter, s'il avait faim. Fière et joyeuse, la louvette refit demi tour pour apporter ses biens à l'Hybride, souriante de tous ses petits crocs parfaitement blancs et pointus de bébé. Elle devait honorer le cadeau de l'Océan en lui faisant à son tour, des offrandes !

Au travers du tonnerre dont les éclairs zébraient le ciel, au travers du fracas des vagues qui menaçaient d'engloutir l'île, au delà de son cœur qui avait encore du mal à réaliser qu'il battait de nouveau, elle l'entendit.  Tintement léger d'os et de perles qui s'entrechoquent, petit pas moue dans le sable humide, souffle d'une vie terrestre. Il y avait quelqu'un ou quelque chose, les pupilles du monstre abyssal se contractèrent alors que son sourire s'élargit d'autant plus sur son affreuse dentition. Lentement la Bête se retourne pour faire face à cette petite louve qui brillait dans la nuit, petit être si fragile, petite proie aux os qui craquent sous les crocs. Elle oublia un instant son retour sur une île de loups, elle redevint prédateur marin, elle siffla, faisant vibrer ses nageoires alors que la faim s'installa dans son estomac.
La créature bondit, parcourant en quelques demi secondes la distance qui la séparait du petit être malgré un pas lourd et moins agile sur terre que dans l'eau, elle n'en reste pas moins une bête dangereuse. D'une gifle, elle renverse le louveteau avant de le coincer d'une patte aux longs doigts griffues. Elle ricane, regarde le petit être se débattre quelques instants avant d'ouvrir sa gueule, prête à la refermer sur le petit corps mou pour l'avaler.

Mais quelque chose la stoppa, un souvenir qui lui rappela à cet instant qu'avant d'être monstre, elle était louve. Cette odeur de chien mouillé mélangé au sel, aux algues et à l'alcool, cette meute qui arpentait les plages en regardant toujours l'Océan, cette odeur qui disait qui étaient les siens. D'un seul coup le prédateur seul fut chasser, cette gamine, elle portait l'odeur des Raeders. Et d'un seul coup, en la regardant de plus prêt, l'image du jeune Creek revint à l'avant de son esprit.
Libérant la tête de la petite boule de poil noir, Safran déplaça sa patte sur son ventre, pour la laisser respirer tout en maintenant fermement le louveteau au sol, à cet âge là, ce n'était pas bien compliqué. Elle rapprocha son museau vers celui de la petite, plus de sourire, juste des babines retroussées sur des crocs déformés.

« Qui sont tes parents ? »

Qui reste t-il du temps d'où elle venait ? Qui sont les Raeders actuels ?

< Ann & Creek ;


Mais la Bête ne fut pas impressionnée par les cadeaux de l'enfant. Au lieu de tisser un premier lien avec cet animal tout droit sorti de l'Océan, Ann sentit un courant piquant brûler ses veines au moment où elle bondit sur elle, la renversant brutalement. La louvette couina de surprise et de peur alors que l'haleine fétide et le poids exercé sur son maigre petit corps de bébé l'étouffait. Elle en lâcha ses petits trésors tandis qu’elle sentait le bout des griffes contre ses flancs qui tentaient désespéramment de se gonfler d'air. Ann n'était vraiment pas très forte, et de toute façon, face à la fille de l'Océan, celle de Creek et Sayuri n'aurait pu se défendre malgré toute sa bonne volonté à vouloir survivre. Une zébrure dans le ciel imprima sur ses rétines l'image affolante des crocs démesurés prêts à la manger. Et la noiraude ne pu fermer les paupières, comme hypnotisée par la mort qui la guettait.

Et la pression s'apaisa assez sur son cou pour que la louvette puisse lever le museau vers la Bête et plonger dans son regard sanglant. Elle était autant effrayée que fascinée. L'Océan leur offrait un colosse, aussi dangereux que merveilleux. Papa serait déçu et en colère, parce qu'elle n'avait pas été à la hauteur, maman sans doute aussi. Et les deux seraient tristes de voir qu'Ann n'avait pas su être une bonne fille de la Mer. Une bouffée d'oxygène percuta ses poumons soudain et l'enfant fût secouée d'une quinte de toux. Sentant la mort s'éloigner finalement, la petite se tortilla pour essayer de se libérer un passage vers la liberté, hors de ses longs doigts griffus qui piquaient sa peau. C'était peine perdu bien sûr. Elle s'assagit seulement quand la voix, éraillée mais mais bien réelle souffla trop prêt de sa tête, en montrant des dents bien trop grandes, brillantes à chaque lumière de l'orage.

« C'est ma fille. »

Gronda une voix mécontente. Creek, jamais bien loin de ses enfants, avaient été alerté par le glapissement de la louvette et s'était précipité vers la plage où il la savait en quête d'os de seiche. Si Ann était toujours en vadrouille, il savait toutefois que ses intérêts l'a portait très souvent dans les mêmes endroit, ce qui la rendait assez prévisible et surveillable, heureusement. Il ne voulait surtout pas que lui arrive le même malheur qu'à lui, et qu'à son jeune frère Bart.

( Creek - Dé Réussite ; 2 FOR )

Un choc violent se répercuta dans les côtes de la gamine qui fût soudain liberée de toute contrainte et se releva en titubant, encore secoué. Son père s'était jeté contre la Bête pour la protéger, et tout deux roulaient dans le sable en claquant des mâchoires. Éberluée, Ann observa quelques secondes ce manège avant de se rappeler de ses possessions et décida de vite récupérer tous ses trésors en un petit tas, pour quand Papa la ramènera de force à la grotte familiale. De son côté, le mâle se releva pour s'ébrouer du sable collant à son poil rêche. Dans l’obscurité il était difficile de bien voir, mais il y avait quelque chose chez cette louve, qui interpella un souvenir un lui. Stoppé net dans son geste, le Second baissa le museau pour étudier d'un autre angle de vu la tête qu'il avait devant lui. L'odeur était différente, car beaucoup plus océanique, comme s'il y avait plus de poisson que de loup dans son organisme. Mais le regard ? L'attitude ? Il l'aurait reconnue n'importe où. Elle avait été la première a faire naître en lui des émotions nouvelles et incontrôlées alors qu'il n'était qu'un jeune adolescent.

« Safran ? »

Elle appuya un peu plus, posant son poids sur sa patte pour que la pression incite la petite louve à répondre plus vite. Mais ce ne fut pas la voix de l'enfant qui s'éleva dans la nuit et la tempête mais un grondement masculin qui vint percuter son corps, l'arrachant du louveteau. Safran siffla, surprise par l'impact, furieuse aussi de perdre sa position dominante précédente. Son corps, plus fin, plus longiligne qu'autrefois se tordit, s'enroulant alors que les deux êtres roulèrent dans le sable mouillé. Elle chercha à mordre, ses mâchoires claquèrent dans le vide alors que les griffes au bout de ses doigts palmés s'accrochèrent sur la peau et la fourrure du mâle sombre.
Au bout de quelques secondes, l'élan les séparèrent et ils se retrouvèrent face à face à s'opposer. Ne restant pas longtemps au sol, Safran se releva d'un geste souple, relevant ses babines sur des dents qui n'avaient plus rien de canine, déployant les extensions marines qu'elle avait acquis au cours de sa mutation, claquant sa longue queue trop lourde pour le monde terrestre. Le corps de la bête était tendu, prêt à riposter, à mordre réellement cette fois-ci, maintenant qu'elle avait identifié l'ennemi. Elle émit un son, mélange entre sifflement et grondement, à mi-chemin entre le nouvel être qu'elle était et l'ancien.

Mais le mâle devant elle se détendit légèrement, suffisamment pour parler et prononcer son nom. L'écho de la voix résonna un instant dans la tête du monstre qui se rappela, le calment légèrement sur le moment. Safran releva la tête, les nageoires qui la paraient se repliant un peu en arrière et elle plissa les yeux, comme pour essayer de mieux voir de mieux identifier le loup bien que c'était plus au fond de sa mémoire qu'elle cherchait. Et elle parvint à calquer une silhouette plus jeune, moins abîmé sur celle qu'elle avait devant lui. Elle avança d'un pas bien qu'un instinct l'incitait à rester dans une posture d'apparence méfiante et agressive.

« Creek ? »