Alouette [Eva]

Elle avait changé, mais pas tant que cela, il était vrai. Il ne l'avait jamais vue comme une louve particulièrement pacifique, mais il avait la sale manie d'oublier très rapidement les défauts et côtés négatifs de ses congénères pour se rappeler uniquement de ce qu'il avait aimé, admiré, trouvé bon ou honorable chez ce loup. Le souvenir de Safran était celui 'une louve prête à tout pour sa meute et sa famille, pour défendre l'honneur des pirates devant les continentaux, pour que survivre leurs traditions et leurs moeurs. Cette vision venait de se fracasser contre la réalité de ce qu'elle était, matérialisé désormais par cette apparence qui n'avait plus grand chose de lupin. Un monstre. Ses babines frémirent, mais il ne répondit pas lorsqu'elle tenta ce qui semblait être une petite provocation en lui demandant pourquoi elle ne l'aurait pas attaquée. Il n'avait rien à répondre qui ne puisse être percutant pour elle, inutile de rebondir dessus.

Il eut envie de grincer des dents lorsqu'elle qualifia Eva de proie et la lui céda comme s'ils venaient de se battre pour un morceau de viande qui ne méritait pas sa considération. Et qu'il lui devait par conséquent une proie. Un sentiment d'injustice s'empara de lui, ainsi qu'une colère, mais il s'exhorta à garder son calme. Il savait que s'il tombait dans une rage, elle serait profonde, sans transition. Il connaissait cette part sombre de lui-même qui faisait de ses émotions négatives de véritables gouffres. Pire, maintenant, le don de Yurai diffusait autour de lui comme une aura contagieuse ce qu'il ressentait d'intense. Il devait donc rester le plus calme possible. La santé d'Eva en dépendait.

"Je vous rendrai visite sur Morne-Oeil. Tu l'auras à ce moment-là."

Il y eut un bruit derrière lui, suivi d'une sorte de son à mi-chemin entre un grondement et un râle. Il ne put résister et se retourna, pour constater qu'Eva s'était effondrée sur le sable, le sang coulant en rigoles autour d'elle, dans les ridules que les allées et venues de la mer avaient dessinées sur le sol. Il fit volte-face, bondit vers elle et frôla sa joue de son museau.

"Nous allons rentrer, ça va aller." Murmura-t-il, si bas, si vite que peut-être fut-ce plus pour lui que pour elle, et en tout cas inaudible de Safran à quelque distance derrière.

Il se redressa pour faire à nouveau face à sa soeur, et lança d'une voix grave :

"J'ignore si je peux t'aider. Qui cherches-tu ? Dépêche-toi, s'il-te-plaît. Je dois rentrer pour prendre soin d'elle."

Il espérait qu'il restait au fond d'elle une part de cette affection qu'elle avait eue à leur égard, à Limule et lui, et qu'elle comprenne l'importance qu'avait la louve bicolore à ses yeux. Il acceptait de l'aider, bien-sûr, si cela lui permettait de sauver Eva. Il sentait son coeur battre à ses oreilles, conscient qu'à chaque nouvelle pulsation la louve à ses pieds s'affaiblissait.

Elle redressa sa crête dorsale lorsque le loup blanc évoqua une intention de venir sur Morne-oeil, elle ne put non plus retenir une babine de se lever sur ses dents difformes. Trop de visites ces derniers temps, des attendues, des plus surprises et aucune bienvenue. Au moins, grand bien fasse à Ajani, cette petite mésaventure lui permis d'apprendre une de ses intentions, peut-être qu'elle n'ira pas lui mordre les pattes lors de sa traversée, peut-être. Bien que Safran n'ajouta rien à ce sujet, mieux valait pour le mâle blanc qu'il n'espère pas pouvoir se pointer juste comme ça comme une fleur, la plupart des Raeders ne le portait plus dans son cœur, même elle avait fini par être au courant.
La louve marine montra d'autant plus les crocs lorsqu'Ajani parla à voix basse à la louve oiseau, cette dernière faisait vraiment pâle figurer, à quelques secondes prêt, Safran lui broyait les os. Ce constat la frustra encore plus de ne pas avoir réussi. Elle se désintéressa du duo, agacée, lorsque le loup blanc la pressa.

« Tss, peu importe, je trouverais moi même, tu serais capable de mentir ou d'aller le prévenir de toute façon. »

Et il était hors de question que le loup qui l'avait tué puisse espérer s'échapper.
Safran s'avança, le corps encore tendu, ses crête dorsale toujours redressées mais ce n'était pas vers le duo en face d'elle qu'elle se dirigeait, non, plutôt vers un des petits tas de plume à moitié recouverte de sable qu'elle avait arraché quelques instants plus tôt à la louve noire et blanche.

« Vas donc faire quelque chose pour ton oiseau avant qu'il ne soit trop tard. »

Elle déblaya un peu les plumes avant de les saisir entre ses crocs puis la louve marine tourna les talons pour retourner vers la mer.

« Au moins cette petite rencontre m'aura permis de trouver quelque chose à ramener à ta sœur » Un large sourire barra à nouveau son visage « Il faut que je me fasse pardonner »

Pour lui avoir prit son médaillon. Puis sans un mort de plus, elle retourna à l'eau, disparaissant entre les vagues.

C'est à peine qu'elle saisissait les mots du grand loup blanc, alors que son corps s'affaissait finalement dans le sable, la fatigue ayant raison de son esprit et de son corps.