The swamp monster [Libre]

Asclepia était perplexe.

Il avait pourtant suivi toutes les indications. Il avait volé pendant des jours, et des jours, vers le soleil couchant toujours. Il avait étendu son empennage sur des kilomètres et des kilomètres, profitant des ascendances et des rues de nuage pour avancer sans se fatiguer. Le voyage avait quand même été relativement long, et fatiguant. Il devait aussi veiller sur l'autre puceron pendant qu'il y était. Le petit blanc, qui l'avait suivi du nid jusqu'aux premières terres où il l'avait jarté. Chez des. Comment ils s'appelaient ces pouilleux déjà ?

Ah oui. Les Nakhus. Ou dans le coin là.

Et il avait cherché. Cherché et cherché. Le temple aux roses, la maison de la déesse carnée qui sur la Beauté régnait. Depuis qu'il en avait entendu parler, il n'en pouvait plus : il devait aller la voir. Absolument. Si elle était ce parangon de la grâce et de la sensualité, elle serait peut-être le but qu'il attendait.

Mais il y avait ce... Truc... Vert... Pourri, qui lui empêchait l'accès à une grande partie du territoire. Et, il avait fini par vraiment le craindre, à ce temple qu'il souhaitait rejoindre. Alors il volait autour de ce truc depuis des jours maintenant, se perdant dans les frondaisons avec son pelage saphir et émeraude.

Il avait fini par trouver une petite jungle, qui n'avait pas l'air trop agressive, où se posait. Et s'il demandait conseil aux autochtones ? Après tout, c'était une idée comme une autre. Et puis, il était peut-être temps qu'il chercher à connaître un peu plus les habitants du coin, qui sait, il serait peut-être amené à y rester ?

Une onde rouge attira son attention, il bifurqua, se cachant dans les cîmes des arbres. Il ne volait pas très bien, comme tous les aviaires paon, assez pour se déplacer ou s'enfuir au besoin, mais sans l'endurance de la plupart des autres loups. Néanmoins, il n'aurait aucun problème à s'échapper, il en était sûr. Mais sous l'éclat rouge, une grande louve sombre se détachait, le regard froid et une grenouille dans la gueule.

Elle n'avait pas l'air bien amène, eh ! Et vous n'imaginez absolument pas ce qu'il en aurait pensé s'il était arrivé sur les lieux une demi-seconde plus tôt. Mais il avait tout loupé de la scène (ce qui expliquait qu'il s'approche, d'ailleurs), et se contenta de se poser à plusieurs mètres, avec toute la grâce dont il était possible.

Mmh.

Que se ferait-il, aujourd'hui ? Mâle, femelle ? Un peu des deux, peut-être ? Il s'approcha d'un pas très doux, délicat, emprunté. L'oreille et la tête basse, il était l'image même de la soumission. Dans son oeil brillait l'éclat un peu frénétique des âmes perdues et en détresse. Sa longue queue, repliée pour l'instant, oscillait tout doucement de droite à gauche, nerveuse.

Il s'arrêta à plusieurs mètres, toujours dans son attitude de pleine soumission.

Ex-excusez moi- j'espère que je ne vous dérange pas-

Sa voix était douce, un peu aigüe peut-être, son regard fuyait.

Si l'innocence pouvait avoir un nom, ce serait le sien.

Gna gna gna mon repas gna gna gna mais quelle gourdasse, elle se prenait pour qui ? Il l'ennuyait, c'était sûr. Eh bien, ça lui faisait vraiment très plaisir de la déranger. Mais Asclepia se contenta de tressaillir et glapir doucement, montrant bruyamment sa surprise. Oh la la, qu'est-ce qu'il était embêté d'avoir troublé son repas ! Il s'excusa d'un pas vers l'arrière, baissant la tête.

Et attendit patiemment qu'elle termine son manège. Il savait, lorsqu'il le fallait, se montrer patient. Aujourd'hui était un tel jour, malgré son envie viscérale d'en savoir un peu plus sur les moeurs locales.
Il fut surpris, toutefois, lorsqu'elle envoya le résidu de batracien dans ses pattes, manquant le heurter. Beeeh quelle horreur, ils bouffaient que des grenouilles ici ? Pas étonnant qu'ils soient cons comme des manches et marchent dans la boue. Mais l'autre avait l'air d'avoir fait un gros effort, il goba donc les restes de la bête d'un seul coup de dent - c'était un gros crapaud mais quand même.

Il se laissait avec joie admirer, jouissant en secret de l'attention dont il bénéficiait. Oh ! Oui ! Regarde moi, louve de boue, moi le paon radieux. Il ne comprit pas la moitié des mots qu'elle débita, mais un détail retint son attention. Asclepia se recroquevilla, comme blessée par son attitude, mais trop timide pour le faire remarquer. Il piqua un fard :

Je suis une solitaire oui...

Et, autant être honnête.

Et, euh, je dois avouer, je suis vraiment désolée mais-

Il rougit de plus belle. Quelle prouesse que celle là !

MaisJeN'aiPasCompris-

Il faisait des ronds au sol de sa patte avant, troublé.

Il ne se fit pas prier et l'accompagna en sautillant, n'adressant qu'un regard moqueur et un bout de langue effronté à la bête qui affleurait les eaux sales. Asclepia n'était pas réputé pour sa sagesse ou son caractère tempéré. Mais il suivait la louve blanche et brune de près, n'ayant aucune envie de se retrouver loin d'elle. Par contre. Les frontières, elle était sérieuse ? Elle avait besoin de compagnie, et recherchait spécifiquement la sienne, ça n'était pas possible autrement, sinon elle l'aurait chassé d'un coup de patte pour qu'il reprenne son envol. Ca aurait été beaucoup plus efficace, pour sûr. Mais ça n'était pas ce que voulait le grand loup paon, aussi ne lui souffla-t-il pas l'idée. Au contraire, il piailla et lui colla au train :

Merci ! Mais c'est une blague, ils ne me mangeraient pas non ?

Ce point, quand même, l'inquiétait beaucoup. Etaient-ils si... Barbares ? Bande de débiles. On a pas idée. Il revint sur d'autres détails importants :

Mais c'est quoi, un Bouclier ? Un Etel ? Vous emprisonnez vraiment tout ceux qui passent ou... ?

Il pouvait sembler bête, c'est vrai, et ne cachait pas son ignorance. Mais après tout ces concepts étaient tellement étrangers à son mode de vie originel qu'il n'y pouvait rien d'autre... Ses yeux pétillaient, son sourire faisait le tour de son visage et ses pattes foulaient le sol souplement. Il faisait juste attention à rester à une distance raisonnable pour pouvoir décoller en cas de besoin - il n'avait pas envie, justement, de combler le creux d'un sauvage.

Et si ta meute le requiert, pourquoi ne m'attrapes tu pas, toi ?

La question, posée sur le même ton innocent que le reste, était un peu plus friponne.

C'était bizarre. Elle parlait de sa meute comme de monstres, mais sans pour autant correspondre à ce stéréotype qu'elle tirait d'eux. Asclepia était de plus en plus curieux, et un peu plus sérieux à vrai dire dans ses questions. Il semblerait qu'il ait eu pas mal de chance, de tomber sur cette petite brune, plutôt que sur n'importe qui d'autre (à l'entendre parler en tout cas). Ou peut-être se moquait-elle de lui, uniquement pour lui faire peur, faire en sorte qu'il ne revienne pas ?

Le tronc d'arbre rempli de mousse semblait se moquer de lui, et Asclepia mit un point d'honneur à y poser le bout des pattes, même si l'ensemble de la traversée se fit d'un ou deux coups d'aile pour supporter son poids. Il tira la langue à la louve, même s'il savait qu'elle ne pouvait le voir.

Lorsqu'elle fit demi-tour pour venir lui chuchoter à l'oreille, ce ne fut pas les mots doux qu'il attendait, à son grand damn. Il fit la moue et se plaqua au sol, avant de la suivre avec attention. Pour la voir se rouler dans la boue.

Mmmh.

Pourquoi tu ne pars pas, si tu ne les aimes pas ?

Il attendit encore un instant, mais il commençait à entendre les feuilles bruisser et n'avait aucune idée de ce que l'on trouvait dans les parages. Mais la boue... La boue !

Quitte à y aller, autant rendre ça drôle.

Sur un double dé d'agilité réussi, le loup bariolé sauta souplement dans la mare, en plein sur la louve brune et violine qu'il poussa dans cette dernière pour la barbouiller un peu plus, manquant de la noyer dedans. Et, malgré les circonstances, malgré le caca dans lequel il était peut-être, il avait du mal à étouffer le rire qui secouait ses côtes.