La petite messe solennelle | Sheina

Il faisait grand jour, et surtout un froid très piquant sur les vastes terres Etelkrus. Le soleil brillait dans le ciel, pâle et blanc, illuminant sans les réchauffer les étendues enneigées. Au milieu de la poudreuse progressait une petite silhouette colorée, qui détonnait dans les landes d'albâtre. Plus jeune que véritablement petite d'ailleurs, car Elvazio était un louveteau qui avait moins de rondeurs que de hauteur de pattes. Monté sur échasses par rapport à ses autres camarades du même âge - et les dieux savaient qu'il y en avait un nombre extraordinaire dans les pouponnières des chevaliers -, il arborait toutefois le même regard joyeux et candide. Il était bien rare de le trouver seul dans la nature - d'autant qu'il n'était pas certain d'y avoir franchement été autorisé, mais la foule de petits loups obligeaient les adultes à être au four et au moulin, laissant certains d'entre eux avec une surveillance un peu moins accrue par moment. Mais ce jour-là, il avait été pris d'un élan de curiosité, poussé un peu par l'ennui et l'absence de sa soeur à ses côtés. Ses demi-frères et soeurs étaient suffisamment grands pour avoir commencé leur entraînement, et étaient bien occupés durant la journée. Et lui... Pas vraiment.

Il s'était mis en tête de rendre visite à l'un des lieux divins de leur meute, en ayant beaucoup entendu parler sans jamais les avoir vu de ses yeux. Il ne savait pas trop dans quelle direction aller, mais s'était dit avec toute a logique d'un bébé loup qu'en allant toujours tout droit dans une direction, il finirait bien par tomber sur l'un de ces endroits. Après tout, on lui avait déjà décrits les temples des dieux. Celui d'Aka, rouge, majestueusement posé sur la montagne des Dents du Roc. Celui de Kiro, un arbre immense caché au milieu des marais. Et celui de Dairo, accroché à une falaise au-dessus d'un immense à-pic. Des lieux faciles à reconnaître, il ne était certain. Il s'était donc échappé sans trop de difficulté de Grand Castel, et avait commencé son expédition.

Force étaitde constater qu'au bout d'un temps qui lui semblait infini, il n'avait fait que se perdre dans un endroit qu'il n'identifiaitpas. C'était une étendue immense, couverte de neige et qui paraissait ne pas avoir de fin. Si l'excitation de l'aventure avait perduré un bon moment - au moins plusieurs heures - elle s'éteignait toutefois peu à peu sous les assauts répétés du froid et de la neige qui glaçait tout son corps. Lorsque des tremblement se mirent à faire claquer ses dents, son coeur battit plus fort et la peur le saisit. On lui avait toujours dit de croire en les dieux et en le fait qu'ils veillaient sur eux. Pourquoi ne parvenait-il pas à les trouver alors ?

Il poussa un gémissement dépité en s'arrêtant, de la neige jusqu'à mi-flanc, le regard perdu dans l'immensité alentours.

Étrange était la vie.

Les longues oreilles de la louve hybride remuèrent, écoutant avec attention les troupeaux d’herbivores qui semblaient ne la percevoir comme un danger. Qu’aurait-elle pu leur faire en plein jour de toute façon ? Aveuglée par le soleil, ses yeux ne l’aidaient guère en journée pour la chasse. Que la nuit était agréable. Là où Sheina pouvait, sans limites, mener son train de vie, se contentant habituellement de dormir en plein jour. Mais ces derniers temps, la louve réfléchissait. Pas aux Etelkrus, elle avait passé trop de nuits blanches à leur sujet. Non. Davantage à Anette. C’était étrange. L’alpha désirait quelque chose de vraie… mais Sheina ne savait pas comment cela devait être interprétée. Qu’entendait-elle par là ? Le désir de fonder une véritable famille ? Loin de l’idée des tournois et des devoirs ? Sheina ne savait plus.

Une odeur douceâtre vint titiller l’hybride, alors qu’elle en suivait la direction. Le louveteau sentait encore le lait maternel. Les sourcils de Sheina se froncèrent, alors que sa tête s’inclinait légèrement vers l’avant, cherchant à voir, sans le pouvoir. Ce n’était peut-être pas plus mal au final, son apparence effrayerait peut-être le jeune loup.

« — Tu es bien loin de tes parents, Elvazio. »

Un endroit bien dangereux pour un loup aussi jeune. Enfin, ce n’était pas l’âge qui déterminait le courage du loup, mais sa volonté à e être digne. La queue pointue de la chauve-souris remua, alors qu’elle posait doucement son arrière-train sur la neige. Anette n’apprécierait sûrement pas qu’un jeune vadrouille sans personne, même si Sheina n’était pas nourrice. Toutefois, elle se revoyait, au travers de cet enfant, avec son goût pour l’aventure.

« — La Rougelande n’est guère le meilleur endroit pour prendre le large, où cherchais-tu à te rendre ? »

Alors qu'il tentait de reprendre une avancée régulière, sulevant une patte après l'autre comme si elles pesaient lourd, si lourd, une voix familière parvint à ses oreilles. Le petit loup eut un sursaut - avec sa truffe engourdie, ses pas qui crissaient sur la neige et toute son attention fixée sur le fait de marcher, il ne l'avait ni sentie ni entendue arriver - et se retourna d'un air un peu pataud. Ses yeuxs clairs reconnurent la silhouette d'un membre éminent de leur meute : la prêtresse Sheina. Des émotions contradictoires fleurirent dans son esprit. D'un côté, il était très heureux de voir surgir un Etelkru, et encore plus heureux que cette personne soit l'un des prêtres - après tout, qui de mieux pour l'orienter dans la direction de l'un des temples sacrés. D'un autre côté, ses paroles laissaient entendre qu'il aurait le droit à quelques remontrances pour être sorti ainsi seul. Il eut le coeur gros à cette pensée, et sa gorge se serra. Il n'aimait pas rendre les autres mécontents, surtout les adultes. D'ordinaire, ce n'était pas tellement son genre de s'en aller ainsi, et il ne pensait pas se perdre comme ça dès sa première sortie. Il baissa les yeux et se mordilla la babine inférieure, avant de répondre d'une petite voix :

"Excusez-moi, madame la prêtresse. Je... Je voulais aller voir un temple et... Personne n'était là pour y aller avec moi alors je me suis dit..."

Ses paroles se perdirent alors qu'il faisait passer son poids d'une patte sur l'autre, penaud. Il finit par relever doucement le regard vers la louve grise, guettant sa réaction. Il était probable que son père eût été mécontent de le savoir seul dehors, mais son père ne lui prêtait pas grande attention - et il le comprenait, ses autres frères et soeurs, plus grands et forts que lui, avaient le droit à la première place. Ils étaient les enfants de la compagne d'Athelstan, alors que Solelio et lui non. Quant à sa mère, il ne l'avait pas trouvée ce jour-là, et ne savait pas trop si elle le réprimanderait à son retour. Il espérait que non, il ne voulait pas lui faire de peine. La triste pensée que si ç'avait été Solelio, Godric ou Salazar qui avait décidé de se rendre à un temple, ils ne se seraientpas perdus eux, lui serra le coeur, et il passa nerveusement la langue sur ses babines.

L’enfant semblait craindre des remontrances, bien eu la prêtresse ne put voir son expresison, elle le devina au silence notamment qu’il conservait. Sheina remua le bout de sa queue pointue, écoutant patiemment Elvazio, le bout de ses longues oreilles remuant. « Madame »… on ne lui témoignait pas un si grand respect habituellement… peut-être étais-ce dû au fait que sa présence au camp des Etelkrus se faisaient plus rares… Toutefois, Athelstan avait dû faire en sorte que son fils retienne les valeurs de la « chevalerie » comme il lui plaisait si bien de le prétendre. Un sourire vint étirer les babines de la disciple de Kiro.

« — Je ne requiers nullement tes excuses, Elvazio. »

À quoi bon ? Sheina ne se rappelait pas d’avoir été l’enfant exemplaire durant son enfance, ses sens toujours guidés par sa soif d’aventure et de liberté. Alors non, disputer le louveteau n’était pas dans ses intentions, au contraire même, elle souhaitait l’encourager dans ce début de curiosité. L’ancienne garde conserva le silence un moment, écoutant le vent qui soufflait sur les herbes hautes de la Rougelande avant de finalement étendre ses ailes qui commençaient à s’engourdir.

« — Pourquoi t’intéresses-tu aux temples ? Tu as l’intention de demander prochainement un glowstick ? »

Un éclat de surprise traversa les grands yeux de l'enfant lorsque la prêtresse s'adressa à lui d'un ton qui n'était pas celui du loup grondant, mais d'une simple... conversation ? Il ne savait pas trop à vrai dire, il n'avait pas beaucoup de discussions avec les autres. Ils voulaient principalement jouer à se battre et à échapper à la surveillance des adultes pour leur faire de mauvaises farces. Il n'aimait pas trop cette idée, sans trop en comprendre la raison. Cela le mettait mal à l'aise, et sa désobéissance actuelle s'en chargeait bien également. Il n'en crut pas ses oreilles lorsqu'elle finit par lui demander simplement pourquoi il s'intéressait aux temples. Il se redressa légèrement, un peu plus rassuré et le corps toujours frissonnant dans la poudreuse.

"Je n'en ai jamais vu, et tout le monde m'en parle... Alors je voulais voir ce que c'était." Répondit-il en hésitant légèrement. "Mais je crois que je suis trop petit pour un glowstick encore, ou pour rencontrer... les dieux."

Il avait prononcé ce dernier mot avec une sorte de prudence, ne comprenant pas encore exactement le concept de divinité. Il avait l'impression que c'étaient des loups très puissants, si puissants que même les alphas ployaient le genoux devant eux. Et ils pouvaient donner des glowstick aussi, ça c'était vraiment fou dans son esprit. Il n'avait pas vu beaucoup de manifestations de leurs pouvoirs encore, mais rien que celui de son père était incroyable. Il était capable de disparaître. Il en avait eu le souffle coupé lorsque le loup tricolore leur ne avait fait la démonstration un jour, au milieu des murmures fascinés des petites bouilles Etelkrus.

"Vous connaissez l... les dieux vous ?" Demanda-t-il, en ayant de plus en plus de mal à cacher le grelottement qui faisait s'agiter ses petits muscles.

Décidément.

L’enfant semblait de plus en plus surpris de ne pas subir de remontrances. Probablement n’était-il pas habitué à ce que adultes ne le traitent pas en enfant, mais comme égal. Sheina serait bien mal placé pour se juger supérieure à un louveteau, ce dernier pouvait être doté de bien plus d’touts qu’elle. Qu’ils étaient stupides ces autres, à juger sans voir, à juger sans comprendre. La queue pointue de la louve remua doucement, alors qu’elle écouta avec un certain intérêt les mots du jeune.

« — L’âge, ce n’est pas ce qui importe aux dieux, tu sais. Ce qui compte c’est la foi dont tu feras preuve à leur égard, la manière dont tu comptes les servir. »

Après tout, certains rendaient bien visite aux dieux à un âge relativement tôt, ce n’était pas pour autant qu’ils repartaient bredouilles. Sheina leva sa tête vers ce ciel qu’elle ne voyait guère de par la lumière, se fiant à son odorat et à son ouïe. Le gamin avait froid, voilà qu’il tremblait comme une feuille. L’hybride étendit l’une de ses ailes, pour en recouvrir le dos d’Elvazio, voilà qui le couperait du vent et lui tiendrait plus ou moins chaud. L’Etelkrus sourit doucement.

« — Les autres, que de nom et de réputation, mais je connais Kiro. Je suis sa prêtresse. »

Le seul qui méritait sa foi à son humble avis, les autres…

Il eut un petit mouvement pour se ramasser sur lui-même lorsque la prêtresse étendit autour de lui l'une de ses ailes. Aussitôt, la température fut plus supportable, et il laissa échapper un petit jappement de surprise :

"Oh, vos ailes... Elles sont magiques ?"

Puis il referma rapidement les babines, conscient que ce n'était peut-être pas très poli comme remarque. Mais Sheina paraissait plutôt sympathique à son égard, et il avait l'agréable sensation qu'elle n'était pas du genre à gronder facilement. Contrairement à la majorité des adultes qui les surveillaient lui et ses multiples petits camarades. Il réfléchit un instant à ce qu'elle venait de dire, sur l'âge et les dieux. Il hésita un peu, et finit par demander d'une petite voix :

"Madame la prêtresse... Qu'est-ce que c'est, la foi ?"

Les grands utilisaient beaucoup ce mot-là lorsqu'ils parlaient des dieux, mais il ne savait pas ce à quoi ça correspondait du tout. Il savait que dans certains animaux, on mangeait ce qui s'appelait le foie, mais on disait "le" et pas "la", alors ça n'avait pas l'air d'être la même chose... Ou peut-être que les adultes se trompaient parfois en parlant ? Ca ne leur ressemblait pas beaucoup. Ils utilisaient beaucoup de mots compliqués, faisaient de belles et longues phrases qu'il ne comprenait pas toujours. Les autres enfants non plus d'ailleurs, mais ça paraissait souvent leur être un peu égal. Si l'adulte grondait, il fallait s'excuser, sinon c'était que ça allait.

"Vous l'avez déjà... rencontré ?" Murmura-t-il, les yeux écarquillés et tout son petit corps tendu vers elle, dans l'attente d'une réponse qui lui paraissait folle.

Les oreilles pointues de la prêtresse remuèrent doucement en entendant la question de l’enfant. Certains jugeraient peut-être cela de déplacé, mais Sheina ne faisait plus attention aux remarques et interrogations sur son apparence depuis un moment.

« — En quelque sorte, oui. »

Les mots étaient compliqués pour les plus jeunes, la disciple de Kiro l’avait oublié à force de vivre un peu à l’écart du reste de la meute. Le « madame la prêtresse » lui arrache un sourire, voilà qu’elle se prenait plusieurs années dans la mouille !

« — Appelles-moi donc Sheina. » L’hybride marqua une courte pause. « La foi c’est quand tu crois fort en quelque chose, que tu ne remets pas son existence en doute. »

Sheina laissa échapper un rire. Ceux qui ne connaissaient pas Kiro s’attendaient à un loup des plus sérieux, très exigeant, alors qu’en fait… C’était un enfant piégé dans un corps d’adulte avec de grandes responsabilités. L’Anaconda était particulièrement joueur et n’avait pas ce sérieux dont faisaient preuve ses frères et soeurs.

« — Oui plusieurs fois ! Disons que… C’est un grand enfant… »

Un grand enfant dont-elle avait la garde.

Il remua doucement et répondit d'un ton joyeux :

"D'accord madame Sheina !"

Il l'écouta ensuite avec attention, la tête légèrement penchée sur le côté et complètement concentré. C'était donc croire si fort en quelque-chose qu'on était certain qu'il existe. Il se demanda si lui avait de la foi pour quelque-chose. Il n'avait jamais songé qu'on puisse penser que les dieux n'existaient pas à vrai dire, puisqu'il avait toujours appris qu'ils étaient là, qu'on pouvait les voir et leur parler, et qu'ils répondaient même parfois. Il fallait leur faire des cadeaux et des prières afin qu'ils se montrent gentils avec ceux qui n'étaient pas des dieux, et c'était grâce à eux que les adultes avaient des glowsticks.

Il écarquilla les yeux lorsqu'elle lui affirma non seulement qu'elle avait déjà rencontré Kiro, mais aussi qu'il était un "grand enfant". Qu'est-ce que ça voulait dire ça, un grand enfant ? Les grands n'étaient plus des enfants, ça c'était certain, et les enfants n'étaient pas grands. Enfin, sauf si on considérait que lui était un grand enfant, puisqu'il dépassait d'une bonne tête tous ceux de son âge avec sa silhouette toute en pattes maladroites. Est-ce que cela voulait dire que Kiro était... Un peu comme lui ? Cette idée était étrange, elle faisait à la fois peur et envie. Il remua légèrement les oreilles, pensif. Au creux des ailes de Sheina et au son de ses paroles, il avait oublié le froid alentours, et la frustration mêlé de chagrin qui l'avait envahi quelques instants plus tôt face à l'échec de son expédition.

"Est-ce que je le rencontrerai un jour moi aussi ?" Demanda-t-il plus doucement.

L’intéressée sourit doucement en entendant l’enfant l’appeler par son nom. C’était mieux ainsi. Tout ce qui était protocole était vraiment barbant par moment, bien que certains membres du Heaume auraient été à cheval sur les formalités. Sheina réfléchit doucement à la question du louveteau. Rien n’était impossible. Kiro aimait bien se manifester, peut-être que si Elvazio venait à lui, ferait-il de même et répondrait à ses questions ? Dans tous les cas, si l’enfant choisissait le glowstick jaune, il était sûr de voir le dieu.

« — C’est possible. Si c’est lui que tu venais à choisir. »

Mais les choix, c’était bien trop important à cet âge-là, surtout quant-ils étaient aussi importants. La queue de la louve remua doucement.

« — Rien ne t’empêche de lui rendre visite simplement pour lui faire une offrande. Il peut apparaître, tout comme il peut refuser. »

Après tout, quel dieu refuserait une offrande accompagnée des bonnes intentions ? Kiro apprécierait sûrement cet éloge, en particulier si cela venait d’un enfant.

« — Les dieux sont un peu comme nous, avec leurs humeurs. »

Parfois ils boudaient, parfois ils s’énervaient et parfois, il partageait la peine des mortels. Les dieux étaient comme ça, cruels lorsqu’ils le jugeaient opportun, bon et juste lorsque cela leur plaisait.

Il réfléchit quelques instants à ce qu'elle venait de dire. Ainsi donc, il devait choisir un dieu, ça ne se ferait pas tout seul. Une part de son esprit avait encore la croyance que ce serait une évidence, qu'il n'avait pas vraiment le choix car il était destiné à l'un des dieux déjà. Après tout, n'était-il pas supposé aller avec so, caractère, avec ses capacités physiques, avec ce qu'il était et qu'il ne pouvait pas choisir ? C'étaient des réflexions encore floues et complexes pour un esprit de louveteau, mais Sheina venait de planter de nouvelles graines dans ses songes à ce sujet.

"Comment est-ce que je saurais qui choisir ?"

Une lueur un peu plus sérieuse s'était allumée dans ses prunelles claires. Il n'avait même pas rencontré tous les dieux - en fait il n'en avait rencontré aucun, ni même vu leurs temples - et il fallait qu'il fasse un choix ? Quand est-ce qu'il devrait le fair e? Dès maintenant ? Lorsqu'il serait adulte ? Lorsqu'il serait apprenti ? Et que se passait-il quand on ne savait pas qui choisir ? Etait-ce seulement possible de ne jamais savoir, et de rester à jamais un paria sans glowstick, sans pouvoir, la risée de la meute ? Les questions muettes défilèrent dans ses yeux sans franchir la barrière de ses babines serrées par le doute.

Il nota soigneusement la suite de ce qu'elle lui dit, ce qui fit germer une pensée dans son esprit. C'était une bonne idée cela, que d'aller rendre visite à tous les temples avec une offrance. Peut-être pourrait-il faire connaissance avec les dieux, comprendre qui ils étaient, pour savoir qui choisir. Il lui paraissait si étrange de choisir un dieu sans le rencontrer qu'il se fit à l'idée que sans doute les adultes les avaient tous déjà vus, et qu'il fallait qu'il fasse cela jeune. Cela lui donna un petit objectif, une petite détermination pour les lunes à venir.

"Est-ce qu'un jour... Vous pourriez m'emmener visiter le temple de Kiro ?" Finit-il par demander timidement, avec une lueur d'espoir dans la voix. "S'il-vous-plaît ?" Ajouta-t-il précipitemment, confus d'avoir dérogé à une règle basique de politesse.

Se posait-on toujours ce type de questions à cet âge ?

Sheina inclina doucement sa tête sur le côté, un air amusé. Parce qu’il n’y avait pas de recette magique permettant de choisir ses dieux, que nul n’avait à subir l’influence d’autrui pour choisir son chemin. L’une des griffes de l’hybride vint toucher le torse du louveteau avec douceur.

« — Tu le sauras le moment venu, Elvazio. Fais confiance à ton intuition. »

Car l’intuition, le guiderait, peut importe le chemin. Un loup n’était jamais privé d’intuition. Un jour, ce loup aurait un drôle de sensation au fond de ses griffes et alors, à ce moment là, il comprendra, il saura quel chemin choisir pour lui-même. Sheina ne l’expliquait pas. Un rire monta chez la prêtresse en entendant le petit se montrer si formelle. Les parents avaient-ils réellement une image si terrifiante auprès de leurs enfants pour que ces derniers se sentent obliger d’être toujours aussi polis ?

« — Ce serait avec plaisir. »

Et la louve était sincère.

L’Etelkrus remua ses ailes qui commençaient à s’engourdir avant de faire un mouvement de la tête pour inciter Elvazio à la suivre.

« — Viens, je vais te ramener au Grand Castel, tu vas mourir de froid sinon. »