Sage comme un sauvage ✡ Anette

Il est si petit.
Sa mère n'est déjà pas bien grande, pense Anette. Elle retrouve l'étoile de celle-ci dans son regard. Elle voit aussi les teintes vermillon de ses cheveux et prunelles, la kidnappeuse. Ce qui la frappe cependant c'est sa taille. Tenable dans le creux d'une patte, presque guère plus grand qu'un coussinet. Une plume, soulevé avec la facilité du vide. La tête qui dans sa proportion actuelle rends ses yeux immenses.
Dans sa jeunesse faite en rondeur et poil inégal, il ressemble à l'innocence.

Ses gestes essayent de la chasser, pourtant.
Son attitude tente de faire fi, et Anette sait d'où cela viens. Pepper commence à former ce petit être qui ressemble trop à l'ennemie, venu sous la contrainte injuste d'un esprit cruel. Elle taille dans ce gras sous-développé ce qui sera un soldat, un combattant. Anette en a déjà marre de voir cela se dérouler. Elle en a marre d'observer et d'agir trop tard et frôler les catastrophes. Cette situation va tourner au cauchemar. Au lieu d'attendre désemparée que tout commence à glisser, elle veut cette fois tacler au plus tôt ce problème en devenir. Elle a toujours aimé donner des coups d'épaule.

L'instant cependant n'est pas au mouvement abrupte.
Elle est à montrer ce qui se rate.
Ce qui devrait être.

Elle ignore l'oiseau caché maladroitement et ferme la distance entre elle et celui qui a été appelé Désastre. Ce nom ne sera pas utilisé par elle, c'est déjà décidé et mûrement réfléchi. Quand sa gueule s'ouvre pour faire entendre sa voix auprès de l'enfant, c'est donc un surnom qu'elle choisit. Le volume de sa voix est aussi bas que possible pour être audible correctement : elle sait qu'il n'a qu'une oreille.

"Hey, choupet."

Elle s'assoit en face de lui sans cérémonie, mais avec un mouvement lent.

"Tu observais l'oiseau ?" Demande-t-elle finalement avec une sincérité et curiosité transparente.

La logique du jeune la surprends.
L'oiseau aurait eu peur même en se sachant inatteignable, et après avoir foncé dans les parois se serait ainsi tué par manque de bravoure. Anette a l'impression de sentir déjà les effets de ce que lui dit Pepper transpirer dans sa vision du monde. Elle avale sa salive en silence et se demande s'il est déjà temps d'une première leçon. Si elle est assez subtile dans sa réponse, peut-être ? Elle essaye alors de lui proposer une autre vision des choses, le ton toujours doux et aussi bas.

"Peut-être qu'il avait peur parce qu'il était loin de chez lui ?"

Elle observe la carcasse du volatile. Elle n'a pas autant de compassion que ça pour l'animal désormais trépassé, mais c'est une bonne excuse, un bon prétexte. Elle posa sa patte dessus et avec toute la retenue dont elle peut faire preuve, elle le récupère. Elle observe le petit moineau de près, pensive.

"Seul, face à l'inconnu. Il s'est peut-être senti désemparé."

Égrainer, doucement, diriger vers le ressenti de l'autre plutôt que la conséquence.
Elle s'allonge et le lui redonne.

"Aimes-tu aussi les regarder voler ?"

Le regard d'Anette s'allume.

Il s'imagine voler.
Il s'imagine être la créature mystique d'écaille qu'on a associé à Ao. Une créature féroce mais dont il a surtout retenu la capacité de s'élever dans les cieux. Elle retient un rire charmé ; elle ne voudrait que transpire la mauvaise idée qu'il était moqueur. À la place elle a envie de répondre à sa question avec sincérité. Pas de place pour son esprit normalement caché, qui calcule et essaye de déterminer des voies possibles. Ici, maintenant... Elle veut se détendre et servir de ce qui lui est proposé pour construire dessus.
Les fondations d'une maison, comme elle l'avait promis à Aka, un jour.

"Oui, quelques fois," confirme-t-elle. "J'imagine que je suis une vague. Qui ondule de gauche à droite, qui calme et permet qu'on puisse s'endormir."

Qui berce. Qui chasse la tristesse et la colère. Qui apaise les maux autour d'elle.
Elle sourit sans honte de sa réponse. Elle la sait pas très claire, mais c'est ce qu'elle offre d'abord et qu'elle expliquera peut-être un autre jour, sauf s'il l'interroge par la suite.

Mais son regard s'est chargé d'une lueur car elle a eu une idée.
Elle saisit sa chance avant qu'elle ne puisse filer et enchaîne, partant dans ce train qu'est l'opportunité et qui file toujours à toute vitesse. Il va peut-être falloir qu'elle emprunte son allure si elle veut pouvoir réaliser ce qu'elle a en tête. Elle se redresse que de quelques centimètres, simplement pour être prête à partir.

"Si tu veux voler, je connais quelque chose qui s'en rapproche drôlement. Accroche-toi bien !"

Et elle l'attrape pour le poser sur son dos et démarrer plus vite qu'une voiture de course. Caracole l'Alpha avec le jeune alors, à toute vitesse dans les boyaux du Grand castel. Anette se dirige vers la sortie en quelques foulées, croisant un ou deux autres loups obligés de se pousser pour la laisser passer. Elle s'excuse brièvement sans tourner la tête.

Une fois dehors, elle ne se gêne pas pour partir encore plus vite. Ses pattes arrières jouent pour la pousser en avant. Elle peut être maître d'un élément ainsi : elle crée le vent. Elle fait chanter le souffle en quelques notes dans leurs oreilles. Puis elle change son allume et fait plus de grand bonds qu'une course.

Elle s'élève.
Elle le fait voler.

Elle espère qu'elle n'aura pas trop trépasser les limites du pauvre petit, mais pas trop le choix : c'est le début d'une virée excitante pour le petit dragon !

Quelque chose change, apparaît.
S'extirpe du petit corps gris.

Et s'ajoute à cela une seconde apparition et tout se conjugue ; Anette capte la voix de l'enfant et une légère ombre qui se dessine vaguement sur le sol. Cette dernière est colorée d'ailleurs, comme si elle laissait passer en partie le soleil loin au-dessus d'eux. Les paroles la guident à regarder vers le ciel, et elle aperçoit ce qui tends l'ombre partielle et rougie : des ailes translucides. Elle viennent de ses épaules et font indéniablement partie de lui malgré leur caractère un peu ésotérique.

Alors, quand il affirme pouvoir aller plus haut, Anette le croit.
L'excitation et la surprise de la découverte arrachent à l'Alpha qui bondit un rire tonitruant. Elle s'esclaffe et cesse d'aller vers le haut une seconde au profit d'une course effrénée. Le paysage défile autour d'elle sans qu'elle ne s'en soucie. Elle hurle pour surpasser le vent qui les fouettent à cause de son mouvement.

"Oui, tu peux !" Elle s'exclame avec un sourire couturant tout son visage. "Tu es un petit dragon, Astre, un véritable petit dragon."

La phrase terminée, Anette bondit à nouveau.
Mais pas de la même façon, ni au même endroit.
Là où elle s'était contentée de provoquer des rehauts à Désastre sur un sol plat pour un semblant de "hue dada", elle grimpe cette fois sur un des nombreux rochers. Elle s'en sert pour se propulser encore plus haut, se causant des douleurs aux pattes arrières comme si elle avait voulu soulever des poids. Elle catapulte, tout bonnement et simplement, Désastre vers le haut. Elle lui partage sa poussée pour qu'il puisse utiliser ses ailes, désormais.

Quand elle retrouve le sol, avec un son étouffé, ses yeux se fixent une nano-seconde après sur le ciel et elle se tient encore tendue, prête : elle est sur le qui-vive pour le rattraper. Pour que sa réception soit douce.

Il plane, si haut ! Si beau !
Elle manque de paniquer quand il referme ses ailes, mais il parvient à les ré-étendre et s'en sort comme un chef. De son côté elle joue de petits pas millimétrés pour être pil au bon endroit quand il lui revient. Petit flan gélatineux au-dessus d'elle, Anette perçoit ses tremblements avec amusement et tendresse fascinée. Elle aussi a poussé un peu pour ainsi le catapulter, un effort dont elle récupère avec des respirations profondes. Mais l'Alpha sait qu'elle ne s'écroulera pas, d'autant plus qu'elle ne voudrait pas le faire tomber : elle est un roc sur lequel elle veut instinctivement qu'il puisse se reposer.

Il se penche et l'interroge.
Le petit dragon se demande si sa transformation lui est dûe, ou plutôt au pouvoir provoqué par le son d'Aka accroché à son oreille. Un piercing rempli de cette lumière brillante qui réchauffe et fait parfois aussi penser à la violence. Elle l'observe du coin de l’œil et a un moment, un souvenir qui lui revient en flash. La jeune Pepper, lui demandant de lui décrire les couleurs. Une interaction marquant le début d'une longue relation. Anette rit, de la similitude mais pas de la question, elle n'est pas bête. Mais elle est presque sûre qu'elle va lui répondre, car la réponse est...

"Non !"

Elle tapote son museau avec le sien, très, très légèrement. Rien qui ne l'embêtera ou repoussera son équilibre à un stade précaire. Non, ce n'est qu'un mouvement affectueux et sans danger, mesuré. Anette a cet avantage de pouvoir contrôler sa force maintenant qu'elle a plus de cinq années à son actif. Pour allier à sa parole, elle ajoute le geste de montrer une branche devant eux. Une autre similitude avec Pepper... Cette cage, autour d'un oiseau.

"Moi, je froisse des choses !"

La lumière jaillit, et avec la concentration pliant son visage, elle plie finalement la branche en deux. Le bois se courbe, se tord avec une complainte grinçante jusqu'à ce que l'écorce craque... Et que finalement, les fibres ne cèdent dans un bruit vif et bref. Le bras végétal se détache de son porteur et s'échoue au sol mollement. Ce n'est qu'une toute petite démonstration mais cela suffira sûrement amplement à Désastre.

Ce petit dragon, se découvrant de l'innocence.

Il s'émerveille, se trouve une langue plus longue dans sa petite gueule adorable. Qui est Anette pour le priver de ces informations ? Elle n'est plus l'Alpha, elle n'est certainement même plus personne. Elle pave juste un chemin pour qu'il puisse déambuler dessus, s'esclaffer encore et éclater d'émotions. Elle veut le voir cracher du feu, griffer de joie son dos, et exister comme un soleil.

"Je ne peux pas, qu'est-ce que j'aimerais bien pourtant." Elle rugit d'un nouveau rire. "Mais si je ne peux pas toucher les vivants physiquement, je peux les plier mentalement. Oh, tu devrais voir, je peux les faire bouder d'un claquement de doigt ! Des mes ennemis, certains se roulent en boule par terre et pleurent."

Elle se mordille la babine, et observe son petit dragon. Il y a de la fierté enfantine qui consume ses yeux. C'est certainement une partie de son pouvoir qu'elle apprécie, dans laquelle elle se plonge sans honte. Quel plaisir, de pouvoir d'un seul mot terrasser l'égo de quelqu'un mieux qu'avec n'importe quelle insulte. Ou blessure ! Ça gonfle le sien en réalité, d'égo, le gorge. Elle ne lui explique pas le concept d'égo, c'est encore trop lointain, et il a d'autres choses à penser. Comme... rire.

"Mais pas besoin d'un pouvoir pour terrasser quelqu'un..." Elle plisse les yeux, maximise son sourire. "Je vais t'apprendre la super technique, tu pourras même l'utiliser tout de suite !"

Elle le pose par terre d'abord et le fait rouler, l'arrête un quart de seconde et mouvement plus tard. Elle l'a placé sur le dos et lui dévoile ce qu'elle a promis. Des chatouilles ! Elle pose son museau sur son ventre et y fait des allez-retours, soufflant dessus jusqu'à ce qu'elle en ondule la surface. Des petits pets s'échappent, qui la font rire elle-même. Elle souffle plus fort, viens chercher sous ses aisselles même.

Un tout petit autre morceau de simplicité.

Il se défends vaillamment, à agiter les pattes contre elle pour pousser sa grosse tête, surtout en comparaison de son petit corps. Elle manque de glousser et de mordre la babine, attendant précieusement les notes qui l’intéresse... Mais le rire ne viens jamais. Au contraire, elle ne reçoit qu'un gargouillis imprécis. Elle ne comprends pas.
Alors elle s'arrête, relève la tête, confuse.
Elle pose les yeux sur Désastre, cherche au-delà de sa petite touffe de cheveux et de ses yeux, et ses petites ailes, une trace de rouge. Mais elle a beau scruter chaque centimètre, elle ne trouve rien. Elle renifle doucement ses pattes et son ventre pour voir si elle a trop appuyé mais... ça n'a pas l'air.

"Je t'ai fait mal, 'Astre ?"

Il faut qu'elle confirme, car elle regretterais tant si c'était le cas.
Elle continue de fouiller son corps précautionneusement, effleurant sa truffe contre le blanc du ventre, le gris de son cou. Elle le retiens dans ses pattes et l'entoure avec en le laissant au sol, elle ne le laissera pas filer si elle l'a blessé, oh non ! Et si elle lui avait juste fait peur, peut-être qu'il a paniqué plus qu'il n'a eu mal ? Impossible, il est hardi mais... Le doute lui mange les neurones.
Alors elle dépose des lèches, nettoie son visage doucement de quelconque larmes qui auraient pu y venir. Elle ne prête pas attention de si elle a le goût du sel sur les papilles... Non, elle veut juste le consoler au cas où.

"Oh non, j'espère pas- Désolé ptit bout."

Elle... le materne, clairement.
Il n'y a aucun autre mot pour décrire cet état de culpabilité et de tendresse débordant qui l'envahit. Elle reste légère dans ses geste, car l'étouffer après l'avoir embêté serait réellement maladroit. Elle lui laisse le choix de repousser ses coups de langue, ces petits bisous... Juste pas encore de partir.

Au ventre, il est ouvert de bas en haut.

Elle continue de le lécher quand elle reçoit la réponse. Mais elle lui semble étrange. Car elle a vérifié pourtant. Elle y a passé le museau plusieurs fois même et il n'y a pas une seule égratignure sur son pauvre petit abdomen ! Il est encore pleinement intact tout comme le reste de son corps d'ailleurs.

Oh.
Oh non.

Elle a oublié pendant un instant en s'amusant la réalité, alors qu'elle la sait et la voit tous les jours. S'y confronter pleinement alors qu'elle a tenté de la briser lui met une gifle plus grande qu'elle ne l'aurait cru. Anette doit bien s'y résoudre, l'enfant n'a pas rit parce qu'elle n'a pas annoncé clairement que c'était un jeu. L'espoir de pouvoir lui plonger après l'avoir un peu ouvert l'a transporté, mais elle a raté son coup. Elle murmure, mais ne montre pas son la légère tristesse qu'elle ressent. Elle va juste devoir lui délivrer la réalité de ses intentions. Pour, elle espère, qu'il comprenne un peu mieux.

"Oh, petit Astre..."

Elle passe un ultime coup de langue sur lui, sur son front pour repousser ses cheveux en arrière. Rouge sang, mais comme Aka. Elle a tant aimé le voir le visage illuminé, et l'entendre se faire un tout petit peu plus bavard. Peut-être que cela pourra se reproduire dans le futur.

"Je te chatouillait. Ce n'est rien qu'un jeu pour s'amuser. Pas même simuler."

Les jeux qu'il connait ont ce but là.
Ils sont des leçons, des faux combats. Des choses à analyser et décortiquer.
Des choses auxquelles les enfants ne devraient pas tout de suite penser.

"Des petits moments comme l'imagination où tu es dragon, ou que tu voles... Mais réels. "

Elle lui sourit, et frotte son visage de sa patte, avant de l'entourer pour l'enlacer contre elle. Avec délicatesse.
Puis Anette se met à tanguer, doucement, délicatement.
Être une vague, qui chasse les maux autour d'elle.
Qui apaise, permet de s'endormir.
Peut-être de rêver, à des jeux innocents dans la réalité.

Il s'excuse, les petites oreilles toute raplapla.
Comme son moral sans doutes, mais il se laisse emporter par la vague qu'elle installe. Dans le flot, il part et ferme les yeux. La vision apaise Anette autant qu'elle a envie d'apaiser l'enfant tout contre elle. Elle se serait presque sentie plus mal encore d'ainsi lui faire prononcer des pardons. Mais de se voir capable de l'emporter vers des doux songe, elle s'allège aussi de ce petit quiproquos, ce petit couac dans ses intentions. La vague s'échoue encore, emmène et ramène, avec langueur, douceur. Avant, et arrière. Réalité, puis rêve.

"Je ne t'en ai jamais voulu. Tu es déjà pardonné."

Elle le serre un peu plus contre elle, fait un petit cocon autour de son corps. Anette espère que dans le lien Pepper pourra sentir un peu, ce que cela fait. Et que de l'avoir senti elle pourra un peu le reproduire. Elle ne sait pas encore que cela ne fonctionnera pas tellement. Pas avant qu'elle lui ai parlé et que ne vienne une silhouette redoutée.
Ce n'est pas grave.
En attendant, elle se remet à faire la toilette du petit dragon. Pour le guider avec un dernier murmure vers le fabuleux pays des rêves. Là où il pourra voler de tout son cœur et rire avec une force capable de secouer les montagnes.

"Dors."

Elle le fera jouer, un jour.
Demain peut-être.