On s'balade, balade, balade ! l Libre

Ely était encore en vadrouille. La Rougelande n'était pas encore parée de ses couleurs d'été, et restait d'un morne brun oscillant au gré du vent. C'était beaucoup moins impressionnant, à cette saison. Le loup gris était vraiment déçu. Pour une fois qu'il prenait le temps de descendre de sa grotte, il ne trouvait rien d'intéressant.

Il commença à aller entre les hautes herbes, fleurant les environs sans rien déceler. Pas une proie. Pas un prédateur. Rien que le fumet des herbes dans la chaleur du soir et celui de la terre humide. C'était déprimant. Il releva la tête et se dressa à demi sur ses pattes arrières pour tenter d'apercevoir quelque chose par dessus les touffes d'herbe qui l'entouraient, mais il n'était... Pas assez grand. Grommelant, il commença à sautiller sur place en une attitude plutôt cocasse, mais en plus de voir trouble il manquait perdre l'équilibre à chaque saut.

Il se ramassa sur lui-même, et finit par bondir bien plus haut, tel un lapin curieux.

Ah.

Sur la droite, les herbes semblaient bien plus basses et acceptables. Il se dirigea donc de ce côté, prêtant l'oreille à tout bruit suspect ou qui pourrait le mener à quelque chose. Quelque chose qu'il pourrait ramener à Dairo.

Ou peut-être Mildred qui se baladait dans ces champs, qui sait. A cette idée, son coeur se serra. Quel étonnante joie ce serait !

Mais non, c'était absurde. Ca n'était même pas la peine d'y penser - ça n'arriverait pas. Ely ronchonna, en colorant par habitude les herbes qu'ils frôlait. Certaines prenaient la teinte rouge qu'elles avaient habituellement en été, d'autres une teinte orange de la Renarde, d'autres le jaune citron de Kiro.

Mais d'autres encore prenaient la couleur du ciel, certaines le vert de la renaissance, d'autres encore un violet pourpre mystérieux qui n'était pas sans rappeler les teintes de la corneille. Si Ely avait connu Yurai, il aurait peut-être fait le rapprochement, mais c'était pour lui une simple teinte comme une autre. Très vite, un arc-en-ciel commença à se dessiner autour de lui, montrant très précisément le chemin qu'il empruntait et là où il était déjà passé. C'était... Amusant.

Il finit par arriver à un endroit où l'herbe était plus rase, et où il n'avait plus besoin de sautiller partout pour voir les environs.

Un hurlement, dans le lointain.

Ely se figea. Peut-être que c'était quelqu'un du clan en train de chasser ou de chasser sa tristesse en hurlant. Ou peut-être que c'était un étranger qui avait pénétré sur les terres Etelkrus sans en demander la permission. Mmh. Que ce soit l'un, ou l'autre, Ely n'avait absolument pas envie d'aller voir, non non non s'il vous plait merci.

Mais son attention fut distraite par une petite louve grise qui vint se poser devant lui sans complexe avant de lui demander pourquoi il s'était arrêté. Ely ne trouvant pas de réponse à cette question, lui répondit simplement :

D'accord.

Avant de repartir de son pas lent et mesuré dans la plaine. Il n'en avait rien à faire d'elle ? Non, il n'en avait rien à faire. Il n'avait pas tout à fait conscience qu'Anette ou Pepper lui arracheraient la tête pour son comportement - mais tant que personne ne s'en rendait compte, c'était bon non ?

Ely s'arrêta et se retourna. La proie le prit au dépourvu. Le lièvre angoissé déboula et commença à tourner autour de la petite louve grise à une vitesse faramineuse. Il hésita une seconde, avant de se glisser vers l'avant et de plonger ses crocs dans le cou de l'animal, comme on cueille une baie sur un arbre. Tout aussi facilement.

Le manque d'effort nécessaire rendit l'instant très particulier. Il sentit ses crocs se glisser dans le cou de la bête, percer la chair fine de son cou avant de plonger dans la jugulaire, en tirant un large trait de sang qui éclaboussa le gris du poil de la louvette. Ely se figea un instant.

Le sang coulait au fond de sa gorge et lui apportait ce gout piquant et rouillé qui s'immisçait en lui. L'odeur de la bête fraîchement tuée emplissait ses narines. C'était un fumet délicat, étrange, fantasmagorique. Et la vision de ce rouge sur gris, contrastant avec le vert émeraude et éclatant de ses yeux... Il ressentait ce qu'il avait ressenti face à l'autre louve, Mildred, la dernière fois à la Crypte de Dairo.

Elle avait quelque chose.

Un petit plus. Ou était-ce parce qu'il était galvanisé par l'odeur du sang qui emplissait sa gueule, la proie encore frémissante entre ces mâchoires ? Il frissonna.

Il ne bougeait pas, se contentant de la fixer intensément. Statue effrayante, Gargouille des temps anciens.

Et, doucement, le sang gouttait de la proie sur le corps de la louve grise.

Plic.

Ploc.

Il ne réagit pas.

Elle pouvait partir, si elle le souhaitait. Il n'allait pas la retenir. Il était bien trop occupé à la fixer, à l'observer. Il releva légèrement la tête, et le filet de sang augmenta doucement, jusqu'à créer une rigole sur le flanc de la grise. C'était chaud, métallisé, agréable sur la langue, au fumet. Ely recula d'un pas, deux. Si elle devait partir.

Lorsqu'elle bougeait, les sillons sanglants bougeaient avec elle, créaient des formes délicates et éphémères que l'eau et le temps auraient tôt fait d'effacer. C'était Beau.

Le tremblement de terre faillit le jeter au sol, et il se repositionna, lâchant la proie au sol, tremblant et désarçonné par cette manifestation sauvage. Lorsque le mouvement cessa, il fit quelques pas hésitants pour reprendre son équilibre, et reprendre la proie.

La petite dit qu'elle allait partir.

Toute seule.

Bien.

Ca ne lui posait aucun problème.

Il se contentait de la fixer.