Troisième trimestre | Joy

< Joy ; 5 ans


Elle revenait à peine de ce voyage en terres Nakhu où elle avait été si chamboulée. Ses souvenirs de la veille restaient très flous dans son esprit, comme si on l'avait droguée. Ce qu’elle n'espérait pas bien entendu, pour le bien être de ses petits... Ou alors il y avait des vapeurs mauvaises pour le cerveau là-bas... Après tout, il y avait de grosses crevasses d'où s'échappaient des nuées de volutes blanches. Ce n'était peut-être pas que de la vapeur. Encore un peu nauséeuse et l'esprit dans le vague, Joy s'était instinctivement dirigé jusqu'à la grotte des soigneurs, un peu perdue entre le tourbillon incessant d'émotions vertigineuses et d'images de la pseudo-fête chez les disciples de la Corneille à laquelle elle avait participé bien malgré elle. Comme sorties d'un mauvais rêve, quelques bribes de conversations lui revenaient avec la désagréable sensation que rien n'allait. Il y avait eu ce besoin impérieux de protéger un loup qu'elle haïssait pourtant, et celui de s’épancher sans retenue sur l'épaule de l'Alpha Anette. Entre autres museaux qui se mélangeaient dans son esprit. Bien entendu, elle avait espéré tomber sur Nòtt, guérisseur alerte et douée, bien que petite louve très chétive. Elle avait les années d'expérience qui peut-être sauraient expliquer le pourquoi et le comment de ce semi black-out perturbant. Evidemment, c'est l'ex-Lazuli et presque traître qui était dans leur tanière commune plutôt. Sans un mot, elle resta là à l'observer ranger des plantes quelques secondes avant qu'il ne se retourne vers elle. Elle n'était plus très discrète avec son ventre rond et doublé de volume et son souffle d'asthmatique.

« Des... Vertiges. »

Lâcha t-elle, sans trop savoir si elle voulait lui faire assez confiance pour se laisser peut-être soignée par lui. Ça, et ce sentiment de tristesse incongrue qui l'avait prise hier, et cette peine déchirante, cette solitude salée qu'elle ne supportait plus, et l'angoisse de devenir tout bientôt, mère. Mais tout ça, elle ne pouvait pas en parler, elle ne pouvait se confier à personne. Et ne pouvait qu'espérer que la fille du Croquemort ai oubliée les quelques mots échangés au banquet Nakhus.

« Et... Des humeurs. »

C'était assez explicites, non ? De toute façon, Lymphalème était un mâle, il ne saurait comprendre tout ça.

< Joy ; 5 ans


Joy souffla bruyamment des naseaux avant d'avancer finalement dans la grotte et de suivre la première instruction du guérisseur, soit s'installer sur la couche de paille où elle s'assit avec patience. Ses prunelles de miel ne quittèrent pas un instant le loup gris, cherchant aussi à reconnaître toutes ces odeurs et ces plantes qu'elle ne connaissait pas le moins du monde.

« J'étais partie chasser prêt de la frontière Nakhu. J'ai été attirée là bas, je ne sais pas trop pourquoi, et immédiatement après j'étais malade. Ils ont dû m'empoisonner. »

Laissa t-elle tomber d'un ton trop serein pour la boule débordantes d'hormones qu'elle était habituellement. Peu à peu sa conversation avec Anette devenait moins floue et l'angoisse s'inscrivait dans sa caboche. Avait-elle vraiment avoué tout ça ?! Lentement, les yeux de la femelle descendirent vers le sol, avant de se promener sur les murs aux nombreuses caches creusées pour y déposer plantes ou autre outils utiles aux soigneurs. Bien que cela ne lui était pas trop plaisant, elle devait bien laisser Lymphalème préparer son potage d'herbivore puisque sa consoeur disciple de Dairo n'était pas présente pour la soigner. Elle aurait préféré, mais bon. Et puis, il s'était montré très attentif, précautionneux et surtout très soucieux de sa gestation et de celle de Bamboo, elle osait donc supposer que s'il devait trahir la meute, ce ne serait pas en s'en prenant à des louves en cloque. Il avait certains principes moraux qui le maintenant dans le droit chemin au moins pour ça. Lorsque la voix du gris brisa la glace installée sous forme d'un silence lourd de plomb, les oreilles et les yeux de Joy revinrent vers lui d'un mouvement. Quelque chose d'autre ? Était-ce si évident ? Était-elle si transparente quand au trouble qui soufflait dans son esprit ? La Bouclier fronça les sourcils. Impossible que ce mâle sache la décrypter. Impossible qu'il comprenne. Impossible aussi que l'Alpha lui ai parlé... Suspicieuse, la louve beige baissa la tête en relevant une babines, mécontente. Vite, une distraction.

« Où va vraiment ta loyauté ? »

Lâcha t-elle brusquement. Cela faisait des semaines qu'elle remarquait ses petits échanges de regards ou de paroles aux divers solitaires, sa trop grande gentillesse envers eux, envers la dernière captive surtout. Avait-il des idées derrière la tête ? Ce sujet, bien que prometteur d'orage, permettait à la disciple d'Aka de se libérer un peu l'esprit du tourbillon émotionnel, réel raison de ses vertiges.

< Joy ; 5 ans


Elle le fixa, droit dans les yeux, alors que le mâle gris au glowstick de la Renarde se retournait enfin vers elle avec un petit bol d'où s'échappait l'odeur d'une tisane froide peu encourageante. Il le déposa à ses pattes et sans le quitter des yeux, elle en approcha la truffe pour inspirer profondément les effluves qui s'en échappait, tentant de deviner quel mixture étrange il lui avait concocté, presque sûre que cela la ferait vomir plutôt que de l'aider. Elle tendit la langue vers le liquide, y trempant le bout sans lâcher Lymphalème de son regard inquisiteur et grimaça. Non vraiment, ça ne lui disait rien ce truc là. La truffe plissée elle redressa un peu le cou, observant la réaction du soigneur par en dessous de son museau.

« Je te trouve bien trop sympathique à l'égard des parias. »

Avoua t-elle sans hésitation, les muscles tendus. Oh elle ne lui sauterait pas à la gorge, enfin peut-être pas. Enfin sûrement que non, elle savait que la noble petite Pepper tenait à lui, malgré ce qu'il était. Alors au lieu de l'égorger, elle le traînerait jusqu'au heaume par le collet, et être enceinte ne l'empêcherait en rien de protéger sa meute d'un félon. Elle savait bien que cela ferait beaucoup de mal à l'Alpha bleue de découvrir que son ami fricotait avec des solitaires sans vergognes. Mais elle, le fière Bouclier, elle voyait à travers son petit jeu et protégerait celle qu'elle considérait comme la louve la plus importante de son existence, son amie autant que sa rivale, celle qui méritait toute son admiration et sa confiance, leur Meneuse. Elle ne permettrait plus à personne de s'en prendre à Pepper de la moindre des manières, elle avait trop souffert de voir la reine au pelage céruléen au plus bas. Elle avait fait tout ce qu’elle avait pu pour soulager Anette, seule à pouvoir s'occuper d'elle a ce moment. Pour soulager Athelstan aussi, en plein deuil. Elle donnerait n'importe quoi pour cette louve. Elle avait même accepté la demande de la seconde Alpha, qu'elle admirait aussi beaucoup avec moins de tendresse tout de même, de concevoir pour le bien de la meute, afin de montrer à sa meilleure amie qu'elle était prête à tout, vraiment tout et n'importe quoi pour les Etelkrus, pour elle.

« Un trait qui t'es resté de ton enfance Lazuli ? Ils ont laissés entrer n'importe qui dans leur foyer, et on voit où ça les a menés. C'est ça que tu veux pour nous, Lymphalème ? »

L'échine de la beige se gonfla alors que l'idée même d’accueillir a bras ouverts des solitaires la révoltait. Pour garder un semblant de bienséance, et surtout parce que la tête recommençait à lui tourner, Joy libéra enfin le guérisseur de l'étreinte brûlante de ses yeux d'or pour laper quelques gorgées de la préparation du gris. Ce n'était vraiment pas bon. Mais tout comme elle ne pouvait pas se jeter sur lui sans avoir la preuve formelle qu'il était un traître, s'il tenait ne serait-ce qu'un tout petit peu à Pepper, il ne lui ferait rien à elle non plus. S'il était malin. Et puisqu'il était fils de Dairo, il devait l'être au moins un peu.

< Joy ; 5 ans


Etrangement, l'explosion qu'attendait Lymphalème ne vint pas. Pour la bonne et simple raison que si Joy avait longtemps laissé ses actes et ses émotions régirent son existence à la place de sa tête -et maintenant ses hormones-, elle n'était en fait pas assez stupide pour ne pas comprendre le sarcasme. Il ne lui était pas toujours évident de comprendre les actes de manipulation, par contre l'humour noir et l'ironie mordante, ça, elle connaissait bien. Aussi la façon du gris de répondre, qui au lieu de la réaction attendue qui était la défense, la négation de ce qui lui était reproché ou encore la fausse indignation, et qui préférait expliquer toutes les raisons qui pourraient effectivement le pousser à être un traître trouvèrent dans l'esprit de la louve beige un chemin vers un regain de logique enfouit depuis longtemps. Elle savait bien qu'il était le fils de l'ex-Alpha Lazuli, et que ce dernier était mort en rencontrant une autre patrouille que la sienne, quelques semaines plus tard. Elle s'en rappelait bien, le guérisseur alors non glowstické l'avait raccompagné à la frontière sans histoires. Joy fronça les sourcils alors que visiblement la colère venait titiller le mâle aux épaules dotés du cycle lunaire. Préférant attendre qu'il dévoile ce qu'il avait en tête avant de répondre à ses questions rhétoriques, la future mère soupira et avala le breuvage au goût infâme, la truffe plissée. La voix glaciale du loup lui indiqua qu'il était mûr, la franche hargne qui sortait maintenant était ce que ressentait réellement le loup gris, et sa rancoeur a l'égard des pirates était au moins égale à celle de tous les Etelkrus.

Elle fût un peu peiné pour lui. Beaucoup en fait, en temps que louve enceinte, l'idée de perdre une mère lui torturait l'esprit et rappelait le chagrin de la mort de Noroi. La Bouclier dû retenir les larmes qui menaçaient de poindre aux coins de ses yeux de miel, elle était forte, elle ne pleurait pas, même si ses hormones faisait d’elle parfois un coeur d’artichaut et parfois une boule de colère, et parfois les deux en même temps. Elle remarqua l'abattement soudain de la tension, comme si Lymphalème abandonnait sa rage... ? Pourquoi ne gardait-il pas ce feu pour se battre contre tous ces ennemis ? La tête de Joy se pencha sur le côté alors qu'elle se pourlécha les babines afin de récupérer les quelques gouttes de tisane froide qui risquait de goûter au sol, façon de montrer aussi, qu'elle avait fini sa potion bizarre, quand même. Donc a minima, elle respectait ses talents de soigneur. Il fini par répondre enfin à sa question, et en même temps cela sonnait comme un aveu aux oreilles de la disciple d'Aka. Bien sûr qu'il était fidèle à sa déesse, le Panthéon savait reconnaître les menteurs et ne donnaient pas de glowstick aux loups se cachant derrière un masque. Mais les porteurs d'orange étaient malins et fourbes, donc cette allégeance à Dairo n'était pas une preuve de bonne foi. La suite l'a surprit finalement plus. Ainsi il aimait une louve parmi les Etelkrus. Et c'est la que résidait son coeur. Chez cette femelle. Qu'en serait-il le jour où elle le rejetterait peut-être ?

Etait-il seulement en couple ? Elle n'avait jamais entendu dire que le guérisseur avait trouvé compagne. Ce n'était donc rien d'officiel, rien de connu de la majorité. Et que pouvait-elle dire, elle ? Que pouvait-elle lui reprocher honnêtement dans cette réponse alors qu'elle-même était d'une vénération sans bornes pour le Grizzli, d'une loyauté à toutes épreuves pour son clan et d'une dévotion infinie pour celle qui régissait sa vie au sens figuré et au sens littéral du terme ? Une boule d'amertume se forma dans la gorge de la femelle qui peina à la ravaler, une bouffée de tristesse l'envahit à la pensée que jamais Pepper ne saurait tout ce que Joy était prête à faire pour elle, et de honte, à l'idée d'avoir tout avoué à leur Meneuse au regard de charbon, lors de ce fameux rassemblement aussi incongrue qu'inattendu chez les Nakhus. Une chape de déprime sembla menacer la femelle alors qu’elle détourna le regard du gris, de peur qu'il ne décèle quelque chose qu'elle ne voulait pas laisser paraître : ses sentiments. Elle secoua le museau pour se reprendre et inspira profondément, se focalisant sur cette dernière information donnée pour envoyer valser ses émotions trop proches de s'exprimer à cause de ses nerfs à fleur de peau. Ses prunelles d'ambre revinrent vers le mâle, et ne semblaient plus vouloir l'assassiner. Joy était d'un naturel curieux, et ajouté avec sa suspicion habituelle, posséder le nom de celle à qui allait la loyauté du disciple de la Renarde lui aurait été fort appréciable...

Elle n'eut toutefois pas à se poser la question longtemps. Sans doute parce qu'il s'agissait d'une évidence... Ou parce que ça faisait beaucoup trop écho à son propre ressenti pour que c'en soit une autre. Et puis, il montrait assez clairement son agacement face aux autres femelles... Alors qu'il n'était qu'heureux en sa présence.

« Le sait-elle ? »

Joy se redressa bien droite, retrouvant une posture moins vulnérable. Elle était une guerrière, elle était une force de la nature, pour cette louve-là. La future mère se fit presque menaçante. Elle était bien loin l'impulsive, la sauvage et irréfléchie boule d'énergie qu'il était tellement plus facile de laisser s'exprimer. Joy montra, pour la première fois depuis très longtemps, et surtout à quelqu'un d'autre que ses parents, Thid ou Pepper, qu'elle n'était pas que la brute qu'elle prétendait être. Si elle préférait laisser à d'autres le soin de penser, elle n'était tout de même pas idiote.  

« Je ne te laisserais jamais lui faire le moindre mal. »

Que ce soit dit, mâle. Une autre étincelle s'était allumé dans le regard de la louve sablée. Une détermination à protéger celle qu'elle affectionnait tant profondément ancrée.

< Joy ; 5 ans


Un court silence. Que se passait-il dans la tête du loup gris en ce moment ? A quoi pensait-il ? Était-il embêté qu'elle ai compris ? Était-il gêné ? Lymphalème finit par dire que c'était probable que l'Alpha soit au courant de cette affection qu'il lui portait. Elle n'en avait jamais rien montré, alors soit ce n'était pas réciproque, soit Pepper ne savait voir ce genre de tendresse dans les regards qui la couvaient. Un élan de compassion gonfla la poitrine de la disciple du Grizzli, vite remplacer par une pointe de jalousie. Cela lui faisait un rival. Un autre avec qui partager l'attention que la reine bleue ne lui portait de toute façon pas comme la beige lui donnait. Mais Joy s'y était faite aussi, elle savait se contenter des petits sourires ou des plaisanteries qu'elles se lançaient, elle avait apprit à choyer ces petits moments de patrouille en d'entraînement communs. Elle ne demandait rien de plus, bien qu'elle se sente lésée si l'objet de sa vénération venait à passer plus de temps avec un autre. Il n'y avait qu'Anette dont elle ne pouvait être envieuse, ayant trop de respect et d'admiration pour la grande et puissante fille d'Aka. Savoir le guérisseur sur une patte d'égalité avec elle lui procurait autant de satisfaction mesquine que de compassion. Une façon de les rendre complice et adversaire à la fois. Joy secoua le museau pour chasser ces idées de son crâne encore un peu chamboulée. Il était certain qu'elle avait hâte de donner naissance et de pouvoir se libérer des affres de toute ces hormones qui la rendait fleur bleue et trop sensible. Elle s'ne sortait très bien avant. Mieux même, la maternité ne lui allait pas si bien que ça finalement...

« Sly a fondé une famille chez les Lazulis. Je le croyais pourtant très fier d'être des nôtres. Ne le prends pas pour toi, le danger me semble venir de tous côtés en ce moment. »

Elle l'observa un instant lavé et rangé son ustensile de travail. Le goût lui était encore sur le palais. Elle allait vite aller manger une cuisse de lapin ou un écureuil pour redonner un peu d'espoir à ses papilles gustatives. Elle allait se relever lorsqu'il se retourna vers elle avec un sourire taquin qu'elle ne lui connaissait pas. En tout cas qu'il n'avait jamais eu pour elle. Venaient-ils vraiment de passer un cap tacite entre eux ? Était-elle prête à le laisser entrer comme un potentiel ami dans son cercle restreint de connaissance et laisser tomber sa méfiance ? Elle ne savait pas. Elle n'était pas sûre. Pourtant ni ses actes, ni son discours ne semaient encore le doute. A bien y réfléchir, elle se sentait même bête d'avoir accepter des conclusions si hâtives de la part de son esprit partagé entre les angoisses de jeune mère et la paranoïa de voir du danger partout.

« Non. Ce n'est pas utile. »

Répondit-elle, en fronçant un peu le museau. Partagée entre la honte d'être aussi facilement découverte et l’inquiétude que son secret soit soudain bien trop répandu pour qu'il en reste un. D'un autre côté, si elle avait aussi facilement compris pour lui, pourquoi lui n'aurait-il pas su tout aussi vite ? Il était de plus un disciple de la Renarde, déesse de la ruse et de l'imagination. Il était forcément plus intelligent qu'elle. Elle l'observa un instant, hésitante, puis lâcha de but en blanc :

« On devrait peut-être, repartir sur une base saine, à l'occasion. »

Puis ses prunelles dorés s'illuminèrent au dessus d'un demi-sourire, très furtivement.