El y pas comestible [Feat Ely]

Ely était de sortie. C’était assez rare pour le noter : il n’aimait pas s’éloigner de la grotte de Dairo où il résidait en permanence. Mais aujourd’hui il cherchait Mildred. Où donc pouvait bien se cacher la petite louve brune et crème ? Elle était venue une fois à la grotte de Dairo, mais elle n’était pas remontée depuis. Et elle lui manquait. C’était un sentiment qu’il ne connaissait pas, qui n’était pas vraiment un sentiment d’ailleurs, mais ça le grattait sous la peau, dans la nuque, à ces endroits qu’il ne pouvait pas gratter. Les traits d’argent des éclairs parcourant sa peau partaient en mille directions et s’évaporaient sans un bruit, d’une façon bien plus aléatoire et chaotique que d’habitude.

Il se souvenait de son corps parfaitement proportionné, ode au Beau, et de ses yeux.

Ses yeux vairons.

Ses mèches folles.

Et ces petites canines qui disaient bonjour à leur environnement, parfaisant un tableau déjà sublime.

Oui, il n’arrivait pas à ôter cette idée de son esprit. Alors il s’était décidé à quelque chose qu’il n’aimait pas faire du tout : se rendre au Coeur des Coeur, à la Grande Place de la meute : Le Grand Castel, et La Salle des Trônes.

Il y avait des loups partout, mais Ely ne les voyait pas. Ils ne faisaient pas partie de Son Monde, ils étaient différents. Il ne les aimait pas. Enfin, il n’avait rien contre eux, mais rien ne l’intéressait chez eux. Ils n’aimaient pas le Beau, et ils ne l’aimaient pas Lui. Et ils n’aimaient pas assez Dairo, la déesse, qui pourtant le méritait.

Tiens, d’ailleurs…

Pourquoi cet endroit ne bénéficiait pas de marques plus visibles des dieux ? C’était pourtant un endroit particulièrement important pour la meute… Pour tous les loups. Alors pourquoi cette absence…

Il fronça les sourcils, avant de focaliser son attention sur le mur derrière les deux énormes trônes. C’était l’endroit… Idéal. Ely s’assit devant le mur et le fixa. Très fort. Il bailla longuement, avant de réfléchir. Il hésitait. Ici, tout le monde passait tout le temps. Mais après tout, n’était-ce pas le coeur même de sa réflexion ? Et puis son idée s’imposait tellement dans son esprit ! Ici un angle, là une courbe, le tout se mariant aux imperfections des murs et aligné sur le sol, se lovant derrière les trônes et les surplombant ces derniers.

Il commença par le rouge.

Pourquoi le rouge ? Parce que c’était chaud, doux, violent et agressif en même temps. Parce que ça représentait très bien les Etelkrus.

Mais aussi, ne vous en déplaise, parce que c’était le dieu qui lui correspondait le moins. Il restait un dieu, et Ely voulait lui rendre hommage, surtout parce qu’il était important pour les Autres Loups. Mais c’était quand même dur pour lui à réaliser, il avait du mal à s’immerger dans son art comme c’était toujours si naturel pour la déesse renarde.

Il dressa les traits lourds du loup grizzly sur la paroi, sur la gauche, haut et imposant, fier, dressé, fidèle lui-même. Il avait de l’ours la carrure et le regard brillant, les énormes pattes et la queue courte. Il n’avait jamais vraiment vu Aka. Mais il espérait toutefois que c’était ressemblant… D’après ce qu’il avait entendu comme bribes de conversation, ce devait être correct.
Le Dieu Ours.

Il passa à la seconde couleur. Le jaune. Il était intensément satisfait, bien que ça n’avait aucun sens : les trois couleurs des Etelkrus allaient parfaitement bien ensemble.

Et l’orange de Dairo les liait à merveille.

Mais c’était d’abord le tour du jaune de Kiro. Le jaune était toujours délicat à travailler. Devait-il partir sur un jaune doux et orangé, empli de soleil ? Ou un jaune un peu acidulé, tirant sur le vert, plus vif et énergique ?

Ou… Les deux, passant de l’un à l’autre en fonction des ombres et des lumières, du trône et des autres dieux sur le mur. Kiro était un anaconda, un serpent à l’air vif et aux pattes lestes, les pupilles fendues. Ely ne l’avait jamais vu non plus, et se basait encore sur les dires de chacun. Se longues griffes préhensiles et une queue bien trop longue pour un loup classique.
Le Dieu Serpent.

Et entre eux, liant de par sa douceur et son entièreté : La Déesse Renarde.

Ely choisit ses plus beaux oranges, ses plus belles couleurs pour dresser fièrement le portrait timide de la belle Dairo, Flamboyant, ses teintes montaient haut sur un museau finement dressé, de longues oreilles légèrement courbées, un galbe parfait de proportions merveilleuses, des petites pattes pourvues de griffes délicates, et une queue fournie en panache.

Dairo la Renarde.

La déesse.

Malgré lui, Ely l’avait faite un peu plus resplendissante que ses deux frères, il n’y pouvait rien, c’est ainsi que le tableau existait dans sa tête, où il s’était perdu.

Et ce tableau était terminé. Ely baissa l’oreille et recula d’un pas, il allait s’échapper, lorsqu’un poids tomba sur son arrière-train.

Intensément courageux, Ely piailla et fit quelques pas de côté, perturbé par ce déséquilibre, avant de se rendre compte qu’il s’agissait d’une petite louve.

Ely lui jeta un regard vide.

Quoi ?

La louve semblait particulièrement fière d'elle-même, même Ely pouvait le dire. Sûrement une de ces multiples progénitures qui fleurissaient maintenant au château. C'était effrayant, le nombre de chiourmes qu'ils avaient réussi à pondre en si peu de temps. Epuisant, aussi. Enfin ça n'était pas comme s'il passait beaucoup de temps avec eux, à les fuir au temple de Dairo. Combien d'entre eux choisiraient la déesse orange pour guider leurs pas ? Cette idée seule lui plaisait.

A ses paroles, toutefois, la petite n'en ferait pas partie. Ely montra les dents à sa question.

La grande déesse Dairo n'a peur de rien ni personne.

Le ton n'était pas agressif, mais son attitude sans appel.

Etait-il un créateur de loup ? Non, pas vraiment. Il réfléchit à ce qu'il était, puis la réponse s'imposa d'elle-même :

Je suis un créateur de Beau.

Ou, du moins, il y croyait dur comme du fer. S'y entrainait tous les jours. Reprenait chaque objet, chaque paysage qui en avait besoin, qu'il pouvait reprendre. Et cette... Crevette qui venait lui poser ces questions.

Que les louveteaux sont bêtes.

Meshret observait la grande perche devant elle. Un loup étrange, et pas assez respectueux de sa petite personne à son goût. Il était étrange, un peu comme Saqqarah qu’elle prenait un plaisir intense à embêté. C’était un louveteau un peu spéciale, mais ne se montrer jamais violent. Elle cherchait pourtant, régulièrement à ce qu’il le devienne. Mais n’y parvenait jamais. Elle remua la queue en fixant l’autre. Quand il montra ses crocs blancs et affirma que la Déesse n’avait peur de rien ni personne.

Pas impressionnée par son attitude. Meshret tourna la truffe vers la peinture, puis reposa les yeux sur le mâle en arquant un sourcil. Elle pencha la tête, elle ne comprenait pas. Si elle n’a peur de rien ni personne, pourquoi n’a-t-elle pas l’air plus fière et noble ?

« Si elle a pas peur, pourquoi elle semble si intimidé ? C’est stupide… »

Lâcha-t-elle sans filtre avant de lui demandé s’il était un créateur de loup. Il sembla réfléchir une seconde avant de répondre, ce à quoi elle dressa les oreilles. Tirant la langue. Un créateur de beau ? C’est quoi le beau ? Elle observa la peinture. Ok ça c’est beau. Mais est ce que tout ce qu’il fait est vraiment beau. Elle se releva et le contourna calmement, l’examinant du regard avant de s’asseoir à côté de lui.

« C’est toi qui fait le sang dans les veines alors ? Parce que c’est beau quand il coule »

Meshret aimait voir le sang, particulièrement celui des proies. Elle trouvait cela fabuleux la manière dont il se répandait sur le pelage et autour de lui. Elle n’était pas sadique et méchante, n’appréciant pas forcément faire le mal à autrui. Mais quand elle voyait un loup revenir fièrement avec une proie morte, elle ne pouvait s’empêcher de trouver la couleur carmine absolument magnifique. Ne se doutant pas du tout ce que cela pouvait être très mal perçue.

Ely rangea ses crocs et son masque d'inintérêt total reprit contrôle de ses babines. De son visage. De son corps.

Elle était comme les autres. Elle ne connaissait pas, elle ne comprenait pas. Elle ne voyait pas la beauté de la déesse orange, elle ne comprenait pas son air emprunté, sa douceur sous-jacente délicate et virevoltante, elle ne voyait pas ses crocs sous son sourire, les griffes au bout des pattes. Elle ne voyait que sa petite taille et sa queue en panache, sa délicatesse.

Elle ne voyait pas.

Elle était comme les autres, aveugle.

Et comme beaucoup, elle méprisait Ely. Elle l'insultait, cherchait à le pousser dans ses retranchements dès les premières paroles échangées, se dressait contre lui de sa suffisance et de sa petite taille. Comme les adultes. Comme tout ceux qu'il n'aimait pas.

Et comme tous les autres, il n'avait pas envie de lui répondre. Elle avait insulté ses choix, et surtout insulté la Déesse Orange, Dairo. Mais Ely n'était pas un loup de conflit. Il n'avait pas de rang, pas de motivations autres que de plaire à sa déesse.

Il se contenta donc de baisser la tête et de l'observer un instant, un dernier, avant de l'ignorer royalement et lui tourner le dos, pour continuer sa route.

Les chiens aboient.

La caravane.

Passe.

Meshret fixait l’individu, les oreilles dressées, attendant des réponses de sa part. Mais il la fixa une seconde avant de se détourner d’elle avec indifférence. Un grognement lui échappa alors qu’elle sautillait derrière lui pour le rattraper et venir lui barrer là route.

« Hé ! J’te parle ! Tu peux pas répondre ? Maman Joy dis que c’est important de répondre quand on nous pose des questions, tu as pas eus de maman pour te l’apprendre ? »

Demanda-t-elle avant de s’asseoir devant lui, espérant que cette fois il lui répondrait. Elle n’aimait pas être ignorée, surtout pas elle, la fille de Joy et Thalion, une jeune louve née sous demande des Alphas. Elle en était si fière. Presque bouffie d’orgueil. Elle pourrait presque en jouer d’ailleurs. Elle ne comprenait jamais pourquoi Saqqarah n’était pas plus fier que ça. En plus lui aussi avait la sale manie de l’ignorer comme ce malotru.

« T’es un papa de Saqqarah ? Parce qu’il fait pareil que toi il m’ignore »

Remarqua-t-elle en faisant la moue, gonflant ses joues, très énervée qu’on puisse l’ignorer. Elle n’aimait pas forcément le loup en face d’elle. Mais elle avait entamé la conversation et espérait vraiment avoir le droit à une réponse de sa part. Sinon elle risquait d’être insupportable pour le reste de la journée. Trop frustrée par l’attitude d’un idiot.

Mais Ely n'entendait rien.

Il avait bouché ses oreilles, son esprit était parti loin, loin dans un autre monde, il n'était plus là.

Elle lui cassait sérieusement les couilles, et Anette l'avait déjà engueulé quand il avait changé les couleurs de la grosse Joy là, il avait pas envie de recommencer. Il n'allait quand même pas lui faire du mal, et puis il avait beau être adulte il était mal nourri et perpétuellement fatigué d'utiliser son pouvoir : ça ne l'intéressait pas.

Alors il se contenta d'avancer.

En l'ignorant.

Royalement.