Enfant de la discorde [PV Pepper & Désastre]

Tu es né il y a quelques jours déjà, Désastre.

L'enfant qu'elle ne voulait pas, l'enfant qu'elle peinait à assumer. Pourtant elle devait faire honneur à ses propres ordres, plus encore ne pas décevoir ceux d'Anette. Elle qui veillait tant sur la progéniture des autres, elle pouvait sentir sur elle sa forte présence même en son absence. Elle n'avait droit au faux pas, elle était désormais mère bien malgré elle.
L'instinct maternel peinait pourtant à naître, lui ; donner naissance fut bien plus facile que de ressentir quelque chose pour cette petite chose constamment collé à son ventre. A toujours dormir, à toujours chercher à têter. A constamment la chercher, elle, dans ses nano mouvements de corps qui rampaient vers sa chaleur quand elle se levait pour s'éloigner un peu.

Elle ne t'aimait toujours pas, Désastre.

Pepper n'avait su trouver autre nom que celui qui lui avait filé par erreur, et s'était colporté comme une trainée de cendres. Une bêtise, qu'elle mettait sur le dos de l'épuisement général qui la saisissait dans cette difficulté d'élever seul un si jeune garçon. Toujours être attentive, toujours être là pour lui.
Sans cet attachement, c'est peut-être pour ça qu'elle n'avait su trouver de nom plus décent à son enfant. Plus grand, elle ne renommerait peut-être.
Finalement, elle commençait à s'y faire.

Mais c'est toi qui le porterais, ce nom. Pas elle.
Elle le choisirait pour toi, comme elle choisirait tout le reste.

Ses babines frémissent lorsqu'il vient chercher une mamelle, ses oreilles partent en arrière. Elle ne manque à ce devoir, bien qu'il lui déplaise, et que l'envie de le confier à une nourrice l'a souvent traversé.
Elle ne s'abaisserait à le laisser dans d'autres pattes, pourtant. Il était tout à elle.
Les oreilles se redressent et le visage se détend lorsqu'à ses naseaux vient alors l'odeur familière, une fraction de seconde avant qu'une voix ne se fasse entendre.

Harlow.
Tu partageais avec elle la même histoire, petit louveteau. Celle d'une conception non désirée, du fardeau d'être enfant d'une alpha et d'un ennemi...

Au fond Pepper se ravit d'une compagnie autre que celle de son fils, qui peine encore à en devenir une. Les jours passant, il s'avérait plus intéressant, mais restait encore un poids pesant.
Son museau se penche sur ce qu'elle vient de lui apporter, une proie fraichement chassée qui fleure le sang et l'herbe fraiche qu'il vient à peine de quitter. La salive lui vient en bouche, elle ne cracherait dessus.
Il lui fallait de l'énergie, pour entretenir deux corps en même temps.

« Salut, Harlow, je te remercie. Je commençais à m'affamer, ce ne sera pas de refus. »

Compter sur les autres lui étaient plus faciles que ce que l'on aurait pu croire ; sa cécité lui imposant de ne pouvoir toujours se débrouiller seule, elle avait appris à composer avec l'aide qu'on pouvait lui apporter.
Peu capable de sortir longtemps de sa tanière, encore moins pour chasser, ce repas emmené au lit était une attention appréciable.
L'Epée se décida même à rester, un peu, auprès d'elle. L'exploratrice se posait donc un peu, le jeu d'enfance lui revint brièvement en mémoire et lui décrocha un léger sourire.

« Fatiguée, comme tu le dis. Il me faudra un peu de temps pour retrouver de l'énergie suite à cette nouvelle condition. »

Quant aux rapports...
Elle croque le lapin, alors que s'assoupit l'enfant.

« J'avoue qu'entendre quelques rapports ne me déplairaient pas, on me ménage un peu trop. Je ne veux pas trop m'éloigner de mon rang, et préfère rester au courant des bruits qui courant dans la meute. Tendre une oreille à l'entrée de ma tanière ne suffit pas toujours...
Alors, tu as eu l'occasion d’œuvrer sans problèmes à nos frontières ? Ou même au-delà. »

Elle garde son sourire, les oreilles en sa direction. Elle a son attention.
Au fond, Pepper se demandait si elle avait eu l'occasion, parfois, de revoir Dame Cassandre. C'est à elle, qu'elle devait son rang, c'est ce qu'elle lui avait légué.
Elle espérait que là où ses pas l'avaient menés, elle avait trouvé la paix.

Harlow ne pensait si bien dire, en affirmant que cette condition devenait lassante. Un temps de confinement, où elle se devait de faire bonne figure et de se rendre disponible pour le fils allongé tout contre elle, s’enfermant dans son rejet à son égard et rejetant sur lui sa situation.
Son manque de liberté, qu'il sera en même mesure de lui reprocher plus tard.
Situation difficile.

« C'est au moins ça, même si je ne m’accommoderais pas longtemps de cette situation, comme tu t'en doutes. »

Elle, d'ordinaire si active au sein de la meute. Les tours des frontières et leurs marquages lui manquaient, de même qu'envoyer les patrouilles ou réceptionner les dernières informations rapportées. Celles qu'elle n'eut besoin de demander à la disciple d'Aka, puisqu'elle les lui donna d'elle-même.
C'est les oreilles droites, tournées vers elle, que Pepper s'offrit à ces informations. Elle avait l'occasion, aussi infime soit-elle, de renouer avec son rang, de se tenir au courant de ce qu'on ne lui disait pas.
Pour la préservait, disait-on.
Elle avait pourtant besoin, de ne pas être délaissé, de pouvoir s'échapper sans le quitter de cet enfant, par des pensées qui ne pouvaient le concerner.

Les Lazulis sous leur dôme. Si faible, par rapport à eux, à se laisser visiblement dépérir, incapable de répondre au besoin de ce qu'on lui avait apporté comme était l’œuvre d'un divin, par la matrice dont était fait ledit dôme. Elle n'avait jamais été, jusque là.
Elle s'était contenté de songer aux terres, qui se trouvaient en dessous.
Et, qui sait, de l'opportunité de s'en saisir, si ce peuple finissait par s'éteindre.

Elle lui parla aussi des Raeders, et c'est d'instinct que le poil de son échine se hérissa. Une levée discrète, perceptible uniquement si l'on savait différencier ses épis de ceux-ci.
Elle les haïssait. L'envie de les mettre à terre persistait, de plus en plus fort.
Sa langue claque et se délit.

« Aucune compétence n'est inutile, face à l'ennemi. Le fait de les surveiller, d'obtenir la moindre information les concernant, nous sera plus utile sur le long terme que de gagner un combat. »

Le jour où le plan qui se dessinait dans un coin de sa tête viendrait à s'exécuter serait celui où toutes les informations auraient été glanées.
Quant aux solitaires... Ils sont attrapés et font des bouches supplémentaires, un avis que l'Alpha ne pouvait que partager. Elle, qui aurait prôner l'exécution sans sommation. Elle, qui ne se serait embarrassé de ces loups dans ces geôles.
Mais c'est un avis qu'elle ne pouvait partager, chaque membre du Conseil avait son mot à dire.
Et la majorité ne votait jamais pour cela.
Son incursion avec l'un de ces sans-meute lui fit redresser la tête.

« Que veux-tu dire, par ça ? »

Certains Solitaires n'étaient pas à sous-estimer. Elle l'apprenait doucement, elle qui avait dû même recourir à l'aide de l'un d'entre eux, dans une situation qui lui faisait encore serrer les crocs et qu'elle floutait bien aisément de sa mémoire.
Pourtant, elle lui devait son bon retour sur ses propres terres, après sa dernière bataille.
Justice.

La dernière question la laissa un instant dans le silence. Les babines fondues dans une expression neutre, les oreilles relâchées.


Un an, et déjà propulsée sur le trône par celle qu'elle avait tant respectée. Celle qu'elle avait vu nommer au pouvoir, alors qu'elle n'était qu'une louve minuscule. Celle qui s'était injuriée, face aux mots qu'elle avait reçu à la suite de son agression. Celle qu'on avait pas assez soutenu, qu'on avait tant critiquée.
Elle avait tolérée bien plus que ce que Pepper aurait été en mesure de subir. Elle n'avait pas son calme, ni sa patience. Il bouillait en elle la rage, qu'elle faisait exploser à la gueule de quiconque aurait osé lui manquer de respect.

« Non.

Même si j'ai compris sa fatigue, même si j'ai compris ses déceptions bien assez vite, même si le poids des responsabilités fut immenses... Même s'il a fallut que je me légitime, auprès d'une meute qui reprochait alors tout à sa hiérarchie sans se remettre en question...
Elle m'aura appris à être forte, à sa manière. Elle m'aura permis de me révéler.
...
Je pense souvent à Dame Cassandre, à son choix si peu anodin mais qui aujourd'hui ne pourrait pour une fois être contesté. »

Un bref silence, pour marquer la fin de ces véracités.

« L'as-tu revu, depuis son départ ?
Je l'imagine comme une ombre sur nos terres, depuis ce jour... »

Dans le concept d'ombre qu'elle connaissait. Quelque chose qui ère et qu'on ne peut attraper.
Quelque chose de libre et de libéré.

Tu es, de toutes mes connaissances, la seule à avoir un handicap physique qui n’a pas l’air d’être handicapant. Ça la fait rire, un peu. Un petit ricanement assuré, trahissant l'honneur d'un tel compliment. Beaucoup avait été jusqu'à oublié sa cécité, tant elle avait tiré force de ses autres sens. Elle avait été une loupiote impulsive et avec une volonté suffisante pour savoir comment s'en sortir.
Et elle obtenait de cette condition sa puissance actuelle, ses méthodes déroutantes de combattre, ça façon de capter son adversaire prêt d'elle, ses mouvements en cours et l'hypothèse souvent exacte de ceux à venir.
Cette flatterie la réchauffait un peu, plus qu'elle n'aurait voulu l'admettre.
Sans doute en avait-elle besoin, dans cette période actuelle tourmentée...

« Et dire que c'est de Dairo que je fut la disciple. »

A croire que sa voie avait été mal choisie. Ou que les évènements avaient changés celle qu'elle était à la base, plutôt.
Pepper écoute, toujours attentive, lui évoquer Moiro ainsi que les Lazulis. S'ils étaient vivants, du moins ; impossible de le savoir jusqu'à ce que disparaisse leur dôme. Cela faisait longtemps, déjà...

« De ce que l'on m'a rapporté, le dôme serait l’œuvre de Mido, de par son aspect. De là à savoir si c'est une chose vraie, et pourquoi... Personne ne semble pouvoir en sortir, ni y rentrer. Enfin, à l'exception d'une louvette, nièce de Sir Athelstan, qu'une patrouille a trouvé et ramené ici. »

Elle ne s'en faisait pas, l'Alpha. Si c'était une œuvre divine, ils n'auraient rien à craindre, eux : ils vénéraient bien trop leurs divins, et étaient disciples fidèles.
Enfin, son avis sur le sujet était plus que limité, se contentant de savoir ce que tout le monde savait déjà. Elle n'avait prit la peine de s'y rendre pour constater cela.
Qu'auraient-ils bien pu faire, de toute façon ?
Ils se contentaient de s'occuper de cette petite louve Lazulis, qui deviendrait peut-être des leurs, si elle ne retournait à sa famille. Pepper n'avait qu'un regard neutre, sur cela. Elle pouvait rester, tant qu'elle ne leur causait des ennuies...

La narration de Harlow quant au solitaire fait cesser ses divagations introspectives. Au moins avait-elle gagnée, en digne épée qu'elle se trouvait être, sans souffrir de beaucoup de blessures.
Elle était forte, Harlow.
Et pourtant...
Pourtant le sujet de sa mère était épineux. Pepper aurait dû s'en douter. Et lorsqu'elle évoque de partir, ça la fait se tendre et se redresser, un peu.

Non.
Non ne part pas.

...Elle n'a pas le temps de le dire, car Harlow continue. Alors Pepper n'a que ce mouvement et cette expression pour le lui indiquer, ceux qu'elle éteint en se remettant à sa même position, allongée sur sa couche de paille et de mousse.
Puis elle l'écoute, lui parler de Cassandre. Se libérer des pensées la concernant. Ça a des goûts de regrets et de nostalgie.
Pepper se demande, si elle aurait voulu que tout se passe autrement. Le rôle d'Alpha lui saillait à merveille, et pourtant...
Pourtant, elle était fatiguée bien avant l'heure.

« Il ne me reste d'elle que son odeur en souvenir, celle que je ne pourrais plus reconnaître aujourd'hui tant elle doit être différente.
Je ne peux pas mentir et dire que tout aurait été pareil, avec ou sans ton père. Mais... Ça aurait pu être le cas. Tu aurais pu venir d'autre naissance, toi. Et Dame Cassandre et Sir Alys portaient avec eux le vent d'une contestation que je n'ai jamais su saisir, jusqu'à me retrouver moi-même à leur place. Ils auraient pu partir d'une autre façon, lassé d'une façon différente.

Être Alpha use autant l'âme que le corps.

Je leur serait devenue Épée dévouée, si je n'avais pas été Alpha, avec le rêve de devenir prêtresse, peut-être. Nous aurions été collègues. »

Peut-être plus heureuses. Peut-être moins fortes. Qu'en savait-elle, Pepper ?
Eux auraient peut-être empêchés l'enlèvement de Rowena, elle n'aurait eu à venger Dame Lucie et à avoir aujourd'hui ce louveteau pendu à ses mamelles, lorsqu'il ne dormait pas.
Au fond, cependant...

Elle ne regrettait rien de tout ça. Et avançait, plutôt que de se songer aux et si.
On ne construisait pas l'avenir avec ça.
Les oreilles de l'alpha s'agitent, elle répond dans une phrase au ton doux, alors qu'une de ses pattes bougent et se pose sur l'une des siennes.

« Aka offre à ses disciples tout ce qui pourrait les rendre plus fort.
Même une réponse, pour avancer. »

Il lui avait après tout insufflé du courage, à elle, pour rendre plus forte Anette.
Et ça, Pepper ne l'oubliait pas.