Toss a coin to your Witcher — Ajani

Le Loup-Blanc-Empli-De-Sagesse n’était plus.

Il avait trépassé. Comme Père. Comme Mère. Comme Siam. Lui aussi avait disparu, lui aussi ne reviendrait pas. Étais-ce toujours aussi douloureux de se lier avec les autres ? La vie n’était-elle faite que de pertes ? Combien de fois encore, Lewis devrait dire bonjour, sans jamais ne pouvoir dire au revoir ? La louve mauve serra les crocs, refoulant comme à son habitude la tristesse qui la rongeait depuis son plus jeune âge. Personne ne demeurait, tous partaient. Étais-ce elle qui portait malheur ? Godric aussi avait pris la poudre d’escampette, la seule vrai famille qu’il lui restait, disparu. Lewis était maintenant seule. Son départ des Raeders faisait d’elle une traître, la figure paternelle qu’elle avait trouvé en Creek, avait été détruite par son choix. Poe croassa, perché sur son épaule, l’observant de ses yeux globuleux. Comment pouvait-il comprendre lui aussi ? Comment pouvait-il savoir tout ce qu’elle avait vu depuis sa naissance ? La truffe de la mauve effleurèrent la tête du batracien.

Soudain l’adolescente fit volte-face, ses yeux améthystes scrutant le Lion-Blanc-Qui-Trahit-L’-Océan qui gouvernait désormais. Accepterait-il le fait qu’une ancienne pirate rejoigne sa meute, alors que lui en était parti ? Lewis aurait-elle la force de s’accrocher de nouveau aux autres sans craindre de les perdre de nouveau ? Une corneille croassa au-dessus de la pirate qui leva la tête, trop habituée aux piaillements des mouettes lors de la marée basse, alors qu’un nouveau repas s’offrait à elle. Un sourire attristé vint étirer les babines de la louve, alors qu’elle portait son attention sur Ajani.

« — Tu as bien su tracer ton chemin, Ajani. »

Au moins, si lui ne connaissait son nom, Lewis savait bien à qui elle s’adressait. Serait-il aussi sage que son prédécesseur ? De part sa petite taille de nature, la fille d’Alys devait lever la tête pour s’adresser au mâle bien massif.

« — Je suis désolée pour le Loup-Blanc-Empli-De-Sagesse, c’était des pensées pures qui habitaient son esprit. »

Une sorte de silence nostalgique s'était emparé des terres Nakhus toutes entières. Dans la fraîcheur immobile de l'hiver, il semblait que la nature même s'était arrêtée un instant pour rendre hommage à celui qui les avait si longtemps foulées, et qui n'était désormais plus. Seule la statue plus vraie que nature, à l'expression à jamais figée dans la pierre, restait de lui désormais. Ca et tous les souvenir qu'il avait laissés, souvenirs de ses actions, de ses paroles, souvenir simplement de ce qu'il avait été. Ce matin-là, Ajani s'était rendu tôt à l'Eglise, silencieuse, habitée par cette lumière qui colorée le plafond de mille teintes. Il s'était assis face à la statue de feu son mentor et était resté ainsi, sans mot, détaillant la figure calme que Yurai lui avait offerte pour l'éternité. Il se demanda si, dans dix génération, vingt, cent, les loups se rappelleraient encore de qui était Volstein. De ce qu'il avait fait pour sa meute et pour sa famille, du prêtre de la Corneille idéal qu'il avait été. Alors que les heures passaient, une idée germa dans son esprit. Lui n'était pas encore capable de rendre un bel hommage dans l'Histoire au vieux loup blanc... En revanche il connaissait un petit loup à lunettes qui pourrait peut-être l'aider. Il était plongé dans une réflexion à ce sujet lorsque quelqu'un entra.

Il se redressa sans brusquerie et se retourna. Son regard rencontra celui, familier et à la fois étranger, de Lewis. Il avait connu la louve violette chez les Raeders, dans sa jeunesse. Elle était la fille d'Hipoxie et d'un loup du continent dont il ne connaissait pas l'identité, et qu'il n'avait pas cherché à connaître plus que cela non plus. Lui-même était bien content qu'on ne pose pas tant de questions au sujet de sa mère, à l'époque. Elle avait participé avec lui aux expéditions pour récupérer les Coeurs et avait assisté à sa trahison. Maintenant, il semblait qu'ils avaient bondi dans un autre monde. Lui était Oracle Nakhu, portant autour du cou la lumière de Yurai, et elle venait le rencontrer. Cela faisait quelques temps qu'elle était là, déjà. Volstein lui avait fait découvrir la meute et ses membres, qui l'avaient accueillie sans faire de vagues. Il avait quelques suppositions quant à la raison qui l'amenait ici, mais il la laissa parler en premier, se contentant d'un hochement de tête poli pour la saluer.

"Merci." Murmura-t-il simplement lorsqu'elle lui exprima ses condoléances.

Il laissa échapper un soupir silencieux, puis ajouta :

"Et toi Lewis, quel a été ton chemin ?"

Lui aussi se souvenait.

Lewis le voyait dans ses yeux, plongé dans des souvenirs lointain, lorsque sa vie était encore rattachée aux pirates. Lorsqu’il leur avait tourné le dos pour demeurer sur le continent. La mauve n’était qu’une lardon à l’époque, pourtant elle aussi se souvenait, de l’impression de trahison qui avait envahi les siens, tout cela au nom de Céto la maudite. Elle aussi, était une des raisons qui l’avait poussé à quitter l’île, parce qu’elle était intéressante, monstrueuse, parce que Lewis ne voulait plus de guerre, ni verser de sang. Un sourire penaud étira les babines de la … quoi d’ailleurs ? Qu’était-elle maintenant ? Une paria ?

« — Certainement pas le plus praticable. »

Un chemin de regret, d’hésitations et surtout.. de solitude. Loin de l’amour que des parents peuvent prodiguer à leur progéniture, loin de l’esprit de fratrie… Loin de se sentir pleinement membre de cette meute. Pourtant, elle partageait le sang de nombreux loups de ces terres, Illidan, Teddy… Angelica. Sa mère aussi était venue ici bien avant, avant de trahir l’océan.

« — Je ne veux plus y retourner, c’est terminé. »

Les yeux mauves fixaient sans aucune gêne le Lion-Blanc-Qui-Trahit-L’-Océan, parce qu’elle aussi avait un nouveau titre, La-Faiseuse-De-Grenouilles-Infidéle-À-L’Océan.

« — Peux-tu m’aider ? »

Les mots te coutaient Lewis, parce que dans ta vie jusqu’ici, tu n’avais jamais demandé d’aide, à quiconque. Parce que tu avais cru pouvoir t’en sortir seule, mais que la tempête avait fini par avoir raison de toi. Maintenant tu avais besoin d’aide. Maintenant tu voulais que ça change.

Son coeur se serra légèrement aux mots de la louve violacée, en même temps qu'il éprouvait à son égard une forme d'admiration. Après tout, lui avait suivi une vision s'engager sur le chemin du continent. Elle avait dû faire face aux affres de l'existence pour se rendre compte que ce n'était pas là-bas sa place. Parfois, il se demandait où il en serait s'il n'avait jamais rencontré Volstein. Aurait-il même su qu'il avait ce grand-oncle chef de l'une des meutes du continent, aurait-il jamais fait la connaissance de Kerguelen, de Moineau, de Sobieski. D'Eva. C'était étrange sans nul doute de se poser cette question, mais elle le travaillait parfois. Il ne se demandait plus s'il avait fait le bon choix - il n'était plus temps de se le demander - mais parfois, souvent, il resongeait à sa famille et à l'Océan. Quelques idées s'étaient dessinées dans son esprit, dans l'une d'elles, il aurait une possibilité de les revoir. Mais il devait encore y songer, et tant que le deuil n'était pas achevé chez les Nakhus, rien de tout cela n'existerait. Ces quelques jours étaient consacrés à Volstein et à lui uniquement, à partager les souvenirs en commun et le souvenir qui resterait de lui.

C'était lui qui avait guidé Lewis vers les Nakhus, et maintenant qu'il n'était plus, c'état bien-sûr au grand loup blanc de reprendre le flambeau. La réponse était évidente pour lui, bien avant qu'elle ne formule la question. Lewis faisait partie de cette famille qu'il avait, là-bas, près de la mer. Même si elle n'en faisait plus partie, elle comptait toujours ainsi pour lui. Et même si elle n'avait pas été de sa famille, de ses amis, ou des amis de quiconque... Il était de son devoir de lui montrer un chemin. Chemin de paix, chemin d'évolution, de rédemption, il était différent pour chaque loup. Mais il était bel et bien présent. Chacun était libre de l'emprunter, et parfois il suffisait d'une petite impulsion pour que l'on s'y engage. Serait-il à la hauteur pour cela ? Volstein avait un don pour comprendre les autres loups, qu'Ajani était persuadé de ne jamais pouvoir égaler. Il devait faire de son mieux, et tâcha de chasser cette ombre de doute qui tentait de s'installer dans son esprit.

"Oui, je crois." Répondit-il. "Tu as une place parmi nous, si tel est ton désir." Il se redressa pour faire quelques pas vers la statue de Yurai, et tourna la tête vers la louve. "Puis-je te demander... ce qui s'est passé ?"

Il lui lança un regard qui se voulait compréhensif, indiquant sans mots qu'il ne lui en voudrait pas si elle décidait de garder le silence. Il ne voulait pas la brusquer, bien loin de là.

Le désir.

Une chose si abstraite, dictée par les pulsions… Lewis ne préférait ne pas désirer, parce que désirait ça signifiait ne jamais être rassasié, désirée ça voulait dire convoiter et ça, ça ne l’intéressait plus. Un sourire attristé vint étirer les babines de la jeune louve, alors qu’elle répond aux interrogations Lion-Blanc-Qui-Trahit-L’-Océan. Curieux, il l’était visiblement.

« — Je n’avais tout simplement pas la foi. »

Parce que la divinité des abysses était loin d’être aussi pure qu’elle le prétendait et que ses intentions ne rejoignaient guère celles de Lewis. Poe sortit du capuchon pour bondir en direction du loup blanc, avec que l’ancienne pirate ne l’interrompe d’une patte.

« — Puis bon j’en avais ras la casquette de l’océan moi… »
« — Assez Poe , répondit la louve. »

Voilà qu’il choisissait son moment pour l’ouvrir celui-ci ! Lewis l’observa du coin des yeux, le surveillant au cas où il se déciderait à commettre une bêtise. Satané amphibien ! La silhouette mauve se redressa, les yeux mauves observant au loin alors qu’elle s’adressait à son interlocuteur, l’expression indéchiffrable.

« — Ne me juges pas, Ajani. Là-bas, tu es ou tu n’es pas, mais ce qui est sûr c’est que pour les autres tu n’es qu’ennemi. Je veux être celle que je suis, pas une Raeder, pas une assassin ni une fanatique, simplement Lewis. »

La queue enroulée de Lewis remua doucement.

La fille d’Alys ne comptait nullement abuser de la maigre assurance que lui accorderaient dans un premier temps les Nakhus. Grandir sans ses parents ne lui avait-il pas appris à se débrouiller seule afin de démontrer aux autres que l’on était tout simplement capable.

« — Ajani, ne te méprends pas sur mes intentions, je trouverais moi-même de quoi me nourrir, je chasserais pour aider aussi. Cela jusqu’à ce que les tiens me juge dignes. »

Même si cela prendrait des années. La malédiction qui affectait le sang de Lewis ne l’incitait nullement, si la mort devait l’arracher de ce monde, alors qu’il en soit ainsi. Après tout, qu’était la vie, mis à part qu’une simple étape de l’existence ? Poe croassa afin d’attirer l’attention sur lui, avant de prendre la parole, tandis que sa détentrice se penchait pour mieux le voir, ce qui au vu de sa petite taille ne lui demanda pas trop d’efforts.

« — Z’ont pas peur d’se faire bèqueter ? »
« — Visiblement non, Poe. »
« — Ils accordent facilement leur confiance alors… »

Lewis parut pensive un instant avant de répondre à son amphibien.

« — Ou alors il a juste fait ses preuves… »
« — Pour ça qu’ils lui font confiance alors ! »

Un rire sarcastique franchit les babines de la louve mauve qui se redressa.

« — La confiance, ce n’est qu’une illusion. »

Maintenant…

La pirate attrapa la grenouille pour la glisser dans son capuchon avant qu’elle ne dise plus aucun mot. Poe pouvait se montrer particulièrement fatiguant, au moins sous le capuchon ne pourrait-il que croasser. La louve observa droit dans les yeux son interlocuteur lupin cette fois.

« — Ne te sens-tu pas seul, lion parmi les brebis ? »

Il secoua doucement la tête, avec un sourire.

"Il y a une chose essentielle chez les Nakhus, qui est de donner sa chance à quiconque. Dès le moment où Volstein t'a accueillie, tu as fait partie des nôtres. Ce n'est pas une chaîne, pas une prison, tu es libres de t'en aller ou de refuser cette hospitalité si tu n'y trouves pas de place. Mais en aucun cas nous ne te demandons de faire tes preuves."

Il tourna la tête vers elle et ajouta doucement :

"Si c'est à toi-même que tu dois faire tes preuves, en revanche nous ne pouvons que te soutenir, mais tu devras le faire toi-même."

Lui-même avait attendu le dernier moment pour se présenter à Yurai, puisque l'acceptation par la déesse constituait à ses yeux l'épreuve ultime, et parce qu'elle l'avait véritablement mis au défi lors de leur première rencontre. Il avait mis très longtemps avant d'avoir la certitude qu'il méritait d'une certaine manière, sa place au sein des Nakhus. deux années complètes d'introspection et de liens timidement créé avec les autres membres de la meute, de secrets inavoués puis avoués. Un chemin qui avait été long et tortueux pour son esprit, et qui l'avait mené à aujourd'hui.

Il écouta en silence la conversation qu'il y eut entre Poe et Lewis, et dont la conclusion le laissa perplexe. La vie l'avait-elle tant blessée, pour qu'elle ne croit plus à quelque-chose de si simple et pur comme la confiance ? C'était pourtant l'un des credo de base de la meute dans laquelle elle était venue se réfugier. Peut-être était-ce là le premier pas qu'elle devrait faire vers une vie meilleure. Reprendre confiance en les autres, en la vie, et en elle-même. Il regarda avec un air amusé la louve violette prendre le petit batracien pour le cacher dans son capuchon, le privant probablement de la possibilité de continuer d'intervenir dans l'entrevue. Puis elle releva le regard vers lui pour lui poser franchement une question qu'on ne lui avait jamais posée depuis qu'il était ici. Il était tellement évident pour les Nakhus que sa place était ici que bien peu de loups avaient eu cette espèce de considération à son égard, en demandant tout simplement si lui se sentait à sa place. Il en était en partie responsable, bien-sûr, puisqu'il avait tout d'abord gardé ses distances, puis avait au contraire fait moult efforts pour qu'on le considère comme intégré.

"Je l'ai été durant un moment. Un long moment." Répondit-il, sans essayer de lui cacher la vérité. "Mais je ne le suis plus désormais."

Il cilla.

"Et toi ? Es-tu seule ?"

Les oreilles de Lewis remuèrent doucement.

« — Rah ne sois donc pas si sérieux Ajani ! Je finirais bien par m’y habituer, mon but est de vous aider, pas de faire de longues séances de médiations en ouvrant mes chakras ! »

Un sourire jovial vint étirer les babines de la louve, qui n’aimait guère s’attarder sur elle-même, préférant prendre tout avec humour et légèreté. Le Lion Blanc semblait plutôt perdu dans ses pensées, réveillait-elle d’anciens souvenirs qu’il aurait préféré oublié ? La question prend de court Lewis qui conserva le silence un moment avant de répondre.

« — J’ai Poe. »

Mensonge.

Parce que Poe, n’était qu’un moyen de dialoguer avec toi-même Lewis, parce que Poe ne parlait pas, c’est toi qui parlais au travers lui grâce à tes capacités de ventriloquie. Mais Ajani avait-il besoin de le savoir ?

Oui, Lewis était seule depuis bien longtemps, tentant pourtant de se convaincre du contraire. Les Raeders n’avaient jamais comblé tout ce vide que le départ de ses parents et de sa soeur avaient pu combler. Les seuls loups qui avaient su piper son intérêt, furent Creek - qui désormais ne devait la voir que comme la première des parias -, Celle-Qui-Somnôlait-Dans-Le-Ventre-De-La-Mort et Siam. Ce frère qui les avait privé de leur père, ce frère qui avait disparu.

« — Les considères-tu comme ta famille, maintenant ? »

Il secoua doucement la tête, avec un air amusé, lorsqu'elle railla ses propos et son attitude. Il ne le prit pas mal, parce que ce n'était pas son genre. Il fallait un temps avant de se faire à l'espèce de candeur qu'incarnait le peuple Nakhu, et encore plus pour accepter de baisser ses propres barrières pour s'y laisser emporter. Certains n'y arrivaient sans doute jamais. Peut-être tout simplement qu'elle n'était pas prête pour ce genre de vie, qu'elle ne le désirait pas. Pourtant Volstein avait bien dû lui parler un peu ne détail de ce gorupe, et généralement lorsque feu leur Oracle parlait de son peuple, il était aisé de comprendre quelles en étaient les fondations.

"Est-ce que tu envisages de te présenter devant la déesse Yurai ?" Demanda-t-il simplement en réponse.

Pour obtenir un glowstick, pour voir enfin ces dieux dont on leur parlait depuis l'enfance en des termes plus que négatifs comparés aux créatures de l'Océan, juste comme ça pour être cofrontée à cette nouvelle réalité. Il y avait bien des raisons pour lesquelles les Nakhus allaient voir la Corneille. Il se demandait d'ailleurs s'il en était de même pour les autres dieux dans les autres meutes. Il avait eu vent de la piété des Etelkrus, mais pour ce qui était des lazulis, c'était un mystère. Qui ne serait sans doute pas résolu avant la disparition de ce mystérieux dôme flottant au-dessus des terres de ce clan depuis bien des lunes déjà.

Elle ne répondit pas vraiment lorsqu'il lui demanda si elle se sentait seule, mais fit une pirouette en parlant de son petit amphibien. C'était peut-être un oui caché, mais si elle ne l'avait pas exprimé clairement il supposa que c'était parce qu'elle ne désirait pas s'étaler sur le sujet. Et il respecta cette volonté sans broncher.

"Ils en sont une partie, oui." Répondit-il.

Il n'avait eu aucune raison de cesser de considérer les Raeders comme sa famille, alors il restait une partie de sa famille là-bas, sur cette petite île perdue dans l'Océan, au large des Côtes de Nacre.

"Pourquoi avoir décidé de venir ici ?"

Le continent était vaste après tout, et il n'obligeait pas à renoncer à ses libertés pour agréer à une meute. Il y avait bien des meutes différentes, et pourtant elle avait dirigé ses pas vers eux, vers ce clan qui leur avait déjà volé l'un des leurs, aux pirates.

Les dieux.

Une question intéressante, qui nécessitait réflexion. Parce que pour le moment, Lewis voulait apprendre à comprendre les autres avant de comprendre un dieu, parce qu’après avoir vu son père consumé par son pouvoir, l’influence néfaste de Céto, l’ancienne Raeder devait savoir accorder sa confiance. Ce ne serait pas immédiat, cela nécessiterait sans nul doute un peu de temps.

« — Non. » Lewis se corrigea, un sourire aux babines. « Pas de suite du moins, j’ai besoin de découvrir vos dieux, d’oublier Céto, afin d’être sûre d’emprunter le bon chemin. »

Parce qu’emprunter le bon chemin, était important n’est-ce pas ? Savoir écouter ses instinct, ce que vos tripes vous disaient. L’expression de Lewis redevint sérieuse alors que du fond du capuchon, Poe laissa échapper un croassement, manifestant de sa présence, du fait qu’il ne fallait pas l’oublier même si il était caché.

« — Ici plutôt que de devenir solitaire ? »

Parce qu’Ajani s’en doutait n’est-ce pas qu’aucun clan n’aurait accueilli une Raeder ?

« — Parce que pour les Etelkrus, je suis une pirate qui s’en ai pris aux leurs et la fille du traître. Pour les Lazulis mon appartenance à l’océan serait sans aucun doute une atteinte à leurs principes. Quant-à devenir solitaire… Ce n’est pas ce que je veux. Me couper entièrement du monde ne fait pas parti de mes projets. »

Qu’importe si Alys n’avait un traître qu’une fois sa destitution, qu’après s’être éloigné des Etelkrus, il demeurerait le traître pour les autres et Lewis, rien de plus que sa fille. Quant-à finir solitaire, l’idée n’était guère alléchante. Mine de rien, la louve appréciait la compagnie, parler, vivre en communauté, c’était ce qui faisait d’eux des loups avant un minimum d’émotions. N’aimant guère l’expression du Lion-Blanc-Qui-Trahit-L’-Océan, trop sérieuse au goût de Lewis, cette dernière vint lui donner un coup de truffe, un sourire jovial aux babines.

« — N’ais crainte Ajani, je n’attirerais pas d’ennuie aux tiens, du moins si tu m’aides à vous comprendre. »

Il hocha la tête lorsqu'elle lui répondit qu'elle ne comptait pas se présenter devant Yurai tout de suite. Il n'en était pas très surpris - non pas parce qu'il pouvait s etarguer de bien connaître la louve violacée, bien au contraire, mais parce que nombre de ceux qui venaient leur demander asile et à faire partie de leur meute ne rencontraient pas la déesse tout de suite. Certains mêmes ne le faisaient jamais, et pourtant vivait sous sa protection, servaient la meute du mieux qu'ils le pouvaient, sans demander en retour le pouvoir que la Corneille pouvait leur octroyer. Elle dit avoir besoin d'oublier Ceto, et il se demanda si elle parlait d'oublier ce que les Raeders avaient fait pour elle en disant cela. Les sacrifices de loups capturés dans les autres meutes, donnant ainsi aux meutes du continent une bonne raison de les haïr. Avec le recul et même si cela avit sans doute permis aux Raeders de vivre un peu mieux, Ajani trouvait que ç'avait été une décision qui était à la fois une charnière et une grossière erreur. Une réaction presque immmature à la haine qu'ils avaient l'impression de se voir refléter dans les yeux de ceux qui n'habitainet pas Morne-Oeil. Une tentative de montrer leur puissance à des groupes qui demeuraient plus forts. Ils vivaient mieux peut-être, mais à quel prix ? Il craignait fort qu'un jour le revers arrive, déferlant, impossible à contrer et ne les détruise complètement.

Il n'eut pas besoin de répondre à sa question, elle était réthorique. Aucun clan n'était prêt à accepter aussi facilement que les Nakhus un ancien Raeder, aussi imbibé de repentir soit-il. Il leur restait l'option de devenir solitaire, mais c'était un choix empoisonné car à leurs quatre ans le sol commencerait à brûler sous leurs pattes, les chassant à nouveau vers Morne-Oeil. Il n'y avait que la lumière d'un dieu, sa bénédiction, pour chasser la malédiction de Pontos.

Il ne vit pas venir le petit coup de truffe qu'elle lui adressa et ne put s'empêcher de laisser échapper un petit rire. Il était un temps où ils s'étaient montrés bien moins formels l'un envers l'autre, et une partie de lui y vit l'espoir que cela redevienne maintenant.

"Je ferai de mon mieux alors." Répondit-il d'un ton moins sérieux. "Tu as déjà visité le Dédale je crois, lors de ta visite avec Volstein. Si tu veux, une fois le deuil passé, je pourrais te faire visiter les terres Nakhus dans leur intégralité."

Si cela devait devenir son nouveau chez-elle, autant qu'elle en connaisse comme eux les moindres détours. Et ce serait peut-être l'occasion d'échanger, de discuter, de disserter. Faire ce que les Nakhus savaient le mieux faire en somme. Cultiver la sagesse.