Nothing to prove to you — Creek

Le temps avait fait son effet. Lewis avait grandi désormais, sa silhouette s’affinant doucement, laissant place au corps d’un adulte, même si sa taille continuait de lui donner cette apparence d’adolescente. La vie était ainsi faite. Les griffes de la mauve vinrent s’enfoncer dans le bois pourri, ses yeux mauves brillants de malice. Le vent vint soulever quelques mèches mauves, faisant tinter les pièces qui y étaient accrochées. Un sourire compatissant étira ses babines.

« — Est-ce si épuisant que cela, d’exercer ton rôle de père, Creek ? »

Lui qui venait de donner la vie. Lui qui venait de remplir à nouveau les rangs des Raeders de quatre mousses. Lui qui donnait un prétexte supplémentaire pour chercher les noises au continent, augmentant doucement les rangs de la meute. La fille d’Alys observa son mentor avec un certain sérieux, se demandant s’il savait. Savait-il que Lewis détestait Céto ? Que son âme éprouvait des difficultés à s’aligner à celle des pirates ? Qu’elle avait rencontré des Nakhus ? La mauve serra les crocs, ce n’était pas le moment de lui en parler, il lui faudrait attendre un peu. Poe croassa sur le bois humide.

« — R’garde-moi ça, c’est qu’il se fait vieux Patte-De-Bois ! »

Un sourire amusé étira les babines de la jeune louve.

« — N’exagères pas, Poe, il tient encore debout. »

Pour le moment du moins.

< Creek ; 5 ans


Il y avait des matins comme ça, où il avait l'impression d'avoir à peine fermé les paupières que déjà une petite voix venait piailler à son oreille pour qu'il se lève et l'emmène à la découverte du monde. Dans un grognement mécontent, le jeune père de famille avait repoussé l'enfant vers sa compagne en maugréant qu'aujourd'hui leur mère avait prévu une surprise. C'était tout à fait faux mais ainsi les boules de poils lui laissèrent l'espace pour respirer. Le noiraud restait un pirate roublard et s'il eu un poil de remords à l'idée de ce mensonge, il s'évapora bien vite quand il s'éclipsa discrètement de la grotte pour fuir vers un lieu hors d'atteinte des marmots. Aujourd'hui, il dormirait, morbleu ! Quel bonheur de se hisser sur l'épave du navire éventré où les louveteaux n'avaient le droit de se rendre ! Satisfait de sa petite machination mesquine, le boiteux soupira d'aise en se trouvant un vieux hamac humide où poser son arrière train pour roupiller quelques heures de plus. Bien entendu, il adorait ses enfants et était fier chaque jour, de ce qu'ils étaient... Mais parfois... Juste quelques heures de sommeil de plus, le rendait plus heureux encore ! Bien sûr, c'était sans compter sur l'autre des boules de poil sur qui il aimait tant à veiller et qui avait la fâcheuse habitude, depuis de longues années maintenant, de lui pourrir ses grasses matinées : Lewis.

La voix de la louve, désormais jeune adulte, vint faire tiquer ses tympans quelques minutes après qu'il se soit confortablement installé, prêt à se laisser une nouvelle fois tomber comme une pierre dans les pattes de Morphée. Peine perdue donc. Ce ne serait pas aujourd'hui qu'il prendrait du repos. La truffe froncée et les dents légèrement découvertes en une mine bien grincheuse, Creek ouvrit enfin les yeux pour observer la femelle violette. Etre père ou mentor n'avait jamais semblé si désespérant comme situation. Un peu flemmard, le loup à la patte folle ne prit pas encore la peine de se redresser.

« Pas assez vieux pour te boulotter. »

Le Raeder avait pris l'habitude de répondre autant à la jeune louve qu'à ses batraciens, bien qu'il savait les grenouilles trop stupides pour parler leur langage.

« Tu me diras ça quand tu dormiras aussi peu que moi, bigorneau. »

Finalement, un demi-sourire pointa sa truffe chez le noir. L'apprentissage de Lewis était presque terminé, elle était prête à voler de ses propres ailes, toutefois, si elle venait le voir de si bon matin, c'est qu'elle avait encore besoin de lui. Quelque part cette idée lui réchauffa le coeur et il décida de se mettre sur son séant, par respect pour la mousse. Il releva donc enfin le menton pour la regarder et dressa les oreilles vers elle, à l'écoute.

Protectrice, la patte de Lewis vint effleurer le batracien à la langue un peu trop pendue. Combien avaient déjà menacé de le dévorer ? Bien trop. Certains y étaient parvenus. D’autres s’en étaient sortis avec de beaux maux de ventre. Mais Poe revenait, toujours, lié à jamais à Lewis, quand bien même son apparence changeait, au fond son caractère demeurait toujours le même. Le mâle noir semble souffrir du manque de sommeil. La mauve aborda une expression neutre, alors que le vent soulevait les mèches de sa longue tignasse.

« — Qui te dis que ce n’est pas le cas, vieux loup de mer ? »

Vieux, il ne l’était pas encore, mais loup étaient des créatures vaniteuses, Creek se défendrait sûrement.

« — Je serais bien venue te demander un petit combat, mais j’ai l’impression que je gagnerais bien trop facilement. »

Les yeux mauves de la pirate scrutèrent la réaction du loup noir. Probablement n’approuverait-il pas les mots qui suivraient, probablement qu’elle serait sanctionnée, mais qu’importe ? Lewis n’avait jamais prétendu être une petite créature docile, encore moins fidèle à quiconque. La jeune pirate posa son arrière train sur le bois pourri.

« — Je me suis rendue auprès des Nakhus, il y a peu et l’un d’eux m’a parlé de… ma mère. » Lewis marqua une pause. « Son véritable nom n’était pas Hypoxie, mais Angelica. »

Ce qui élargissait d’un coup plus encore sa famille. Si la noblesse avait eu sa place chez les Raeders, probablement qu’elle en aurait fait parti en tant que nièce de l’ancien capitaine. Les yeux mauves fixent Creek avec défi, alors qu’elle enfin cette vérité que seuls deux vivants connaissaient.

« — Je suis la fille d’Angelica et de l’ancien alpha Etelkrus, Alys. »